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Médée

MÉDÉE

Tragedie.

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Livret de Thomas CORNEILLE.
Musique de Marc-Antoine CHARPENTIER.

Première représentation : 4 décembre 1693, Paris.


Personnages:

Acteurs du prologue

LA VICTOIRE

soprano

BELLONE

contralto

LA GLOIRE

soprano

Acteurs de la tragedie

CRÉON Roy de Corinthe

basse

CRÉÜSE Fille de Créon

soprano

MÉDÉE Princesse de Colchos

soprano

JASON Prince de Tessalie

contralto

ORONTE Prince d'Argos

baryton

ARCAS Confident de Jason

ténor

NÉRINE Confidente de Médée

soprano

CLEONE Confidente de Créüse

soprano


Chœurs d'habitans des environs de la Seine. Chœurs de bergers héroïques. Troupe de Corinthiens. Troupe d'Argiens. Un petit Argien, déguisé en amour. Troupe de Captifs de l'Amour. Troupe de Demons.



Prologue
Scène première

Le theatre represente un lieu rustique, embelly par la nature, de rochers et de cascades.

UN CHEF D'HABITANS

Louis est triomphant, tout céde à sa puissance,

la victoire en tous lieux, fait reverer ses loix.

Pour la voir avec nous toujours d'intelligence,

rendons-luy des honneurs dignes de sa presence.

Rendons-luy des honneurs dignes des grands exploits

qui consacrent le nom du plus puissant des roys.

CHŒUR D'HABITANS ET DE BERGERS HÉROÏQUES

Louis est triomphant, tout céde à sa puissance,

la victoire en tous lieux, fait reverer ses loix.

Pour la voir avec nous toujours d'intelligence,

rendons-luy des honneurs dignes de sa presence.

Rendons-luy des honneurs dignes des grands exploits

qui consacrent le nom du plus puissant des roys.

DEUX BERGERS, UN HABITAN

Paroissez, charmante Victoire,

hastez-vous, venez descendez.

Amenez-nous Bellone, amenez-nous la Gloire,

par qui vos soins pour nous sont si bien secondez.

Paroissez, charmante Victoire,

hastez-vous, venez descendez.

CHŒUR

Paroissez, charmante Victoire,

hastez-vous, venez descendez.

LES DEUX BERGERS ET L'HABITAN

Ce nuage brillant nous donne lieu de croire,

que vous nous entendez.

CHŒUR

Paroissez, charmante Victoire,

hastez-vous, venez descendez.

On entend une Symphonie, pendant laquelle il paroît un tourbillon de nüages qui descend, et en s'ouvrant fait paroître le palais de la Victoire, qui s'avance et occupe tout le theatre; et au milieu du palais, sont la Gloire, la Victoire et Bellone.

LA VICTOIRE

Le ciel dans vos voeux s'interesse,

depuis long-tems, la France est mon sejour.

Attachée au heros, qui pour elle sans cesse

fait agir sa haute sagesse,

je sens pour luy de jour en jour,

en redoublant mes soins, redoubler mon amour.

Ne craignez pas que la Victoire,

favorise jamais les jaloux de sa gloire.

Ils ne cherchent à triompher

qu'afin de prolonger la guerre.

Louis combat pour l'etouffer,

et rendre la calme à la terre.

CHŒUR

Ils ne cherchent à triompher

qu'afin de prolonger la guerre.

Louis combat pour l'etouffer,

et rendre la calme à la terre.

BELLONE

Vous resistez envain, tremblez fiers ennemis,

au grand roy que je sers, je vous rendray soûmis.

Chez vous plus que jamais, par l'effroy de ses armes,

je porteray les plus rudes allarmes:

et mille triomphes divers,

feront de son grand nom retentir l'univers.

CHŒUR

Par mille triomphes divers,

faisons de son grand nom retentir l'univers.

LA GLOIRE

Pour seconder vos soins, laissez faire la Gloire,

ce heros me cherit, et je l'aimay toujours.

On verra durer nos amours,

quand mesme il n'aura plus besoin de la Victoire.

Non, non, ses ennemis jaloux,

ne pourront jamais rien, contre des noeuds si doux.

CHŒUR

Non, non, ses ennemis jaloux,

ne pourront jamais rien, contre des noeuds si doux.

LA VICTOIRE

Le bruit des tambours, des trompettes,

ne viendra plus troubler vos jeux,

bergers, reprenez vos musettes,

chantez l'amour, chantez ses feux,

la guerre et ses dangers affreux,

n'approchent point de vos douces retraittes:

le plus grand des heros, vous y fait vivre heureux.

Il vaincra tant de fois, sur le tarre et sur l'onde,

que ses ennemis terrassez,

malgré tous leurs projets, seront enfin forcez

de souffrir le repos qu'il veut donner au monde.

CHŒUR

Il vaincra tant de fois, sur le tarre et sur l'onde,

que ses ennemis terrassez,

malgré tous leurs projets, seront enfin forcez

de souffrir le repos qu'il veut donner au monde.

UN BERGER

Dans le bel âge,

si l'on n'est volage,

les tendres cœurs

goûtent peu de douceurs.

L'ardeur dune flâme constance

est bien-tost languissante,

veut-on d'agreables amours ?

Il faut changer toujours.

Dans le bel âge,

si l'on n'est volage,

les tendres cœurs

goûtent peu de douceurs.

DEUX BERGERES

Voir nos moutons dans la verte prairie,

bondir sur l'herbette fleurie,

sans craindre la fureur des loups,

c'est pour nous un plaisir extrême;

mais voir souvent ce que l'on aime,

c'est encore un plaisir plus doux.

CHŒUR

Le bruit des tambours, des trompettes,

ne viendra plus troubler nos jeux.

Prenons nos pipeaux, nos musettes,

chantons l'amour, chantons ses feux;

la guerre et ses dangers affreux,

n'approchent point de nos douces retraittes,

le plus grand des heros, nous y fait vivre heureux.

Il vaincra tant de fois, sur la terre et sur l'onde,

que ses ennemis terrassez,

malgré sous leurs projets, seront enfin forcez

de souffrir le repos qu'il veut donner au monde.

Aprés le Chœur, le palais s'en retourne d'où il est venu; le tourbillon se referme, et remonde au ciel.

Acte premier
Scène première

Le theatre represente une place publique, ornée d'un arc de triomphe, de statuës, et de trophées sur des piedestaux.
Médée, Nérine.

MÉDÉE

Pour flater mes ennuis, que ne puis-je te croire !

Tout le voudroit, mon repos et ma gloire;

mais en vain à douter je trouve des appas,

Jason est un ingrat, Jason est un parjure;

l'amour que j'ay pour luy, me le dit, m'en asseure,

et l'amour ne se trompe pas.

NÉRINE

Un mouvement jaloux vous le peint infidelle,

mais d'injustes soupçons troublent vostre repos;

Créüse est destinée au souverain d'Argos.

Sur quel espoir Jason brûleroit-il pour elle ?

MÉDÉE

Je sçay qu'Oronte est prest d'arriver en ces lieux;

il vient remply d'un espoir glorieux:

mais à le recevoir si Corinthe s'appreste,

ce n'est point son hymen qui le fait souhaiter.

Il s'éleve contr'elle une affreuse tempeste,

son secours la peut écarter.

NÉRINE

Acaste contre vous arme la Thessalie.

La cruelle mort de Pelie

vous rend l'objet de sa fureur.

Si Créon ne vous abandonne,

de la guerre en ces lieux il va porter l'horreur;

et lorsqu'en ce peril, comme l'amour l'ordonne,

Jason veut de Crëuse aquerir la faveur,

faut-il que ce soin vous étonne ?

MÉDÉE

Qu'il soit abandonné de Crëuse et du roy,

s'il luy faut un appuy, ne l'a-t'il pas en moy ?

Quand de Colchos il prit la fuite,

maître de la riche toison,

mon pere eût beau s'armer contre ma trahison,

quel fut l'effet de sa poursuite ?

