Acte quatriesme

 

Scène premiere

Æglé, Medée.

Medée, Æglé

 

ÆGLÉ

Cruelle, ne voulez-vous pas  

faire cesser ma peine ?

Au moins achevez, inhumaine,

achevez mon trespas.

MEDÉE

Satisfaites le roy, contentez mon envie,

si vous voulez sortir de cét affreux sejour.

ÆGLÉ

Helas ! laissez-moy mon amour,

prenez plûtost ma vie.

MEDÉE

Ma rage en vous perdant ne peut estre assouvie,

c'est grace, c'est pitié de vous oster le jour.

ÆGLÉ

Vous aurez beau me poursuivre,

vous aurez beau m'allarmer,

ce n'est qu'en cessant de vivre

que je puis cesser d'aimer.

MEDÉE

Achevez de sçavoir dequoy je suis capable;

la plus horrible mort n'a rien de comparable

au coup qui vous menace en ce fatal instant:

moy-méme j'en fremis tant il est effroyable.

ÆGLÉ

Est-ce un crime si punissable

d'avoir un cœur tendre et constant ?

MEDÉE

Il n'est que trop aisé de percer un cœur tendre:

toute ma rage enfin va paroistre à vos yeux.

ÆGLÉ

Quel spectacle vient me surprendre ?

C'est Thesée endormy qu'on transporte en ces lieux.

 
Thesée endormy descend conduit par des spectres volants.

<- Thesée

 

Scène seconde

Medée, Æglé, Thesée endormy.

 

MEDÉE

Venez à mon secours implacables furies.  

Que le sang innocent recommence à couler;

il faut encor nous signaler

par de nouvelles barbaries,

venez à mon secours implacables furies.

 
Les furies sortent tenant un tison ardent d'une main, et un cousteau de l'autre.

<- Les furies

 

Scène troisiesme

Medée, Æglé, Thesée endormy, Les furies.

 

ÆGLÉ

Faut-il voir contre moy tous les enfers armez ?  

MEDÉE

Tremblez en aprenant quel est vostre suplice.

Vostre amant va perir, c'est vous qui m'animez

à m'en faire à vos yeux un affreux sacrifice.

ÆGLÉ

Vous pouvez vouloir qu'il perisse ?

Et vous dites que vous l'aimez ?

MEDÉE

Il faut voir qui des deux l'aimera davantage,

plûtost que le cedder, j'aime mieux que la mort

en fasse entre nous le partage,

et l'amour n'en est que plus fort

quand il passe jusqu'à la rage.

Elle parle aux furies.

Dépechez, achevez vostre sanglant ouvrage.

ÆGLÉ

Arrestez, retenez leurs coups,

j'espouseray le roy, je suivray vostre envie:

je cedde ce heros, que son cœur soit à vous,

rien ne m'est si cher que sa vie.

MEDÉE

Mais aurez-vous bien le pouvoir

de luy paroistre ingrate, insensible, volage ?

ÆGLÉ

C'est luy faire un cruel outrage,

j'aimerois mieux ne le point voir.

MEDÉE

Non il faut luy montrer une ame desloyale

qui l'immole sans peine à la grandeur royale

tandis que je feindray d'agir en sa faveur:

enfin je veux gagner son cœur

par le secours de ma rivale.

ÆGLÉ

Dieux ! quelle contrainte fatale !

MEDÉE

Pour le prix de ses jours attirez ses mépris,

ou je vais...

ÆGLÉ

Non, qu'il vive, il n'importe à quel prix:

je veux tout, je puis tout pour sauver ce que j'aime;

mon amour vous promet de se trahir luy-mesme.

MEDÉE

Cessez donc de trembler: voyez en un moment

changer ces lieux affreux en un sejour charmant.

 
Les furies rentrent dans les enfers, le thèâtre change, et represente une isle enchantée.

Les furies ->

 Q 

 

Scène quatriesme

Medée, Thesée, Æglé

 

MEDÉE

(touchant Thesée de sa baguette magique)  

Voyez ce que j'ay soin de faire

pour un trop malheureux amant.

THESÉE

(éveillé et regardant un habit magnifique et galant dont il est paré)

Où suis-je ? Et d'où me vient ce nouvel ornement ?

