Acte troisiesme

 

Scène premiere

Æglé, Cleone.

Æglé, Cleone

 

CLEONE

Vous allez voir bien-tost vostre amant dans ces lieux.  

ÆGLÉ

Je le verray victorieux.

Apres de mortelles allarmes

qu'un bien-heureux retour est doux pour les amants !

L'amour s'accroist par les tourments,

les biens qu'il fait payer avec le plus de larmes

n'en deviennent que plus charmants.

CLEONE

Thesée est triomphant, chacun le veut pour maistre.

ÆGLÉ

Ne verray-je point paraistre

un si glorieux vainqueur ?

Il negligera peut-estre

la conqueste de mon cœur.

CLEONE

On n'est pas inconstant pour aimer la victoire.

Si le passage est beau de l'amour à la gloire,

rien n'est si doux que le retour

de la gloire à l'amour.

ÆGLÉ

Non, son amour n'est point extresme:

faut-il qu'il trouve ailleurs tant de soins importants ?

Il n'ignore pas que je l'aime,

il doit songer que je l'attens.

ÆGLÉ ET CLEONE

La gloire n'est que trop pressante,

un heros doit la suivre avec empressement;

mais déz que la gloire est contente,

l'amour doit promptement

ramener un amant.

 

Scène seconde

Arcas, Æglé, Cleone.

<- Arcas

 

ARCAS

Le roy m'ordonne de vous dire  

qu'il vous fera bien-tost regner:

rien ne trouble plus son empire...

vous tremblez ? Vostre cœur soûpire ?

Le roy tout vieux qu'il est n'est pas à desdaigner.

Lorsque par le feu du bel âge

un jeune cœur se sent pressé,

dans une ardente amour sans effort on l'engage:

on triomphe bien davantage

quand on enflame un cœur que les ans ont glacé.

ÆGLÉ

Si tu connois, Arcas, le trouble qui me presse,

ne va point descouvrir la peine ou tu me vois.

CLEONE

Si tu veux m'obliger oblige la princesse:

fay, s'il se peut par ton adresse

que le roy tourne ailleurs son choix.

ARCAS

Tu me donnes toujours d'assez fascheux emplois.

 

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Il n'est point de grandeur charmante  

sans l'amour et sans ses douceurs:

rien ne plaist, rien n'enchante,

sans l'amour et sans ses douceurs:

rien ne contente

les jeunes cœurs

sans l'amour et sans ses douceurs:

il n'est point de grandeur charmante

sans l'amour et sans ses douceurs.

 

Scène troisiesme

Medée, Dorine, Æglé, Cleone, Arcas.

<- Medée, Dorine

 

MEDÉE

Princesse sçavez-vous ce que peut ma colere  

quand on l'oblige d'esclatter ?

ÆGLÉ

Je prétens ne rien faire

qui vous doive irriter.

MEDÉE

Et n'est-ce rien que de trop plaire ?

ÆGLÉ

Je renonce à l'hymen du roy

si je luy plais, c'est malgré moy.

Ce n'est point dans le rang supresme

qu'on trouve les plus doux appas,

et souvent un bonheur extresme

est plus seur dans un rang plus bas.

MEDÉE

Vous aimez donc Thesée ? ah ! n'en rougissez pas,

il n'est que trop digne qu'on l'aime.

Je m'interesse en vostre amour;

parlez, vous connoistrez mon cœur à vostre tour.

ÆGLÉ

J'avois toujours bravé l'amour et sa puissance

avant que d'avoir veu ce glorieux vainqueur;

mais la gloire et l'amour tous deux d'intelligence

ne sont que trop puissans pour vaincre un jeune cœur.

Que vostre soin au mien responde,

j'espere que le roy deviendra vostre espoux:

regnez par son hymen dans une paix profonde,

laissez moy ce heros, mon sort est assez doux;

quand vous possederiez tout l'empire du monde,

mon cœur n'en seroit point jaloux.

MEDÉE

Mais enfin, si le roy commande,

vous estes soûmise à sa loy.

ÆGLÉ

Ma vie est au pouvoir du roy,

et je veux bien qu'elle en despende:

mais c'est en vain qu'il demande

un cœur qui n'est plus à moy.

MEDÉE

Vous m'en avez trop dit, il est temps qu'entre nous

la confidence soit égale.

Il faut vous desgager d'une chaisne fatale.

