Avant-propos

Le trait historique sur lequel cette piece est fondée remonte à l'an de Rome 269, et se trouve consigné dans l'ouvrage de Winckelman intitulé: Monumenti antichi inediti. Sous le consulat de q. Fabius, et de Servilius Cornelius, la vestale Gorgia, éprise de la passion la plus violente pour Licinius, Sabin d'origine, l'introduisit dans le temple de Vesta, une nuit où elle veillait à la garde du feu sacré. Les deux amants furent découverts; Gorgia fut enterrée vive, et Liciniusse tua, pour se soustraire au supplice dont la loi punissait son crime.

En me proposant de transporter sur la scene lyrique une action dont le nœud, l'intérêt, et les détails me paraissaient convenir particulièrement à ce genre de spectacle, je ne me dissimulai pas les difficultés que presentait le dénouement.

La vérité historique exigeait que la vestale coupable subit la mort à laquelle sa faute l'avait exposè; mais cette affreuse catastrophe, qui pourrait, à la faveur d'un récit, trouver place dans une tragédie réguliere, était-elle de nature à pouvoir être consommée sous les yeux du spectateur ? Je ne le pense pas.

Le parti que j'ai pris de sauver la victime par un miracle, et de l'unir à celui qu'elle aimait, peut devenir l'objet d'une autre critique. On m'objectera que ce dénouement est contraire aux notions les plus connues, et aux lois inflexibiles auxquelles Les vestales étaient soumises. Je ne croirais pas avoir suffisamment justifié la liberté que j'ai prise en m'autorisant de toutes celles du genre même auquel cet ouvrage appartient, et de toutes les concessions qui lui ont été faites; je vais essayer de prouver en peu de mots qu'en admettant, en faveur de la Vestale que je mets en scene, une exception à la loi terrible dont elle avait encouru la rigueur, je me suis du moins ménagé des prétextes historique.

Sans doute on ne me demandera pas compte du miracle auquel Juliadoit la vie: l'histoire cite plusieurs vestales arrachées à la mort par ce moyen dont les prêtres de Rome s'étaient sans doute reservée le secret. J'ose croire même qu'on ne m'opposera pas le précepte d'Horace,

Nec deus intersit, nisi dignus vindice nodus.

Mais ce n'était pas assez d'arracher la vestale au supplice, le complément de l'action dramatique exigeait qu'elle épousât son amant; et tout en m'écartant de l'histoire en ce point seul de mon ouvrage, je puis encore m'autoriser de quelques faits consacrés par elle.

Il passait pour constant chez les Romains que le fondateur de leur empire, Romulus, devait le jour à l'hymen du dieu Mars et de la vestale Ilia: on sait aussi qu'Héliogabale (en tout autre circonstance je me garderais bien d'invoquer une pareille autorité); on sait, dis-je, qu'Héliogabale épousa la vestale Aquilia Severa, et que le sénat se prévalut d'exemples anciens, qu'il supposa peut- être, pour autoriser un semblable hymen. Enfin Dion Cassius parle, sans y croire il est vrai, d'une vestale Urbinia qui fuit relevée de ses vœux par l'ordre des décemvirs, et se maria peu de temps après.

J'ai pensé que ces témoignages, quelque récusables qu'ils puissent paraître, suffisaient au dégré de vraisemblance qu'exige le dénouement d'un drame lyrique, sur-tout en observant que Racine, dans la tragédie de Britannicus, s'est plus ouvertement encore écarté de l'histoire en plaçant Junie parmi Les vestales, et sans pouvoir s'autoriser d'aucune exception à la loi qui défendait qu'on y fùt reçu après l'age de dix ans.

À sa majesté l'impératrice-reine Avant-propos
Acte premier Acte deuxième Acte troisième

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