MEDÉE

J'ay voulu vous aider à plaire.

THESÉE

(se voyant sans espée)

Mon espée ! ah rendez-la moy.

MEDÉE

On va vous l'apporter. Si vous craignez le roy,

je seray vos plus fortes armes.

THESÉE

Apres tout ce que je vous doy...

(Il aperçoit Æglé.)

Est-ce vous ? ma princesse, est-ce vous que je voy ?

Mais où détournez-vous vos regards pleins de charmes ?

MEDÉE

Quoy ? vous ne tournez pas les yeux

sur un amant si glorieux ?

THESÉE

Belle Æglé, dites-moy, quel crime ay-je pû faire ?

MEDÉE

N'aprehendez vous point qu'on ose se vanger ?

THESÉE

Non, elle aura beau m'outrager,

elle me sera toujours chere.

MEDÉE

Tant d'amour ne vous touche pas ?

Ingrate, croyez-vous qu'un thrône ait plus d'appas ?

THESÉE

Vous m'aviez tant promis de n'estre point legere ?

MEDÉE

Dequoy ne vient point à bout

un roy qui veut plaire ?

La constance ne tient guere

contre un amant qui peut tout.

Le roy doit redouter que mon dépit n'éclate:

pour regagner son cœur, je vais encor le voir.

Essayez, cependant, d'attendrir cette ingrate:

si tous nos soins unis ne peuvent l'émouvoir,

vostre amour seul peut-estre aura plus de pouvoir.

 

Medée ->

 

Scène cinquiesme

Thesée, Æglé.

 

THESÉE

Æglé ne m'aime plus, et n'a rien à me dire ?  

Qu'avez vous fait des nœuds que l'amour fit pour nous ?

Quoy pour les briser tous.

Un jour, un seul jour peut suffire ?

J'aurois abandonné le plus puissant empire

pour garder des liens si doux.

ÆGLÉ

Cessez d'aimer une volage;

servez-vous de vostre courage

pour chercher un plus heureux sort.

THESÉE

Je ne m'en serviray que pour chercher la mort.

Si la belle Æglé m'est ravie

je ne prétens plus rien:

je pers l'unique bien

qui m'auroit fait aimer la vie.

ÆGLÉ

Helas !

THESÉE

Ah ! Quel soûpir échape à vostre cœur !

ÆGLÉ

Ce soûpir échapé n'est que pour la grandeur.

THESÉE

Vos beaux yeux répandent des larmes ?

ÆGLÉ

Non, non, sans m'attendrir je verray vos douleurs.

THESÉE

Vous voulez me cacher vos pleurs ?

Pourquoy m'en dérober les charmes ?

ÆGLÉ

Ah ! que vous me donnez de mortelles allarmes ?

On vous a peut-estre entendu

Thesée, et vous estes perdu.

THESÉE

On ne nous entend point, non, ma belle princesse,

si vous m'aimez toujours ne craignez rien pour moy.

ÆGLÉ

Que nous payerons cher l'excez de ma tendresse ?

Il y va de vos jours, j'espouseray le roy.

THESÉE

C'est trop aprehender que le roy ne s'irrite.

Il faut vous dire tout, l'amour m'en sollicite;

je suis fils du roy.

ÆGLÉ

Vous, seigneur !

THESÉE

Je n'ay montré d'abord que ma seule valeur,

c'estoit à mon propre merite

que je voulois devoir ma gloire et vostre cœur.

ÆGLÉ

Le roy, le monde entier prendroient en vain les armes,

il n'est rien de si fort que Medée, et ses charmes,

nous sommes les objets de ses transports jaloux.

S'ils n'en vouloient qu'à moy je les braverois tous,

mais ils m'ont sçeu fraper par ou je suis sensible.

THESÉE

Quoy, le roy sera vostre epoux ?

ÆGLÉ

Je ne puis vous sauver sans cét hymen horrible.

THESÉE

Laissez armer plûtost tout l'enfer en couroux;

le trépas est cent fois plus doux

qu'un secours si terrible;

vivez pour moy, s'il est possible,

ou laissez moy mourir pour vous.

 

ÆGLÉ ET THESÉE

Quelle injustice !  

Que de tourments !