NÉRINE

Quoy, vous resoudre à fuit toujours ?

MÉDÉE

La fuite, l'exil, la mort même,

tout est doux avec ce qu'on aime.

NÉRINE

Jason pour vos enfans cherche icy du secours.

MÉDÉE

Qu'il le cherche, mais qu'il me craigne.

MÉDÉE

Un dragon assoupy, de fiers taureaux domptez,

ont à ses yeux suivy mes volontez.

S'il me vole son cœur, si la princesse y regne,

de plus grands efforts feront voir,

ce qu'est Médée et son pouvoir.

NÉRINE

Forcez vos ennuis au silence,

un couroux violent ne doit jamais parler.

On perd la plus seure vengeance

si l'on ne sçait dissimuler.

Ensemble

MÉDÉE

Forçons nos ennuis au silence,

un couroux violent ne doit jamais parler.

On perd la plus seure vengeance

si l'on ne sçait dissimuler.

NÉRINE

Forçons vos ennuis au silence,

un couroux violent ne doit jamais parler.

On perd la plus seure vengeance

si l'on ne sçait dissimuler.

Scène deuxième

Jason, Arcas, Médée, Nérine.

MÉDÉE

D'où vient cét air sombre, et qu'allez-vous m'apprendre ?

Créon nous voudroit-il bannir de ses estats ?

JASON

Créon redoute Acaste, et ne s'explique pas;

mais contre nous quoy qu'on puisse entreprendre,

du moins pour nos enfans j'ay sçeu fléchir les ieux.

S'il faut d'un fier destin suivre la loy cruelle,

ils trouveront un asyle en ces lieux;

la princesse les doit retenir auprés d'elle.

MÉDÉE

C'est estre genereuse.

JASON

Elle me laisse voir

que nous pouvons esperer davantage.

Sur son pere elle a tout pouvoir

et j'attends tout du zele où sa bonté l'engage.

MÉDÉE

L'ardeur que vous montrez à luy faire la cour...

JASON

Ignorez-vous d'un pere où va le tendre amour ?

MÉDÉE

Pour nous la rendre favorable,

vos soins trop assidus devroient vous alarmer.

Une douce habitude est facile à former;

et voir souvent ce qui paroît aimable,

c'est flater le penchant qui nous porte à l'aimer.

JASON

Quoy, vous me soupçonnez ?

MÉDÉE

Jason doit me connoistre,

il me coûte assez cher pour ne le perdre pas.

JASON

Ah ! que me dites-vous ?

MÉDÉE

Ce que je crains.

JASON

Helas !

Que ne puis-je faire paroître

ce que mon cœur pour vous sera jusqu'au trépas !

MÉDÉE, JASON

Que de tristes soucis, malgré ses doux appas,

dans un cœur bien touché l'injuste amour fait naistre !

MÉDÉE

De trop cuisants remords accablent les ingrats;

Jason ne le voudra pas l'estre.

JASON

Quittez ces détours superflus.

Pour m'asseurer du roy, je voyois la princesse.

Mais si c'est un soin qui vous blesse,

parlez, je ne la verray plus.

MÉDÉE

Non, Jason, cherchez à luy plaire

dans les rigueurs d'un sort trop inhumain

son secours nous est necessaire.

JASON

Pour nous le rendre plus certain,

diray-je ce qu'il faudroit faire ?

Cette robe superbe où par tout nous voyons,

du Soleil vostre ayeul éclater les rayons,

par son brillant a touché son envie,

ses yeux m'en ont paru surpris.

Nous verrions sa faveur d'un prompt effet suivie,

si de ses soins vous en faisiez le prix.

MÉDÉE

Vous le voulez, je la donne sans peine;

mais du ciel irrité quel que soit le couroux,

songez que si je ne peux répondre de vous,

je n'ay point à craindre sa haine.

Scène troisième

Jason, Arcas.

JASON

Que je serois heureux, si j'étois moins aimê !

Médée avec ardeur dans mon sort s'interesse,

je luy dois toute ma tendresse;

d'une autre cependant je me trouve charmé;

et malgré moy j'adore la pincesse.

Que je serois heureux, si j'étois moins aimé !

ARCAS

Si vous l'abandonnez, songez-vous à la rage,

où la mettra son desespoir ?

JASON

Je sçay la grandeur de l'outrage,

je manque à la fois qui m'engage,

et vois tout ce que je dois voir;

mais un fier ascendant asservit mon courage.

En vain je cherche à n'y point consentir;

des grandes passions c'est le sort qui décide.

Je rougis, je me hais d'estre ingrat et perfide,

et je ne puis m'en garantir.

ARCAS

Dans ce que peut Médée, oseray-je vous dire

que vous ne sçauriez trop redouter son couroux ?

Si sur vostre ame la gloire a quelque empire,

voyez ce qu'elle veut de vous.

JASON

Que me peut demander la gloire,

quand l'amour s'est rendu maistre de mon cœur ?

Dans le triste combat, où si j'ose la croire,

l'avantage cruel de demeurer vainqueur,

doit me coûter tout mon bonheur,

que me peut demander la gloire ?

Si je traite Médée avec trop de rigueur,

un objet tout charmant trouve de la douceur

a me ceder une illustre victoire:

je touche au doux moment d'en estre possesseur.

Sermens de ma premiere ardeur,

devoirs que je trahis, sortez de ma memoire,

et ne m'opposez plus vos chimeres d'honneur:

que me peut demander la gloire,

quand l'amour s'est rendu maistre de mon cœur ?

CHŒUR DE CORINTHIENS

(qu'on ne voit pas)

Disparoissez, inquietes alarmes;

vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.

Le secours d'un heros vient se joindre à nos armes,

nos plus fiers ennemis trembleront devant nous.

Disparoissez, inquietes alarmes;

vaines terreurs, fuyez, éloignez-vous.

Scène quatrième

Créon, Jason, Arcas, Suite de Créon.

CRÉON

L'Allegresse en ces lieux, ne peut estre plus grande...

Mon peuple voit Oronte, et son secours promis

doit étonner nos ennemis.

Rendons luy les honneurs que son rang nous demande.

Scène cinquième

Créon, Jason, Oronte, Suite de Créon et d'Oronte.

ORONTE

Seigneur, la Thessalie attaquant vos estats,

pour vous de mon secours je craindrois la foiblesse,

si ma seule valeur répondoit de mon bras;

mais quand pour meriter les voeux de la princesse,

l'honneur de la servir m'attire en vostre cour,

j'ose tout esperer de l'ardeur qui me presse.

Que ne peut point un cœur animé par l'amour ?

CRÉON

Prince, je sçay que l'amour a des charmes,

qui font les soins des jeunes cœurs;

mais la guerre aujourd'huy, par ses tristes alarmes,

en doit suspendre les douceurs.

Vous brûlez pour ma fille, avant qu'elle se donne,

il faut affermir ma couronne:

Jason la soutiendra, si vous le secondez.

ORONTE

Aprés l'heureux succez de la toison conquise,

sa valeur dans son entreprise,

asseure les exploits que vous en attendez.

JASON

Les vostres sont certains, un grand prix vous anime,

et rien n'est impossible à qui peut l'aquerir.

CRÉON

Voyez nos peuples accourir,

et souffrez que leur joye auprés de vous s'exprime.

Scène sixième

Oronte, Jason, Arcas, Créon, Suite de Créon et d'Oronte.

UN CORINTHIEN

(à Oronte)

Courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.

Ouvrez-vous le chemin qui conduit à la gloire.

Nos cœurs ont trop languy dans le sein du repos:

pour nous mener à la victoire,

courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.

CHŒUR DE CORINTHIENS

Courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.

Ouvrez-vous le chemin qui conduit à la gloire.

Nos cœurs ont trop languy dans le sein du repos:

pour nous mener à la victoire,

courez aux champs de Mars, volez, jeune heros.

