Acte second

 

Scène première

Le théâtre représente un rivage de la mer.
Doris, Cidippe.

 Q 

Doris, Cidippe

 

CIDIPPE

Vous suivez un penchant trop flateur et trop doux,  

je doute que Pélée ait de l'amour pour vous.

Son feu, s'il vous aimoit, craindroit moins de paroître,

ses soins seroient plus empressez,

il vous tient des discours douteux, embarassez,

l'amour par ses regards ne se fait point connoître;

on l'aperçoit bien mieux

dans vôtre bouche, et dans vos yeux.

DORIS

Non, j'aime trop pour m'y pouvoir méprendre.

Des soins toûjours craintifs, un timide embaras,

sont les effets de l'amour le plus tendre;

 

 

c'est en soûpirant tout bas  

qu'il se fait le mieux entendre.

CIDIPPE

On croit facilement qu'on inspire les feux

que l'on ressent soy-même,

on se flate si-tôt qu'on aime,

et tout paroît amour à des yeux amoureux.

DORIS

Pélée aime en secret, tout marque sa tendresse,

à quel objet ses vœux pourroient-ils être offerts ?

Il voit sauvent Thétis, mais le soin qui le presse

est de servir le dieu des mers,

il n'est pas son rival auprès dune déesse.

Tout semble déclarer

que c'est moy qu'il adore;

mais j'en croy mieux encore

mon cœur qui m'en ose assûrer.

CIDIPPE

Ne seray-je point trop sincère,

si je vous avertis

d'un secret qui doit vous déplaire ?

J'ay veu dans un lieu solitaire

Pélée entretenir Thétis,

 

 

le hazard seul n'eût pû les y conduire,  

sans entendre leurs voix, je sçeus assez m'instruire

de leurs mutuelles amours,

par leur regards j'entendis leurs discours.

DORIS

Il aimeroit Thétis ? Ciel ! cet affreux supplice

seroit-il réservé pour ma secrette ardeur ?

Mais je la voy, pour lire dans son cœur

je veux employer l'artifice.

 

Scène deuxième

Thétis, Doris, Cidippe.

<- Thétis

 

DORIS

Déesse, venez-vous sur ce bord écarté  

rêver aux conquêtes brillantes

que fait vôtre beauté ?

THÉTIS

Ce qui peut les rendre charmantes

n'est que la seule vanité.

Les dieux ont peu d'amour, on ne doit point attendre

que leur cœur tout entier s'en laisse posseder,

ces amans son aisez à prendre,

et difficiles à garder.

DORIS ET CIDIPPE

Un tendre amour doit avoir l'avantage

sur un rang éclatant,

le plus glorieux hommage

est celuy d'un cœur constant.

 

DORIS

Quelque fois un mortel me jure  

qu'il est touché du pouvoir de mes yeux;

si j'en étois bien sûre,

je le préfererois aux dieux.

THÉTIS

Et quel est cét amant ? l'amitié vous engage

à me laisser entrer dans un secret si doux.

DORIS

Pélée a pris des soins... Vous changez de visage ?

Pourquoy vous troublez-vous ?

THÉTIS

J'ignorois qu'il fût dans vos chaînes,

avec bien du mystere il a conduit ses feux.

 

DORIS

L'amour discret cache ses peines,  

à l'objet même de ses vœux.

 

 

Mais je voy Mercure descendre,  

je croy que sans témoins vous le voulez entendre.

 

Doris, Cidippe ->

 

Scène troisième

Thétis, Mercure.

<- Mercure

 

MERCURE

Jupiter attiré par vos divins appas  

va paroître icy bas.

Quand Neptune vous rend les armes,

ce triomphe pour vous est trop peu glorieux;

l'amour devoit à tant de charmes

la conquête d'un dieu maître des autres dieux.

THÉTIS

Je sçay que Jupiter tient tout sous son empire,

 

 

que les dieux révèrent ses loix;  

Mercure, on n'a rien à me dire

sur le respect que je luy dois.

 

Mercure ->

 

Scène quatrième

Thétis.

 

 

Tristes honneurs, gloire cruelle,    

ah ! que vous me gênez !

Tristes honneurs, gloire cruelle,

pourquoy m'êtes-vous destinez ?

Mon amant n'est qu'un infidelle !

Dieux ! quel trouble saisit tous mes sens étonnéz

le perfide trahit une flame si belle !

Hélas ! mes jours infortunez

vont couler dans l'horreur d'une peine éternelle.

S

 

Tristes honneurs, gloire cruelle,  

pourquoy m'êtes-vous destinez ?

Vous qu'en ces lieux l'amour appelle,

retournez dans le ciel que vous abandonnez,

laissez-moy m'occuper de ma douleur mortelle;

à de trop justes pleurs mes yeux sont condamnez.

Tristes honneurs, gloire cruelle,

pourquoy m êtes-vous destinez ?

 

Scène cinquième

Thétis, Pélée.

<- Pélée

 

PÉLÉE

Enfin je vous revoy, quel bonheur pour ma flame !  

Que ces moments me semblent doux !

THÉTIS

Allez chercher Doris, elle a touché vôtre ame,

je sçay que vôtre cœur se partage entre nous.

PÉLÉE

Ô ciel ! que vous entens-je dire ?

Quoy ? lorsqu'à vôtre hymen vous souffrez que j'aspire...

THÉTIS

Non, ingrat, non perfide, il n'y faut plus penser,

mon hymen t'eût comblé de gloire,

mais il te plaît d'y renoncer

par une trahison si noire.

Non, ingrat, non perfide, il n'y faut plus penser.

PÉLÉE

Ah ! quels noms pleins d'horreur me faites vous entendre ?

Quel traitement, grands dieux ! et l'amour le plus tendre

peut-il se l'être attiré ?

THÉTIS

Ton crime est trop assûré,

tu ne sçaurois t'en defendre.

En vain des plus grands dieux j'avois touché le cœur,

je te sacrifiois leur majesté suprême,

et j'eusse encor voulu que Jupiter luy-même

eût eu plus de grandeur.

Tu me fais cependant la plus cruelle injure,

tu brûles pour d'autres appas;

quel destin est le mien ? hélas !

C'est le sort d'une ardeur trop fidelle et trop pure

de trouver toûjours des ingrats.

PÉLÉE

Le croyezs-vous, belle déesse ?

Quoy? vous m'aimez, et de vôtre tendresse

j'ignorerois le prix ?

Quoy ? vous m'aimez, et j'aimerois Doris ?

Le croyez-vous, belle déesse ?

Ah ! pour vous détromper d'un soupçon qui me blesse,

j'iray, même à vos yeux, l'accabler de mépris.

THÉTIS

Ne croy point m'éblouïr par une fausse adresse.

On voit des éclairs, et on entend le tonnerre.

Mais je puis me vanger, ces éclairs que je voy,

ce tonnerre qui gronde,

m'annoncent le maître du monde,

je sçauray me forcer à recevoir sa foy,

mon cœur s'est engagé sur l'apparence vaine

des feux que tu feignis pour moy,

et je veux l'en punir en m'imposant la peine

d'en aimer un autre que toy.

PÉLÉE

Et moy, jè vais le voir ce rival redoutable,

pour attirer sur moy sa haine impitoyable;

 

 

mon amour va se découvrir;  

je vous parois coupable,

je ne cherche plus qu'a mourir.

THÉTIS

Ah ! que dis-tu ? fuy sa présence,

quitte des lieux pleins de danger.

PÉLÉE

Si je vous ay pû faire une mortelle offense,

c'est au tonnerre à vous vanger.

THÉTIS

Eloigne-toy, le bruit redouble,

je ne puis plus te voir icy sans trouble.

PÉLÉE

À me chasser vos efforts seront vains,

si je ne voy finir vôtre injustice extrême.

THÉTIS

Va, fuy; te montrer que je crains,

c'est te dire assez, que je t'aime.

 
Jupiter descend du ciel.

Pélée ->

 

Scène sixième

Jupiter, Thétis.

<- Jupiter

 

JUPITER

Déesse, dans ces lieux mon amour me conduit  

avec tout l'éclat qui me suit;

pour d'autres beautez moins charmantes

j'ay souvent emprunté des formes différentes,

mais il faut que mes soins soient plus dignes de vous,

il faut qu'à vos attraits mon hommage réponde,

et c'est comme maître du monde

que je veux être a vos genoux.

THÉTIS

Permettez, que mon cœur prenne peu d'assurance

sur des soins trop flateurs que je n'attendois pas,

je sçay quels sont mes appas,

et quelle est vôtre constance.

JUPITER

Il est vray que jusqu'à ce jour

j'ay pris pour cent beautez un inconstant amour;

mais vôtre gloire en deviendra plus belle,

lorsqu'à vos charmes seuls mes vœux seront offerts,

et vous triompherez de tant d'objets divers

en me rendant fidelle.

 

 

Rien n'est plus doux que d'arrester  

un cœur volage,

c'est un avantage

dont vous devez vous flater.

THÉTIS

Rien n'est capable d'arrester

un cœur volage,

c'est un avantage

dont on ne peut se flater.

JUPITER

Rien n'est plus doux que d'arrester

un cœur volage.

C'est un avantage

dont vous devez vous flater.

Ensemble

THÉTIS

Rien n'est capable d'arrester

un cœur volage.

C'est un avantage

on ne peut se flater.

 

JUPITER

Vous refusez de croire

que mon cœur pour jamais soit sous vôtre pouvoir,

vous ignorez encor quelle est vôtre victoire,

et bien vous allez le sçavoir.

Changez-vous, lieux rustiques,

en jardins magnifiques,

et vous, peuples divers,

venez en un instant, et traversez les airs.

 
 
Aussi-tôt le théâtre change, et représente des jardins; et l'on voit paroître quatre troupes de quatre peuples les plus différents et les plus éloignez les uns des autres qui fussent connus du temps des fables. La première troupe est de Grecs, la seconde de Perses, la troisième d'Ethiopiens, la quatrième de Scithes. Mercure entre.

 Q 

<- Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens, Troupe de Scithes, Mercure

 

Scène septième

Jupiter, Thétis, Mercure, Troupes des Grecs, de Perses, d'Ethiopiens, et de Schites.

 

JUPITER

Vous qui de tous les lieux que le Soleil éclaire  

par mes ordres puissans accourez à la fois,

peuples, qui sous diverses loix

n'avez rien de commun que l'ardeur de me plaire,

soyez attentifs à ma voix.

Vos vœux ne seront point désormais légitimes,

je ne recevray point d'encens ny de victimes,

si le nom de Thétis n'estjoint avec le mien,

sans cet aimable nom je n'écoute plus rien.

 

 

Thétis a sçû charmer le maître du tonnerre,  

et le plus grand des immortels;

il faut que sur toute la Terre

elle partage ses autels.

CHŒUR

Thétis a sçû charmer le maître du tonnerre,

et le plus grand des immortels;

il faut que sur toute la Terre

elle partage ses autels.

 
Les Grecs et les Perses rendent leurs hommages à Thétis par des danses.
 

CHŒUR DES GRECS ET DES PERSES

Aimez, déesse,

tout vous en presse,

rendez heureux

Jupiter amoureux.

Un dieu puissant reçoit nos voeux sans cesse,

et de ce dieu vous recevez les vœux.

Aimez, déesse,

tout vous en presse,

rendez heureux

Jupiter amoureux.

De vos desirs si la gloire est maîtresse,

la gloire même approuvera vos feux.

Aimez, déesse,

tout vous en presse,

rendez heureux

Jupiter amoureux.

 

CHŒUR DES ETHIOPIENS ET DES SCITHES

Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?

Dans nos deserts on ne s’en défend pas.

Fiere beauté, voyez de fiers courages

rendre à l’amour les plus tendres hommages.

Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?

Dans nos deserts on ne s’en défend pas.

N’esperez point braver une puissànce

à qui nos cœurs n’ont pas fait resistance.

Que ne peut point l’amour par ses charmans appas ?

Dans nos deserts on ne s'en défend pas.

 
Danses des Ethiopiens et des Scithes.
 

CHŒUR DES QUATRE PEUPLES

Que toutes nos voix se confondent

pour chanter de Thétis les triomphans appas.

Que tout les célèbre icy bas,

que les cieux même nous répondent,

le souverain des dieux veut à tout l'univers

vanter la gloire de ses fers.

 
On entend une tempête qui s'élève.
 

CHŒUR DES PEUPLES

Quel bruit soudain nous épouvante;

quelle tempête ! quelle horreur !

Les Vents son déchaînez, et l'onde menaçante

répond aux Vents avec fureur.

 
Neptune paroît sur la mer.
 

Scène huitième

Jupiter, Neptune, Mercure, Peuples.

<- Neptune

 

NEPTUNE

De quels chants odieux retentit ce rivage ?  

Jupiter sçait-il bien que c'est moy qu'il outrage ?

A-t'il quitté les cieux pour braver mon courroux,

en m'enlevant l'objet de mes vœux les plus doux ?

JUPITER

Oui, j'adore Thétis, et n'en fais point mystere,

vous, si vous m'en croyez, Neptune, épargnez-vous

les impuissants transports d'une vaine colère.

 
Jupiter sort suivy des Peuples.

Jupiter, Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens, Troupe de Scithes, Thétis ->

 

Scène neuvième

Neptune, Mercure.
Neptune sort de la mer, et la tempête continue.

 

NEPTUNE

Me croit-il donc soûmis à ses commandemens ?  

Quoy ? me croit-il sous son obeïssance ?

Ah ! dans le juste éclat de mes ressentimens,

mon bras se servira de toute sa puissance,

je confondray les elemens,

j'exciteray mes flots et par leur violence

je causeray par tout d'affreux débordemens,

et sur la Terre entière exerçant ma vangeance

j'ébranleray ses fondemens.

MERCURE

S'il faut que Jupiter s'obstine

dans l'amour dont il est blessé,

je voy d'une affreuse ruine

l'unìvers menacé.

Songez à prévenir les maux que j'appréhende,

l'interêt commun le demande.

 

NEPTUNE

Ne croyez point m'intimider,  

non, non, que Jupiter se rende,

j'ay prévenu ses feux, c'est à luy de céder.

 

MERCURE

Une puissance plus grande  

entre vous peut décider,

consultez le Destin, le Destin vous commande,

son arrêt doit vous accorder.

La fin de vos débats ne peut être plus prompte,

vous sçauréz qui des deux doit obtenir Thétis.

NEPTUNE

J'y consens, au Destin nous nous rendons sans honte,

il nous tient tous assujettis.

 
Fin du second acte.
 

Fin (Acte second)

Prologue Acte premier Acte second Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

Le théâtre représente un rivage de la mer.

Doris, Cidippe
 

Vous suivez un penchant trop flateur et trop doux

Le hazard seul n'eût pû les y conduire

Doris, Cidippe
<- Thétis

Quelque fois un mortel me jure

Mais je voy Mercure descendre

Thétis
Doris, Cidippe ->
Thétis
<- Mercure

Jupiter attiré par vos divins appas

Thétis
Mercure ->

Tristes honneurs, gloire cruelle

Thétis
<- Pélée

Enfin je vous revoy, quel bonheur pour ma flame !

Thétis
Pélée ->

(Jupiter descend du ciel.)

Thétis
<- Jupiter

Déesse, dans ces lieux mon amour me conduit

Aussi-tôt le théâtre change, et représente des jardins.

(L'on voit paroître quatre troupes de quatre peuples les plus différents et les plus éloignez les uns des autres qui fussent connus du temps des fables. La première troupe est de Grecs, la seconde de Perses., la troisième d'Ethiopiens, la quatrième de Scithes.)

Thétis, Jupiter
<- Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens, Troupe de Scithes, Mercure

Vous qui de tous les lieux que le Soleil éclaire

(Danses des Ethiopiens et des Scithes.)

 

(On entend une tempête qui s'élève.)

 

(Neptune paroît sur la mer.)

Thétis, Jupiter, Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens, Troupe de Scithes, Mercure
<- Neptune

De quels chants odieux retentit ce rivage ?

Mercure, Neptune
Jupiter, Troupe de Grecs, Troupe de Perses, Troupe d'Ethiopiens, Troupe de Scithes, Thétis ->

(Neptune sort de la mer, et la tempête continue.)

Me croit-il donc soûmis à ses commandemens ?

Une puissance plus grande

 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième
Le théâtre represente une nuit. Le thèâtre représente le palais de Thétis. Le théâtre représente un rivage de la mer. Aussi-tôt le théâtre change, et représente des jardins. Le temple du Destin. Un lieu désert au bord de la mer. La décoration est la même que dans l'acte précédent.
Prologue Acte premier Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

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