Ah quel suplice

de briser des nœuds si charmants !

 

Scène sixiesme

Medée, Thesée, Æglé.

<- Medée

 

MEDÉE

(sortant tout à coup d'un nüage)  

Finissez vos regrets, c'est trop, c'est trop vous plaindre,

je viens d'entendre tout il n'est plus temps de feindre.

ÆGLÉ

Pardonnez à l'amour qui ne m'a pas permis

de tenir ce que j'ay promis.

THESÉE

Vengez vous sur moy seul de nostre amour extresme.

ÆGLÉ

C'est par mon seul trépas qu'il faut nous désunir.

THESÉE

Sa vie est la faveur que je veux obtenir.

ÆGLÉ

Conservez ce heros, sauvez-le pour vous-mesme.

THESÉE ET ÆGLÉ

Epargnez ce que j'aime,

c'est moy, c'est moy qu'il faut punir.

MEDÉE

Je vous aime, Thesée, et vous l'allez connaistre,

le crime enfin commence à me paraistre affreux,

je respecte de si beaux nœuds,

ma rage a beau s'armer, vous en estes le maistre;

vostre vertu m'inspire un dépit genereux,

je rendray ce que j'aime heureux

puisque mon amour ne peut l'estre.

THESÉE ET ÆGLÉ

Quel bonheur surprenant pour nos cœurs amoureux !

MEDÉE

Esperez tout de mon secours.

Vous pouvez reprendre vos armes.

 
Thesée reprend son espée.
 

MEDÉE
(continuë)

Gardez vos tendres amours,  

goustez-en les charmes,

aimez sans allarmes,

aimez-vous toujours.

Ensemble

THESÉE ET ÆGLÉ

Gardons nos tendres amours,

goustons-en les charmes,

aimons sans allarmes,

aimons-nous toujours.

 

MEDÉE

Habitans fortunez de ces lieux si charmants;  

commencez les plaisirs de ces heureux amants.

 

Medée ->

 

Scène septiesme

Thesée, Æglé, Habitans de l'Isle enchantée.
Quatre bergeres de l'Isle enchantée chantantes. Deux habitans de l'Isle enchantée chantants. Un habitant de l'Isle enchantée. Quatorze habitants de l'Isle enchantée chantants. Douze hautbois, flutes et cromones. Six flutes. Quatre hautbois. Deux cromones. Douze habitants de l'Isle enchantée dançants. Six hommes. Six femmes.

<- Habitans de l'Isle enchantée, Deux bergeres, Deux autres bergeres, Un des habitans de l'Isle enchantée

 

DEUX BERGERES
(chantent ensemble)

Que nos prairies  

seront fleuries !

Les cœurs glacez

pour jamais en sont chassez.

Ces lieux tranquiles

sont les asiles

des doux plaisirs,

et des heureux loisirs:

la terre est belle,

la fleur nouvelle

rit aux zephirs.

Que nos prairies

seront fleuries !

Les cœurs glacez

pour jamais en sont chassez.

C'est dans nos bois

qu'amour a fait ses loix:

leur vert feüillage

doit toujours durer,

un cœur sauvage

n'y doit point entrer.

Que nos prairies

seront fleuries !

Les cœurs glacez

pour jamais en sont chassez.

La seule affaire

d'une bergere

c'est de songer

à l'amour de son berger.

Lors qu'il la meine,

bien qu'elle prenne

de longs detours,

tous les chemins sont courts:

sa bergerie

est moins cherie

que ses amours.

La seule affaire

d'une bergere

c'est de songer

à l'amour de son berger.

Quand son amant

la quitte un seul moment,

nos champs pour elle

n'ont plus d'autre bien,

elle en querelle

jusques à son chien.

La seule affaire

d'une bergere

c'est de songer

à l'amour de son berger.

 
Les habitans de l'Isle enchantée forment des dançes galantes sur l'air de la chanson des bergeres.
 

DEUX AUTRES BERGERES
(chantent ensemble)

Aimons, tout nous y convie,  

on aime icy sans danger,

il est permis de changer,

chacun y suit son envie:

mais, heureux, cent, et cent fois,

un amant qui fait un choix

qui dure autant que sa vie !

