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Les Abencérages

LES ABENCÉRAGES

Opéra en trois actes.

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Livret de Victor-Joseph ÉTIENNE DE JOUY.
Musique de Luigi CHERUBINI.

Première représentation: 6 avril 1807, Paris.


Personnages acteurs:

ALMANZOR général maure, de la tribu des Abencérages

ténor

ALÉMAR visir, de la tribu des Zégris

basse

GONZALVE de Cordoue, général espagnol

ténor

KALED officier maure, chef de la tribu des Zégris

ténor

ALAMIR confident d'Alémar, de la même tribu

baryton

OCTAÏR porte-étendard du royaume de Grenade

baryton

ABDERAME chef du conseil des vieillards

basse

LE HÈRAUT d'armes

basse

NORAÏME princesse du sang royal

soprano

ÉGILONE suivante de Noraïme

soprano


Abencérages, Zégris, Espagnols, Troubadours, Peuple de Granade.

Le scène se passe à Grenade, dans L'Alhambra (palais des rois maures), vers le milieu du quinzième siècle, sous le règne de Muley-Hassem.

Avertissement

Une loi du royanme de Grenade, à l'epoque où les Maures en étaient encore les maîtres, condamnait à mort le général sous le commandament duquel l'étendard de l'empire tombait aux mains des ennemis. Cette perte devait être regardée comme le plus grand des malheurs chez un peuple qui attachait à la conservation de cette bannière sacrée l'idée de son salut et de sa gloire. J'ai fondé sur cette circonstance historique, et sur la haine héréditaire qui divisait les deux tribus des Zégris et des Abencérages, l'action d'un drame où je me suis particulièrement attaché à peindre les mœurs brillantes d'une nation dont l'établissement en Espagne pendant plusieus siècles paraît avoir influé bveaucoup sur al civilisation de l'Europe.

Acte premier
Scène première

Le thèâtre représente une galerie extérieure de l'Alhambra; on voit à droite le pavillon qu'habite Noraïme.
Alémar, Kaled, Alamir.

[Trio]

KALED

(à Alémar)

Son triomphe s'apprête:

vous ne frémissez pas ?

ALAMIR

Quelle odieuse fête !

Je ne le verrai pas.

ALÉMAR

(avec ironie)

Son triomphe s'apprête !

ALAMIR, KALED

Nous ne le verrons pas.

KALED

Celui dont l'orgueil nous opprime

de nous va triompher encor.

ALAMIR

La belle Noraïme

devient l'épouse d'Almanzor.

KALED

Cet insolente Abencérage

l'emporte sur les fiers Zégris:

de la noblesse et due courage

le roi lui décerne le prix.

Ensemble

KALED, ALAMIR

Son triomphe s'apprête:

vous ne frémissez pas ?

Quelle odieuse fête !

Je ne la verrai pas.

ALÉMAR

Son triomphe s'apprête:

l'abyme est sous ses pas.

Croyez-moi, cette fête

ne s'achèvera pas.

KALED

Se peut-il qu'Alémar oublie

que Noraïme est du sang de nos rois ?

ALAMIR

Que si leur attente est remplie

à son époux elle apporte ses droits ?

ALÉMAR

Quoi ! vous me connaissez, et vous paraissez craindre

que j'abjure jamais mon fier ressentiment ?

À tous les yeux forcé de feindre,

je puis avec vous seuls m'expliquer librement.

Amis, je suis Zégris; ma haine est immortelle:

je hais dans Almanzor jusques à ses vertus.

Des long-temps la discorde a sur nos deux tribus

versé tous les poisons de sa bouche cruelle.

Cherchant la gloire et les combats

tandis que sur d'autres rivages

Muley-Hassem de ses Albencérages

conduit l'élite sur ses pas;

Grenade, pendant son absence,

reconnaît mon autorité;

mais d'un roi soupçonneux l'inquiete prudence

ne me laissa qu'un pouvoir limité.

Ce conseil des vieillards me surveille et m'obsède.

ALAMIR

Ainsi ton courage lui cède ?

KALED

Pour l'hymen d'Almanzor les autels sont parés;

et d'une trêve glorieuse

les garants les plus assurés

promettent à l'amour une journée heureuse.

ALÉMAR

L'Abencérages ici n'a-t-il point de rivaux ?

Faut-il plus d'un moment pour rallumer la guerre ?

Octaïr, le gardien du plus saint des dépôts,

de l'étendard sacré que Grenade révère,

Octaïr troublera la fête du héros...

KALED

On vient...

ALÉMAR

Sortons; je prétends vous instruire

d'un dessein que j'ai su conduire,

et qui peut de l'hymen attrister les flambeaux !

(Ils sortent tous trois.)

Scène deuxième

Almanzor seul.

[Air]

Enfin j'ai vu naître l'aurore !

Le soleil éclaire ces lieux,

ces lieux où tout ce que j'adore

va bientôt enchanter mes yeux !

Que l'air est pur ! Que la nature est belle !

Noraïme, mon cœur fidèle

croit s'enivrer de ses attraits:

mais en toi seule est sa puissance,

et le charme de ta présence

se répand sur tous les objets.

Scène troisième

Noraïme, Almanzor, Égilone.

ALMANZOR

(allant au-devant de Noraïme, qui sort du palais)

Fille des rois, ma tendre impatience

guide mes pas dans ce séjour;

j'y réclame à tes pieds les serments de l'amour:

confirme d'un regard ma timide espérance.

NORAÏME

Un monarque adoré,

en m'imposant sa loi suprême,

par mon cœur en secret fut sans doute inspiré:

jugez de mon bonheur extrême,

il m'unit au héros que j'aime,

et d'un plaisir si pur fait un devoir sacré.

[Duo]

Qu'il est doux de pouvoir se dire:

la gloire autorise mon choix !

Ce guerrier que l'Espagne admire,

l'honneur, le soutien de l'empire,

l'hymen l'enchaîne sous mes lois !

ALMANZOR

Qu'il est doux de pouvoir se dire:

l'univers envîrait mon choix !

La beauté que l'Espagne admire,

l'amour, l'ornement de l'empire,

m'enchaîne sous ses douces lois !