ÆGLÉ

La mort, la seule mort rompra des nœuds si doux.

MEDÉE

Je veux que dés demain le roy soit vostre espoux:

vous aimez un heros qui ne peut estre à vous,

et Medée est vostre rivale;

prenez soin d'esviter mon funeste couroux.

ÆGLÉ

Nos deux cœurs sont unis par un amour fidelle.

MEDÉE

En dépit de l'amour je les veux diviser.

ÆGLÉ

La chaisne qui nous lie est si forte et si belle.

MEDÉE

J'auray plus de plaisir si je la puis briser.

ÆGLÉ

Non, j'aime mieux la mort qu'une lasche inconstance,

tout l'enfer à mes yeux n'aura rien de si noir;

malgré Medée et sa vengeance,

mon amour fera son devoir.

MEDÉE

Voyons si vostre amour est tel qu'il veut paraistre,

puisque vous le voulez vous allez me connaistre:

je vais vous faire voir

ce que c'est que Medée et quel est son pouvoir.

 
La scène change, et represente un desert espouventable remply de monstres furieux.

Medée ->

 

Scène quatriesme

Æglé, Cleone, Arcas, Dorine.

 

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Dieux ! où sommes nous !  

CLEONE

Que d'objets horribles !

ARCAS

Quels monstres terribles !

ÆGLÉ

Quel affreux couroux !

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Dieux ! où sommes nous !

ÆGLÉ

Me laissez-vous, cruelle,

dans cette horreur mortelle ?

Ah cruelle ! où me laissez-vous ?

ÆGLÉ, CLEONE ET ARCAS

Dieux ! où sommes nous ?

 

Æglé ->

 

Scène cinquiesme

Cleone, Arcas, Dorine

 

CLEONE

Contre ce monstre qui m'allarme  

vien me deffendre Arcas.

ARCAS

Ne crain rien avant mon trespas.

Ô ciel ! on me desarme !

(Un fantosme emporte en volant l'espée d'Arcas.)

Tu peux beaucoup icy, belle Dorine, helas !

ne l'abandonne pas.

CLEONE

Belle, Dorine, helas !

ne m'abandonne pas.

Ensemble

ARCAS

Belle, Dorine, helas !

ne l'abandonne pas.

 

DORINE

Il est bon d'estre necessaire;  

c'est un charme puissant pour plaire

où peu de cœurs ont resisté:

un grand secours qu'on espere

est un grand trait de beauté.

ARCAS

Ce n'est pas d'aujourd'huy que je te trouve belle.

CLEONE

Où pourroit-il voir plus d'attraits ?

DORINE

Je sçais trop vostre amour nouvelle.

ARCAS ET CLEONE

Non, non, je le promets,

non, je ne l'aimeray jamais.

DORINE

Pour se tirer de peine

chacun promet assez;

mais la promesse est vaine

lorsque les perils sont passez.

ARCAS ET CLEONE

Ne doute point de ma promesse.

DORINE

Non, je ne prétens point regagner desormais

d'un si volage amant la trompeuse tendresse;

non, non, je le promets;

non, je ne l'aimeray jamais.

CLEONE, ARCAS ET DORINE

Non, non, je le promets,

non, je ne l'aimeray jamais.

 

Scène sixiesme

Medée, Cleone, Arcas, Dorine.

<- Medée

 

MEDÉE

Qu'on ne me trouble point, qu'on leur ouvre un passage.  

C'est sur d'autres que vous que doit tomber ma rage,

fuyez de ce funeste lieu.

CLEONE ET ARCAS

Adieu, Dorine, adieu.

 

Cleone, Arcas, Dorine ->

 

Scène septiesme

Medée invoque les habitans des enfers.
La rage. Le desespoir. Vingt-quatre habitants des enfers chantants. Douze lutins dançants.
Un fantosme.

 

MEDÉE

Sortez, ombres, sortez de la nuit eternelle.    

Voyez le jour pour le troubler.

Hastez-vous d'obeïr quand ma voix vous appelle,

que l'affreux desespoir, que la rage cruelle

prennent soin de vous assembler.

Sortez, ombres, sortez de la nuit eternelle.

S

 

<- La rage. Le desespoir, Vingt-quatre habitants des enfers, Douze lutins, Un fantosme

CHŒUR DES HABITANS DES ENFERS

Sortons de la nuit eternelle.  