Fuyons le bruit des villages,

fuyons l'esclat du grand jour,

les fruits charmants de l'amour

sont dans les sombres boccages.

N'ayons point de peur des loups,

ne craignons que les jaloux

qui sont encor plus sauvages.

 
Les habitans de l'Isle enchantée dançent sur l'air de la chanson des bergeres, qui est joüé par des instruments champestres.
Un des habitans de l'Isle enchantée chante au milieu de tous les autres, qui s'assemblent autour de luy, pour chanter, et pour dançer.
 
Premiere chanson.
 

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Quel plaisir d'aimer  

sans contrainte !

Nous pouvons former

des vœux sans crainte.

LE CHŒUR

Quel plaisir d'aimer

sans contrainte

nous pouvons former

des vœux sans crainte.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Jusques aux langueurs,

et jusqu'aux larmes,

pour les tendres cœurs

tout a des charmes.

LE CHŒUR

Jusques aux langueurs,

et jusqu'aux larmes,

pour les tendres cœurs

tout a des charmes.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Si l'amour paraist

tant à craindre,

c'est que lors qu'il plaist

on veut s'en plaindre.

LE CHŒUR

Si l'amour paraist

tant à craindre,

c'est que lors qu'il plaist

on veut s'en plaindre.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

On dit les rigueurs

de sa bergere,

mais pour les faveurs,

on s'en doit taire.

LE CHŒUR

On dit les rigueurs

de sa bergere,

mais pour les faveurs,

on s'en doit taire.

 
Seconde chanson.
 

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

L'amour plaist malgré ses peines,

l'amour plaist aux cœurs constants:

LE CHŒUR

L'amour plaist malgré ses peines,

l'amour plaist aux cœurs constants:

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

On ne peut porter ses chaisnes

assez tost, ny trop long-temps.

LE CHŒUR

On ne peut porter ses chaisnes

assez tost, ny trop long-temps.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

Sans amour, tout est sans ame,

l'amour seul nous rend contents;

LE CHŒUR

Sans amour, tout est sans ame,

l'amour seul nous rend contents.

UN DES HABITANS DE L'ISLE ENCHANTÉE

On ne peut sentir sa flame

assez tost, ny trop long-temps.

LE CHŒUR

On ne peut sentir sa flame

assez tost, ny trop long-temps.

 
Fin du quatriesme acte.
 

Fin (Acte quatriesme)

Prologue Acte premier Acte seconde Acte troisiesme Acte quatriesme Acte cinquiesme
Medée, Æglé
 

Cruelle, ne voulez-vous pas

(Thesée endormy descend conduit par des spectres volants.)

Medée, Æglé
<- Thesée

Venez à mon secours implacables furies

(Les furies sortent tenant un tison ardent d'une main, et un cousteau de l'autre.)

Medée, Æglé, Thesée
<- Les furies

Faut-il voir contre moy tous les enfers armez ?

Medée, Æglé, Thesée
Les furies ->

Le thèâtre change, et represente une isle enchantée

Voyez ce que j'ay soin de faire

Æglé, Thesée
Medée ->

Æglé ne m'aime plus, et n'a rien à me dire ?

Æglé, Thesée
Quelle injustice !

(Medée sort tout à coup d'un nüage)

Æglé, Thesée
<- Medée

Finissez vos regrets, c'est trop, c'est trop vous plaindre

Medée, Thesée, Æglé
Gardez vos tendres amours

Habitans fortunez de ces lieux si charmants

Æglé, Thesée
Medée ->
Æglé, Thesée
<- Habitans de l'Isle enchantée, Deux bergeres, Deux autres bergeres, Un des habitans de l'Isle enchantée
Deux bergeres
Que nos prairies
Deux autres bergeres
Aimons, tout nous y convie
Un des habitans de l'Isle enchantée, Le chœur
Quel plaisir d'aimer
 
Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme
Le thèâtre represente les jardins et la façade du palais de Versailles. Le thèâtre represente le temple de Minerve Le palais d'Ægée roy d'Athenes. Le thèâtre change, et represente une isle enchantée Le thèâtre represente un palais, que les enchantements de Medée font paroistre.
Prologue Acte premier Acte seconde Acte troisiesme Acte cinquiesme

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