ORONTE

Courons, volons, d'un courage intrepide,

sur la foy de l'amour, affrontons les hazards:

ce dieu peut tout; puisqu'il nous sert de guide

la victoire en tous lieux suivra mes étendards.

Les Corinthiens font un essay de lutte. Les Argiens font une danse galante.

UN CORINTHIEN, UN ARGIEN

Quel bonheur suit la tendresse !

Heureux l'amant qui l'obtient.

Quelque desir qui le presse,

dans l'espoit qu'il entretient;

l'amour n'a point de foiblesse,

quand la gloire le soutient.

C'est un charmant avantage,

que l'heureux nom du vainqueur;

mais le plus noble courage,

n'en goûte bien la douceur,

que lorsque l'amour l'engage,

a la conqueste d'un cœur.

CHŒUR DE CORINTHIENS ET DE ARGIENS

Que d'épais bataillons, sur nos rives descendent.

A nos vaillants efforts il faudra qu'ils se rendent.

Unissons-nous en ce grand jour,

la gloire et l'amour le demandent.

Unissons-nous en ce grand jour,

nous ferons triompher et la gloire et l'amour.

Acte deuxième
Scène première

Le theatre represente un vestibule, orné d'un grand portique.
Créon, Médée, Nérine.

CRÉON

Il est temps de parler sans feindre.

Acaste vous poursuit, vous n'avez rien à craindre;

sur quelqu'espoir qu'il forme ses desseins,

tombe sur Corinthe la foudre,

plûtost qu'on puisse me résoudre,

a vous livrer entre ses mains.

MÉDÉE

Seigneur, une bonté si grande,

marque le cœur d'un veritable roy.

CRÉON

Lorsque pour vous je fais ce que je doy,

a vostre tour, la justice demande

que vous fassiez quelque chose pour moy.

A vous voir dans ma cœur, mon peuple s'inquiete,

il craint ce qu'avec vous vous traînez de malheurs,

et que ma complaisance à vous donner retraite

ne luy soit un sujet de pleurs.

Pour le guerir de ses alarmes,

allez attendre en d'autres lieux,

pendant le tumulte des armes,

ce que de nos destins ordonneront les dieux.

A vos enfans je veux servir de pere;

pour eux, puisque je l'ay promis,

je combatray vos ennemis,

c'est plus que je ne devrois faire.

MÉDÉE

Sans m'étonner j'écoute mon arrest.

Quels que soient les ennuis où mon destin me livre,

Jason à partir est-il prest ?

Je fais tout mon bonheur du plaisir de la suivre.

CRÉON

Pour ne vous pas livrer, j'expose mes etats

aux malheurs que la guerre attire,

et pour deffendre cet empire,

Jason voudroit nous refuser son bras ?

Ma ravir ce heros, c'est m'ôter la victoire.

MÉDÉE

Me separer de luy, c'est me priver du jour.

CRÉON

S'il m'ose abandonner, que deviendra sa gloire ?

MÉDÉE

S'il m'ose abandonner, que devient son amour ?

Ensemble

CRÉON

S'il m'ose abandonner, que deviendra sa gloire ?

MÉDÉE

S'il m'ose abandonner, que devient son amour ?

CRÉON

Par une lâcheté, voulez-vous qu'il ternisse

l'éclat des grands exploits, qui le font redouter ?

MÉDÉE

Ses exploits sont fameux, mais rendez-moy justice

si malgré les perils qu'il falloit surmonter,

la toison emporté a fait voir son courage,

a qui doit-il cet avantage ?

CRÉON

Je veux que ce qui rend son nom glorieux,

de vos enchantements soit l'effet admirable;

ignore-vous qu'un murmure odieux

vous fait par tout croire coupable ?

MÉDÉE

Doit-on m'imputer des forfaits,

sans voir pour qui je les ay faits ?

Vos réproches, seigneur, ne sont pas legitimes.

Si pour Jason je me suis tout permis,

puisque luy seul a joüy de mes crimes,

c'est luy seul qui le a commis.

CRÉON

En vain sur ce heros vous rejettez la haine

qui ne doit tomber que sur vous.

Du pouvoir de vostre art peut-estre est-on jalaoux,

mais enfin mes sujets vous souffrent avec peine.

Pressé par eux, pour sortir de ma cour,

je ne puis vous donner que le reste du jour.

MÉDÉE

Ay-je donc merité cette rigueur extrême ?

On me chasse, on m'exile, on m'arrache à moy-mesme.

CRÉON

Faisons taire les mécontents.

Quand on entend gronder l'orage,

c'est estre sage,

que de ceder au temps;

faisons taire les mécontents.

Scène deuxième

Créon, Médée, Créüse, Cleone.

MÉDÉE

Princesse, c'est sur vous que mon espoir se fonde.

Le destin de Médée est d'estre vagabonde.

Preste à m'éloigner de ces lieux,

je laisse entre vos mains ce que j'aime le mieux.

Je sçay qu'une pitié sincere

pour mes enfans a touché vostre cœur;

prenez-en quelque soin, et souffrez qu'une mere

au moins dans son exil goute cette douceur.

Ce sera pour mes voeux une grande victoire,

si de mon triste sort le ciel leur fait raison.

Je ne vous dit rien pour Jason,

Jason aura soin de sa gloire.

Scène troisième

Créon, Créüse, Cleone.

CRÉON

Enfin à ton amour tout espoir est permis,

ta rivale à partir s'appreste;

et puisque tes appas tiennent Jason soûmis,

tu peux conserver ta conqueste.

CRÉÜSE

Seigneur, souvenez-vous que c'est par vostre aveu

que Jason dans mon ame alluma ce beau feu.

L'amour sur tous les cœurs remporte la victoire,

la plus fiere à son tout reconnoît son pouvoir;

mais il n'est doux que quand la gloire,

pour le faire éclater, suit les loix du devoir.

CRÉON

D'Oronte par ce choix je trompe l'esperance;

mais l'hymen de Jason t'arrête en mes estats.

Au plus grand des heros j'en remets la deffense,

et preferant son alliance,

je te donne, et ne te perds pas.

Scène quatrième

Jason, Créon, Créüse, Cleone.

CRÉON

Prince, venez apprendre une heureuse nouvelle.

Médée est preste à nous quitter,

et veut bien qu'en ces lieux vous demeuriez sans elle,

tant que nos ennemis seront à redouter.

Comme dans vos adieux il faudra de l'adresse,

a luy cacher, sous quel espoir,

pour l'éloigner, j'use de mon pouvoir,

prenez avis de la princesse.

Scène cinquième

Jason, Créüse, Cleone.

JASON

Qu'ay-je à résoudre encore ? il faut vivre pour vous.

Est-il un plus grand avantage

que de borner mes souhaits les plus doux

a rendre à vostre beauté un éternel hommage ?

Plus je vous voy, plus je me sens charmé:

a mon amour mon cœur ne peut suffire.

Quand on aime ardemment, quel plaisir d'estre aimé.

Quel triomphe de l'oser dire !

CRÉÜSE

Pour regner par tout à son choix,

l'impérieux amour ne respecte personne.

JASON

Il faut faire ce qu'il ordonne,

le vray bonheur est de suivre ses loix.

CRÉÜSE

Avant que de vous voir mon cœur estoit tranquile,

et quand vous en troublez la paix,

je sens qu'à mon bonheur la perte en est utile.

Vous, où j'ay tant trouvé de sensibles attraits,

doux repos, quittez-moy, ne revenez jamais.

JASON

De la tranquilité doit-on se mettre en peine,

quand on sent un trouble si doux ?

CRÉÜSE

J'en joüirois encor sans vous.

JASON

Contre l'amour la resistance est vaine.

Goûtons l'heureux plaisir de perdre cette paix.

CRÉÜSE

Dous repos, quittez-moy, ne revenez jamais.

