Acte second

 

Scène première

Le thèâtre représente un appartement du pavillon de Noraïme.
Noraïme, Femmes de la suite, dans le fond.

 Q 

Noraïme, Femmes de la suite

 

NORAÏME

Il est vainqueur ! son triomphe s'apprête,    

et ma main de lauriers va couronner sa tête.

Reviens, ah ! reviens prés de moi !

Almanzor, j'ai besoin de te voir, de t'entendre

pour calmer un reste d'effroi

dont je veux en vain me défendre.

S

 
[Air]

 N 

 

Ô toi, l'idole de mon cœur  

et la gloire de ta patrie,

hâte l'instant de mon bonheur;

rends-moi ta présence et la vie !

Cher Almanzor,

je tremble encor;

viens fixer ma joie incertaine;

mon esprit d'une image vaine

sans cesse tourmenté,

à sa félicité

ne s'abandonne qu'avec peine.

Ô toi, l'idole de mon cœur,

etc.

(à ses femmes)

Vous avez partagé mes regrets, mes soupirs,

partagez mon bonheur, et goûtez mes plaisirs.

 

CHŒUR DES FEMMES

Ô jeune et charmante princesse,

de ces lieux l'amour et l'honneur,

nos cœurs avec ivresse

jouissent de votre bonheur !

 

Scène seconde

Les mêmes, Femmes du palais, qui entrent.

<- Femmes du palais

 

CHŒUR

(melé de danse)  

Livrons nos cœurs à l'allégresse;

d'Ismaël généreux enfans,

partageons son heureuse ivresse.

La gloire a tenu sa promesse,

et nos guerriers sont triomphans.

 

NORAÏME

Livrez vos cœurs à l'allégresse;

d'Ismaël généreux enfans,

partageons son heureuse ivresse.

La gloire a tenu sa promesse,

et nos guerriers sont triomphans.

 

PREMIÈRE CORYPHÉE

De lauriers immortels leur traces sont marquées

SECONDE CORYPHÉE

Les drapeaux ennemis vont orner nos mosquées.

NORAÏME

Almanzor, hâte-toi; viens délivrer mon cœur

du souvenir cruel d'une nuit de terreur.

CHŒUR

Livrons nos cœurs à l'allégresse,

etc.

 

Scène troisième

Les mêmes, Égilone.

<- Égilone

 

NORAÏME
(courant à Égilone)

C'est Égilone... eh bien !... quel sinistre présage !  

Explique-toi.

ÉGILONE

Princesse, armez-vous de courage.

NORAÏME

Almanzor ne vit plus !

ÉGILONE

Il est victorieux;

et bientôt ce guerrier va paraître vos yeux.

NORAÏME

Que plus-je craindre encore ?

ÉGILONE

Des malheurs trop certains,

dont vous allez frémir, qu'un peuple entier déplore:

le divin étendard n'est plus entre nos mains.

NORAÏME

Que dis-tu... ? Je frissonne...

 

CHŒUR

La gloire le couronne,  

et la mort l'environne

au sei de ses foyers:

la loi, que rien n'arrête,

à le frapper s'apprête,

et menace sa tête

couverte de lauriers.

 

ÉGILONE

Il vient...  

 
(Sur un signe de Noraïme, toutes les femmes sortent.)

Femmes de la suite, Femmes du palais, Égilone ->

 

Scène quatrième

Noraïme, Almanzor.

<- Almanzor

 
[Duo]

 N 

 

NORAÏME
(courant à lui)

Cher Almanzor !  

ALMANZOR

(dans le plus grand désordre)

Arrête Noraïme,

je ne suis plus digne de toi.

NORAÏME

À la fortune qui t'opprime

j'oppose et mon cœur et ma foi.

ALMANZOR

Fuis, abandonne un misérable

que le jour, que le ciel accable.

NORAÏME

Prends pitié de mon sort,

calme ce désespoir extrême.

ALMANZOR

J'espérais le bonheur suprême,

je trouve la honte et la mort.

NORAÏME

La honte ! au sein da la victoire,

tout parle en ces lieux de ta gloire,

et je suis auprès d'Almanzor.

ALMANZOR

J'espérais le bonheur suprême.

NORAÏME

Va ! mon cœur est toujours le même.

 

NORAÏME

L'avenir ne peut m'alarmer;  

et toujours sûre de te suivre,

en perdant le droit de t'aimer

je perdrais le pouvoir de vivre.

Ensemble

ALMANZOR

Le trépas ne peut m'alarmer;

de mes tourmens il me délivre:

en perdant le droit de t'aimer

j'ai perdu le pouvoir de vivre.

 

ALMANZOR

Tu m'aimes encore, Noraïme ?

NORAÏME

À la fortune qui t'opprime

j'oppose et mon cœur et ma foi.

ALMANZOR

J'attends mon arrêt sans effroi,

je suis aimé de Noraïme.

NORAÏME

L'avenir ne peut m'alarmer;

et toujours sûre de te suivre,

en perdant le droit de t'aimer

je perdrais le pouvoir de vivre.

Ensemble

ALMANZOR

Le trépas ne peut m'alarmer;

de mes tourmens il me délivre:

en m'ôtant le droit de t'aimer

on m'ôte le pouvoir de vivre.

 

NORAÏME

Mais dans Grenade enfin quand tu rentres vainqueur,  

par quel événement funeste

ce fatal étendard...

ALMANZOR

La colere céleste

voile encore à mes yeux ce secret plein d'horreur.

Mon ame flotte incertaine,

cependant d'Octaïr je supçonne la foi...

NORAÏME

C'est l'ami d'Alémar... Il soupira pour moi...

Gardien de l'étendard... quelle clarté soudaine !

C'est lui, n'en doute pas.

 

Scène cinquième

Les mêmes, Kaled.

<- Kaled

 

KALED

Organe de nos lois,  

au palais des guerriers le conseil doit se rendre,

Almanzor, il doit vous entendre.

ALMANZOR

Je vous suis.

NORAÏME

Tes vertus, ta valeur, tes exploits,

du peuple en ta faveur soulevant la justice,

vont de tes ennemis confondre l'artifice,

et contre leur fureur te prêteront leur voix.

ALMANZOR

Ah ! c'est à la victoire à défendre mes droits.

 
(Ils sortent.)

Noraïme, Almanzor, Kaled ->

 
 

Scène sixième

Le thèâtre change et représente la galerie des armes du palais de l'Alhambra. Les cinq vieux guerriers qui composent le conseil, entrent, suivis de leur escorte et des grands de l'empire; il vont prendre place sur l'estrade qui leur est préparée.

 Q 

(aucun)

<- Abderame, Vieux du conseil, Zégris, Abencérages, Alémar

 
[Chœur]

 N 

 
(pendant la marche du cortége)
 

ZÉGRIS

Ô victoire fatale !  

De la cité royale

tu combles le malheur:

l'Espagnol à sa suite

enchaîne dans sa fuite

notre espoir, notre honneur;

et, vaincu par nos armes,

il abandonne aux larmes

son superbe vainqueur

Ensemble

ABENCÉRAGES

O victoire fatale !

De la cité royale

console la douleur:

l'Espagnol à sa suite

n'entraîne dans sa fuite

qu'un objet de terreur;

et, vaincu par nos armes,

ne jouit que des larmes

qu'il arrache au vainqueur.

 

ALÉMAR

Vénérables guerriers, l'Espagne vous contemple,  

le salut de l'empire exige un grand exemple;

je réclame avec douleur;

organe d'une loi terrible,

de son ministere inflexibile

exercez la rigueur.

 
[Air]

 N 

 

Des cités reine triomphante,    

quel effroi trouble ton repos ?

Tu gémis confuse et tremblante;

la patrie accuse un héros.

Noble guerriers, sa voix sublime

en ce moment parle à vos cœurs,

et vous demande une victime

que la gloire a paré de fleurs.

S

Sfondo schermo () ()

 
(Il va prendre sa place vis-à-vis les vieillards. Almanzor entre accompagné d'Alamir, de Kaled, et de son écuyer, qui porte ses armes.)

<- Almanzor, Alamir, Kaled, Écuyer

 

ABDERAME
(chef du conseil)

Noble et vaillant Abencérage,  

Grenade, qui chérit tes vertus, ton courage,

a remis en tes mains le signe révéré,

garant de sa puissance;

Almanzor, tu devais mourir pour sa défense:

qu'as-tu fait du dépôt sacré ?

ALMANZOR

J'ai vaincu; j'ai rempli tous les vœux de la gloire:

la nuit, témoin de ma victoire,

l'est aussi d'un malheur que je ne conçois pas.

Triomphante, l'armée entière

a salué notre sainte bannière.

Je la portais moi-même au milieu des combats,

Octaïr au retour fut commis à sa garde,

l'ombre couvrait encor les cieux;

nous marchons, le jour naît, j'appelle, je regarde:

Octaïr, l'étendard, rien ne s'offre à mes yeux.

ALÉMAR

Ainsi donc loin de toi pour détourner l'orage

d'un illustre Zégris tu flétris le courage,

tu l'accuse de trahison ?

ALMANZOR

Et peut-être plus loin je porte le soupçon !

ABDERAME

Quelle preuve autorise un semblable langage ?

ALMANZOR

Je n'en point.

ABDERAME

Qui peut aujourd'hui te défendre ?

 

Scène septième

Les mêmes, Abencérages.

<- Plusiers Abencérages

 
(Plusiers Abencérages se présentent, tenant en main les drapeaux et les armes conquises sur les Espagnols, et les présentent aux vieillards.)
 

ABENCÉRAGES

Princes, voilà les défenseurs  

et les témoins qu'il faut entendre;

contre ses cruels oppresseurs

leur voix saura se faire entendre.

 

ABENCÉRAGES

Voyez ces nombreux étendards,

ces faisceaux de glaives, de dards,

ces armes, ces divises,

sur l'ennemi conquises;

tout ce vaste amas de lauriers

est le prix glorieux du sang de vos guerriers.

Ensemble

ZÉGRIS

Voyez ces nombreux étendards,

ces faisceaux de glaives, de dards,

ces armes, ces divises,

sur l'ennemi conquises;

et sur cet amas de lauriers

condamnez à la mort le plus grand de guerriers.

 

ABDERAME

Almanzor, tes juges en larmes  

partagent en ce jour la publique douleur:

peuple, nous devons à ses armes

nos prospérités; nos alarmes,

nos triomphes, notre malheur;

la loi, l'honneur, et la patrie,

imposent à nos cœurs un double engagement.

Qu'ils soient tous satisfaits: nous lui lassons la vie,

l'exil seul est son châtiment.

 

ZÉGRIS

Des juges la clémence  

remplit notre vengeance.

ALÉMAR

Leur funeste clémence

commence ma vengeance.

Ensemble

ALAMIR, KALED

Leur fatale clémence

trahit notre vengeance.

 

ABDERAME

Ma voix prononce sur ton sort;  

du saint drapeau l'Espagnol est la maître,

de sa perte en ces lieux tout accuse Almanzor;

sans ce gage sacré tu n'y peux reparaître,

que pour trouver la mort.

 
(Les vieillards sortent.)

Abderame, Vieux du conseil ->

 
[Finale]

 N 

 

ALMANZOR
(à son écuyer)

Suspendez à ces murs mes armes, ma bannière,    

et du sol paternel quand je vais me bannir,

que cette voûte hospitalière

conserve au moins mon souvenir.

S

ABENCÉRAGES

Restez, gages de sa victoire,

dernier de ses nombreux bienfaits:

(aux Zégris)

oui, quand vous exilez sa gloire,

ces murs garderont sa mémoire

et feront vivre nos regrets

 

ALMANZOR

C'en est fait, j'ai vu disparaître

l'espoir dont j'osais me nourrir;

lieux chéris qui m'ayez vu naître,

vous ne me verrez pas mourir.

(1)

Noraïme, après la patrie,

l'objet le plus cher à mes yeux,

je te perds: mon âme flétrie

t'adresse d'éternels adieux.

Tout finit pour moi sur la terre,

et du sort jouet malheureux,

cette mort même que j'espère

m'attend sur la rive étrangère,

et devient un supplice affreux.

Adieu, chers compagnons, adieu; le sort barbare

de vous m'éloigne pour jamais

(1) Chalieu a dit:
Beaux arbres qui m'avez vu naître
bientôt vous me verrez mourir.
Ces vers sont trop connus pour qu'en les empruntant on puisse être soupçonné d'avoir voulu les prendre.
 

ABENCÉRAGES

Dans ce moment qui nous sépare,

reçois le tribut de nos pleurs;

le destin cruel et barbare

ne peut te bannir de nos cœurs.

Ensemble

ZÉGRIS

Dans ce moment qui nous sépare,

nous plaignons aussi tes malheurs;

et du sort le décret barbare

des Zégris attendrit les cœurs.

 

ALÉMAR, KALED, ALAMIR

De ce moment qui les sépare

abrégeons les vaines douleurs;

peut-être le sort leur prépare

un plus juste sujet de pleurs.

ALÉMAR
(à Almanzor)

Almanzor, le jour s'avance.

ALMANZOR

Je vous entends; de ma présence

je délivre ces bords,

et puisse mon absence

ne vous laisser aucun remords.

ALÉMAR, KALED, ALAMIR

Dans ce moment qui nous sépare,

etc.

ALMANZOR

Noraïme, le sort barbare

a voulu combler mes douleurs;

et quand son courroux nous sépare

je ne puis essuyer tes pleurs.

 
(Almanzor sort avec les Abencérages.)

Almanzor, Abencérages, Plusiers Abencérages, Écuyer ->

 

Scène huitième

Alémar, Kaled, Alamir, Zégris.

 

ALÉMAR
(aux Zégris, après la sortie d'Almanzor)

Les Zégris sont vengés, et de tant d'arrogance  

l'orgueilleux Almanzor reçoit la récompense;

je le connais, j'ai lu son espoir dans ses yeux;

qu'il tremble, mes regards le suivront en tous lieux.

 

CHŒUR FINAL

Grenade est libre; à l'espérance  

ouvrons nos cœurs, livrons nos vœux.

À la victoire, à la vengeance

nous consacrons ce jour heureux.

Cet orgueilleux Abencérage

vouloit marcher l'égal des rois.

Que désormais sur ce rivage

les seuls Zégris donnent des lois.

 

Fin (Acte second)

Acte premier Acte second Acte troisième

Appartement du pavillon de Noraïme.

Noraïme, Femmes de la suite
 

Il est vainqueur ! son triomphe s'apprête

[Air]

Noraïme, Femmes de la suite
<- Femmes du palais
Chœur, Noraïme, Première coryphée, Seconde coryphée
Livrons nos cœurs à l'allégresse
Noraïme, Femmes de la suite, Femmes du palais
<- Égilone

C'est Égilone... eh bien !... quel sinistre présage !

Il vient...

Noraïme
Femmes de la suite, Femmes du palais, Égilone ->
Noraïme
<- Almanzor

[Duo]

Cher Almanzor ! / Arrête Noraïme

Almanzor, Noraïme
L'avenir ne peut m'alarmer

Mais dans Grenade enfin quand tu rentres vainqueur

Noraïme, Almanzor
<- Kaled

Organe de nos lois

Noraïme, Almanzor, Kaled ->

Galerie des armes du palais de l'Alhambra

 
<- Abderame, Vieux du conseil, Zégris, Abencérages, Alémar

[Chœur]

Zégris, Abencérages, Alémar
Ô victoire fatale !

Vénérables guerriers, l'Espagne vous contemple

[Air]

Abderame, Vieux du conseil, Zégris, Abencérages, Alémar
<- Almanzor, Alamir, Kaled, Écuyer

Noble et vaillant Abencérage

Abderame, Vieux du conseil, Zégris, Abencérages, Alémar, Almanzor, Alamir, Kaled, Écuyer
<- Plusiers Abencérages

Almanzor, tes juges en larmes

Zégris, Alamir, Kaled, Alémar
Des juges la clémence

Ma voix prononce sur ton sort

Zégris, Abencérages, Alémar, Almanzor, Alamir, Kaled, Écuyer, Plusiers Abencérages
Abderame, Vieux du conseil ->

[Finale]

Almanzor, Abencérages, Zégris, Alémar, Kaled, Alamir
Suspendez à ces murs mes armes, ma bannière
Zégris, Alémar, Alamir, Kaled
Almanzor, Abencérages, Plusiers Abencérages, Écuyer ->

Les Zégris sont vengés, et de tant d'arrogance

Alémar, Kaled, Alamir, Zégris
Grenade est libre; à l'espérance
 
Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième
Une galerie extérieure de l'Alhambra; on voit à droite le pavillon qu'habite Noraïme. La cour des lions. Appartement du pavillon de Noraïme. Galerie des armes du palais de l'Alhambra La partie la plus solitaire des jardins de l'Alhambra. À droite un tombeau moresque. Le Darro coule au... Le champ clos. Gradins pour le visir et les vieillards. Une estrade pour les juges du camp.
[Trio] [Air] [Duo] [Chœur et danses] [Air] [Romance] [Ensemble] [Finale] [Air] [Duo] [Chœur] [Air] [Finale] [Air] [Duo] [Air] [Air] [Finale]
Acte premier Acte troisième

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