Acte cinquième

 

Scène première

Le theatre represente le palais de Médée
Médée, Nérine.

 Q 

Médée, Nérine

 

NÉRINE

On ne peut sans effroy soutenir sa presence.  

Il court de toutes parts, menaçant, furieux,

dans ce funeste estat tout ce qu'il voit l'offense;

la princesse elle seule, en s'offrant à ses yeux,

semble de sa fureur calmer la violence;

il s'arreste, il soupire, et garde un long silence.

MÉDÉE

Et que dit son heureux amant ?

NÉRINE

Jason ignore encor ce triste évenement.

Occupé par les soins que la guerre demande,

il range avec nos chefs les troupes qu'il commande.

MÉDÉE

Que d'horreur ! que de maux suivront sa trahison !

C'est luy seul qui les cause, il m'en fera raison;

vangeons-nous. Ma fureur, à tant de rois fatale,

a-t'elle assez de ma rivale ?

Non, s'il ose garder ses sentiments ingrats,

si toûjours il perd la memoire

de ce que j'ay fait pour sa gloire,

il aime ses enfans, ne les épargnons pas.

 

Ne les épargnons pas ! ah, trop barbare mere !  

Quel crime on-ils commis pour leur percer le seins ?

Nature, tu parles en vain,

leur crime est assez grand d'avoir Jason pour pere.

Quel desespoir m'aveugle et m'emporte contr'eux ?

Leur âge permet-il cet affreux parricide,

et sont-ils criminels pour estre malheureux ?

Quoy, je craindray de punir un perfide !

De ses voeux triomphants ma mort seroit l'effet !

Oublions l'innocence, et voyons le forfait.

Une indigne pitié me les fait reconnoistre;

c'est mon sang, il est vray, mais c'est le sang d'un traitre.

Puis-je trop acheter, en les faisant perir,

la douceur de le voir souffrir ?

 

Scène deuxième

Créüse, Médée, Nérine.

<- Créüse

 

CRÉÜSE

Si la pitié vous peut trouver sensible,  

voyez une princesse en pleurs,

qui vient vous demander la fin de ses malheurs:

a vostre art rien n'est impossible.

Pour garantir l'estat des maux que je prevoy,

si la pitié vous peut trouver sensible,

appaisez la fureur d'un roy.

MÉDÉE

Si vous voulez obtenir ce miracle,

c'est au prince d'Argos qu'il faut vous adresser.

Par son hymen vos maux doivent cesser,

vos desirs n'auront point d'obstacle:

mais je veux qu'en ce mesme jour,

en recevant sa foy, vous payez son amour.

CRÉÜSE

Sur cet hymen quelle partie puis-je prendre,

quand d'un pere et d'un roy le ciel m'a fait dépendre ?

MÉDÉE

J'ay parlé, c'est assez; ne cherchez plus qu'en moy,

le pouvoir d'un pere et d'un roy.

CRÉÜSE

Pourquoy precipiter un dessein...

MÉDÉE

Point d'excuse.

Du trouble où je vous mets je connois la raison;

quand au prince d'Argos vostre cœur se refuse,

il veut se garder à Jason.

CRÉÜSE

Se garder à Jason ?

MÉDÉE

Je sçay sa perfidie,

en luy vous aviez un amant;

mais on n'offense pas Médée impunément;

d'une entreprise si hardie

l'univers étonné verra la châtiment.

CRÉÜSE

Ah, reprenez Jason, et me rendez mon pere.

Que Jason parte, et qu'il fuye avec vous.

MÉDÉE

Non, de ma main vous prendrez un epoux;

ce seul moyen peut satisfaire

les transports de mon cœur jaloux.

 

CHŒUR DE CORINTHIENS

(qu'on ne voit pas)  

Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !

Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?

CRÉÜSE

Que ce grand bruit m'est redoutable !

CHŒUR DE CORINTHIENS

Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable

ceux que vous devez soutenir ?

 

Scène troisième

Cleone, Créüse, Médée, Nérine, Chœur de Corinthiens.

<- Cleone, corinthiens

 

CRÉÜSE
(à Cleone)

Venez, parlez; qu'avez-vous à m'apprendre ?  

Je voy vos yeux baignez de pleurs.

CLEONE

Je viens vous annoncer le plus grand des malheurs.

Le roy ne respiroit que du sang à répandre,

qand voyant le prince d'Argos,

il a paru plus en repos.

Sa fureur sembloit dissipée;

mais dans le temps qu'on a rien à redouter

de sa fausse tranquillité,

de ce malheureux prince il a saisi l'épée,

et luy perçant le flanc, son bras nous a fait voir

ce que peut un prompt desespoir.

CRÉÜSE

Helas !

CLEONE

Dans ce malheure extrême,

chacun s'est empressé de luy prêter secours.

Le roy dans ce moment a terminé ses jours,

du mesme fer il s'est percé luy-mesme.

Ah, s'est-il écrié, le ciel l'a donc permis,

j'ay vaincu tous mes ennemis.

 

CHŒUR DE CORINTHIENS

Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !  

Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?

Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable

ce que vous devez soûtenir ?

Refusons nostre encens, nostre hommage,

a ces dieux inhumains;

tous nos respects sont vains,

nos malheurs sont leur injuste ouvrage ?

Refusons nostre encens, nostre hommage,

a ces dieux inhumains.

 

CRÉÜSE

C'est assez, laissez-moy, vos pleurs ne font qu'aigrir,  

les maux que je me dois preparer à souffrir.

corinthiens ->

 

Scène quatrième

Cleone, Créüse, Médée, Nérine.

 

CRÉÜSE

Eh bien, barbare, estes-vous satisfaite ?  

Par des crimes plus noirs voulez-vous meriter

le détestable honneur de faire redouter

le pouvoir que l'enfer vous préte ?

MÉDÉE

Pourquoy faire éclater ce violent couroux ?

Si la perte d'un pere est pour vous si funeste,

le cœur de Jason qui vous reste,

pour vous en consoler, est un prix assez doux.

CRÉÜSE

Ah, si j'ay sur luy quelque empire,

craignez à vous punir la derniere rigueur.

Je ne m'en serviray, que pour mettre en son cœur

toute la haine que m'inspire

ce que pour vous je sens d'horreur.

MÉDÉE

Que peuvent contre moy ces desseins de vangeance ?

Quels' effets en seront produits,

puisque vous ignorez jusqu'où va ma puissance,

connoissez tout ce que je suis.

(touche Créüse de sa baguette et s'en va)

Médée, Nérine ->

 

Scène cinquième

Cleone, Créüse.

 

CRÉÜSE

Quel feu dans mes veines s'allume ?  

Quel poison, dont l'ardeur tout à coup me consume,

dans cette robe étoit caché ?

Soûtenez-moy, je n'en puis plus, je tremble,

je brûle. Sur mon corps un braiser attaché

me fait souffrir mille tourments ensemble.

Mon mal est sans remede, à quoy servent ces pleurs ?

Rien ne peut soûlager l'excez de mes douleurs.

 

Scène sixième

Jason, Cleone, Créüse.

<- Jason

 

JASON

Ah, roy trop malheureux ! mais ô ciel ! la princesse  

paroît mourante entre vos bras !

Qui la met dans cette foiblesse ?

CRÉÜSE

Approchez-vous, Jason, ne m'abandonnez pas.

Mon pere est mort, je vais mourir moy-mesme.

Je peris par les traits que Médée a formez;

mille poisons dans sa robe enfermez,

par une violence extrême,

vous ostent ce que vous aimez.

Ce que j'endure est incroyable;

mais au moins j'ay de quoy rendre grace aux dieux,

que sa fureur impitoyable

me laisse la douceur de mourir à vos yeux.

JASON

Appellez-vous douceur un effet de sa rage ?

De cet affreux spectacle elle a sçeu la rigueur.

Pouvoit-elle mettre en usage

un supplice plus propre à m'arracher le cœur ?

JASON, CRÉÜSE

Helas ! prests d'estre unis par les plus douces chaînes,

faut-il nous voir separez à jamais ?

CRÉÜSE

Peut-on rien ajoûter à l'excez de mes peines ?

Ensemble

JASON

Peut-on lancer sur moy de plus terribles traits ?