MEDÉE

Venez peuple infernal, venez,

avancez malheureux coupables,

soyez aujourd'huy deschaisnez:

goustez l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

LE CHŒUR

Goustons l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

MEDÉE

Redoublez en ce jour le soin que vous prenez

de mes vengeances redoutables.

LE CHŒUR

Ordonnez, ordonnez.

MEDÉE

Ma rivale m'expose à des maux effroyables;

qu'elle ait part aux tourments qui vous sont destinez:

tous les enfers impitoyables

auront peine à former des horreurs comparables

aux troubles qu'elle m'a donnez:

goustons l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

LE CHŒUR

Goustons l'unique bien des cœurs infortunez,

ne soyons pas seuls miserables.

 
Les habitants des enfers expriment la douceur qu'ils trouvent dans les ordres que Medée leur donne de donner des frayeurs, et de faire de la peine à Æglé.
 

LE CHŒUR

On nous tourmente  

sans cesse aux enfers,

que l'on ressente

nos feux et nos fers.

Tout doit se troubler,

tout doit trembler.

La colere

ne laisse jamais

nos cœurs en paix;

les plaintes qu'on peut faire

nous doivent toujours plaire,

et nous ne plaignons guere

les yeux qui sont en pleurs:

dans la rage,

les maux qu'on partage

ne sont pas sans douceurs.

On nous deschaine,

suivons nos fureurs;

dans nostre peine

troublons tous les cœurs.

Un grand desespoir

est doux à voir.

La colere

ne laisse jamais

nos cœurs en paix;

les plaintes qu'on peut faire

nous doivent toujours plaire,

et nous ne plaignons guere

les yeux qui sont en pleurs:

dans la rage,

les maux qu'on partage

ne sont pas sans douceurs.

 

Medée ->

 

Scène huitiesme

Æglé, habitans des enfers.
Les habitans des enfers espouvantent Æglé, elle les fuït, et ils la suivent.

<- Æglé

 

LE CHŒUR

Que tout fremisse:  

qu'avec nous tout gemisse:

quelle douceur de voir souffrir !

 

ÆGLÉ

Ah quel effroyable supplice !

faites moy promptement mourir.

 

LE CHŒUR

Que tout fremisse:

qu'avec nous tout gemisse:

quelle douceur de voir souffrir !

 
Fin du troisiesme acte.
 

Fin (Acte troisiesme)

Prologue Acte premier Acte seconde Acte troisiesme Acte quatriesme Acte cinquiesme
Æglé, Cleone
 

Vous allez voir bien-tost vostre amant dans ces lieux

Æglé, Cleone
<- Arcas

Le roy m'ordonne de vous dire

Æglé, Cleone, Arcas
<- Medée, Dorine

Princesse sçavez-vous ce que peut ma colere

(La scène change, et represente un desert espouventable remply de monstres furieux.)

Æglé, Cleone, Arcas, Dorine
Medée ->

Dieux ! où sommes nous !

Cleone, Arcas, Dorine
Æglé ->

Contre ce monstre qui m'allarme

Dorine, Artcas, Cleone
Il est bon d'estre necessaire
Cleone, Arcas, Dorine
<- Medée

Qu'on ne me trouble point, qu'on leur ouvre un passage

Medée
Cleone, Arcas, Dorine ->

(Medée invoque les habitans des enfers)

Sortez, ombres, sortez de la nuit eternelle

Medée
<- La rage. Le desespoir, Vingt-quatre habitants des enfers, Douze lutins, Un fantosme

Sortons de la nuit eternelle

La rage. Le desespoir, Vingt-quatre habitants des enfers, Douze lutins, Un fantosme
Medée ->
La rage. Le desespoir, Vingt-quatre habitants des enfers, Douze lutins, Un fantosme
<- Æglé
Le chœur, Æglé
Que tout fremisse
 
Scène premiere Scène seconde Scène troisiesme Scène quatriesme Scène cinquiesme Scène sixiesme Scène septiesme Scène huitiesme
Le thèâtre represente les jardins et la façade du palais de Versailles. Le thèâtre represente le temple de Minerve Le palais d'Ægée roy d'Athenes. Le thèâtre change, et represente une isle enchantée Le thèâtre represente un palais, que les enchantements de Medée font paroistre.
Prologue Acte premier Acte seconde Acte quatriesme Acte cinquiesme

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