JASON, CRÉÜSE

Goûtons l'heureux plaisir de perdre cette paix.

Dous repos, quittez-nous, ne revenez jamais.

CRÉÜSE

Médée eut sur vostre ame un souverain empire,

l'amour luy soumettoit toutes vos volontez;

pour rallumer vos feux la pitié peut suffire.

Quel desespoir si vous la regrettez !

JASON

Oronte vous adore, il viendra vous le dire.

L'amour tiendra sur vous ses regards arrestez;

ses soupirs vous pourront parler de son martyre.

Quel desespoir si vous les écoutez !

CRÉÜSE

Quand son amour seroit extrême

vous n'avez rien à redouter.

Dans le temps mesme

que je paroistray l'écouter,

quand son amour seroit extrême

vous n'avez rien à redouter:

mes yeux vous diront, je vous aime.

JASON

Ah, pour le prix de mes tendres soupirs

ne vous lassez point de le dire;

de l'amour à nos cœurs faisons suivre l'empire.

Le plaisir d'estre aimé passe tous les plaisirs.

JASON, CRÉÜSE

De l'amour à nos cœurs faisons suivre l'empire.

Le plaisir d'estre aimé passe tous les plaisirs.

Scène sixième

Oronte, Jason, Créüse, Cleone.

ORONTE

Puisqu'un fier ennemy par le bruit de ses armes,

suspend le succés de mes feux,

du moins, belle princesse, agréez qu'à vos charmes

j'offre l'hommage de mes voeux.

Dans le doux espoir qui me flate,

mon amour ne peut plus se tenir renfermé;

il faut enfin que cet amour éclate

aux yeux qui m'ont charmé.

CRÉÜSE

Mon cœur qui s'applaudit d'une illustre victoire,

aime dans son penchant à trouver son devoir;

l'hommage d'un heros que couronne la gloire

est toujours doux à recevoir.

ORONTE

Ne le differons plus, ce tendre et pur hommage

qui vous répondra de ma foy;

et qu'icy mille voix par un doux assemblage,

de mon amour vous parle avec moy.

Scène septième

Oronte, Jason, Créüse, Cleone, Chœur des Captifs d'Amour.

Un petit argien representant l'Amour, paroist sur un char traisné par des Captifs de differentes nations et de tout sexe.

CHŒUR DES CAPTIFS D'AMOUR

Qu'elle est charmante, qu'elle est belle !

Ah qu'il est doux de soupirer pour elle !

UN CAPTIF

Venir l'adorer en ces lieux,

est un destin bien glorieux;

mais si la douceur de ses yeux

doit tromper une ardeur si belle,

ah, quel malheur pour un amant fidelle !

CHŒUR

Ah, quel malheur pour un amant fidelle !

LE CAPTIF

Une rigoureuse fiertê

sieroit mal à tant de beauté,

l'amour par tout si rédouté

l'empeschera d'estre crüelle;

ah, quel malheur pour un amant fidelle !

CHŒUR

Ah, quel malheur pour un amant fidelle !

AMOUR

(à Créüse)

Regnez; l'amour à vos loix

vient soûmettre son empire,

chacun à vous plaire aspire;

voulez-vous faire un beau choix ?

Vous n'avez qu'à dire.

Tous mes traits sont doux,

c'est par eux qu'on ayme,

mon arc est à vous,

lancez les vous-mesme.

L'Amour offre son Arc à Créüse, qui refuse de le prendre.

AMOUR

Vous me resistez,

j'ay lieu de m'en plaindre.

Montez dans mon char, montez,

un enfant n'est pas à craindre.

CRÉÜSE

Quoy qu'il soit dangereux d'obéïr à l'Amour,

le moyen de s'en defendre ?

Créüse monte sur le char de l'Amour. Jason et Oronte se placent à ses côtez.

AMOUR

Tendres captifs, faites luy vostre cour,

et que chacun de vous s'applique tour à tour

a l'hommage qu'il faut luy rendre.

Tendres captifs, faites luy vostre cour.

UNE CAPTIVE

Chi teme d'amore

il grato martire,

o non vuol gioire,

o cuore non ha.

Son gusti i dolori,

le spine son fiori

ch'amore ne dà;

ma solo penando

ardento, e sperando,

un'alma legata

fra ceppi beata,

per prova lo sa.

Chi teme d'amore

il grato martire,

o non vuol gioire,

o cuore non ha.

CHŒUR

Son gusti i dolori,

le spine son fiori

ch'amore ne dà;

ma solo penando

ardendo, e sperando,

un'alma legata

fra ceppi beata,

per prova lo sa.

LA CAPTIVE

Chi teme d'amore

il grato martire,

o non vuol gioire,

o cuore non ha.

CHŒUR

O non vuol gioire,

o cuore non ha.

TROIS AUTRES CAPTIFS

D'un amant qui veut plaire

l'hommage est sincere,

d'un amant qui peut plaire

l'hommage est constant.

CHŒUR

D'un amant qui veut plaire

l'hommage est sincere,

d'un amant qui peut plaire

l'hommage est constant.

LES TROIS CAPTIFS

Aimer et l'oser dire,

c'est ce qu'il desire;

aimer et l'oser dire,

c'est ce qu'il prétend.

CHŒUR

D'un amant qui veut plaire

l'hommage est sincere,

d'un amant qui peut plaire

l'hommage est constant.

LES TROIS CAPTIFS

Amans, portez vos chaînes,

d'un esprit content.

CHŒUR

L'amour a pour vos peines

un prix éclatant.

LES TROIS CAPTIFS

D'un amant qui veut plaire

l'hommage est sincere,

d'un amant qui peut plaire

l'hommage est constant.

CHŒUR

D'un amant qui veut plaire

l'hommage est sincere,

d'un amant qui peut plaire

l'hommage est constant.

AMOUR

(à Créüse aprés qu'elle est descenduë du char)

Vous voyez à quoy j'aspire.

Pour faire un heureux vainqueur,

je compte sur vostre cœur.

Oserez-vous m'en dédire ?

ORONTE

Parlez, belle princesse, il s'agit en ce jour

d'avoir le cœur sincere et d'aimer qui vous aime.

JASON

L'amour sur ce qu'il veut s'est expliqué luy-mesme,

vous devez contenter l'amour.

CRÉÜSE

Envain l'amour me sollicite.

Qu'un amant se fasse estimer

par tout ce que la gloire ajoûte au vray merite,

il est seur de se faire aimer.

CHŒUR

Ton triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.

L'amant que tu veux rendre heureux,

est seur de l'estre pour la gloire;

la gloire est l'objet de ses voeux.

Son triomphe est certain, victoire, Amour, victoire.

Acte troisième
Scène première

Le theatre represente un lieu destiné aux evocations de Médée.
Oronte, Médée.

ORONTE

L'orage est violent, il a deû vous surprendre;

mais sans vous allarmer laissez grondez les flots.

Je viens vous offrir dans Argos

un peuple armé pour vous deffendre.

MÉDÉE

Si par l'excil que m'impose le roy

Corinthe s'affranchit des fureurs de la guerre,

pourquoy charger une autre terre

des maux que je traîne avec moy ?

Acaste veut que je perisse;

et lors que pour ma perte il arme son couroux,

je croirois faire un injustice

de l'étendre sur vous.

ORONTE

Le fier appareil de ses armes

me cause de foibles alarmes.

Pour les attirer contre moy,

dans la vive ardeur qui me presse,

que Jason obtienne du roy,

que par l'hymen de la princesse

demain il couronne ma foy.

Alors dans mes estats Jason pourra vous suivre,

et si vos ennemis veulent vous désunir,

vous me verrez cesser de vivre,

si je differe à les punir.

MÉDÉE

Vous ignorez ce qui se passe.

Il faut vous découvrir par quelle trahison

on veut m'éloigner de Jason;

il faut vous faire voir jusqu'où va ma disgrace.

Tremblez prince; mes maux enfin trop confirmez

en m'accablant retombent sur vous mesme.

