Acte cinquième

 

Premier tableau

Le bord de la mer couvert de tentes troyennes. On voit les vaisseaux troyens dans le port. Il fait nuit. Un jeune matelot phrygien chante en se balançant au haut du mât d’un navire. Deux sentinelles montent la garde devant les tentes au fond de la scène.

 Q 

Hylas, Premier soldat, Deuxième soldat

 
[N. 38 - Chanson d’Hylas]

 N 

 

HYLAS

Vallon sonore,    

où dès l’aurore

je m’en allais chantant, hélas !

Sous tes grands bois chantera-t-il encore,

le pauvre Hylas ?...

Berce mollement sur ton sein sublime,

ô puissante mer, l’enfant de Dindyme !

Fraîche ramée,

retraite aimée

contre les feux du jour, hélas !

quand rendras-tu ton ombre parfumée

au pauvre Hylas ?...

Berce mollement sur ton sein sublime,

ô puissante mer, l’enfant de Dindyme !

Humble chaumière

où de ma mère

je reçus les adieux, helas !

Reverra-t-il ton heureuse misère,

le pauvre Hylas ?...

S

Sfondo schermo () ()

 

PREMIER SOLDAT

Il rêve à son pays...

DEUXIÈME SOLDAT

qu’il ne reverra pas.

HYLAS

Berce mollement sur ton sein sublime,

ô puissante mer, l’enfant...

(Il s’endort.)

 
Entrent Panthée et les chefs troyens, puis les Ombres.

<- Panthée, Chefs troyens

 
[N. 39 - Récitatif et Chœur]

 N 

 

PANTHÉE

Préparez tout, il faut partir enfin.  

Énée en vain

voit avec désespoir l’angoisse de la reine,

la gloire et le devoir sauront briser sa chaîne

et son cœur sera fort au moment des adieux.

 

CHEFS TROYENS

Chaque jour voit grandir la colère des dieux.  

Des signes effrayants déjà nous avertissent;

la mer, les monts, les bois profonds gémissent;

sous d’invisibles coups nos armes retentissent;

comme dans Troie en la fatale nuit,

Hector, dont l’œil courroucé luit,

en armes apparaît; un chœur d’ombres le suit;

et ces morts irrités, ô terreur infinie !

la nuit dernière encore ont crié trois fois...

LES OMBRES INVISIBLES

Italie ! Italie ! Italie !

PANTHÉE, CHEFS TROYENS

Dieux vengeurs ! c’est leur voix !...

Nous avons trop longtemps bravé l’ordre céleste;

quittons sans plus tarder ce rivage funeste !

À demain ! à demain !

Préparons tout, il faut partir enfin.

 
(Ils entrent dans les tentes.)

Panthée, Chefs troyens ->

 
(Les deux soldats en sentinelle marchent, l’un de droite à gauche, l’autre de gauche à droite. Ils s’arrêtent de temps en temps l’un près de l’autre vers le milieu du théâtre.)
 
[N. 40 - Duo]

 N 

 

PREMIER SOLDAT

Par Bacchus ! ils sont fous avec leur Italie !...  

Je n’ai rien entendu.

DEUXIÈME SOLDAT

Ni moi.

PREMIER SOLDAT

La belle vie,

pourtant, qu’on mène ici !

DEUXIÈME SOLDAT

Dans plus d’une maison

nous trouvons et bon vin et grasse venaison.

PREMIER SOLDAT

A ma belle Carthaginoise,

je puis déjà parler phénicien.

DEUXIÈME SOLDAT

La mienne comprend le Troyen,

m’obéit sans me chercher noise.

PREMIER SOLDAT

La tienne comprend le Troyen ?

DEUXIÈME SOLDAT

M’obéit sans me chercher noise.

La femme n’est point rude ici pour l’étranger.

PREMIER SOLDAT, DEUXIÈME SOLDAT

La femme n’est point rude ici pour l’étranger.

PREMIER SOLDAT

Et l’on nous veut faire changer

ces douceurs contre un long voyage !

DEUXIÈME SOLDAT

Les caresses de l’orage !

PREMIER SOLDAT

La faim.

DEUXIÈME SOLDAT

La soif.

PREMIER SOLDAT

Vingt maux d’enfer !

DEUXIÈME SOLDAT

Et tous les ennuis de la mer !

PREMIER SOLDAT

Pour cette Italie...

DEUXIÈME SOLDAT

Où nous devons jouir du fruit de nos travaux...

PREMIER SOLDAT, DEUXIÈME SOLDAT

En nous faisant rompre les os...

PREMIER SOLDAT

Maudite folie !

DEUXIÈME SOLDAT

Encor pâtir!

PREMIER SOLDAT

Notre lot est l’obéissance.

DEUXIÈME SOLDAT

Silence !

Je vois Énée à grands pas accourir...

 
(Les deux sentinelles s’éloignent et disparaissent.)

Premier soldat, Deuxième soldat ->

 
Énée, s’avançant dans une grande agitation

<- Énée

 
[N. 41 - Récitatif mesuré et air]

 N 

 

ÉNÉE

Inutiles regrets !... je dois quitter Carthage !    

Didon le sait... son effroi, sa stupeur,

en l’apprenant, ont brisé mon courage...

mais je le dois... il le faut !... ô douleur !

non, je ne puis oublier la pâleur

frappant de mort son beau visage,

son silence obstiné, ses yeux

fixes et pleins d’un feu sombre...

en vain ai-je parlé des prodiges sans nombre

me rappelant l’ordre des dieux;

invoqué la grandeur de ma sainte entreprise,

l’avenir de mon fils et le sort des Troyens,

la triomphale mort par les destins promise,

pour couronner ma gloire aux champs ausoniens...

rien n’a pu la toucher; sans vaincre son silence

j’ai fui de son regard la terrible éloquence.

S

 

Ah! quand viendra l’instant des suprêmes adieux,  

heure d’angoisse et de larmes baignée,

comment subir l’aspect affreux

de cette douleur indignée !...

Lutter contre moi-même et contre toi, Didon,

en déchirant ton cœur implorer mon pardon !

En serai-je capable ?... En un dernier naufrage,

ah ! puissé-je périr, si je fuyais Carthage

sans te revoir pourtant !... sans la voir !... lâcheté !

Mépris des droits sacrés de l’hospitalité !

Non, non, reine adorée,

âme sublime et par moi déchirée,

bienfaitrice des miens; non, je veux te revoir,

une dernière fois presser tes mains tremblantes,

arroser tes genoux de mes larmes brûlantes,

dussé-je être brisé par un tel désespoir !

Sfondo schermo () ()

 
[N. 42 - Scène]

 N 

 

LES SPECTRES

Énée !...  

ÉNÉE

Encor ces voix !

 
(Les quatre spectres voilés paraissent successivement, l’un à l’entrée des coulisses à gauche du spectateur, l’autre à l’entrée des coulisses à droite, les deux autres au fond du théâtre. Au-dessus de la tête de chacun d’eux brille une couronne de petites flammes pâles.)

<- Le premier spectre

 

ÉNÉE

(apercevant le premier)

De la sombre demeure,

messager menaçant, qui donc t’a fait sortir ?...

LE PREMIER SPECTRE

Ta faiblesse et ta gloire...

ÉNÉE

Ah ! je voudrais mourir !

LE PREMIER SPECTRE

Plus de retards !

LE DEUXIÈME SPECTRE
(non encore visible)

Pas un jour !

LE TROISIÈME ET QUATRIÈME SPECTRES
(non encore visibles)

Pas une heure !

LE PREMIER SPECTRE

(levant son voile devant les yeux d’Énée)

Je suis Priam !... il faut vivre et partir !

 
(Sa couronne s’éteint; il disparaît. Énée, s’élançe éperdu vers le côté droit de la scène, y rencontre le deuxième spectre.)

Le premier spectre ->

<- Le spectre de Chorèbe

 

LE DEUXIÈME SPECTRE
(levant son voile)

Je suis Chorèbe !

Il faut partir et vaincre !

 
(Sa couronne s’éteint, il disparaît. Énée, recule vers le fond du théâtre y rencontre les deux autres spectres. Cassandre a le bras gauche appuyé sur l’épaule d’Hector. Hector est armé de pied en cap.)

Le spectre de Chorèbe ->

<- Le spectres de Cassandre, Le spectre d'Hector

 

ÉNÉE

(les reconnaissant au moment où ils se dévoilent)

Hector ! dieux de l’Érèbe !...

Cassandre !!!...

LE SPECTRES DE CASSANDRE, LE SPECTRE D'HECTOR

Il faut vaincre et fonder !...

 
(Leurs couronnes s’éteignent, ils disparaissent.)

Le spectres de Cassandre, Le spectre d'Hector ->

 

ÉNÉE

Je dois céder  

à vos ordres impitoyables !

J’obéis, j’obéis, spectres inexorables !

Je suis barbare, ingrat; vous l’ordonnez, grands dieux !

et j’immole Didon, en détournant les yeux.

 
[N. 43 - Scène et Chœur]

 N 

 

ÉNÉE

(passant devant les tentes)

Debout, Troyens, éveillez-vous, alerte !  

Le vent est bon, la mer nous est ouverte !

Il faut partir avant le lever du soleil !

 

<- Les Troyens

CHŒUR

(sortant des tentes)  

Alerte !... entendez-vous, amis, la voix d’Énée ?...

donnez partout le signal du réveil...

ÉNÉE
(à un chef)

Va, cours, porte cet ordre à l’oreille étonnée

d’Ascagne: qu’il se lève et qu’il se rende à bord !

Avant le jour il faut quitter le port.

Ma tâche, jusqu’au bout, grands dieux, sera remplie !

alerte, amis ! profitons des instants !

Coupez les câbles, il est temps !

En mer ! en mer ! Italie ! Italie !

CHŒUR

Voici le jour, profitons des instants !

Coupons les câbles, il est temps !

En mer ! en mer ! Italie ! Italie !

ÉNÉE

(se tournant du côté du palais)

A toi mon âme ! Adieu ! digne de ton pardon,

je pars, noble Didon !

L’impatient destin m’appelle;

pour la mort des héros, je te suis infidèle.

 
Tous se précipitent hors de la scène dans diverses directions, comme pour faire des préparatifs de départ. On voit les vaisseaux commencer à se mettre en mouvement. Éclairs et tonnerre lointain. Les matelots criente de noveau: Italie ! La marche troyenne retentit. Ascagne arrive conduit par un chef troyen. Énée, resté un instant immobile, semble se ranimer à ces clameurs guerrières et monte sur un vaisseau. Le soleil se lève.

Les Troyens, Hylas ->

 
[N. 44 - Duo et Chœur]

 N 

 

<- Didon

DIDON

Errante sur tes pas,    

sous la foudre qui gronde,

j’ai voulu voir, je vois et ne crois pas...

tu prépares ta fuite ?

S

ÉNÉE

En ma douleur profonde,

chère Didon, épargnez-moi !

DIDON

Tu pars ? tu pars ?

Sans remords ! quoi !

Dédaigneux du sceptre de Libye,

en m’arrachant le cœur tu cours en Italie !

ÉNÉE

J’ai trop tardé... des dieux les ordres souverains...

DIDON

Il part !... il suit la voix d’implacables destins,

sans écouter la mienne ! à ses lâches dédains

il me voit exposer ma douleur surhumaine,

(Elle voit un groupe de Troyens sourire en la regardant.)

Et ma beauté de reine

aux rires insolents de ces ingrats Troyens !...

ÉNÉE

Didon!

DIDON

Sans qu’à l’aspect d’une telle misère

la pitié d’une larme humecte sa paupière !

Tu pars ? non ! ce n’est pas Vénus qui t’enfanta,

quelque louve hideuse aux forêts t’allaita !

ÉNÉE

Ô reine, quand à vous se dévoua mon âme,

elle subit la loi d’un immortel amour,

et jusqu’au dernier jour

mon cœur vivra de cette flamme...

DIDON

Tais-toi ! rien ne t’arrête;

la mort qui plane sur ma tête,

ma honte, mon amour, notre hymen commencé,

mon nom du livre d’or dès ce jour effacé !

Encor, si de ta foi, j’avais un tendre gage,

oui, si d’un fils d’Énée

le fier et doux visage

me rappelant tes traits, souriait sur mon sein,

je serais moins abandonnée...

ÉNÉE

Je vous aime, Didon: grâce ! l’ordre divin

pouvait seul emporter la cruelle victoire.

 
(On entend la fanfare de la marche troyenne.)
 

DIDON

A ce chant de triomphe où rayonne ta gloire,

je te vois tressaillir !

Tu pars ?

ÉNÉE

Je dois partir...

DIDON

Tu pars ?

ÉNÉE

Mais pour mourir,

obéissant aux dieux,

je pars et je vous aime !

DIDON

Ne sois plus longtemps par mes cris arrêté,

monstre de piété !

Va donc, va ! je maudis et tes dieux et toi-même !

 
(Elle sort. Des groupes de soldats troyens occupés des préparatifs du départ passent et se dirigent vers les vaisseaux.)

Didon ->

 

ÉNÉE, LES TROYENS

Italie !  

 
(Ascagne arrive conduit par un chef troyen. Énée monte sur un vaisseau.)

<- Ascagne, Un chef troyen

 
 

Deuxième tableau

Un appartement de Didon. Le jour se lève.

 Q 

Didon, Anna, Narbal

 
[N. 45 - Scène]

 N 

 

DIDON

Va, ma sœur, l’implorer.  

De mon âme abattue

l’orgueil a fui. Va ! ce départ me tue

et je le vois se préparer.

ANNA

Hélas ! moi seule fus coupable,

en vous encourageant à former d’autres nœuds.

Peut-on lutter contre les dieux ?...

son départ est inévitable...

et pourtant il vous aime.

DIDON

Il m’aime ! non ! non ! son cœur est glacé.

Ah ! je connais l’amour, et si Jupiter même

m’eût défendu d’aimer, mon amour insensé

de Jupiter braverait l’anathème.

Mais va, ma sœur, allez, Narbal, le supplier

pour qu’il m’accorde encore

quelques jours seulement. Humblement je l’implore:

ce que j’ai fait pour lui, pourra-t-il l’oublier,

et repoussera-t-il cette instance suprême

de vous, sage Narbal, de toi, ma sœur, qu’il aime ?...

 
[N. 46 - Scène]

 N 

 

CHŒUR

(au loin derrière la scène)

En mer, voyez ! six vaisseaux ! sept ! neuf ! dix !  

 

<- Iopas

IOPAS

(entrant)

Les Troyens sont partis !

DIDON

Qu’entends-je ?

IOPAS

Avant l’aurore

leur flotte était en mer, on l’aperçoit encore !

DIDON

Dieux immortels ! il part ! Armez-vous, Tyriens !

Carthaginois, courez, poursuivez les Troyens !

Courbez-vous sur les rames,

volez sur les eaux,

lancez des flammes,

brûlez leurs vaisseaux !

Que la ville entière...

que dis-je ?... impuissante fureur !

Subis ton sort et désespère,

dévore ta douleur,

ô malheureuse !

Et voilà donc la foi de cette âme pieuse ! *

J’offrais un trône !... Ah ! je devais alors

exterminer la race vagabonde

de ces maudits, et disperser sur l’onde

les débris de leurs corps !

C’est alors qu’il fallait prévoir leur perfidie,

livrer leur flotte à l’incendie,

et me venger d’Énée et lui servir enfin

les membres de son fils en un hideux festin !...

À moi, dieux des enfers ! l’Olympe est inflexible !...

aidez-moi ! que par vous mon cœur soit enflammé

d’une haine terrible

pour ce fugitif que j’aimai !

Du prêtre de Pluton, qu’on réclame l’office !

pour apaiser mes douloureux transports,

à l’instant même offrons un sacrifice

aux sombres déités de l’empire des morts !

Qu’on élève un bûcher; que les dons du perfide

et ceux que je lui fis, dans la flamme livide,

souvenirs détestés, disparaissent !... Sortez!

* Pius Aeneas. (Virgile)

NARBAL
(à Anna)

Son regard m’épouvante, ô princesse, restez !

DIDON

Anna, suivez Narbal.

ANNA

Que ma sœur me pardonne !...

DIDON

Je suis reine et j’ordonne;

laissez-moi seule, Anna.

 
(Anna, Narbal et Iopas sortent.)

Anna, Narbal, Iopas ->

 
Didon parcourt la scène en se frappant la poitrine, s’arrachant les cheveux * et poussant des cris inarticulés. Puis elle s'arrête bvrusquement.
* Flaventesque abscissa comas. (Virgile)
 
[N. 47 - Monologue]

 N 

 

DIDON

Je vais mourir !...  

Dans ma douleur immense submergée...

et mourir non vengée !...

Mourons pourtant... Oui, puisse-t-il frémir

à la lueur lointaine de la flamme de mon bûcher !

S’il reste dans son âme quelque chose d’humain,

peut-être il pleurera sur mon affreux destin.

Lui, me pleurer !...

Énée !... Énée !...

Oh ! mon âme te suit,

à son amour enchaînée,

esclave, elle l’emporte en l’éternelle nuit...

Vénus ! rends-moi ton fils !... Inutile prière

d’un cœur qui se déchire !... À la mort tout entière

Didon n’attend plus rien que de la mort.

 
[N. 48 - Air]

 N 

 

 

Adieu, fière cité, qu’un généreux effort  

si promptement éleva florissante;

ma tendre sœur qui me suivis errante,

adieu, mon peuple, adieu; adieu, rivage vénéré,

toi qui jadis m’accueillis suppliante;

adieu, beau ciel d’Afrique, astres que j’admirai

aux nuits d’ivresse et d’extase infinie;

je ne vous verrai plus, ma carrière est finie !...

(Elle sort à pas lents.)

Didon ->

 
 
 

Troisième tableau

Une partie des jardins de Didon, sur le bord de la mer. Un vaste bûcher est élevé; on y monte par des gradins latéraux. Sur la plate-forme du bûcher sont placés un lit, une toge, un casque, une épée avec son baudrier, et un buste d’Énée.
Entrent les Prêtres de Pluton, revêtus de costumes funèbres; ils viennent processionnellement se grouper auprès de deux autels où brillent des flammes verdâtres, puis Anna, Narbal, et enfin Didon voilée et couronnée de feuillage. Pendant la première partie du Chœur des prêtres, Anna, s’approchant de sa sœur, lui dénoue sa chevelure et lui ôte le cothurne de son pied gauche *.

 Q 

<- Un prêtre de Pluton, Prêtres de Pluton, Anna, Narbal, Didon

 
* Unum exuta pedem vinclis. (Virgile)
Nuda pedem, nudis humeris infusa capillos. (Ovide)
Canidiam, pedibus nudis, passoque capillo. (Horace)
C'était une partie du cérémonial dans les sacrifices aux dieux infernaux.
 
[N. 49 - Cérémonie funèbre]

 N 

 

CHŒUR DE PRÊTRES DE PLUTON

Dieux de l’oubli, dieux du Ténare,  

au cœur blessé rendez la force et le repos !

Des profondeurs du noir Tartare

entendez-nous, Hécate, Érèbe, et toi Chaos !

ANNA ET NARBAL

(étendant le bras droit du côté de la mer)

S’il faut enfin qu’Énée aborde en Italie,

qu’il y trouve un obscur trépas !

Que le peuple latin à l’ombrien s’allie

pour arrêter ses pas !

Percé d’un trait vulgaire en la mêlée ardente,

qu’il reste abandonné sur l’arène sanglante,

pour servir de pâture aux dévorants oiseaux !

Entendez-nous, Hécate, Érèbe, et toi Chaos !

LES PRÊTRES, ANNA, NARBAL

Dieux de l’oubli, dieux du Ténare,

au cœur blessé rendez la force et le repos !

Des profondeurs du noir Tartare

entendez-nous, Hécate, Érèbe, et toi Chaos !

 
[N. 50 - Scène]

 N 

 

DIDON
(parlant comme en songe)

Pluton... semble m’être propice...  

en ce cruel instant... Narbal... ma sœur...

c’en est fait... achevons le pieux sacrifice...

je sens rentrer le calme... dans mon cœur.

 
(Deux prêtres portant le premier autel s’avancent de gauche à droite, deux autres portant le second s’avancent de droite à gauche et font en se croisant ainsi le tour du bûcher. Didon, le pied gauche nu, les cheveux épars, après avoir déposé sur l’un des autels sa couronne de feuillage, le suit d’un pas saccadé. Pendant ce mouvement processionnel, Anna est à genoux à droite de la scène et Narbal à gauche. Entre eux le grand-prêtre de Pluton, debout, étend, en la tenant des deux mains, la fourche plutonique vers le bûcher. Didon enfin, saisi d’une énergie convulsive, monte rapidement * les degrés du bûcher. Parvenue au sommet, elle saisit la toge d’Énée, détache le voile brodé d’or qui couvre sa tête, et les jetant l’une et l’autre sur le bûcher, elle dit:)
* Conscendit furibonda Rogos. (Virgile)

DIDON

D’un malheureux amour, funestes gages,  

dans la flamme emportez avec vous mes chagrins !

(Elle considère un instant les armes d’Énée... se prosterne sur le lit, qu’elle embrasse avec des sanglots convulsifs... et prenant l’épée:)

Mon souvenir vivra parmi les âges **.

Mon peuple accomplira d’héroïques destins.

Un jour sur la terre africaine,

il naîtra de ma cendre un glorieux vengeur...

J’entends déjà tonner son nom vainqueur.

Annibal ! Annibal !... d’orgueil mon âme est pleine !

Plus de souvenirs amers !

c’est ainsi qu’il convient de descendre aux enfers !

(Elle tire l’épée du fourreau, se frappe et tombe sur le lit.)

** Les anciens croyaient que les mourants, quelques instants avant leur mort, acquéraient la connaissance de l'avenir.
 
[N. 51 - Chœur]

 N 

 

TOUS

Au secours !... au secours !... la reine s’est frappée !  

 
(Narbal sort comme pour aller chercher du secours.)

Narbal ->

 

CHŒUR
(derrière la scène et accourant)

Quels cris ! ah ! dans son sang trempée,

la reine meurt !...

 
(Narbal rentre, le grand chœur entre en scène.)

<- Narbal, Peuple

 

NARBAL

Est-il vrai ?... jour d’horreur !  

 
(Les femmes de la reine, les officiers du palais accourent. Anna s'elance sur le bûcher, presse comvulsivement sa sœur dans ses bras, étanche le sang de sa blessure.)

<- Femmes de la reine, Officiers du palais

 

DIDON

(se relevant appuyée sur son coude et regardant le ciel)  

Ah!

ANNA

Ma sœur!

DIDON

(retombant)

Ah!...

ANNA

C’est moi, c’est ta sœur qui t’appelle !...

DIDON

(se relevant à demi)

Des destins ennemis... implacable fureur !...

Carthage... périra !...

 
On voit dans une gloire lointaine le Capitole romain au fronton duquel brille ce mot : ROMA. Devant le Capitole défilent des légions et un empereur entouré d’une cour de poètes et d’artistes. Pendant cette apothéose, invisible aux Carthaginois, on entend au loin la marche troyenne transmise aux Romains par la tradition et devenue leur chant de triomphe.
 
[N. 52 - Imprécation]

 N 

 

DIDON

Rome... Rome... immortelle!

 
(Elle retombe, et meurt. Anna tombe évanouie à côté d’elle. Le peuple de Carthage, s’avançant vers l’avant-scène et tournant le dos au bûcher, lance son imprécation, premier cri de guerre punique, contrastant par sa fureur avec la solennité de la marche triomphale.)
 

CHŒUR

Haine éternelle à la race d’Énée !  

Qu’une guerre acharnée

précipite à jamais nos fils contre ses fils !

Que par nos vaisseaux assaillis

leurs vaisseaux dans la mer profonde

périssent abîmés ! que sur la terre et l’onde

nos derniers descendants, contre eux toujours armés,

de leur massacre, un jour, épouvantent le monde !

 
 

Final primitif

Remplacé par le texte définitif à partir de la dernière réplique de Didon avant le N. 52.

 
[N. 52 bis - Final primitif]

 N 

 
(L’arc-en-ciel se déploie au-dessus du bûcher, et un rayon solaire décomposé présentant les sept couleurs primitives tombe sur le corps de Didon.)
 

UN PRÊTRE DE PLUTON

La mourante bénie  

excite la pitié des dieux.

 
(Iris paraît dans l’air et passe au-dessus du bûcher en répandant des pavots sur la reine mourante. Tous se prosternent à l’apparition divine d’Iris.)

<- Iris

 

UN PRÊTRE DE PLUTON

Iris descend des cieux

pour finir son agonie.

 
(L’arc-en-ciel disparaît avec Iris. Le rayon décomposé persiste.)

Iris ->

 

UN PRÊTRE DE PLUTON

Répétez avec moi

la formule sacrée:

« Âme souffrante exhale-toi...

NARBAL, CHŒUR

« Âme souffrante exhale-toi...

UN PRÊTRE DE PLUTON

au nom des dieux de ton corps délivrée. »

NARBAL, CHŒUR

au nom des dieux de ton corps délivrée. »

 
(Le rayon disparaît. Didon meurt. Anna tombe évanouie à côté d’elle.)
 

UN PRÊTRE DE PLUTON

Elle n’est plus, la reine est expirée!

 

NARBAL, UN PRÊTRE DE PLUTON, CHŒUR

Sur son bûcher et par son sang royal  

consacrons aujourd’hui l’étendard de Carthage!

Que le même serment tous ici nous engage

dans un destin fatal!

Haine à la race d’Énée!

Qu’une guerre acharnée

précipite à jamais nos fils contre ses fils!

Que par nos vaisseaux assaillis

leurs vaisseaux dans la mer profonde

périssent abîmés! Que sur la terre et l’onde

nos derniers descendants, contre eux toujours armés,

de leur massacre, un jour, épouvantent le monde!

 
 

Épilogue

Une toile d’avant-scène s’abaisse, représentant le Temps suivi du cortège des heures, dont douze sont vêtues de tuniques blanches et roses et douze de tuniques noires étoilées d’or. On entend un murmure mystérieux d’orchestre entrecoupé de bruits pompeux.
La toile d’avant-scène se lève et l’on voit dans une gloire le Capitole romain. La scène est vide; sur l’une des côtés seulement la muse de l’histoire, Clio, ayant auprès d’elle une Renommée. On entend retentir dans le mode triomphal la Marche troyenne, transmise par la tradition et devenue le chant de triomphe des Romains.
On voit passer devant le Capitole un guerrier couvert d’une armure éclatante conduisant des légions romaines.

 Q 

Clio, Renommée

<- Guerrier armé, Légions romaines

 

CLIO

Scipioni Africano! gloria!  

 
(On voit passer un autre guerrier couronné de lauriers marchant à la tête d’autres légions.)

<- Autre guerrier armé, Autres légions romaines

 

 

Julio Caesari! gloria!

 
(On voit passer un empereur entouré d’une cour de poètes et d’artistes.)

<- Empereur, Poètes, Artistes

 

 

Imperatori Augusto et divo Virgilio! gloria! gloria!

Fuit Troja,

stat Roma!

SOPRANO
(au fond du théâtre)

Stat Roma!

TÉNOR
(encore plus loin)

Stat Roma!

 

Fin (Acte cinquième)

Acte premier Acte deuxième Prologue Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

Le bord de la mer couvert de tentes troyennes. On voit les vaisseaux troyens dans le port.

Hylas, Premier soldat, Deuxième soldat
 

[N. 38 - Chanson d’Hylas]

Hylas, Premier soldat, Deuxième soldat
Vallon sonore
Hylas, Premier soldat, Deuxième soldat
<- Panthée, Chefs troyens

[N. 39 - Récitatif et Chœur]

Préparez tout, il faut partir enfin

Chefs troyens, Ombre invisibles, Panthée
Chaque jour voit grandir la colère des dieux
Hylas, Premier soldat, Deuxième soldat
Panthée, Chefs troyens ->

[N. 40 - Duo]

Hylas
Premier soldat, Deuxième soldat ->
Hylas
<- Énée

[N. 41 - Récitatif mesuré et air]

Inutiles regrets !... je dois quitter Carthage !

[N. 42 - Scène]

Énée !... / Encor ces voix !

Hylas, Énée
<- Le premier spectre

Hylas, Énée
Le premier spectre ->
Hylas, Énée
<- Le spectre de Chorèbe

Hylas, Énée
Le spectre de Chorèbe ->
Hylas, Énée
<- Le spectres de Cassandre, Le spectre d'Hector

Hylas, Énée
Le spectres de Cassandre, Le spectre d'Hector ->

Je dois céder / à vos ordres impitoyables !

[N. 43 - Scène et Chœur]

Debout, Troyens, éveillez-vous, alerte !

Hylas, Énée
<- Les Troyens

Alerte !... entendez-vous, amis, la voix d’Énée ?...

Énée
Les Troyens, Hylas ->

[N. 44 - Duo et Chœur]

Énée
<- Didon
Didon, Énée, Chœur
Errante sur tes pas
Énée
Didon ->

Italie !

Énée
<- Ascagne, Un chef troyen

Un appartement de Didon.

Didon, Anna, Narbal
 

[N. 45 - Scène]

Va, ma sœur, l’implorer

[N. 46 - Scène]

En mer, voyez ! six vaisseaux ! sept ! neuf ! dix !

Didon, Anna, Narbal
<- Iopas

Didon
Anna, Narbal, Iopas ->

[N. 47 - Monologue]

Je vais mourir !...

[N. 48 - Air]

Didon ->

Une partie des jardins de Didon, sur le bord de la mer. Un vaste bûcher est élevé; on y monte par des gradins latéraux. Sur la plate-forme du bûcher sont placés un lit, une toge, un casque, une épée avec son baudrier, et un buste d’Énée.

<- Un prêtre de Pluton, Prêtres de Pluton, Anna, Narbal, Didon

[N. 49 - Cérémonie funèbre]

[N. 50 - Scène]

Pluton... semble m’être propice...

D’un malheureux amour, funestes gages

[N. 51 - Chœur]

Un prêtre de Pluton, Prêtres de Pluton, Anna, Didon
Narbal ->
 
Un prêtre de Pluton, Prêtres de Pluton, Anna, Didon
<- Narbal, Peuple

Est-il vrai ?... jour d’horreur !

Un prêtre de Pluton, Prêtres de Pluton, Anna, Didon, Narbal, Peuple
<- Femmes de la reine, Officiers du palais

Ah! / Ma sœur! / Ah!... / C’est moi, c’est ta sœur qui t’appelle !...

[N. 52 - Imprécation]

[N. 52 bis - Final primitif]

La mourante bénie

Un prêtre de Pluton, Prêtres de Pluton, Anna, Didon, Narbal, Peuple, Femmes de la reine, Officiers du palais
<- Iris

(L’arc-en-ciel disparaît avec Iris. Le rayon décomposé persiste.)

Un prêtre de Pluton, Prêtres de Pluton, Anna, Didon, Narbal, Peuple, Femmes de la reine, Officiers du palais
Iris ->

Narbal, Le grand-prêtre, Chœur
Sur son bûcher et par son sang royal

(Une toile d’avant-scène s’abaisse, représentant le Temps suivi du cortège des heures, dont douze sont vêtues de tuniques blanches et roses et douze de tuniques noires étoilées d’or. On voit passer devant le Capitole un guerrier couvert d’une armure éclatante conduisant des légions romaines.)

La toile d’avant-scène se lève et l’on voit dans une gloire le Capitole romain.La scène est vide; sur l’une des côtés seulement la muse de l’histoire, Clio, ayant auprès d’elle une Renommée.

Clio, Renommée
 
Clio, Renommée
<- Guerrier armé, Légions romaines

Scipioni Africano! gloria!

Clio, Renommée, Guerrier armé, Légions romaines
<- Autre guerrier armé, Autres légions romaines

Clio, Renommée, Guerrier armé, Légions romaines, Autre guerrier armé, Autres légions romaines
<- Empereur, Poètes, Artistes

 
Premier tableau Deuxième tableau Troisième tableau Final primitif Épilogue
L’emplacement du camp abandonné des Grecs dans la plaine de Troie. À gauche du spectateur et à quelque... Un appartement du palais d’Énée. Un intérieur du palais de Priam. Dans le fond, une galerie à colonnade dont le parapet peu élevé donne sur... La première toile d'avant-scène est livée. Une seconde toile d'avant-scène est baissée... Une vaste salle de verdure du palais de Didon à Carthage. Sur l’un des côtés s’élève... Une forêt vierge d’Afrique, au matin. Au fond, un rocher très élevé. Au bas et à gauche du rocher,... Les jardins de Didon sur le bord de la mer. Le bord de la mer couvert de tentes troyennes. On voit les vaisseaux troyens dans le port. Un appartement de Didon. Une partie des jardins de Didon, sur le bord de la mer. Un vaste bûcher est élevé;... La toile d’avant-scène se lève et l’on voit dans une gloire le...
[N. 1 - Chœur de la populace troyenne] [N. 2 - Récitatif et air] [N. 3 - Duo] [N. 4 - Marche et hymne] [N. 5 - Combat de ceste. Pas de lutteurs] [N. 6 - Pantomime] [N. 6 bis - Scène de Sinon] [N. 7 - Récit] [N. 8 - Ottetto et double Chœur] [N. 9 - Récitatif et Chœur] [N. 10 - Air] [N. 11 - Final: Marche troyenne] [N. 12 - Scène et récitatif] [N. 13 - Récitatif et Chœur] [N. 14 - Chœur - Prière] [N. 15 - Récitatif et Chœur] [N. 16 - Final] [Lamento instrumental - Légende et marche troyennes] [N. 17 - Chœur] [N. 18 - Chant national] [N. 19 - Récitatif et air] [N. 20 - Entrée des constructeurs] [N. 21 - Entrée des matelots] [N. 22 - Entrée des laboureurs] [N. 23 - Récitatif et Chœur] [N. 24 - Récitatif et duo] [N. 25 - Récitatif et air] [N. 26 - Marche troyenne dans le mode triste] [N. 27 - Récitatif] [N. 28 - Final] [N. 29 - Chasse royale et orage - Pantomime] [N. 30 - Récitatif] [N. 31 - Air, Cavatine et Duo] [N. 32 - Marche pour l’entrée de la reine] [N. 33 - Ballets] [N. 34 - Scène et chant d’Iopas] [N. 35 - Récitatif et quintette] [N. 36 - Récitatif et septuor] [N. 37 - Duo] [N. 38 - Chanson d’Hylas] [N. 39 - Récitatif et Chœur] [N. 40 - Duo] [N. 41 - Récitatif mesuré et air] [N. 42 - Scène] [N. 43 - Scène et Chœur] [N. 44 - Duo et Chœur] [N. 45 - Scène] [N. 46 - Scène] [N. 47 - Monologue] [N. 48 - Air] [N. 49 - Cérémonie funèbre] [N. 50 - Scène] [N. 51 - Chœur] [N. 52 - Imprécation] [N. 52 bis - Final primitif]
Acte premier Acte deuxième Prologue Acte troisième Acte quatrième

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