 

JASON, CRÉÜSE

Helas ! prests d'estre unis par les plus douces chaînes,

faut-il nous voir separez à jamais ?

JASON

Non, non, rien ne sçauroit m'obliger à survivre

au coup fatal, qui vous force à perir.

Je trouveray le moyen de vous suivre.

CRÉÜSE

Ah, ne cherchez point à mourir.

Vivez, si vous voulez me plaire

j'ay causé la mort de mon pere,

vangez-la, c'est le prix qu'exigent mes douleurs.

Mais adieu; de la mort les horreurs me saisissent,

je perds la voix, mes force s'affoiblissent,

c'en est fait, j'expire, je meurs.

 
On emporte Créüse.

Créüse, Cleone ->

 

Scène septième

Jason.

 

 

(seul)  

Elle est morte, et je vis ! courons à la vangeance,

pour estre en liberté de renoncer au jour:

la perte de Médée est deuë à mon amour.

Quel supplice assez grand peut expier l'offense ?

Mais par quel effet de son art...

 

Scène huitième

Médée, Jason.

<- Médée

 

MÉDÉE

(en l'air sur un dragon)  

C'est peu, pour contenter la douleur qui te presse,

d'avoir à vanger la princesse;

vange encor tes enfans; ce funeste poignard

les a ravis à ta tendresse.

JASON

Ah barbare !

MÉDÉE

Infidelle ! aprés ta trahison,

ay-je dû voir mes fils dans les fils de Jason ?

JASON

Ne crois pas échapper au transport qui m'anime,

pour te punir j'iray jusqu'aux enfers.

MÉDÉE

Ton desespoir choisit mal sa victime.

Que pourrat-'il, puisque les airs

sont pour moy des chemins ouverts ?

JASON

Ah, le ciel qui toûjours protegea l'innocence...

MÉDÉE

Adieu Jason, j'ay remply ma vangeance.

Voyant Corinthe en feu, ses palais embrasez,

pleure à jamais les maux que ta flame a causez.

 
Médée fend les airs sur son dragon, et en mesme temps les statuës et autres ornemens du palais se brisent. On voit sortir des Demons de tous côtez, qui ayant des feux à la main embrasent ce mesme palais. Ces Demons disparoissent, une nuit se forme, et cet édifice ne paroist plus que ruine et monstres, aprés quoy il tombe en pluye de feu.

Médée ->

<- demons

demons ->

 

Fin (Acte cinquième)

Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

Palais de Médée

Médée, Nérine
 

On ne peut sans effroy soutenir sa presence.

Médée, Nérine
<- Créüse

Si la pitié vous peut trouver sensible

Choeur de Corinthiens, Créüse
Ah, funeste revers! fortune impitoyable!
Médée, Nérine, Créüse
<- Cleone, corinthiens

Venez, parlez; qu'avez-vous à m'apprendre?

C'est assez, laissez-moy, vos pleurs ne font qu'aigrir

Médée, Nérine, Créüse, Cleone
corinthiens ->

Eh bien, barbare, estes-vous satisfaite?

Créüse, Cleone
Médée, Nérine ->

Quel feu dans mes veines s'allume?

Créüse, Cleone
<- Jason

Ah, roy trop malheureux! mais ô ciel! la princesse

(Créüse meurt; on emporte Créüse)

Jason
Créüse, Cleone ->

Elle est morte, et je vis! courons à la vangeance

(Médée en l'air sur un dragon)

Jason
<- Médée

C'est peu, pour contenter la douleur qui te presse

Jason
Médée ->

(les statuës et autres ornemens du palais se brisent)

Jason
<- demons

(qui ayant des feux à la main embrasent ce mesme palais)

Jason
demons ->

(une nuit se forme, et cet édifice ne paroist plus que ruine et monstres, aprés quoy il tombe en pluye de feu)

 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième
Un lieu rustique, embelly par la nature, de rochers et de cascades. Une place publique, ornée d'un arc de triomphe, de statuës, et de trophées sur des piedestaux. Un vestibule, orné d'un grand portique Un lieu destiné aux evocations de Médée. Avant-cour d'un palais, et un jardin magnifique dans le fonds. Palais de Médée
Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième

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