Jason me trahit, Jason aime,

et peut-estre est aimé de ce que vous aimez.

ORONTE

Ciel, que me dites-vous ! je perdrois la princesse !

Au mépris de mes voeux elle aimeroit Jason ?

MÉDÉE

N'en doutez pas, ma presence les blesse,

je fais obstacle à leur tendresse,

c'est là de mon exil la pressante raison.

ORONTE

En vain je voudrois me le taire.

On vous bannit, mon hymen se differe.

J'ouvre les yeux sur mon malheur.

Tout me le dit, j'en voy la certitude.

Qui l'auroit cru, que tant d'ingratitude

deust payer le beaux feu qui regne dans mon cœur ?

ORONTE, MÉDÉE

Qui l'auroit cru, que tant d'ingratitude

deust payer le beaux feu qui regne dans mon cœur ?

MÉDÉE

Souffrirez-vous qu'on vous enleve

ce cher objet de vos desirs ?

ORONTE

Si cette trahison vous coûte de soupirs,

souffrirez-vous qu'elle s'acheve ?

MÉDÉE

Quel plus sensible coup pouvois-je recevoir !

Ensemble

MÉDÉE

Non, dans un cœur, quand l'amour est extrême,

rien n'approche du desespoir

d'estre trahy par ce qu'on aime.

Unissons nos ressentimens

contre ces perfides amans

que Jason à mes foeux prefere la princesse !

Son crime ne peut s'egaler.

ORONTE

Non, dans un cœur, quand l'amour est extrême,

rien n'approche du desespoir

d'estre trahy par ce qu'on aime.

Unissons nos ressentimens

contre ces perfides amans

que Jason à mes voeux ravisse la princesse !

Son crime ne peut s'egaler.

MÉDÉE

Il vient; mon cœur s'émeut et reprend sa tendresse.

Elle en triomphera, laissez-moy luy parler.

Scène deuxième

Médée, Jason.

MÉDÉE

Vous sçavez l'exil qu'on m'ordonne.

Venez-vous me dire en quels lieux,

lorsque tout icy m'abandonne,

je dois fuit le couroux des dieux.

En vain j'iray par tout, dans l'excez de ma peine,

de cet injuste arrest leur demander raison;

les crimes que j'ay faits pour trop aimer Jason,

de l'univers entier m'ont attiré la haine.

La Thessalie arme contre mes jours,

Colchos a resolu mon trop juste supplice;

le seul Jason me restoit pour recours,

et ce Jason si cher permet qu'on me bannisse.

JASON

N'appellez point exil, un triste éloignement

que l'honneur à souffrir m'engage.

J'en ressens le coup en amant,

j'en gemis, je m'en fais un rigoureux tourment,

mais je ne puis rien davantage.

Voulez-vous que je quitte un roy,

qui pour épargnez vostre teste,

attend sans s'ébranler, l'éclat de la tempeste

qui remplit son peuple d'effroy ?

Voyons finir la guerre, et le coup qui vous blesse

pour un temps seulement nous aura separez.

MÉDÉE

Helas ! pendant ce temps, je connois ma foiblesse,

quels ennuis vous me coûterez !

Je tâche à vaindre mes alarmes

que me cause un soupçon jaloux;

mais enfin malgré moy je sens couler mes larmes.

Ingrat, m'abandonnerez-vous ?

JASON

S'il faut de tout mon sang racheter vostre vie,

je suis tout prest à le donner.

Partager les malheurs dont elle est poursuivie,

est-ce là vous abandonner ?

MÉDÉE

Rien ne m'est plus doux que de croire

tout l'amour que vous me jurez;

il fait mon bonheur et ma gloire,

mais je parts, et vous demeurez.

JASON

Je demeure, il est vray, mais quand on nous separe

vous n'avez rien à redouter;

partez, les vains efforts que l'ennemi prepare

ne pourront long-temps m'arrester.

MÉDÉE

Il faut donc me résoudre à ce depart funeste.

Soûtenez une guerre où vous serez vainqueur;

mais conservez-moy vostre cœur,

c'est l'unique bien qu'il me reste.

Je ne m'en répens point; pour m'attacher à vous

j'ay quitté mon pays, abandonné mon pere;

on m'exile; et l'exil ne peut m'estre que doux,

s'il asseure à Jason la gloire qu'il espere.

JASON

Ah, c'est m'en dire trop ! cessez de m'attendrir;

je ne me connois plus dans ce trouble terrible.

MÉDÉE

J'y consens, je veux bien estre seule à souffrir,

un heros ne doit pas avoir l'ame sensible.

JASON

Je vous l'ay déja dit, je sens tous vos malheurs.

Ce qu'a fait vostre amour gravé dans ma memoire...

Adieu, je ne puis plus soutenir vos douleurs,

si je veux en sauver ma gloire.

Scène troisième

Médée, seule.

Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !

Il craint des pleurs qu'il m'oblige à répandre;

insensible au feu le plus tendre

dont un cœur ait brûlé jamais,

quand mes soupirs peuvent suspendre

l'injustice de ses projets;

il fuit pour ne les pas entendre.

Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !

J'ay forcé devant luy cent monstres à se rendre.

Dans mon cœur où regnoit une tranquille paix,

toujours prompt à tout entreprendre,

j'ay sçeu de la nature effacer tous les traits.

Les mouvements du sang ont voulu me surprendre,

j'ay fait gloire de m'en deffendre,

et l'oubly des serments que cent fois il m'a faits,

l'engagement nouveau que l'amour luy fait prendre,

l'éloignement, l'exil, sont les tristes effets

de l'hommage éternel que j'en devois attendre ?

Quel prix de mon amour, quel fruit de mes forfaits !

Scène quatrième

Médée, Nérine.

MÉDÉE

Croiras-tu mon malheur ? Jason, Jason luy-mesme,

l'infidelle Jason me presse de partir.

NÉRINE

Ah, gardez-vous d'y consentir.

Arcas sçait son secret, il m'aime,

et de sa perfidie il vient de m'avertir.

Son hymen avec la princesse

par le roy mesme est arrêté,

et vostre éxil n'est qu'une adresse

pour mettre contre vous ses jours en seureté.

MÉDÉE

Dieux, témoins de la foy que l'ingrat m'a donnée,

soufrirez-vous cet hymenée ?

C'en est fait, on m'y force; il faut briser les noeuds

qui m'attachent à ce perfide.

Puisque mon desespoir n'a rien qui l'intimide,

voyons quel doux succés suivra ses nouveaux feux.

Pour qui cherche ma mort je puis estre barbare,

le vengeance doit seul occuper tous mes soins;

faisons tomber sur luy les maux qu'il me prepare,

et que le crime nous separe,

comme le crime nous a joints.

NÉRINE

Avant que d'éclater, rappellez dans son ame

le souvenir de sa premiere flame.

MÉDÉE

Malgré sa noire trahison,

je sens que la tendresse est toujours la plus forte;

mais Corinthe, le roy, la princesse, Jason,

tout doit trembler si je m'emporte.

N'en deliberons plus. Vous qui m'obeissez,

esprits à me plaire empressez,

volez, apportez-moy cette robe fatale

que je destine à ma rivale.

Il paroît icy des Esprits en l'air qui disparoissent aussi-tôt.

MÉDÉE

Des poisons que je vais verser

je suspendray la violence,

et je ne les feray servir à ma vangeance

que quand je m'y verray forcer.

NÉRINE

De la pitié vous pouvez-vous deffendre ?

En punissant Jason craingez de vous punir.

MÉDÉE

Retire-toy, tes yeux ne pourroient soûtenir

l'horreur qu'icy je vais répandre.

Scène cinquième

Médée, troupe de Demons.

MÉDÉE

Noires filles du Stix, divinitez terribles,

quittez vos affreuses prisons.

Venez mesler à mes poisons

la devorante ardeur de vos feux invisibles.

Il paroît tout à coup une troupe de Demons.

CHŒUR DE DEMONS

L'enfer obeït à ta voix,

commande, il va suivre tes loix.

MÉDÉE

Punissons d'un ingrat la perfidie extrême.

Qu'il souffre, s'il se peut, cent tourmens à la fois,

en voyant souffrir ce qu'il aime.

CHŒUR

L'enfer obeït à ta voix,

commande, il va suivre tes loix.

Les Demons aëriens apportent la robe.

MÉDÉE

Je voy le don fatal qu'exige ma rivale.

Pour le rendre funeste, il est temps, faisons choix

des sucs les plus mortels de la rive infernale.

CHŒUR DE DEMONS

L'enfer obeït à ta voix,

commande, il va suivre tes loix.

Les Demons apportent une chaudière infernale, dans laquelle ils jettent les herbes qui doivent composer le poison, dont Médée a besoin pour empoisonner la robe.

MÉDÉE

Dieu du Cocyte et des royaumes sombres,

roy des pasles ombres,

sois attentif à mes enchantements.

Pour m'asseurer qu'Hecate m'est propice,

que l'averne fremisse,

et fasse tout trembler par ses mugissements.

On entend un bruit souterrain.

MÉDÉE

L'enfer m'a répondu, ma victoire est certaine.

Naissez, monstres, naissez, tous mes charmes sont faits.

Du funeste poison, par une mort soudaine,

faites-moy voir les seurs effets.

CHŒUR

Naissez, monstres, naissez, tous les charmes sont faits.

Du funeste poison, par une mort soudaine,

faites-nous voir les seurs effets.

Pendant ce chœur les monstres naissent, et aprés que les demons ont répandu du poison de la chaudière sur eux, ils languissent et meurent.

MÉDÉE

Tout répond à nostre envie,

les monstres perdent la vie.

Médée prend du poison dans la chaudière, et le répand sur la robe.

CHŒUR

Non, non, les plus heureux amans,

aprés une longue esperance,

n'ont des plaisirs qu'en apparence.

En voulez-vous de charmants ?

Cherchez-les dans la vangeance.

MÉDÉE

Vous avez servi mon couroux;

c'est assez retirez-vous.

Médée emporte la robe et les Demons disparoissent.

Acte quatrième
Scène première

Le theatre represente l'avant-cour d'un palais, et un jardin magnifique dans le fonds.
Jason, Cleone.

CLEONE

Jamais on ne la vit si belle,

cette robe superbe augment ses appas;

et dans l'éclat qu'elle répand sur elle,

il faut estre sans yeux pour ne l'admirer pas.

JASON

A peine dans ses mains cette robe est remise,

et déja la princesse a voulu s'en parer !

CLEONE

L'agrément qu'elle en sçait tirer

vous causera de la surprise.

Elle paroist. Voyez quel air de majesté

anime et soutient sa beauté.

Scène deuxième

Jason, Cleone, Créüse.

JASON

Ah ! que d'attraits, que de graces nouvelles ?

A voir ce vif éclat que mes yeux sont contents !

Des fleurs que produit le printemps

les couleurs ne sont point si belles.

Ah ! que d'attraits, que de graces nouvelles ?

CRÉÜSE

Si j'ay quelques appas assez vifs pour toucher,

s'ils brillent plus qu'à l'ordinaire;

cet avantage ne m'est cher,

que par la gloire de vous plaire.

JASON

Quels feux nouveaux dans mon cœur

cette asseurance faiyt naistre ?

N'ont-ils point assez d'ardeur ?

Pourquoy chercher à l'accroistre ?

CRÉÜSE

Si cette ardeur peur s'augmenter,

croyez-vous qu'en vouloir borner la violence,

ce ne soit pas une offense

capable de m'irriter ?

D'un amour qui se menage

les cœurs tendres sont blessez.

Malgré les voeux empressez

qui m'asseurent vostre hommage,

pouvant m'aimer davantage,

vous ne m'aimez pas assez.

JASON

Non, jamais tant d'ardeur, jamais flâme si belle

n'embraza le cœur d'un amant.

CRÉÜSE

C'est peut d'y voir un sort charmant,

cette ardeur doit estre éternelle.

JASON

Ah ! j'en fays icy le serment.

Puisse l'amour dans sa juste colère

excercer contre moy sa plus grande rigueur,

si jamais il trouve mon cœur

détaché du soin de vous plaire.

JASON, CRÉÜSE

Puisse l'amour dans sa juste colère

excercer contre moy sa plus grande rigueur,

si jamais il trouve mon cœur

détaché du soin de vous plaire.

CRÉÜSE

Je finis à regret un entretien si doux,

mais le prince d'Argos s'avance;

et son importune presence

me force à m'éloigner de vous.

Scène troisième

Jason, Oronte.

ORONTE

Si-tost que je parois, la princesse vous quitte;

mon amour s'en doit alarmer.

JASON

Cette crainte est injuste; un éclatant merite

peut trop sur les grands cœurs pour ne pas l'estimer.

ORONTE

Quand sur un espoir legitime

on peut se flatter d'estre heureux,

pour satisfaire un cœur bien amoureux,

est-ce assez que de l'estime ?

JASON

Avec un tel secours, si vos feux sont constans,

aimez, on obtient tout du temps.

ORONTE

Non, non, dans sa froideur extrême

je vois le refus de son cœur.

Quelque rival se cache, elle est aimée, elle aime;

je pourray découvrir ce trop heureux vainqueur,

et mon bras disputant cette noble victoire,

fera voir qui de nous en merite la gloire.

JASON

L'amour promet souvent plus qu'il ne peut tenir.

ORONTE

Jugez mieux d'un amant que le mépris outrage;

s'il forme une entreprise, il sçait la soûtenir.

JASON

Vous sçavez à quels soins la Guerre icy m'engage.

Les troupes qu'aujourd'huy fait assembler le roy,

n'attendent plus que moy.

Scène quatrième

Médée, Oronte, Nérine.

ORONTE

Vos soupçons estoient vrais, j'ay veu, j'ay veu moy-mesme

l'inexcusable trahison,

qui doit estre le prix de vostre amour extrême;

j'ay leu dans le cœur de Jason,

il m'oste la princesse, il l'aime.

De tant de perfidie, ô ciel, fais-nous raison.

MÉDÉE

Eût-il le ciel à ses voeux favorable,

ne craignez point cét hymen odieux;

au pouvoir de Médée il n'est rien de semblable,

elle asservit la terre, elle commande aux cieux.

Je tiens la foudre suspenduë,

mais si Créon ne cede pas,

il verra quelle peine est deuë

a qui se fait le soutien des ingrats.

ORONTE

Pardonnez à ma foiblesse,

l'amour a sçeu m'engager.

Un juste couroux vous presse;

mais à ne rien menager,

le plaisir de vous vanger

me rendra-t'il la princesse ?

MÉDÉE

Je me declare pour vous.

Jamais, quoy que puissent faire,

les dieux, Créüse et son pere,

Jason n'en sera l'epoux:

je me declare pour vous.

Laissez-moy seule icy; dans ce que je medite,

j'ay besoin de calmer le trouble qui m'agite.

Scène cinquième

Médée, Nérine.

MÉDÉE

D'ou me vient cette horreur ? est-ce à moy de trembler ?

Preste à punir la criminelle flame

qui cause les ennuis dont on ose m'accabler,

puis-je me souvenir que je suis mere et femme ?

NÉRINE

Ses yeux sont egarez, ses pas sont incertains.

Dieux, detournez ce que je crains.

MÉDÉE

Non, non, à la pitié je dois estre inflexible.

Jason meprisera mon desespoir jaloux ?

Venez, venez, fureur, je m'abandonne à vous.

Je prends une vengeance épouvantable, horrible;

mais pour voir son supplice égaler mon couroux,

c'est pas l'endroit le plus sensible

qu'il faut porter les derniers coups.

Scène sixième

Créon, Médée, Nérine, Gardes.

CRÉON

Vos adieux sont-il faits ? le murmure s'augmente,

c'est aigrir les esprits que de ne céder pas.

D'un peuple qui vous fait sortir de mes estats

craignons la fureur insolente.

MÉDÉE

Je pars, et ne veux-plus troubler vostre repos,

mais je dois tenir ma promesse.

Pour m'en avoir dégagée, il faut que la princesse

epouse le prince d'Argos.

A serrer ces beaux noeuds la gloire vous invite,

pressez ce doux moment, l'hymen fait, je vous quitte.

CRÉON

Quelle audace vous porte à me parler ainsi,

vous, l'objet malheureux de tant de justes haines ?

Ignorez-vous que je commande icy,

et que mes volontez y seront souveraines ?

C'est à moy seul de les regler.

MÉDÉE

Créon, sur ton pouvoir cesse de t'aveugler.

Tu prens une trompeuse idée

de te croire en estat de ma faire la loy;

quand tu te vantes d'estre roy,

souviens-toy que je suis Médée.

CRÉON

Cét orgüeil peut-il s'égaler !

MÉDÉE

Sur l'hymen de ta fille il m'a plû de parler;

en vain mon audace t'estonne.

Plus puissante que toy dans tes propres estats,

c'est moy qui le veux, qui l'ordonne:

tremble si tu n'obeis pas.

CRÉON

Ah ! c'est trop en souffrir; gardes, qu'on la saisisse.

Les gardes vont pour saisir Médée, elle les touche de la baguette, et en mesme temps ils tournent leurs armes les uns contre les autres.

CRÉON

Que vois-je ! ah, justes dieux !

Par quel mouvement furieux,

vouloir que par vos mains chacun de vous perisse !

MÉDÉE

Montre icy ta puissance à retenir leurs bras;

sois roy, si tu peux l'estre, et suspens leurs combats.

Créon veut s'avancer vers Médée, et les gardes l'environnent pour l'arrester.

CRÉON

Quoy, lasches, contre-moy tous vos efforts s'unissent ?

MÉDÉE

Je plains ton triste sort, tes sujets te trahissent,

mais ne crains rien de leur emportement;

pour le faire cesser je ne veux qu'un moment.

Elle fait un cercle en l'air avec sa baguette, et aussi-tost on voit des fantômes sous la figure de femmes agreables.

Scène septième

Créon, Médée, Nérine, Phantômes, Gardes du roy.

MÉDÉE

Objets agreables,

phantômes aimables,

appaisez les fureurs

de ces farouches cœurs.

Entrée des Phantômes.

UN PHANTÔME

Aprés de mortelles alarmes,

qu'un heureux calme semble doux !

CHŒUR

Aprés de mortelles alarmes,

qu'un heureux calme semble doux !

UN PHANTÔME

Cœurs agitez d'un vain couroux,

cedez, rendez-vous à nos charmes.

Où prendrez-vous des armes

qui tiennent contre nous ?

CHŒUR

Cœurs agitez d'un vain couroux,

cedez, rendez-vous à nos charmes.

Où prendrez-vous des armes

qui tiennent contre nous ?

CRÉON

Par quel prodige, à moy-mesme contraire

en voyant ces objets, n'ay-je plus de colère ?

DEUX PHANTÔMES

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

Un ame de glace

s'en laisse émouvoir,

et quoy que l'on fasse,

le chagrin le plus noir

luy doit ceder la place.

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

CHŒUR

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

Un ame de glace

s'en laisse émouvoir,

et quoy que l'on fasse,

le chagrin le plus noir

luy doit ceder la place.

Tout ressent le pouvoir

du plaisir de nous voir.

Les Phantômes disparoissent, et les gardes charmez de leur beauté abandonnent le roy pour les suivre.

Scène huitième

Créon, Médée, Nérine.

MÉDÉE

Mon pouvoir t'est connu, j'ay mis ta garde en fuite,

pour te forcer à l'hymen que je veux,

mon art secondera mes voeux,

j'ay commencé, crains en la suite.

CRÉON

Quoy, l'on viendra me braver dans ma cour !

Perisse tout plutost que je l'endure.

MÉDÉE

Vostre sang odieux lavera mon injure,

ou les dieux m'osteront le jour.

D'un indigne mépris, c'est trop souffrir l'outrage.

Vien, Fureur, c'est à toy d'achever mon ouvrage.

La Fureur paroist avec son flambeau, et passe pardevant Créon.

Scène neuvième

Créon, seul.

Noires divinitez, que voulez-vous de moy ?

Impitoyables Euménides,

vous faut-il le sang des perfides

qui n'ont pas respecté leur roy ?

Mais où sui-je ? et d'où vient tout à coup ce silence ?

Le ciel s'arme feux. Ah, c'est pour ma vengeance.

Courons, n'épargnons rien. Quels terribles éclats ?

Où veux-je aller ? Tout tremble sous mes pas.

Tout s'abîme, la terre s'ouvre.

Dans ses gouffres profonds quels monstres je découvre !

Ils saisissent Médée. Ah, ne la quittez pas.

Les sombres flots du Stix n'ont rien qui m'épouvante.

Pour la voir condamnée aux plus cruels tourments,

je vais apprendre à Radamante

jusqu'où va la noirceur de ses enchantements.

Acte cinquième
Scène première

Le theatre represente le palais de Médée
Médée, Nérine.

NÉRINE

On ne peut sans effroy soutenir sa presence.

Il court de toutes parts, menaçant, furieux,

dans ce funeste estat tout ce qu'il voit l'offense;

la princesse elle seule, en s'offrant à ses yeux,

semble de sa fureur calmer la violence;

il s'arreste, il soupire, et garde un long silence.

MÉDÉE

Et que dit son heureux amant ?

NÉRINE

Jason ignore encor ce triste évenement.

Occupé par les soins que la guerre demande,

il range avec nos chefs les troupes qu'il commande.

MÉDÉE

Que d'horreur ! que de maux suivront sa trahison !

C'est luy seul qui les cause, il m'en fera raison;

vangeons-nous. Ma fureur, à tant de rois fatale,

a-t'elle assez de ma rivale ?

Non, s'il ose garder ses sentiments ingrats,

si toûjours il perd la memoire

de ce que j'ay fait pour sa gloire,

il aime ses enfans, ne les épargnons pas.

Ne les épargnons pas ! ah, trop barbare mere !

Quel crime on-ils commis pour leur percer le seins ?

Nature, tu parles en vain,

leur crime est assez grand d'avoir Jason pour pere.

Quel desespoir m'aveugle et m'emporte contr'eux ?

Leur âge permet-il cet affreux parricide,

et sont-ils criminels pour estre malheureux ?

Quoy, je craindray de punir un perfide !

De ses voeux triomphants ma mort seroit l'effet !

Oublions l'innocence, et voyons le forfait.

Une indigne pitié me les fait reconnoistre;

c'est mon sang, il est vray, mais c'est le sang d'un traitre.

Puis-je trop acheter, en les faisant perir,

la douceur de le voir souffrir ?

Scène deuxième

Créüse, Médée, Nérine.

CRÉÜSE

Si la pitié vous peut trouver sensible,

voyez une princesse en pleurs,

qui vient vous demander la fin de ses malheurs:

a vostre art rien n'est impossible.

Pour garantir l'estat des maux que je prevoy,

si la pitié vous peut trouver sensible,

appaisez la fureur d'un roy.

MÉDÉE

Si vous voulez obtenir ce miracle,

c'est au prince d'Argos qu'il faut vous adresser.

Par son hymen vos maux doivent cesser,

vos desirs n'auront point d'obstacle:

mais je veux qu'en ce mesme jour,

en recevant sa foy, vous payez son amour.

CRÉÜSE

Sur cet hymen quelle partie puis-je prendre,

quand d'un pere et d'un roy le ciel m'a fait dépendre ?

MÉDÉE

J'ay parlé, c'est assez; ne cherchez plus qu'en moy,

le pouvoir d'un pere et d'un roy.

CRÉÜSE

Pourquoy precipiter un dessein...

MÉDÉE

Point d'excuse.

Du trouble où je vous mets je connois la raison;

quand au prince d'Argos vostre cœur se refuse,

il veut se garder à Jason.

CRÉÜSE

Se garder à Jason ?

MÉDÉE

Je sçay sa perfidie,

en luy vous aviez un amant;

mais on n'offense pas Médée impunément;

d'une entreprise si hardie

l'univers étonné verra la châtiment.

CRÉÜSE

Ah, reprenez Jason, et me rendez mon pere.

Que Jason parte, et qu'il fuye avec vous.

MÉDÉE

Non, de ma main vous prendrez un epoux;

ce seul moyen peut satisfaire

les transports de mon cœur jaloux.

CHŒUR DE CORINTHIENS

(qu'on ne voit pas)

Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !

Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?

CRÉÜSE

Que ce grand bruit m'est redoutable !

CHŒUR DE CORINTHIENS

Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable

ceux que vous devez soutenir ?

Scène troisième

Cleone, Créüse, Médée, Nérine, Chœur de Corinthiens.

CRÉÜSE

(à Cleone)

Venez, parlez; qu'avez-vous à m'apprendre ?

Je voy vos yeux baignez de pleurs.

CLEONE

Je viens vous annoncer le plus grand des malheurs.

Le roy ne respiroit que du sang à répandre,

qand voyant le prince d'Argos,

il a paru plus en repos.

Sa fureur sembloit dissipée;

mais dans le temps qu'on a rien à redouter

de sa fausse tranquillité,

de ce malheureux prince il a saisi l'épée,

et luy perçant le flanc, son bras nous a fait voir

ce que peut un prompt desespoir.

CRÉÜSE

Helas !

CLEONE

Dans ce malheure extrême,

chacun s'est empressé de luy prêter secours.

Le roy dans ce moment a terminé ses jours,

du mesme fer il s'est percé luy-mesme.

Ah, s'est-il écrié, le ciel l'a donc permis,

j'ay vaincu tous mes ennemis.

CHŒUR DE CORINTHIENS

Ah, funeste revers ! fortune impitoyable !

Corinthe, helas ! que vas-tu devenir ?

Dieux cruels, est-ce ainsi que vostre haine accable

ce que vous devez soûtenir ?

Refusons nostre encens, nostre hommage,

a ces dieux inhumains;

tous nos respects sont vains,

nos malheurs sont leur injuste ouvrage ?

Refusons nostre encens, nostre hommage,

a ces dieux inhumains.

CRÉÜSE

C'est assez, laissez-moy, vos pleurs ne font qu'aigrir,

les maux que je me dois preparer à souffrir.

Scène quatrième

Cleone, Créüse, Médée, Nérine.

CRÉÜSE

Eh bien, barbare, estes-vous satisfaite ?

Par des crimes plus noirs voulez-vous meriter

le détestable honneur de faire redouter

le pouvoir que l'enfer vous préte ?

MÉDÉE

Pourquoy faire éclater ce violent couroux ?

Si la perte d'un pere est pour vous si funeste,

le cœur de Jason qui vous reste,

pour vous en consoler, est un prix assez doux.

CRÉÜSE

Ah, si j'ay sur luy quelque empire,

craignez à vous punir la derniere rigueur.

Je ne m'en serviray, que pour mettre en son cœur

toute la haine que m'inspire

ce que pour vous je sens d'horreur.

MÉDÉE

Que peuvent contre moy ces desseins de vangeance ?

Quels' effets en seront produits,

puisque vous ignorez jusqu'où va ma puissance,

connoissez tout ce que je suis.

(touche Créüse de sa baguette et s'en va)

Scène cinquième

Cleone, Créüse.

CRÉÜSE

Quel feu dans mes veines s'allume ?

Quel poison, dont l'ardeur tout à coup me consume,

dans cette robe étoit caché ?

Soûtenez-moy, je n'en puis plus, je tremble,

je brûle. Sur mon corps un braiser attaché

me fait souffrir mille tourments ensemble.

Mon mal est sans remede, à quoy servent ces pleurs ?

Rien ne peut soûlager l'excez de mes douleurs.

Scène sixième

Jason, Cleone, Créüse.

JASON

Ah, roy trop malheureux ! mais ô ciel ! la princesse

paroît mourante entre vos bras !

Qui la met dans cette foiblesse ?

CRÉÜSE

Approchez-vous, Jason, ne m'abandonnez pas.

Mon pere est mort, je vais mourir moy-mesme.

Je peris par les traits que Médée a formez;

mille poisons dans sa robe enfermez,

par une violence extrême,

vous ostent ce que vous aimez.

Ce que j'endure est incroyable;

mais au moins j'ay de quoy rendre grace aux dieux,

que sa fureur impitoyable

me laisse la douceur de mourir à vos yeux.

JASON

Appellez-vous douceur un effet de sa rage ?

De cet affreux spectacle elle a sçeu la rigueur.

Pouvoit-elle mettre en usage

un supplice plus propre à m'arracher le cœur ?

JASON, CRÉÜSE

Helas ! prests d'estre unis par les plus douces chaînes,

faut-il nous voir separez à jamais ?

Ensemble

CRÉÜSE

Peut-on rien ajoûter à l'excez de mes peines ?

JASON

Peut-on lancer sur moy de plus terribles traits ?

JASON, CRÉÜSE

Helas ! prests d'estre unis par les plus douces chaînes,

faut-il nous voir separez à jamais ?

JASON

Non, non, rien ne sçauroit m'obliger à survivre

au coup fatal, qui vous force à perir.

Je trouveray le moyen de vous suivre.

CRÉÜSE

Ah, ne cherchez point à mourir.

Vivez, si vous voulez me plaire

j'ay causé la mort de mon pere,

vangez-la, c'est le prix qu'exigent mes douleurs.

Mais adieu; de la mort les horreurs me saisissent,

je perds la voix, mes force s'affoiblissent,

c'en est fait, j'expire, je meurs.

On emporte Créüse.

Scène septième

Jason.

(seul)

Elle est morte, et je vis ! courons à la vangeance,

pour estre en liberté de renoncer au jour:

la perte de Médée est deuë à mon amour.

Quel supplice assez grand peut expier l'offense ?

Mais par quel effet de son art...

Scène huitième

Médée, Jason.

MÉDÉE

(en l'air sur un dragon)

C'est peu, pour contenter la douleur qui te presse,

d'avoir à vanger la princesse;

vange encor tes enfans; ce funeste poignard

les a ravis à ta tendresse.

JASON

Ah barbare !

MÉDÉE

Infidelle ! aprés ta trahison,

ay-je dû voir mes fils dans les fils de Jason ?

JASON

Ne crois pas échapper au transport qui m'anime,

pour te punir j'iray jusqu'aux enfers.

MÉDÉE

Ton desespoir choisit mal sa victime.

Que pourrat-'il, puisque les airs

sont pour moy des chemins ouverts ?

JASON

Ah, le ciel qui toûjours protegea l'innocence...

MÉDÉE

Adieu Jason, j'ay remply ma vangeance.

Voyant Corinthe en feu, ses palais embrasez,

pleure à jamais les maux que ta flame a causez.

Médée fend les airs sur son dragon, et en mesme temps les statuës et autres ornemens du palais se brisent. On voit sortir des Demons de tous côtez, qui ayant des feux à la main embrasent ce mesme palais. Ces Demons disparoissent, une nuit se forme, et cet édifice ne paroist plus que ruine et monstres, aprés quoy il tombe en pluye de feu.

Fin du livret.

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Locandina Prologue Scène première Acte premier Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Acte deuxième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Acte troisième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Acte quatrième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Acte cinquième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième