Acte quatrième

 

Scène première

Le thèâtre représente l'intérieur de l'appartament d'Astasie. C'est un sallon superbe, garni de sophas et autres meubles orientaux.
Astasie, Spinette.

 Q 

Spinette

 
(Astasie entre, en grand désordre.)

<- Astasie

ASTASIE

Spinette, comment fuir de cette horrible enceinte ?  

SPINETTE

Calmez le désespoir dont votre âme est atteinte.

ASTASIE

(égarée, les bras élevés)

Ô mort ! termine mes douleurs;

le crime se prépare.

Arrache au plus grand des malheurs,

l'épouse de Tarare.

Il semblait que je pressentais

leur entreprise infâme !

Quand il partit, je répétais,

hélas ! l'effroi dans l'âme !

Cruel ! pour qui j'ai tant souffert,

c'est trop que ton absence

laisse Astasie en un désert,

sans joie et sans défense !

 

L'imprudent n'a pas écouté  

sa compagne éplorée:

aux mains d'un brigand détesté

des brigands l'ont livrée,

ô mort ! termine mes douleurs:

le crime se prépare.

Arrache au plus grand des malheurs,

l'épouse de Tarare.

 

SPINETTE

Un grand roi vous invite à faire son bonheur.  

L'amour met à vos pieds le maître de la terre.

Que de beautés ici brigueraient cet honneur !

Loin de s'en alarmer, on peut en être fière.

ASTASIE

(pleurant)

Ah ! vous n'avez pas eu Tarare pour amant !

SPINETTE

Je ne le connais point; j'aime sa renommée;

mais, pour lui, comme vous, si j'étais enflammée,

avec le dur Atar je feindrais un moment;

et j'instruirais mon époux au moins de ma souffrance.

ASTASIE

A la plus légère espérance

le cœur de malheureux s'ouvre facilement.

J'aime ton noble attachement:

hé bien ! fais-lui savoir qu'en cette enceinte horrible...

SPINETTE

Cachez vos pleurs, s'il est possible.

Des secrets plaisirs du sultan

je vois le ministre insolent.

(Astasie essuie ses yeux, et se remet de son mieux.)
 

Scène deuxième

Calpigi, Spinette, Astasie.

<- Calpigi

 

CALPIGI

(d'un ton dur)  

Belle Irza, l'empereur ordonne

qu'en ce moment vous receviez la foi

d'un nouvel époux qu'il vous donne.

 

ASTASIE

Un époux ! un époux à moi ?

 

SPINETTE

(le contrefait)

Commandant d'un corps ridicule !

Abrège-nous ton grave préambule.

Ce nouvel époux, quel est-il ?

 

CALPIGI

C'est du serrail le muet le plus vil.  

ASTASIE

Un muet !

SPINETTE

Un muet !

ASTASIE

J'expire.

CALPIGI

L'ordre est que chacun se retire.

SPINETTE

Moi ?

CALPIGI

Vous.

SPINETTE

Moi ?

CALPIGI

Vous; vous, Spinette; il y va des jours

de qui troublerait leurs amours.

ASTASIE

O juste ciel !

 

SPINETTE

(raillant)  

Dis à ton maître

que le grand-prêtre

sera sans doute assez surpris,

qu'à la pluralité des femmes,

on ose ajouter, chez les Brames,

la pluralité des maris.

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CALPIGI

(ironiquement)  

Votre conseil au roi paraîtra d'un grand prix.

J'en ferai votre cour.

SPINETTE

(du même ton)

Vous l'oublierez peut-être ?

CALPIGI

Non.

SPINETTE

Vous le rendrez mieux, l'ayant deux fois appris.

(elle répete:)

 

 

Dis à ton maître,

que le grand-prêtre

sera sans doute assez surpris,

qu'à la pluralité des femmes,

on ose ajouter, chez les Brames,

la pluralité des maris.

(Calpigi sort.)

Calpigi ->

 

Scène troisième

Astasie, Spinette.

 

ASTASIE

(au désespoir)  

Ô ma compagne ! ô mon amie !

Sauve-moi de cette infamie.

SPINETTE

Hé ! comment vous prouver ma foi ?

ASTASIE

Prends mes diamants, ma parure:

je te les donne, ils sont à toi.

(Elle le détache.)

Ah ! dans cette horrible aventure,

sois Irza, représente-moi;

tu le réprimeras sans peine.

SPINETTE

Si c'est Calpigi qui l'amène,

madame, il me reconnaîtra.

ASTASIE

(ôte son manteau royal)

Ce long manteau te couvrira.

Souviens-toi de Tarare, et nomme-le sans cesse;

son nom seul te garantira.

 

SPINETTE

(pendant qu'on l'habille)  

Je partage votre détresse.

Hélas ! que ne ferais-je pas,

pour sauver d'un dangereux pas,

mon incomparable maîtresse !

(Astasie sort.)

Astasie ->

 

Scène quatrième

Spinette seule.

 

 

Spinette, allons, point de faiblesse !  

Le roi dans peu te sera gré,

d'avoir adroitement paré

le coup qu'il porte à sa maîtresse.

(Elle s'assied sur un sopha.)

Surcroît d'honneur et de richesse !

 

Scène cinquième

Calpigi, Tarare en muet, Spinette assise, voilée, son mouchoir sur les yeux.

<- Calpigi, Tarare

 

CALPIGI

(à Tarare d'un ton sévère)  

Cette femme est à toi, muet !

(Il sort.)

Calpigi ->

 

Scène sixième

Tarare, Spinette.

 

SPINETTE

(à part, voilée)  

Comme il est laid !...

Cependant il n'est point mal fait.

(Tarare se met à genoux à six pas d'elle.)

Il se prosterne ! il n'a point l'air farouche

des autres monstres de ces lieux.

 

Muet, votre aspect me touche;  

je lis votre amour dans vos yeux:

un tendre aveu de votre bouche,

ne pourrait me l'exprimer mieux.

 

TARARE

(à part, se relevant)  

Grand dieux ! ce n'est point Astasie,

et mon cœur allait s'exhaler !

De m'être abstenu de parler,

ô Brama ! je te remercie.

SPINETTE

(à part)

On croirait qu'il se parle bas.

Chaque animal a son langage.

(Elle se dévoile; Tarare la regarde.)
 

De loin, je le veux bien, contemplez mes appas.  

Je voudrais pouvoir davantage;

mais un monarque, un calife, un sultan,

le plus parfait, comme le plus puissant,

ne peut rien sur mon cœur, il est tout à Tarare.

 

TARARE

(s'ecrie)  

A Tarare !...

SPINETTE

Il me parle !

TARARE

Ô transport qui m'égare !

etonnement trop indiscret !

SPINETTE

Un mot a trahi ton secret !

Tu n'es pas muet ? téméraire !

(Elle lui enléve son masque.)

TARARE

(à ses pieds)

Madame, hélas ! calmez une juste colère !

SPINETTE

(d'un ton plus doux)

Imprudent ! quel espoir a pu te faire oser...

TARARE

(timidement)

Ah ! c'est en m'accusant, que je dois m'excuser.

 

 

Etranger dans Ormus, hier on me vint dire  

que le maître de cet empire

donnait à son amante une fête au serrail...

J'ai cru, sous ce vile attirail...

SPINETTE

(légèrement)

Ami, ton courage m'éclaire.

Si Tarare aimait à me plaire,

il eût tout bravé comme toi.

J'oublierai qu'il obtint ma foi:

c'en est fait, mon cœur te préfère;

tu seras Tarare pour moi.

TARARE

(troublé)

Quoi ! Tarare obtint votre foi !

SPINETTE

C'en est fait, mon cœur te préfère.

TARARE

C'est moi que votre cœur préfère ?

SPINETTE

Tu seras Tarare pour moi.

TARARE

Est-ce un songe ! ô Brama, veillé-je ?

tout ce que j'entends me confond.

Atar, toi que la haine assiège,

m'as-tu conduit de piège en piège

dans un abîme aussi profond !

SPINETTE

Ce n'est point un piège; non, non:

de son pardon

je te répond.

 
(Elle voit entrer des soldats.)

<- Urson, Soldats, Calpigi, Eunuques

 

Ciel ! on vient l'arrêter !  

TARARE

Tout espoir m'abandonne.

(Elle se voile, et rentre précipitament.)

Spinette ->

 

Scène septième

Tarare démasqué, Urson, Soldats armés de massues, Calpigi, Eunuques entrent de l'autre côté.

 

URSON

Marchez, soldats,  

doublez le pas.

CALPIGI

Quoi ! des soldats !

n'avancez pas.

URSON

(aux soldats)

Suivez l'ordre que je vous donne.

CALPIGI

(aux eunuques)

Ne laissez avancer personne.

CHŒUR DE SOLDATS

Doublons le pas.

CHŒUR D'EUNUQUES

N'avancez pas.

Pour tous cette enceinte est sacrée.

CHŒUR DE SOLDATS

Notre ordre est d'en forcer l'entrée.

CALPIGI

Urson, expliquez-vous.

URSON

Le sultan agité,

sur l'effet d'un courroux qu'il a trop écouté,

veut que l'affreux muet soit massolé, jeté

dans la mer, et pour sépulture,

y serve aux monstres de pâture.

CALPIGI

Le voici: de sa mort, Urson, je prend le soin.

Les jardins du serrail sont commis à ma garde;

mes eunuques sont prêts.

URSON

Pour que rien ne retarde,

son ordre est que j'en sois témoin.

Marchez soldats, qu'on s'en empare.

(Les soldats lèvent la massue.)

CALPIGI

Ce n'est point un muet.

URSON

Quel qu'il soit.

CALPIGI

(crie)

C'est Tarare.

URSON

Tarare !...

(Les Soldats et les Eunuques reculent par respect.)
 

CHŒUR DE SOLDATS ET D'EUNUQUES

Tarare ! Tarare !  

CALPIGI

Un tel coupable, Urson, devient trop important,

pour qu'on l'ose frapper sans l'ordre du sultan.

(A Tarare, à part.)

En suspendant leurs coups, je te sauve peut-être.

URSON

(avec douleur)

Tarare infortuné ! qui peut le désarmer ?

Nos larmes contre toi vont encore l'animer !

CHŒUR

Tarare infortuné ! qui peut le désarmer ?

Nos larmes, contre toi, vont encore l'animer !

TARARE

Ne plaignez point mon sort, respectez votre maître;

puissiez-vous un jour l'estimer !

(On emmene Tarare.)

Soldats, Tarare, Eunuques ->

 

URSON

(bas à Calpigi)

Calpigi, songe à toi; la foudre est sur deux têtes.

(Il sort.)

Urson ->

 

Scène huitième

Calpigi seul, d'un ton décidé.

 

CALPIGI

Sur deux têtes la foudre, et l'on m'ose nommer !  

Elle en menace trois, Atar, et ces tempêtes,

que ta haine alluma, pourront te consumer.

 

Vas ! l'abus du pouvoir suprême,  

finit toujours par l'ébranler:

le méchant, qui fait tout trembler,

est bien près de trembler lui-même.

Cette nuit, despote inhumain,

Tarare excitait ta furie;

ta haine menaçait sa vie,

quand la tienne était dans sa main !

Vas ! l'abus du pouvoir suprême

finit toujours par l'ébranler:

le méchant qui fait tout trembler

est bien près de trembler lui-même.

(Il sort.)

Calpigi ->

 

Fin (Acte quatrième)

Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte quatrième Acte cinquième

L'intérieur de l'appartament d'Astasie. C'est un sallon superbe, garni de sophas et autres meubles orientaux.

Spinette
 
Spinette
<- Astasie

Spinette, comment fuir de cette horrible enceinte?

Un grand roi vous invite à faire son bonheur

Spinette, Astasie
<- Calpigi

 

C'est du serrail le muet le plus vil

Votre conseil au roi paraîtra d'un grand prix.

 
Spinette, Astasie
Calpigi ->

Ô ma compagne! ô mon amie!

Spinette
Astasie ->

Spinette, allons, point de faiblesse!

Spinette
<- Calpigi, Tarare

Cette femme est à toi, muet!

Spinette, Tarare
Calpigi ->

Comme il est laid!

Grand dieux! ce n'est point Astasie

A Tarare!... / Il me parle! / Ô transport qui m'égare!

Spinette, Tarare
<- Urson, Soldats, Calpigi, Eunuques

Ciel! on vient l'arrêter!

Tarare, Urson, Soldats, Calpigi, Eunuques
Spinette ->

Marchez, soldats

Chœur, Calpigi, Urson
Tarare! Tarare!
Urson, Calpigi
Soldats, Tarare, Eunuques ->

Calpigi
Urson ->

Sur deux têtes la foudre, et l'on m'ose nommer!

Calpigi ->
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième
Nuages qui roulent, se déchirent, et laissent voir les Vents déchainés Une campagne superbe. Une salle du palais d'Atar. Place publique. Le palais d'Atar est sur le côté; le temple de Brama, dans le fond. L'interieur du temple de Brama. Les jardins du serrail; l'appartament d'Irza est aà droite; à gauche, et sur le devant, est un grand sopha... L'intérieur de l'appartament d'Astasie. C'est un sallon superbe, garni de sophas et autres meubles orientaux. Une cour intérieur du palais d'Atar. Au milieu est un bûcher; au pied du bûcher, un billot, des chaînes, des...
Prologue Acte premier Acte deuxième Acte troisième Acte cinquième

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