NORAÏME

À mes vœux tout rit, tout conspire:

d'où vient qu'une vaine terreur

agite et tourmente mon cœur ?

ALMANZOR

D'où naît le trouble de ton cœur ?

NORAÏME

Des fiers Zégris la jalousie

me cause un invincible effroi.

ALMANZOR

Mon bonheur afflige l'envie.

NORAÏME

Elle peut s'armer contre toi.

D'Alémar tu connais la haine ?

ALMANZOR

Il en abjure les transports.

NORAÏME

Du roi la volonté l'enchaîne;

il dissimule avec efforts.

ALMANZOR

Noraïme, amante adorée,

souris à ton heureux époux,

et de ta crainte délivrée,

abandonne ton cœur au charme le plus doux.

NORAÏME

Oui, de ma crainte délivrée,

j'abandonne mon cœur au charme le plus doux.

ALMANZOR, NORAÏME

Qu'il est doux de pouvoir se dire:

l'univers envîrait mon choix !

J'enchaîne sous mes douces lois,

l'amour, l'ornement de l'empire !

Scène quatrième

Les mêmes, Kaled.

KALED

Paraissez; Alémar attend le couple heureux:

à sa voix appelées,

nos tribus assemblées

pour fêter votre hymen ont préparé leurs jeux.

Gonzalve est dans nos murs; il amène à sa suite

de guerrieres espagnols une brillante élite.

ALMANZOR

La paix amène dans ces lieux

ce guerrier ami de la gloire !

Gonzalve à qui mon bras dispute la victoire !

Le ciel en un seul jour a comblé tous mes vœux.

(Ils sortent.)

Scène cinquième

Le thèâtre change, et représente la cour des lions. Le peuple entoure de fleurs deux jeunes palmiers qu'il vient de planter, et achève les préparatifs de la fête.

[Chœur et danses]

CHŒUR

Que l'amitié, que l'hymen vous rassemble:

pour embellir ce beau séjour,

vivez, croissez, brillez ensemble,

riants palmiers, doux arbres de l'amour.

Que zéphyr sans cesse

agite, caresse

vos jeunes rameaux;

et sous leur verdure

qu'une source pure

épanche ses eaux.

Gages des conquêtes

qu'appellent nos vœux,

soyez de nos fêtes

les témoins heureux;

que vos nobles têtes

s'élèvent aux cieux.

Ombragez d'un riant feuillage

deux époux, l'honneur de ces lieux;

et puissent nos derniers neveux

se reposer sous votre ombrage !

Scène sixième

Les danses sont interrompues par l'arrivée du cortège; Gonzalve, Almanzor, Espagnols de la suite de Gonzalve; les Abencérages, les Zégris, Noraïme, Égilone, femmes de la suite de Noraïme; Abderame, Alémar, Kaled, Alamir, peuple, écuyers, etc. etc.

CHŒUR

Palais de rois, noble séjour,

retentissez des chants de l'allégresse !

À la plus aimable princesse

adressons nos vœux, notre amour.

GONZALVE

Braves Zégris, nobles Abencérages,

la beauté, la vaillance, en tous lieux ont des droits:

aux pieds de la fille des rois

Gonzalve apporte les hommages

du monarque puissant qui nos donne des lois.

Pour prix de l'auguste ambassade

dont il m'a confié l'honneur,

je revois désarmé le héros de Grenade;

je suis témoin de son bonheur.

[Air]

Poursuis tes belles destinées,

honneur des preux, jeune héros,

que le plus doux des hyménées

couronne tes nobles travaux.

Des guerriers le plus magnanime

devait obtenir ce trésor;

l'amour inspirait Noraïme,

la gloire nommait Almanzor !

ALMANZOR

Gonzalve, dans ce jour paisible

qu'en ma faveur le ciel a voulu signaler,

au dernier de mes vœux s'il se montre sensible,

nos ennemis doivent trembler;

te surpasser est impossible;

mais Almanzor aspire à t'égaler

Ensemble

ALMANZOR, GONZALVE, NORAÏME, ABENCÉRAGES

Laissons respirer la victoire,

volage amante des guerriers;

que l'hymen, conduit par la gloire

se repose sur des lauriers.

KALED, ZÉGRIS

Pour nous quelle indigne victoire

a réuni ces deux guerriers !

Son hymen insulte à la gloire,

et va flétrir tous nos lauriers.

ALÉMAR

(aux Abencérages)

Laissons reposer la victoire;

(bas, aux Zégris)

ranimez vos transports guerriers.

(aux Abencérages)

L'hymen vient s'unir à la gloire;

(bas, aux Zégris)

il flétrirait tous vos lauriers.

ABDERAME

Peuple, de l'hymen qui s'apprête

que vos chants, que vos jeux, solennisent la fête !

Tout le monde prend place; les jeux commencent par des danses, auxquelles succède le pas nommé des roseaux (1). Entrée des troubadours provençaux et des jongleurs qui marchent à leur suite.

(1) Le pas des roseaux était une danse nationale chez les Maures d'Espagne. Tous les historiens en font mention; elle est décrite dans l'"Histoire chevaleresque des Maure de Grenade", de Ginès Perès de Hita, traduite par M. S.

PREMIER TROUBADOUR

Aux rives du Darro qui roule un sable d'or,

le troubadour au son de la harpe amoureuse

mêle sa voix harmonieuse;

il chante Noraïme, amante d'Almanzor.

TROUBADOURS

Guerriers, aux palmes de la lyre

joignez vos lauriers fraternels;

aimez le dieu qui nous inspire:

nos chants vous rendent immortels.

(Danse des jongleurs qui marchant à la suite des troubadours.)

[Romance]

PREMIER TROUBADOUR

Vous qui n'aimez rien sur le terre,

vos noms, passeront sans retour;

que je plains le cœur solitaire !

il vit sans gloire et sans amour.

Ô vous qui d'une ardeur extrême,

comme nous, les cherchez tous deux,

soyez vaillans pour qu'on vous aime,

soyez constans pour être heureux.

TROUBADOURS

Soyez...

etc.

PREMIER TROUBADOUR

Voyez-vous la flamme céleste,

elle brille au front du héros;

la vierge timide et modeste

va couronner des feux si beaux.

Jeune amans, du bien suprême

vous jouirez un jour comme eux;

soyez vaillans pour qu'on vous aime,

soyez constans pour être heureux.

TROUBADOURS

Soyez...

etc.

(Continuation de la danse e des fêtes; danses des troubadours provençaux, espagnols, etc.)

Scène septième

Les mêmes, Octaïr.

ALMANZOR

Que nous veut Octaïr ?

NORAÏME

Je frissonne à sa vue.

OCTAÏR

Un envoyé du camp royal

de la guerre à l'instant rapporte le signal.

Jaën est menacée, et la trêve est rompue.

CHŒUR GÉNÉRAL

O ciel !

(Cette nouvelle est suivie d'un moment de silence, pendant lequel les Zégris se réunissent sur un des côtés du thèâtre, et paraissent méditer quelque dessein secret. Octaïr, Kaled et Alamir sont auprès d'Alémar vers le milieu de la scène. Gonzalve, les Espagnols, les troubadours se rassemblent du côté opposé aux Zégris; Almanzor et le Abencérages se trouvent entre les Espagnols et Alémar.)

[Ensemble]

Ensemble

ESPAGNOLS, GONZALVE, TROUBADOURS

(entre eux)

J'aperçois leurs affreux desseins.

Des Zégris la perfide rage

dans le piège ici nous engage;

mais nous sortirons de leurs mains.

ALMANZOR

J'aperçois leurs affreux desseins;

mais nous sommes Abencérages,

et les Espagnols sans outrages

doivent échapper de leurs mains.

ABENCÉRAGES

Nous voyons leurs affreux desseins;

mais nous sommes Abencérages,

et les Espagnols sans outrages

doivent échapper de leurs mains.

ZÉGRIS, OCTAÏR, KALED, ALAMIR

Rendons nos succès plus certains;

le sort nous en offre la gage.

Gonzalve est pour nous un otage:

doit-il sortir d'entre nos mains ?

ALÉMAR

(à Octaïr)

Leurs projet nuit à nos desseins.

Apaisez ce premier orage:

pour mieux achever notre ouvrage,

laissons-le sortir de nos mains.

(Octaïr et Kaled pendant la ritournelle parlent bas aux Zégris.)

ALMANZOR

(d'un ton solemnelle)

Aux combat la patrie appelle

des deux côtés ses nobles fils;

répodons à sa voix fidèle,

mais en généreux ennemis.

ALÉMAR

Nous dédaignons une gloire commune;

et des droits qu'en ce jour nous donne la fortune,

Gonzalve, contre toi nous n'abuserons pas:

retourne dans ton camp, nous y suivrons tes pas.

ABDERAME

De nos vrais sentimens Alémar est l'organe.

ZÉGRIS

(à part)

Apaisons-nous;

contraignons un courroux

que le visir condamne.

GONZALVE

Adieu, noble Almanzor,

nous nous verrons au milieu des batailles;

et puisssons-nous dans ces murailles,

l'olivier à la main, nous retrouver encor !

De Noraïme à la cour d'Isabelle

le dirai les vertus, les graces, les appas;

je rends à la beauté mon hommage fidèle,

je voue à sa défense et mon cœur et mes bras.

ESPAGNOLS, TROUBADOURS

(en sortant)

Marchons au champ de la victoire,

l'espoir nous attend au retour.

L'amour récompense la gloire,

et la gloire embellit l'amour.

(Gonzalve, les Espagnol et les troubadours sortent, Kaled les suit.)

Scène huitième

Les mêmes, excepté Gonzalve, Kaled, les troubadours, et les Espagnols.

ALÉMAR

L'ennemi vers Jaën dirige son armée;

prévenons-le, marchons vers la ville alarmée,

et d'un coup imprévu punissant l'agresseur,

cette nuit dans son camp répandons le terreur.

Almanzor, cet exploit réclame ta vaillance.

ALMANZOR

Visir, je réponds du succès;

que nos guerriers soient prêts,

la victoire suivra ma lance.

Armez-vous, enfans d'Ismaël.

[Finale]

OCTAÏR

(au visir, bas)

Songe à notre vengeance.

ALÉMAR

(bas, à Octaïr)

A sa perte il s'avance.

NORAÏME

O moment trop cruel !

Étouffons nos soupirs, dévorons ma souffrance.

KALED

(qui entre, bas, au visir)

L'avis est parvenu.

ALÉMAR

Silence !

CHŒUR

Suivons les pas du héros:

le lion brise sa chaîne;

il s'élance dans l'arène,

indigné de son repos.

(Sur un signe d'Alémar, Octaïr a été prendre le drapeau de Grenade qu'il remet aux mains du visir. Celui-ci le présente à Almanzor.)

ALÉMAR

Almanzor, en ce jour Grenade te confie

son étendard et ses destins;

mais tu dois compte à la patrie

du dépôt précieux que je mets en tes mains.

ABDERAME

Tu sais à ce gage sublime

quels sermens doivent te lier ?

Tu sais que sa perte est un crime

que la mort peut seule expier ?

ALMANZOR

Ce trésor, que j'emporte au milieu des batailles,

rentrera triomphant au sein de nos murailles.

Armez-vous, enfans d'Ismaël.

(Il remet l'étendard à Octaïr.)

ALÉMAR

(à Octaïr, bas)

Souviens-toi...

OCTAÏR

(bas, au visir)

Je t'entends.

NORAÏME

(regardant le visir et Octaïr avec inquietude)

Dieux ! quel moment cruel !

ALMANZOR

Écoutez le clairon sonore,

le hennissement des coursiers,

cette voix que mon cœur adore,

aux combats appelle le Maure;

aux armes, généreux guerriers !

CHŒUR GÉNÉRAL

Écoutez: le clairon sonore,

le hennissement des coursiers,

aux combats appelle le Maure;

aux armes, généreux guerriers !

(Pendant ce dernier chœur, les écuyers apportent aux chefs des guerriers leurs boucliers et leurs lances. Noraïme détache son écharpe, qu'elle passe au cou d'Almanzor qui s'agenouille devant elle. Sur le bouclier d'Almanzor est peint un lion que l'Amour enchaîne, avec cette devise, doux et terrible; sur celui de Kaled est peint un glaive avec ces mots, voilà ma loi. Celui d'Alamir représente un roseau courbé, et au dessous on lit, agité, point abattu.)

Acte second
Scène première

Le thèâtre représente un appartement du pavillon de Noraïme.
Noraïme, Femmes de la suite, dans le fond.

NORAÏME

Il est vainqueur ! son triomphe s'apprête,

et ma main de lauriers va couronner sa tête.

Reviens, ah ! reviens prés de moi !

Almanzor, j'ai besoin de te voir, de t'entendre

pour calmer un reste d'effroi

dont je veux en vain me défendre.

[Air]

Ô toi, l'idole de mon cœur

et la gloire de ta patrie,

hâte l'instant de mon bonheur;

rends-moi ta présence et la vie !

Cher Almanzor,

je tremble encor;

viens fixer ma joie incertaine;

mon esprit d'une image vaine

sans cesse tourmenté,

à sa félicité

ne s'abandonne qu'avec peine.

Ô toi, l'idole de mon cœur,

etc.

(à ses femmes)

Vous avez partagé mes regrets, mes soupirs,

partagez mon bonheur, et goûtez mes plaisirs.

CHŒUR DES FEMMES

Ô jeune et charmante princesse,

de ces lieux l'amour et l'honneur,

nos cœurs avec ivresse

jouissent de votre bonheur !

Scène seconde

Les mêmes, Femmes du palais, qui entrent.

CHŒUR

(melé de danse)

Livrons nos cœurs à l'allégresse;

d'Ismaël généreux enfans,

partageons son heureuse ivresse.

La gloire a tenu sa promesse,

et nos guerriers sont triomphans.

NORAÏME

Livrez vos cœurs à l'allégresse;

d'Ismaël généreux enfans,

partageons son heureuse ivresse.

La gloire a tenu sa promesse,

et nos guerriers sont triomphans.

PREMIÈRE CORYPHÉE

De lauriers immortels leur traces sont marquées

SECONDE CORYPHÉE

Les drapeaux ennemis vont orner nos mosquées.

NORAÏME

Almanzor, hâte-toi; viens délivrer mon cœur

du souvenir cruel d'une nuit de terreur.

CHŒUR

Livrons nos cœurs à l'allégresse,

etc.

Scène troisième

Les mêmes, Égilone.

NORAÏME

(courant à Égilone)

C'est Égilone... eh bien !... quel sinistre présage !

Explique-toi.

ÉGILONE

Princesse, armez-vous de courage.

NORAÏME

Almanzor ne vit plus !

ÉGILONE

Il est victorieux;

et bientôt ce guerrier va paraître vos yeux.

NORAÏME

Que plus-je craindre encore ?

ÉGILONE

Des malheurs trop certains,

dont vous allez frémir, qu'un peuple entier déplore:

le divin étendard n'est plus entre nos mains.

NORAÏME

Que dis-tu... ? Je frissonne...

CHŒUR

La gloire le couronne,

et la mort l'environne

au sei de ses foyers:

la loi, que rien n'arrête,

à le frapper s'apprête,

et menace sa tête

couverte de lauriers.

ÉGILONE

Il vient...

(Sur un signe de Noraïme, toutes les femmes sortent.)

Scène quatrième

Noraïme, Almanzor.

[Duo]

NORAÏME

(courant à lui)

Cher Almanzor !

ALMANZOR

(dans le plus grand désordre)

Arrête Noraïme,

je ne suis plus digne de toi.

NORAÏME

À la fortune qui t'opprime

j'oppose et mon cœur et ma foi.

ALMANZOR

Fuis, abandonne un misérable

que le jour, que le ciel accable.

NORAÏME

Prends pitié de mon sort,

calme ce désespoir extrême.

ALMANZOR

J'espérais le bonheur suprême,

je trouve la honte et la mort.

NORAÏME

La honte ! au sein da la victoire,

tout parle en ces lieux de ta gloire,

et je suis auprès d'Almanzor.

ALMANZOR

J'espérais le bonheur suprême.

NORAÏME

Va ! mon cœur est toujours le même.

Ensemble

NORAÏME

L'avenir ne peut m'alarmer;

et toujours sûre de te suivre,

en perdant le droit de t'aimer

je perdrais le pouvoir de vivre.

ALMANZOR

Le trépas ne peut m'alarmer;

de mes tourmens il me délivre:

en perdant le droit de t'aimer

j'ai perdu le pouvoir de vivre.

ALMANZOR

Tu m'aimes encore, Noraïme ?

NORAÏME

À la fortune qui t'opprime

j'oppose et mon cœur et ma foi.

ALMANZOR

J'attends mon arrêt sans effroi,

je suis aimé de Noraïme.

Ensemble

NORAÏME

L'avenir ne peut m'alarmer;

et toujours sûre de te suivre,

en perdant le droit de t'aimer

je perdrais le pouvoir de vivre.

ALMANZOR

Le trépas ne peut m'alarmer;

de mes tourmens il me délivre:

en m'ôtant le droit de t'aimer

on m'ôte le pouvoir de vivre.

NORAÏME

Mais dans Grenade enfin quand tu rentres vainqueur,

par quel événement funeste

ce fatal étendard...

ALMANZOR

La colere céleste

voile encore à mes yeux ce secret plein d'horreur.

Mon ame flotte incertaine,

cependant d'Octaïr je supçonne la foi...

NORAÏME

C'est l'ami d'Alémar... Il soupira pour moi...

Gardien de l'étendard... quelle clarté soudaine !

C'est lui, n'en doute pas.

Scène cinquième

Les mêmes, Kaled.

KALED

Organe de nos lois,

au palais des guerriers le conseil doit se rendre,

Almanzor, il doit vous entendre.

ALMANZOR

Je vous suis.

NORAÏME

Tes vertus, ta valeur, tes exploits,

du peuple en ta faveur soulevant la justice,

vont de tes ennemis confondre l'artifice,

et contre leur fureur te prêteront leur voix.

ALMANZOR

Ah ! c'est à la victoire à défendre mes droits.

(Ils sortent.)

Scène sixième

Le thèâtre change et représente la galerie des armes du palais de l'Alhambra. Les cinq vieux guerriers qui composent le conseil, entrent, suivis de leur escorte et des grands de l'empire; il vont prendre place sur l'estrade qui leur est préparée.

[Chœur]

(pendant la marche du cortége)

Ensemble

ZÉGRIS

Ô victoire fatale !

De la cité royale

tu combles le malheur:

l'Espagnol à sa suite

enchaîne dans sa fuite

notre espoir, notre honneur;

et, vaincu par nos armes,

il abandonne aux larmes

son superbe vainqueur

ABENCÉRAGES

O victoire fatale !

De la cité royale

console la douleur:

l'Espagnol à sa suite

n'entraîne dans sa fuite

qu'un objet de terreur;

et, vaincu par nos armes,

ne jouit que des larmes

qu'il arrache au vainqueur.

ALÉMAR

Vénérables guerriers, l'Espagne vous contemple,

le salut de l'empire exige un grand exemple;

je réclame avec douleur;

organe d'une loi terrible,

de son ministere inflexibile

exercez la rigueur.

[Air]

Des cités reine triomphante,

quel effroi trouble ton repos ?

Tu gémis confuse et tremblante;

la patrie accuse un héros.

Noble guerriers, sa voix sublime

en ce moment parle à vos cœurs,

et vous demande une victime

que la gloire a paré de fleurs.

(Il va prendre sa place vis-à-vis les vieillards. Almanzor entre accompagné d'Alamir, de Kaled, et de son écuyer, qui porte ses armes.)

ABDERAME

(chef du conseil)

Noble et vaillant Abencérage,

Grenade, qui chérit tes vertus, ton courage,

a remis en tes mains le signe révéré,

garant de sa puissance;

Almanzor, tu devais mourir pour sa défense:

qu'as-tu fait du dépôt sacré ?

ALMANZOR

J'ai vaincu; j'ai rempli tous les vœux de la gloire:

la nuit, témoin de ma victoire,

l'est aussi d'un malheur que je ne conçois pas.

Triomphante, l'armée entière

a salué notre sainte bannière.

Je la portais moi-même au milieu des combats,

Octaïr au retour fut commis à sa garde,

l'ombre couvrait encor les cieux;

nous marchons, le jour naît, j'appelle, je regarde:

Octaïr, l'étendard, rien ne s'offre à mes yeux.

ALÉMAR

Ainsi donc loin de toi pour détourner l'orage

d'un illustre Zégris tu flétris le courage,

tu l'accuse de trahison ?

ALMANZOR

Et peut-être plus loin je porte le soupçon !

ABDERAME

Quelle preuve autorise un semblable langage ?

ALMANZOR

Je n'en point.

ABDERAME

Qui peut aujourd'hui te défendre ?

Scène septième

Les mêmes, Abencérages.

(Plusiers Abencérages se présentent, tenant en main les drapeaux et les armes conquises sur les Espagnols, et les présentent aux vieillards.)

ABENCÉRAGES

Princes, voilà les défenseurs

et les témoins qu'il faut entendre;

contre ses cruels oppresseurs

leur voix saura se faire entendre.

Ensemble

ABENCÉRAGES

Voyez ces nombreux étendards,

ces faisceaux de glaives, de dards,

ces armes, ces divises,

sur l'ennemi conquises;

tout ce vaste amas de lauriers

est le prix glorieux du sang de vos guerriers.

ZÉGRIS

Voyez ces nombreux étendards,

ces faisceaux de glaives, de dards,

ces armes, ces divises,

sur l'ennemi conquises;

et sur cet amas de lauriers

condamnez à la mort le plus grand de guerriers.

ABDERAME

Almanzor, tes juges en larmes

partagent en ce jour la publique douleur:

peuple, nous devons à ses armes

nos prospérités; nos alarmes,

nos triomphes, notre malheur;

la loi, l'honneur, et la patrie,

imposent à nos cœurs un double engagement.

Qu'ils soient tous satisfaits: nous lui lassons la vie,

l'exil seul est son châtiment.

Ensemble

ZÉGRIS

Des juges la clémence

remplit notre vengeance.

ALAMIR, KALED

Leur fatale clémence

trahit notre vengeance.

ALÉMAR

Leur funeste clémence

commence ma vengeance.

ABDERAME

Ma voix prononce sur ton sort;

du saint drapeau l'Espagnol est la maître,

de sa perte en ces lieux tout accuse Almanzor;

sans ce gage sacré tu n'y peux reparaître,

que pour trouver la mort.

(Les vieillards sortent.)

[Finale]

ALMANZOR

(à son écuyer)

Suspendez à ces murs mes armes, ma bannière,

et du sol paternel quand je vais me bannir,

que cette voûte hospitalière

conserve au moins mon souvenir.

ABENCÉRAGES

Restez, gages de sa victoire,

dernier de ses nombreux bienfaits:

(aux Zégris)

oui, quand vous exilez sa gloire,

ces murs garderont sa mémoire

et feront vivre nos regrets

ALMANZOR

C'en est fait, j'ai vu disparaître

l'espoir dont j'osais me nourrir;

lieux chéris qui m'ayez vu naître,

vous ne me verrez pas mourir.

(1)

Noraïme, après la patrie,

l'objet le plus cher à mes yeux,

je te perds: mon âme flétrie

t'adresse d'éternels adieux.

Tout finit pour moi sur la terre,

et du sort jouet malheureux,

cette mort même que j'espère

m'attend sur la rive étrangère,

et devient un supplice affreux.

Adieu, chers compagnons, adieu; le sort barbare

de vous m'éloigne pour jamais

(1) Chalieu a dit:

Beaux arbres qui m'avez vu naître

bientôt vous me verrez mourir.

Ces vers sont trop connus pour qu'en les empruntant on puisse être soupçonné d'avoir voulu les prendre.

Ensemble

ABENCÉRAGES

Dans ce moment qui nous sépare,

reçois le tribut de nos pleurs;

le destin cruel et barbare

ne peut te bannir de nos cœurs.

ZÉGRIS

Dans ce moment qui nous sépare,

nous plaignons aussi tes malheurs;

et du sort le décret barbare

des Zégris attendrit les cœurs.

ALÉMAR, KALED, ALAMIR

De ce moment qui les sépare

abrégeons les vaines douleurs;

peut-être le sort leur prépare

un plus juste sujet de pleurs.

ALÉMAR

(à Almanzor)

Almanzor, le jour s'avance.

ALMANZOR

Je vous entends; de ma présence

je délivre ces bords,

et puisse mon absence

ne vous laisser aucun remords.

ALÉMAR, KALED, ALAMIR

Dans ce moment qui nous sépare,

etc.

ALMANZOR

Noraïme, le sort barbare

a voulu combler mes douleurs;

et quand son courroux nous sépare

je ne puis essuyer tes pleurs.

(Almanzor sort avec les Abencérages.)

Scène huitième

Alémar, Kaled, Alamir, Zégris.

ALÉMAR

(aux Zégris, après la sortie d'Almanzor)

Les Zégris sont vengés, et de tant d'arrogance

l'orgueilleux Almanzor reçoit la récompense;

je le connais, j'ai lu son espoir dans ses yeux;

qu'il tremble, mes regards le suivront en tous lieux.

CHŒUR FINAL

Grenade est libre; à l'espérance

ouvrons nos cœurs, livrons nos vœux.

À la victoire, à la vengeance

nous consacrons ce jour heureux.

Cet orgueilleux Abencérage

vouloit marcher l'égal des rois.

Que désormais sur ce rivage

les seuls Zégris donnent des lois.

Acte troisième
Scène première

Le thèâtre représente la partie la plus solitaire des jardins de l'Alhambra. À droite, vers la seconde coulisse, on aperçoit un tombeau moresque. (On sait que cette nation décorait avec beaucoup de soins et de recherches ces monumens funèbres que les orientaux se plaisent à rapprocher de leur habitations.) Celui que l'on voit sur la scène s'élève dans un bosquet de peupliers; il est orné de fleurs. Le Darro coule au fond du paysage, que la lune éclaire.
Noraïme, seul, vétue d'une simple tunique blanche.

[Air]

Épaissis tes ombres funèbres,

nuit favorable à mes projets !

Errante au milieu des ténèbres,

de ces lieux je fuis pour jamais.

(Elle s'approche du mausolée.)

Je vois la tombe maternelle...

Hier, à ma douleur fidèle,

j'y pleurais avec Almanzor !

Près de lui, du bonheur des larmes

je venais y goûter les charmes:

que n'en puis-je verser encor !

(Elle entre dans le bosquet, et reste appuyé sur la pierre du monument.)

Scène seconde

Noraïme, Almanzor, vétu en esclave.

(On le voit arriver sur une barque, et franchir les rochers qui ferment les jardins du côté du fleuve.)

ALMANZOR

Protége-moi, dieu tutélaire;

de mon audace téméraire

ne hâte point le châtiment;

que je revoie encor celle qui m'est ravie,

dussé-je payer de ma vie

le bonheur d'un moment !

(Il reconnaít le lieu où il se trouve, et s'approche du mausolée.)

Hélas ! d'une mère adorée

c'est ici la tombe sacrée...

Salut, paisible monument !...

(Il s'agenouille près du tombeau et du côté opposé à celui où se trouve Noraïme, dont il n'est pas d'abord aperçu.)

NORAÏME

C'en fait, je te suis, Almanzor...

ALMANZOR

Qui m'appelle ?

Noraïme... ?

NORAÏME

Ô terreur !

ALMANZOR

C'est elle !

NORAÏME

Tous mes sens sont glacés.

ALMANZOR

Dissipe ton effroi:

Noraïme, reconnais-moi;

c'est Almanzor.

NORAÏME

Je meurs...

[Duo]

ALMANZOR

Providence céleste,

soutiens la force qui lui reste;

ranime ses esprits !

NORAÏME

(revenant à elle)

Almanzor, est-ce toi ?

ALMANZOR

Noraïme, tu m'es rendue !

NORAÏME

Fuyons, on peut te découvrir.

ALMANZOR

Tu m'aimes, je t'ai vue;

ah ! maintenant je puis mourir.

NORAÏME

Non, pour moi tu dois vivre:

partons; je suis prête à te suivre.

ALMANZOR

Moi ! que je t'associe à mon destin errant,

que la fille des rois à l'exil condamnée... !

NORAÏME

De la foi que je t'ai donnée

la fortune n'est point garant.

Ensemble

NORAÏME

Hâtons-nous, craignons que l'aurore

ne nous surprenne dans ces lieux:

tes ennemis veillent encore;

trompons leurs projets odieux.

ALMANZOR

Ah ! pour un peuple qui t'adore

conserve des jours precieux;

et du roi la justice encore

peut nous réunir dans ces lieux.

NORAÏME

J'ai vu cet Alémar; dans sa féroce joie,

de ses regards brûlans il dévorait sa proie:

peut-être en ce moment... ah ! fuyons... ! je le veux.

ALMANZOR

Je n'en crois que l'amour, et je cède à ses vœux.

ALMANZOR, NORAÏME

Mànes sacrés, j'atteste

des sermens formés devant vous !

Loin de ce rivage funeste,

Noraïme suit son époux.

Le sort qu'avec toi je partage

n'a point de pénible retour:

ton regard soutient mon courage;

le danger fuit devant l'amour.

ALMANZOR

Derrière ces rochers, une barque légère

va nous porter sur l'autre bord.

NORAÏME

Marchons...

Scène troisième

Les mêmes, Alémar, Kaled, Alamir, Gardes, Esclaves, avec des flambeaux.

ALÉMAR

Arrête, téméraire !

(aux gardes)

Saisissez-le... c'est Almanzor.

(Ils se jettent sur lui.)

(à Noraïme)

Madame, pardonnez; un devoir nécessaire...

NORAÏME

Garde tes respects odieux;

je sais quel sentiment t'anime:

tu ne voulais qu'une victime,

et ce jour t'en réserve deux.

Almanzor, devant eux je n'ai rien à te dire:

tu me connais, ce mot doit te suffire

(Elle sort.)

ALÉMAR

(au chef de la garde)

Naïr, de ce guerrier banni de nos remparts

annoncez le retour au conseil des vieillards.

Dans la tour du champ clos, vous, gardes, qu'on le mêne.

(Almanzor, en sortant, jette sur Alémar un regard de mépris.)

Scène quatrième

Alémar, Kaled, Alamir.

ALÉMAR

Enfin nous l'emportons, et je serai vengé.

D'Almanzor la mort est certaine:

j'ai mesuré l'abyme où mon bras l'a plongè;

nul ne peut l'y sustraire.

Dans la lice qui va s'ouvrir,

qu'interdit à lui seul une loi salutaire,

quel guerrier assez téméraire,

avec lui trop sûr de périr,

à vos coups oserait s'offrir ?

KALED, ALAMIR

De notre commune vengeance

saisissons l'instant precieux:

nos bras te répondent d'avance

d'un triomphe peu glorieux.

ALÉMAR

(à Alamir)

Songe à l'hymen de la princesse,

à tes vœux que le roi trompa.

(à Kaled)

En tombant, Almanzor te laisse

l'autorité qu'il usurpa.

KALED, ALAMIR

De l'orgueilleux Abencérage

un crime a terni la splendeur;

sur le débris de son naufrage

les Zégres fondent leur grandeur.

ALÉMAR

Vengeons l'état, notre injure, et nos lois.

Mes ordres sont donnés, le peuple se rassemble

aux lieux où le valeur confirme les arrêts:

à ce grand appareil, vous, présidez ensemble;

allez, que les émirs fassent tous les apprêts.

(Kaled et Alamir sortent.)

Scène cinquième

Alémar, seul.

[Air]

D'une haine long-temps captive

exhalons enfin les transports:

le jour de la vengeance arrive,

et couronne mes longs efforts.

Dans l'ombre et le silence

j'ai dévoré l'offense:

Almanzor, tu t'es endormi,

tandis que sur ta tête

s'amassait la tempête

dont j'écrase mon ennemi.

(Il sort.)

Scène sixième

Le thèâtre change, et représent le champ clos. À gauche, sont élevés des gradins pour le visir et les vieillards. À droite, se trouve une estrade pour les juges du camp. De chaque côté s'éléve une colonne où le combattans attachent leurs bannières. Au fond on découvre les remparts de Grenade, aux sommets desquels conduit une pente rapide. On voit à droite, vers le fond, la tour du champ clos, dans laquelle Almanzor est renfermé. Les juges du camp disposent les troupes autour de l'enceinte, et font placer de distance en distance les faisceaux et les armoiries qui distinguent les différentes tribus des Maures. Les écussons des Zégris et des Abencérages sont les plus apparens. Le visir et deux des vieillards du conseil arrivent suivis de leur escorte, du hèraut d'armes, et des chefs des différentes tribus. Almanzor sort de la tour sous une escorte de Zégris, tandis qu'Alamir et Kaled, armés pour le combat et suivis de leurs écuyers qui portent leurs armes et leurs bannières, s'avancent du côté opposé.

CHŒUR

(du peuple pendant la marche)

Grand dieu ! quelle triste journée,

et comme un jour change la sort !

Hier la pompe d'hyménée,

aujourd'hui des apprêts de mort !

De deux amans que l'on opprime,

l'un est plus malheureuse encor;

Almanzor meurt pour Noraïme;

elle vivra sans Almanzor.

LE HÈRAUT

Almanzor a perdu l'étendard de l'empire;

de son sein pour jamais il étais rejeté:

il rentre dans nos murs; la loi veut qu'il expire,

que du haut des remparts il soit précipité.

Privé du droit de sa propre défense,

si quelque autre guerrier veut être son appui,

sa voix doit, d'Almanzor attestant l'innocence,

vaincre pour le prouver, ou périr avec lui.

Le combat est permis.

(Les écuyers d'Alamir et de Kaled entrent dans la lice, et vont planter horizontalement leurs bannières sur une des colonne.)

ALAMIR

Guerriers dans la carrière,

Alamir et Kaled suspendent leur bannière.

KALED

Almanzor est coupable, et de son attentat

c'est à nous de venger et les lois et l'état.

Quel ennemi de la patrie

à son destin voudroit s'unir ?

S'il en est, je l'attends; ce bras qui le défie

à l'instant saura le punir.

ABENCÉRAGES

(entre eux et à demi-voix)

Braves amis, dans le silence

souffrirons-nous tant d'arrogance ?

ALMANZOR

(à Kaled)

Modère une si noble ardeur,

en d'autres tems peut-être

Kaled hésiterait à la faire paraître:

je ne veux point de défenseur;

tout m'accuse en ce jour, le sort inexorable,

en cachant le forfait m'a déclaré coupable.

[Air]

Mes amis, ne me plaignez pas:

j'ai vécu pour la gloire;

qu'importe le trépas

le lendemain de la victoire ?

Ne détournez point vos regards;

quel plus beau sort puis-je prétendre ?

Je meurs au pied de ces remparts

que mon courage a su défendre.

CHŒUR

Il va mourir au pied de ces remparts

que son courage a su défendre.

ALMANZOR

(aux Abencérages, en s'avançant sur le chemin qui conduit au haut des remparts)

Veillez sur Noraïme, épargnez à ses yeux...

C'est elle... je la vois... quel moment, juste cieux !

Scène septième

Les mêmes, Noraïme, Un guerrier Abencérage, la visière baissée, suivi des deux écuyers.

NORAÏME

(elle descend du rempart par la même chemin où monte Almanzor)

Arrêtez, peuple, on doit m'entendre:

vous allez immoler un héros votre appui:

du plus affreux complot Almanzor est victime,

et je viens le prouver, ou mourir avec lui.

ALÉMAR

J'excuse ta douleur, elle est trop légitime;

mais l'inflexibile loi répond à tes regrets.

NORAÏME

Qoi ! vous refuseriez une preuve éclatante... ?

ALÉMAR

Le combat avant tout ! qu'un guerrier se présente;

la valeur seule ici peut changer les arrêts.

NORAÏME

J'implore donc son assistance;

pour combattre en mon nom j'ai choisi ce guerrier.

ALMANZOR

(s'approchant de l'inconnu)

Quel est-il ?

GONZALVE

(Le guerrier)

Ton vengeur, celui de l'innocence.

NORAÏME

Je l'accept pour chevalier.

ALÉMAR

Réponds; je veux savoir...

GONZALVE

(Le guerrier)

J'ai voilé ma bannière,

le vainqueur la découvrira;

et peut-être dans la carrière

bientôt on me reconnaîtra.

(Son écuyer va suspendre sa bannière voilée ainsi que son bouclier à la colonne, du côté opposé à celui où Kaled et Alamir ont placé la leur.)

ZÉGRIS, KALED, ALAMIR

Quels est ce fier Abencérage ?

ABENCÉRAGES, NORAÏME

Grands dieux, soutenez son courage !

NORAÏME

Almanzor est innocent,

je le soutiens, je le jure;

et pour venger son injure,

le ciel arme un bras puissant.

GONZALVE

(Le guerrier)

(s'adressant aux juges du camp)

Que la mort soit le parlage

de qui trahirait sa foi;

du combat je jette la gage.

(Il jette son gant dans la lice.)

Qui l'ose relever ?

ALAMIR

Moi !

(Il fait un signe à son écuyer, qui va prendre le gant et le rapport à son adversaire.)

CHŒUR

Protége-nous, dieu secourable,

que par toi l'arrêt soit dicté;

ôte la victoire au coupable,

fait triompher la verité.

(Pendant ce chœur, le champ clos se ferme sous les yeux du spectateur par des faisceaux liés ensemble avec des écharpes. L'écuyer de l'inconnu va dèposer ses armes aux pieds de Noraïme, qui les lui présente elle-même; il donne l'accolade à Almanzor, qui va se placer hors de l'enceinte. Les juges du camp visitent les armes des combattans.)

LE HÈRAUT

(à l'entrée de la lice)

Dieu veut, le roi permet, les juges sont contents;

laissez aller les combattans. (1)

(1) Ces mots sont textuellement ceux que prononçait le hèraut d'armes en donnant le signal du combat.

Une fanfare donne le signal d'un combat à outrance, à la hache d'arme, au glaive et au poignard. À la dernière passe, Alamir, qui sent son infériorité, tire son poignard et s'élance sur son adversaire qui lui tendait la main pour le relever; l'inconnu, enflammé de colère, lui plonge son poignard dans la gorge et le tue.

ALÉMAR

Il triomphe ! ô terreur, ô rage !

CHŒUR

Victoire au noble Abencérage.

ALÉMAR

(allant vers les Zégris)

D'Almanzor pour sauver les jours,

braves Zégris, perdrons-nous la patrie

que sa honte a flétrie ?

Ma voix l'accuse et le poursuit toujours,

il a trahi les devoirs les plus saints;

le dépôt précieux, garant de nos destins,

de l'Espagnol est la conquête.

(à Almanzor)

Grenade l'a mis dans tes mains,

rends-lui son étendard.

Sur un signe de l'inconnu, son écuyer est entré dans la lice et a découvert sa bannière. L'on reconnaît l'étendard de Grenade.

GONZALVE

(Le guerrier)

Il flotte sur sa tête.

CHŒUR GÉNÉRAL

Ô prodige; ô bonheur.

Ensemble

ALMANZOR

Je recouvre à la fois et la vie et l'honneur.

NORAÏME

Il recouvre à la fois et la vie et l'honneur.

GONZALVE

(Le guerrier)

(il lève sa visière, on reconnait Gonzalve)

Maintenant, Alémar, tu peux me reconnaître;

j'ai vengé l'innocent, et je démasque un traître.

CHŒUR

Gonzalve !

GONZALVE

Illustres ennemis,

je rapporte en vos murs la bannière sacrée

qu'Alémar lui-même a livrée.

ALÉMAR

Tu pourrais...

GONZALVE

Octaïr en vos mains est remis;

il vous dévoilera son opprobre et son crime.

Mon roi, que l'honneur anime,

même après un revers, rougirait d'accepter

les secours qu'un perfide ose lui présenter.

CHŒUR

Pour venger nos communs outrages,

contre un perfide unissons-nous;

des Zégris, des Abencérages

qu'il sente à-la-fois le courroux.

ABDERAME

(entrant sur la scène)

De toutes parts la verité s'élève,

et trahit d'Alémar les complots insolens:

le roi n'a point rompu la trêve,

il offre, par ma voix, la paix aux Castillans.

CHŒUR

(des Zégris et des Abencérages s'avançant contre Alémar)

Vengeance, vengeance implacable !

ALMANZOR

Guerriers, contre ce grand coupable

votre juste ressentiment

doit au prince outragé laisser le châtiment.

ABDERAME

(aux gardes)

Qu'on l'emmène.

ALÉMAR

Tremblez de me laisser la vie;

tant qu'elle ne m'est pas ravie,

d'un triomphe insolent,

esclaves d'Almanzor, jouissez en tremblant.

(On l'emmène.)

[Finale]

CHŒUR

Un jour d'allégresse

vient réparer tous nos malheurs;

l'honneur, la gloire, la tendresse,

enivrent tous les cœurs.

La mort planait sur cette enceinte,

Gonzalve a su tout ranimer.

NORAÏME

Je puis donc me livrer sans crainte

au bonheur de t'aimer ?

Ensemble

ALMANZOR

(à Gonzalve)

Je vous dois, j'aime à le re redire,

mes jours, ma gloire, et mon bonheur.

NORAÏME

(à Gonzalve)

Je vous dois, j'aime à le re redire,

ses jours, sa gloire, et mon bonheur.

GONZALVE

Belle Noraïme, un sourire

a payé ton libérateur.

ABDERAME

À la fête de l'hyménée

consacrons nos brillans loisirs;

et que cette heureuse journée

ramène ici tous les plaisirs.

CHŒUR GÉNÉRAL

Jour de triomphe et d'alégresse,

viens réparer tous nos malheurs;

gloire, plaisirs, honneur, tendresse,

enivrez tous les cœurs.

Divertissement final.

Fin du livret.

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Locandina Acte premier Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Acte second Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Acte troisième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième