Acte deuxième

 

Scène première

Le théâtre représente un salon ouvrant, par trois portes au fond, sur une vaste galerie donnant sur le parc. Portes latérales. À droite, un clavecin. À gauche, une fenêtre et balcon.
La marquise, La duchesse de Crakentorp, elles sont assises; à gauche, un Notaire, devant une table, lisant un contrat de mariage.

 Q 

La marquise, La duchesse, Le notaire

 

LE NOTAIRE
(lisant)

« Madame La duchesse de Crakentorp cède et abandonne au duc Scipion de Crakentorp, son neveu, son fief et sa baronnie rapportant dix mille florins de rente. »  

LA DUCHESSE

Très-bien !

LA MARQUISE
(au notaire)

Écrivez que, de mon côté, j'avantage ma nièce de ma terre seigneuriale de Berkenfield.

LA DUCHESSE

A merveille !...

LA MARQUISE
(au notaire)

Nous sommes d'accord sur les autres clauses... faites en sorte, Monsieur Le notaire, que le contrat de mariage soit prêt à être signé ce soir...

(Saluant La duchesse.)

Je ne veux pas retarder l'honneur que madame La duchesse daigne faire à ma famille...

LA DUCHESSE

Ajoutez que sa majesté le désirait... et que sa volonté...

UN VALET
(annonçant)

La voiture de madame La duchesse!...

LA DUCHESSE
(se levant)

A ce soir, madame la marquise !...

LA MARQUISE

A ce soir, madame la duchesse!...

LA DUCHESSE

(arrêtant la marquise qui la reconduit)

Je ne souffrirai pas, madame la marquise...

LA MARQUISE
(insistant)

Permettez, madame la duchesse!...

LA DUCHESSE

(lui faisant la révérence)

Madame la marquise !...

LA MARQUISE
(de même)

Madame la duchesse!...

 
(Elle sort, suivie du notaire.)

La duchesse, Le notaire ->

 

Scène deuxième

La marquise, puis Sulpice.

 

LA MARQUISE

(seule)  

Enfin, la voilà mariée !... mariée à l'un des plus grands seigneurs de l'Allemagne !... Cent cinquante quartiers de noblesse !... Si Marie n'est pas assez heureuse avec ça !...

 

<- Sulpice

SULPICE

(à la cantonade)  

C'est bien; pleurard !... on y va!...

LA MARQUISE

C'est vous, Sulpice !...

SULPICE

Oui, madame la marquise... votre vieil intendant m'a dit que vous me demandiez.

LA MARQUISE

(s'asseyant à gauche)

Approchez-vous... approchez-vous... je vous le permets.

SULPICE
(à part)

Cette vieille femme-là m'intimide comme une première bataille !...

LA MARQUISE

Vous êtes un brave homme, un bon soldat, Sulpice...

SULPICE

Je crois ! morbleu !...

(Se reprenant.)

Vous êtes bien honnête, madame la marquise !...

LA MARQUISE

Depuis trois mois bientôt que vous fûtes blessé dans l'un de vos affreux combats, et qu'à la prière de Marie, j'obtins qu'on vous transportât dans mon château, je n'ai eu qu'à me louer de vous !...

SULPICE

Et moi pareillement, madame la marquise !...

LA MARQUISE

Marie vous écoute... vous avez sa confiance... vous m'avez aidé à la rendre plus docile... Grâce à mes soins, ses maîtres ont eu quelque empire sur elle... son ton et ses manières soldatesques ont presque entièrement disparu...

SULPICE
(à part)

Merci, l'ancienne !...

LA MARQUISE

Et j'ai pu lui choisir pour époux l'un des plus illustres seigneurs de la Bavière, le duc de Crakentorp.

(Elle se lève.)

SULPICE

Voilà un fameux nom !...

LA MARQUISE

Il y avait bien quelques difficultés... La vieille duchesse voulait retarder encore, sous prétexte de l'absence de son neveu... mais j'ai fait passer outre... et tout est convenu !

SULPICE

Et Marie... mademoiselle Marie ? ...

LA MARQUISE

Elle a consenti... mais pas avec cet empressement que j'aurais désiré... Aussi, je compte sur vous pour lui donner du courage... Nous signons ce soir même, ici, le contrat qu'on enverra au duc, à la cour.

SULPICE

C'est ça... un mariage au pas de charge !

LA MARQUISE

Mais ce n'est pas tout ! Les bonnes âmes du pays, jalouses de cette union, après avoir tout fait pour en détourner la duchesse, ont prétendu que Marie était gauche et mal élevée... Et jugez... si l'on se doutait de ce qu'elle a été !...

SULPICE

(riant)

Vivandière, une future duchesse !...

LA MARQUISE

Silence ! au nom du ciel !... Aussi, je veux les confondre en leur montrant ses grâces, ses talens... Je veux que la voix charmante de Marie les ravisse, les transporte... et que son futur, lui-même... Silence ! la voici !...

SULPICE

(à part, la voyant entrer)

Pauvre fille !... comme elle a l'air gai pour un jour de noces !...

 

Scène troisième

Les mêmes, Marie.

<- Marie

 

LA MARQUISE
(à Marie)

Allons, approchez... approchez, mon enfant !  

 
(Elle l'embrasse.)
 

MARIE

(tendant la main à Sulpice)

Bonjour, Sulpice !...

LA MARQUISE

Elle est charmante !... Que de grâce !... de modestie !... Qui se douterait jamais qu'il y a un an, cette enfant-là... J'espère, ma nièce, qu'aujourd'hui vous allez faire honneur à nos leçons, en présence de tous les nobles du voisinage, que j'attends pour la signature de votre contrat.

MARIE

Moi, ma tante !...

LA MARQUISE

Sans doute !... vous chantez déjà fort bien... la romance, surtout !

MARIE
(bas à Sulpice)

J'aimais mieux nos anciennes chansons !

SULPICE
(de même)

Et moi, donc !...

LA MARQUISE

Nous allons essayer cette romance nouvelle, d'un nommé Garat, un petit chanteur français.

SULPICE

Un Français !... Crédié ! l'air doit être belle !

LA MARQUISE

Sujet ravissant ! et d'un neuf !... les amours de Cypris.

SULPICE
(de lui-même)

Cypris !... connais pas !

LA MARQUISE

(se mettant au clavecin, à droite)

M'y voici... commençons !

MARIE
(tristement, à part)

Chantons !...

SULPICE

(s'asseyant à gauche)

Et nous, écoutons !

 
[Trio]

 N 

 

MARIE

« Le jour naissait dans le bocage,  

et Cypris, descendant des cieux,

venait chercher sous le feuillage

l'objet si tendre de ses feux ! »

SULPICE
(bas à Marie)

Nos chants étaient moins langoureux !

(Chantant à mi voix.)

Rantanplan !

Rantanplan !

MARIE

(de même, sur l'accompagnement de la Marquise)

Rantanplan !

Rantanplan !

C'est le refrain du régiment !...

LA MARQUISE

(l'interrompant)

Et mais ! qu'entends-je donc ?...

MARIE

(avec embarras)

Pardon ! pardon !... c'était une distraction !

(Continuant le chant.)

« Cet amant, à qui Vénus même

de la valeur donnait le prix...

le plus aimable... »

LA MARQUISE

Allez donc !

MARIE

« le plus aimable du pays...

et de la beauté... de la beauté... »

SULPICE

(allant lui souffler la ronde)

Bien suprême !

MARIE

(répétant avec distraction)

Bien suprême !

Le voilà, morbleu !

Il est là, corbleu !

SULPICE
(avec force)

C'est le Vingt-et-unième !

LA MARQUISE
(avec indignation)

Que dites-vous ?... quoi ? l'amant de Cypris...

SULPICE
(continuant)

L'effroi des amans, des maris,

et de la beauté bien suprême !

Le voilà, morbleu !

Il est là, corbleu !

C'est le Vingt-et-unième.

LA MARQUISE
(entre eux)

Ah ! quelle horreur ! Est-il possible

de mêler un air si touchant,

une romance si sensible,

avec un chant de régiment !

Ensemble

MARIE ET SULPICE
(à part)

Hélas ! hélas ! votre air sensible

ne vaut pas nos refrains... vraiment;

et je sens qu'il m'est impossible

de les oublier maintenant.

 

LA MARQUISE

(à Marie, en retournant au clavecin)

Continuons !

MARIE

Je le veux bien !

 

MARIE

(Bas, à Sulpice.)

Mais, hélas ! je n'y comprends rien !

« En voyant Cypris aussi belle,

bientôt les échos d'alentour...

LA MARQUISE
(la soufflant)

De la jalouse Philomèle...

MARIE

De la jalouse Philomèle...

LA MARQUISE
(de même)

Redirent les soupirs d'amour !

MARIE

Redirent les soupirs d'amour ! »

SULPICE
(bas à Marie)

A tous les soupirs de la belle,

moi, je préfère le tambour.

LA MARQUISE

Ma nièce, soupirons comme elle !

Tra la, la, la.

MARIE
(répétant)

La, la, la, la, la.

LA MARQUISE

Non, ce n'est pas cela...

La, la, la, la.

MARIE
(variant)

La, la, la, la, la.

LA MARQUISE

C'est trop brillant, cela !

SULPICE

Tra la, la, la, la, la.

Mais c'est charmant cela...

MARIE

Tra la, la, la, la, la.

LA MARQUISE

Plus fort !

MARIE

La, la, la, la.

LA MARQUISE

Plus doux !...

MARIE

La, la, la, la.

LA MARQUISE

C'est bien !

MARIE

La, la, la, la

LA MARQUISE

C'est mal !...

MARIE
(avec humeur)

Oh ! ma foi, j'y renonce...

au moins au régiment

le chant allait tout seul.

LA MARQUISE

Ô ciel ! quelle réponse !

MARIE

En avant ! en avant !

Rantanplan ! plan, plan.

C'est le refrain du régiment.

SULPICE ET MARIE

En avant ! en avant !

Rantanplan ! plan, plan !

C'est le refrain du régiment !

LA MARQUISE

(se bouchant les oreilles, avec dépit)

Ah ! quelle horreur ! Est-il possible

de mêler un air si touchant,

une romance si sensible,

avec un chant de régiment !

 

LA MARQUISE
(à Marie)

En vérité, ma nièce, je ne vous comprends pas... voilà vos anciennes habitudes, vos chants de régiment qui reviennent encore... Cela me met les nerfs dans un état... Aussi, Sulpice... c'est votre faute... vous l'encouragez !  

SULPICE

(faisant des signes à Marie)

Le fait est que c'est un peu... un peu jovial.

MARIE
(bas à Sulpice)

Comment ! et toi aussi !...

LA MARQUISE

Au nom du ciel, Marie, ne soyez pas ainsi devant votre nouvelle famille... vous me l'avez promis à moi, votre bonne tante, qui vous aime tant... Il y aurait de quoi rompre à jamais votre illustre mariage !...

SULPICE

Certainement ! c'est trop gaillard pour la circonstance !...

LA MARQUISE

Aujourd'hui, surtout, que je réunis les plus nobles têtes du pays... des têtes égales à la mienne.

SULPICE

Cré coquin ! quels chefs de file !

 
(Un domestique paraît à droite.)

<- Un domestique

 

LA MARQUISE

Suivez mes conseils, je vous en prie... Je suis obligée de vous quitter pour faire encore quelques invitations dans les environs... Soyez raisonnable, mon enfant. Allons, embrassez-moi... tenez-vous droite... levez la tête... là !... comme ça !... A la bonne heure !... Quelle jolie duchesse cela fera ! Embrassez-moi encore... Sulpice ! je vous la confie jusqu'à mon retour !

SULPICE

Suffit, madame la marquise, on fera sa faction en conscience !...

LA MARQUISE

(se retournant au moment de sortir)

Elle est charmante !

 
(Elle sort par le fond.)

La marquise ->

 

Scène quatrième

Marie, Sulpice.

 

MARIE
(à part)

Tenez-vous droite !... levez la tête !... quel ennui !...  

quel supplice !...

SULPICE

Par file à gauche... la voilà partie !... viens m'embrasser !...

MARIE
(avec effusion)

A la bonne heure, donc !... je te retrouve !... te voilà comme autrefois !...

SULPICE

Est-ce que je peux t'aimer devant la vieille... elle me tient en respect avec ses grands airs... et puis, ses falbalas... ses panaches... rien ne m'impose comme les panaches !...

MARIE

Mais, moi... est-ce que je ne suis pas toujours la même pour toi... ta fille... la fille du régiment.

SULPICE

Motus sur cet article, mon enfant... te voilà grande dame, par la grâce de dieu et des Pirchefeld... tu as un rang, un nom... comme dit l'ancienne... faut y faire honneur !

MARIE

Ah ! mon pauvre Sulpice, que je suis malheureuse...

SULPICE

Malheureuse !... toi, qui vas devenir duchesse, princesse... que sais-je ?...

MARIE

Oh ! ce mariage, Sulpice... il n'est pas encore fait...

SULPICE

Non... mais il va se faire... et puis, si c'est un brave homme, ton prétendu... tu l'aimeras.

MARIE

Je ne crois pas

SULPICE

Si fait... ça viendra... ça vient toujours !...

MARIE

C'est que... c'est venu pour un autre !...

SULPICE

Nous y voilà !...

MARIE

Ce pauvre Tonio... ce jeune Tyrolien qui s'est engagé pour moi...

SULPICE

Allons donc !... est-ce qu'il pense encore à toi... depuis qu'il est des nôtres surtout... ces soldats, ça mène le sentiment tambour battant !... je sais ça par expérience, moi... un amour par étape.

MARIE

Tu crois ? j'en ai peur... aussi, de désespoir, j'ai fait tout ce qu'on a voulu... j'ai promis de me marier... à qui ?... je n'en sais rien... ça m'est égal !...

SULPICE

A un duc, mon enfant... un grand seigneur... superbe !... Un duc, c'est toujours magnifique... c'est de l'état...

MARIE

Et toi, je ne te verrai plus !...

SULPICE

Si fait, morbleu !... dès que j'aurai un bras ou une jambe de moins, je reviendrai près de toi... un peu dépareillé. (Montrant son cœur.) Mais de là, toujours complet... et à moins que ton mari ne veuille pas de moi !...

MARIE

Oh ! quant à ça... sois tranquille... je te ferai mettre dans le contrat de mariage...

SULPICE

C'est ça... avec les charges !...

 

Scène cinquième

Les mêmes, Hortensius.

<- Hortensius

 

HORTENSIUS

Dites donc, grenadier !...  

SULPICE

Hein ?... voilà ce vieux hibou d'intendant !... Qu'est-ce qu'il y a ?...

HORTENSIUS

Il y a, grenadier, qu'on vous demande !...

SULPICE

Qui ça ?... madame la marquise ?

HORTENSIUS

Eh non, grenadier !... puisqu'elle est partie !... C'est un homme qui... un homme que...

SULPICE
(avec ironie)

Un homme qui... un homme que...

HORTENSIUS

Enfin, allez-y voir !...

SULPICE

C'est bien... on y va !... c'est étonnant comme il est aimable. (A Marie.) Allons, ferme !... puisque la vieille le veut... c'est pour ton bien... elle t'aime tant... voyons... un peu de courage...

MARIE
(tristement)

J'en aurai... je te le promets !...

HORTENSIUS
(bas à Sulpice)

C'est un soldat... avec une épaulette en or.

SULPICE
(s'arrêtant)

Ah bah !

MARIE
(se retournant)

Hein ? qu'est-ce que c'est ?

SULPICE
(balbutiant)

Rien !... rien... C'est un homme qui... un homme que...

(A part.)

Mille z'yeux ! ça m'a coupé la respiration !...

(Haut à Marie.)

Attends-moi, mon enfant.

(Il sort.)

Sulpice ->

 

HORTENSIUS
(à part)

Oui... un soldat... deux soldats... et puis l'autre... c'est une caserne que ce château !

(Il sort.)

Hortensius ->

 

Scène sixième

Marie seule.

 

 

C'en est donc fait et mon sort va changer,  

et personne en ces lieux ne vient me protéger !...

 
[Cavatine]

 N 

 

Par le rang et par l'opulence,    

en vain l'on a cru m'éblouir;

il me faut taire ma souffrance...

et ne vivre qu'en souvenir !...

Sous les bijoux et la dentelle,

cachons des chagrins superflus...

à quoi donc me sert d'être belle,

puisqu'hélas ! il ne m'aime plus !...

(Agitato.)

Ô vous à qui je fus ravie,

dont j'ai partagé le destin...

je donnerais toute ma vie

pour pouvoir vous serrer la main !

Pour ce contrat fatal tout prend un air de fête...

Je vais signer hélas ! mon malheur qui s'apprête !

(Elle va pour sortir, et s'arrête tout-à-coup, en entendant au loin une marche militaire; elle écoute attentivement et dit avec joie.)

Mais qu'entends-je au lointain ?... ciel ! ne rêvé-je pas ?

Cette marche guerrière... ah ! voilà bien leurs pas...

(Elle court à la fenêtre, l'ouvre, agite son mouchoir.)

Ô transport ! douce ivresse !

Mes amis, en ces lieux !

Souvenirs de tendresse,

revenez avec eux !

S

 
[Cabaletta]

 N 

 

Salut à la France !    

à mes beaux jours !

à l'espérance !

à mes amours !

Salut à la gloire !

Voilà pour mon cœur,

avec la victoire,

l'instant du bonheur !

S

Sfondo schermo () ()

 

Scène septième

Marie, Soldats entrant tumultueusement de tous côtés et se groupant autour de Marie.

<- Soldats

 

CHŒUR

C'est elle ! notre fille !  

notre enfant ! quel destin !

tes amis, ta famille,

te retrouvent enfin !

MARIE

(dans leurs bras)

Mes amis ! mes amis ! votre main !... dans vos bras !

de plaisir, de surprise, ah ! l'on ne meurt donc pas !

Salut à la France !

à mes beaux jours !

à l'espérance !

à mes amours !

MARIE

Salut à la gloire !

Voilà pour mon cœur,

avec la victoire,

l'instant du bonheur !

Ensemble

CHŒUR

C'est elle ! c'est notre fille !

notre enfant... quel destin !

Tes amis, ta famille,

te retrouvent enfin !

 

Scène huitième

Les mêmes, Sulpice, puis Tonio.

<- Sulpice

 

SULPICE

Les amis... les camarades ici !...  

TOUS
(l'entourant)

Sulpice ! Sulpice !...

SULPICE
(avec joie)

Les voilà tous !... tous près de nous !... Jacques... Thomas... Étienne... pas un ne manque à l'appel !...

MARIE
(cherchant des yeux)

Pas un...

 

<- Tonio

TONIO
(paraissant)

Non, mam'zelle... non... pas un de ceux qui vous aiment !...  

MARIE
(avec joie)

Tonio !...

TONIO

Tonio... qui les a guidés... dirigés jusqu'ici !...

MARIE

Tonio... mon Tonio!... oh ! cela fait un bien... quand on se croyait oubliée...

(À Sulpice.)

Mais regardez-le donc... il a une épaulette !...

TONIO

Dam ! quand on veut se faire tuer, on avance !

SULPICE

Je le crois parbleu bien !... salut, mon officier !... et ces pauvres camarades qui sont tous debout, bien fatigués et bien altérés sans doute... il faut les faire boire à ta santé...

TOUS

Bien volontiers !...

MARIE
(à Sulpice)

Et ma tante... si elle revenait !...

SULPICE

Tu as raison... mais là-bas, dans l'orangerie... au bout du parc...

LES SOLDATS

Holà ! quelqu'un... la maison !...

 

Scène neuvième

Les mêmes, Hortensius.

<- Hortensius

 

HORTENSIUS

Ah ! miséricorde !... des soldats... toujours des soldats... Ah ça ! mais il en pleut donc des soldats !... qu'est-ce que c'est que ça ?...  

MARIE

Mes amis... mes camarades... à qui tu vas donner le meilleur et le plus vieux vin de ma tante...

HORTENSIUS

Par exemple !...

SULPICE
(à Hortensius)

Tu as entendu le mot d'ordre... marche !...

HORTENSIUS

Comment, marche !... qu'est-ce que c'est que ces manières-là ?... ce château est donc au pillage ?... Non !... je ne marche pas ! je me révolte... je m'insurrectionne... et à moins qu'on ne m'enlève...

SULPICE
(aux soldats)

Eh bien ! enlevez-le, vous autres !...

HORTENSIUS
(se débattant)

C'est une horreur !... une trahison... une attentat de lèse-intendant !

 
(Les soldats l'enlèvent et partent en tumulte.)

Soldats, Hortensius ->

 

Scène dixième

Sulpice, Marie, Tonio.

 

SULPICE, MARIE, TONIO

Tous les trois réunis,  

quel plaisir, mes amis !

quel bonheur, quelle ivresse !

doux instans de tendresse !

SULPICE

Doux souvenir !

TONIO

Beau temps de guerre !

MARIE

Ah ! loin de nous...

SULPICE

Vous avez fui !

TONIO

Il reviendra...

SULPICE

Je n'y crois guère...

MARIE

Ce temps passé... mais le voici...

près de toi, Sulpice, et près de lui !

SULPICE, MARIE, TONIO

Tous les trois réunis,

quel plaisir, mes amis !

quel bonheur, quelle ivresse !

doux instans de tendresse !

 
(Sulpice passe entre eux.)
 

TONIO

Tu parleras pour moi !

MARIE

Tu parleras pour lui !

TONIO

Tu combleras mes vœux !

MARIE

Tu le dois, mon ami.

SULPICE

Mais vous ne savez pas... écoutez-moi...

MARIE ET TONIO

Il me faut ta promesse,

puisque j'ai sa tendresse...

et puisque j'ai sa foi !

SULPICE, MARIE, TONIO

Tous les trois réunis,

quel plaisir, mes amis !

quel bonheur, quelle ivresse !

doux instans de tendresse !

nous voilà réunis.

 

SULPICE

Mais la tante, mes pauvres enfans... la terrible tante... j'ai une peur affreuse qu'elle ne vienne...  

(À Tonio.)

Aussi mon brave, du courage... et en route !...

TONIO

La quitter !... quitter Marie, maintenant !... Oh ! jamais ! rien ne peut plus m'en séparer; je la demanderai à la marquise, elle-même, et si l'on me la refuse... si l'on me repousse... eh bien ! je parlerai alors... et l'on verra !...

SULPICE

Et qu'est-ce que tu diras ?

TONIO

Je dirai... je dirai ce que je ne voudrais pas dire... ce que m'a confié mon oncle le bourgmestre de Laëstrichk, chez qui je me suis arrêté en venant ici... je lui ai tout conté... mon amour, mon chagrin de la naissance de Marie... Oh ! le brave homme !... il m'a révélé un secret qui doit nous rendre tous heureux !...

MARIE ET SULPICE

Un secret !...

TONIO

Sans doute... mais j'ai promis, à mon oncle, de le taire, à moins qu'on ne me force à parler... et grâce à notre bon Sulpice... nous n'en viendrons pas là... nous attendrirons la marquise.

SULPICE

Oui... avec ça que c'est facile... une vieille qui n'entend pas raison... sur l'article mariage, surtout !...

MARIE

Qui sait !... elle m'aime tant... et si mon bon Sulpice voulait lui parler pour nous...

SULPICE

Eh bien ! je risque la bombe !... je me dévoue... mais à une condition...

TONIO ET MARIE

Laquelle ?...

SULPICE

C'est qu'il va s'en aller... et que la douairière ne le verra que plus tard, après la bataille... si nous la gagnons... je la connais... si elle vous trouvait ensemble, tout serait perdu !...

TONIO
(allant à Marie)

Oui... je m'en vais... je pars !...

SULPICE

Si c'est comme ça que tu t'en va !... Silence ! écoutez...

MARIE

Quoi donc !

SULPICE

Une voiture qui s'arrête, c'est sans doute elle qui revient... Et les autres qui sont là à boire... Et la famille des Crikentorp qui va revenir... si les camarades voyaient ces têtes-là... En v'là une rencontre qui serait terrible !... (A Tonio.) Va-t'en ! va-t'en !...

TONIO

Adieu, Marie... adieu !...

(Il gagne le fond.)

SULPICE

(le rappelant)

Non, pas par là... Par la petite porte du parc... Allons, demi-tour à droite, file !...

(Il ouvre la porte à gauche pour faire sortir Tonio, la marquise paraît sur le seuil. A part.)

La tante ! nous sommes bloqués !...

 

Scène onzième

Les mêmes, La marquise.

<- La marquise

 

LA MARQUISE

Qu'ai-je vu ?... Un soldat ici !... près de ma nièce !... Comment, Sulpice, vous avez permis...  

SULPICE
(à part)

Voilà que ça commence !...

MARIE

Ma tante !...

LA MARQUISE

Taisez-vous !

TONIO

Madame...

LA MARQUISE

Qui êtes-vous, monsieur ? Que voulez-vous ? Que venez-vous faire ici ?...

TONIO

Écoutez-moi, de grâce !...

 
[Romance]

 N 

 

Pour me rapprocher de Marie,    

je m'enrôlai, pauvre soldat,

et pour elle risquant ma vie,

je me disais dans le combat:

si jamais la grandeur enivre,

cet ange qui m'a su charmer,

il me faudrait cesser de vivre,

s'il me fallait cesser d'aimer !

S

LA MARQUISE

Qu'a-t-il ? quelle audace !

Qu'ose-t-il espérer ?

De ces lieux qu'on le chasse !

Il n'y peut demeurer !

SULPICE

Pardonnez son audace !

Laissez-leur espérer

ce bonheur, cette grâce,

qu'ils osent implorer.

Ensemble

TONIO

Pardonnez mon audace !

Que je puisse espérer !

Ce bonheur, cette grâce

que je viens implorer !

MARIE

Pardonnez son audace !

J'ai permis d'espérer,

avec lui cette grâce,

j'ose ici l'implorer.

 

TONIO

Tout en tremblant, je viens, madame,

réclamer mon unique bien !

Si j'ai su lire dans son âme,

mon bonheur est aussi le sien !

Jusqu'à l'espoir mon cœur se livre;

sa voix saura vous désarmer...

il nous faudrait cesser de vivre,

s'il nous fallait cesser d'aimer !

LA MARQUISE

Qu'a-t-il ? quelle audace !

Qu'ose-t-il espérer ?

De ces lieux qu'on le chasse !

Il n'y peut demeurer !

SULPICE

Pardonnez son audace !

Laissez-leur espérer

ce bonheur, cette grâce,

qu'ils osent implorer.

Ensemble

TONIO

Pardonnez mon audace !

Que je puisse espérer !

Ce bonheur, cette grâce

que je viens implorer !

MARIE

Pardonnez son audace !

J'ai permis d'espérer,

avec lui cette grâce,

j'ose ici l'implorer.

 

LA MARQUISE

En vérité ! c'est d'une hardiesse !... un homme de rien ! un soldat !  

TONIO

Sous-lieutenant, madame... et avec du bonheur et encore quelque bonne blessure !...

SULPICE

Certainement !... Une jambe de moins, et il fera son chemin; c'est comme ça qu'on marche à la gloire chez nous !...

LA MARQUISE

J'espère, au moins, que cet amour n'est pas partagé par ma nièce... par l'héritière des Berkenfield.

MARIE

Ma tante...

LA MARQUISE

Je ne vous demande rien, mademoiselle... je ne veux rien savoir... je rougirais trop de me tromper.

TONIO

Rougir d'être aimé d'un honnête homme, d'un bon militaire qui a voulu se faire tuer vingt fois pour se rendre digne d'elle. Non, madame, non, je connais Marie, elle ne rougira pas plus de moi que de ses anciens amis, de ses vieux camarades...

MARIE

Quant à ça, ma tante, il a raison, mon régiment, mon père... (Touchant son cœur.) Il est là, voyez-vous... et rien au monde ne pourra l'en ôter !...

SULPICE

Voilà parler, mille z'yeux !...

LA MARQUISE

(sévèrement)

Sulpice !...

(à Tonio)

Monsieur, ma nièce est promise... dans une heure on signe le contrat... Vous voyez qu'il est inutile de conserver plus long-temps le fol espoir qui vous amène ici; et je vous prie de quitter ces lieux à l'instant même.

TONIO

Ainsi, madame... vous me renvoyez, vous me chassez !

LA MARQUISE

Je ne vous retiens pas, du moins !...

SULPICE
(à part)

Ça se ressemble !

TONIO

Eh bien, puisque vous m'y forcez... puisque vous m'enlevez Marie... puisque vous voulez faire mon malheur et le sien... rien ne me retient plus... je suis dégagé de ma promesse et je parlerai !

LA MARQUISE

Que signifie ?...

TONIO

Ça signifie que mon oncle, le bourgmestre de Laëstricht, qui connaît votre famille et toutes celles du canton m'a révélé un secret qu'il m'avait fait jurer de taire, pour votre honneur, et pour ne pas priver celle que j'aime de vos bienfaits. Mais, maintenant, on saura tout !

LA MARQUISE
(vivement)

Monsieur !

TONIO

Le capitaine Robert n'a jamais épousé votre sœur !...

LA MARQUISE

Monsieur !...

MARIE ET SULPICE

Qu'entends-je ?...

TONIO

Attendu que vous n'avez jamais eu de sœur... et Marie n'est pas votre nièce !...

LA MARQUISE
(à part)

Ah ! mon dieu !...

SULPICE ET MARIE

Que dit-il !...

TONIO

Marie est libre !... elle est la fille du régiment, qu'on a trompé pour lui enlever son enfant d'adoption... Et ses amis, son seul père ont le droit d'enchaîner sa volonté, de disposer de sa main.

MARIE
(courant à la Marquise)

Madame !...

LA MARQUISE
(d'une voix étouffée)

Marie, mon enfant, je vous en prie... je vous en conjure... ne croyez rien de ce que dit cet homme.

TONIO

On le prouvera !... et nous reviendrons tous ici la chercher, l'emmener, sans que personne puisse s'y opposer...

LA MARQUISE

M'enlever Marie... jamais !...

SULPICE

Au fait ! ils en auraient le droit !

LA MARQUISE

(avec reproche)

Et vous aussi, Sulpice.

(à Tonio.)

Sortez, monsieur, je vous l'ordonne. Quant à vous, Marie, rentrez dans votre appartement... et si vous avez quelque affection pour moi, vous m'écouterez, vous m'obéirez comme à la personne qui vous aime le plus et le mieux au monde: allez, mon enfant, allez !

SULPICE
(à Tonio)

Et nous, volte-face !...

LA MARQUISE

Restez, Sulpice !...

SULPICE

Moi ?

 
(Marie sort par la droite et Tonio par le fond.)

Marie, Tonio ->

 

Scène douzième

La marquise, Sulpice.

 

SULPICE
(à part)

Ah ! mon dieu ! qu'est-ce qui va se passer ?  

LA MARQUISE

Nous sommes seuls... répondez: croyez-vous qu'ils auraient l'audace de venir ici, chez moi... me forcer...

SULPICE

Dame ! s'il dit la vérité; si le capitaine Robert...

LA MARQUISE

Ah ! ne prononcez pas ce nom-là !...

SULPICE

Si vous n'êtes pas sa tante...

LA MARQUISE
(avec explosion)

Sulpice !...

(S'arrêtant tout-à-coup.)

Écoutez-moi, vous êtes un honnête homme, vous ne voudriez pas perdre une pauvre femme qui se confie à vous.

SULPICE

C'est bien de l'honneur, madame la marquise.

LA MARQUISE

Il y a des secrets qui brisent le cœur, vous me plaindrez, je l'espère, et vous ne m'abandonnerez pas !...

SULPICE
(à part)

Que va-t-elle me dire, bon dieu !

LA MARQUISE

La haute noblesse de ma famille, son désir de me faire contracter un mariage digne de mon nom, m'avait condamnée au célibat, bien au-delà de l'âge où les demoiselles de mon rang se marient d'ordinaire. J'avais trente ans, et quoique belle alors, j'étais libre encore...

SULPICE
(à part)

Pauvre fille !...

LA MARQUISE

Le capitaine Robert m'avait vue... et mes faibles attraits lui inspirèrent des pensées bien coupables...

SULPICE

On dit qu'il était...

LA MARQUISE

Charmant !... je l'aimais, je ne m'en défends pas... et malgré mon horreur pour une mésalliance, je lui aurais donné ma main, si son départ pour une campagne nouvelle ne nous eût brusquement séparés à Genève, où j'avais eu la faiblesse de le suivre en secret...

SULPICE

Ah ! Ah !...

LA MARQUISE

Quelque temps après, je revins l'attendre dans ce château... mais j'y revins seule... sans elle...

SULPICE

Elle !... qui donc ?

LA MARQUISE

Ma fille !...

SULPICE

Marie !...

LA MARQUISE

Ma fille... dont il fallait cacher la naissance au risque de me perdre...

SULPICE
(à part)

Oui... oui... j'y suis à présent !...

LA MARQUISE

Comprenez-vous, maintenant, pourquoi entourée de cette noblesse si fière, si hautaine... je tremble que mon secret n'éclate à tous les yeux... comprenez-vous aussi... que j'aime Marie, et que me l'enlever ce serait m'arracher la vie...

SULPICE

On ne vous l'enlèvera pas, madame la marquise, on ne vous l'enlèvera pas !

LA MARQUISE

Ce mariage sauve tout... il donne un nom, un rang à celle que je ne puis avouer... et me permet de lui assurer toute ma fortune... décidez Marie à le contracter... et j'aurai pour vous une éternelle reconnaissance !...

SULPICE

Suffit, madame la marquise... suffit !

LA MARQUISE

Et quant à mou aveu, songez-y, Sulpice... c'est ma vie, mon honneur que je vous ai confiés !...

SULPICE

Fiez-vous à moi, madame la marquise... un cœur de soldat... ça ne trompe pas... et ça ne trahit jamais !

 

Scène treizième

Les mêmes, Hortensius.

<- Hortensius

 

HORTENSIUS

Madame la marquise !...  

 
(Ils se séparent avec effroi; Hortensius recule.)
 

LA MARQUISE

Qu'y a-t-il ?... que me voulez-vous ?...

HORTENSIUS

La société commence à venir... Le notaire attend déjà dans la bibliothèque... et tous vos vassaux s'apprêtent à danser devant le château !...

LA MARQUISE
(à part)

A mon dieu ! dans quel moment !...

HORTENSIUS
(bas à Sulpice)

Et les autres qui sont là-bas, à boire...

LA MARQUISE
(à Hortensius)

Eh bien ! faites entrer Le notaire... c'est ici que je recevrai... sortez !...

 
(Hortensius sort.)

Hortensius ->

 

(à Sulpice)

Ne perdez pas un instant... allez trouver Marie... allez !...

SULPICE

J'y vais, madame la marquise... j'y vais... mais, tenez, à votre place, moi je chercherais un autre moyen de faire le bonheur de Marie... et je romprais tout cela...

LA MARQUISE

Mais je le voudrais maintenant, que je ne le pourrais plus sans un bruit, un scandale qui éveillerait peut-être des soupçons !... eh ! tenez, les voici... je compte sur vous, sur vous seul, mon brave Sulpice...

(Lui tendant la main.)

Mon ami !...

SULPICE

Madame la marquise !... (À part.) Pauvre femme !... et quand je songe que depuis un an, Marie est là, près d'elle... et qu'elle n'ose pas... cré coquin !... mais moi, à sa place, je lui dirais vingt fois par jour en l'embrassant... je suis ta...

(Voyant la Marquise qui le regarde.)

J'y vais, madame la marquise...

(Il sort vivement.)

Sulpice ->

 

Scène quatorzième

La marquise, Un valet faisant entrer successivement les personnes invitées. Le notaire, La duchesse.

<- Un valet, La duchesse, Le notaire, Invités

 
(On entend un air de valse sous les fenêtres du château.)
 

LA MARQUISE
(à elle-même)

J'éprouve un trouble... une agitation... et recevoir dans un pareil moment !  

(Allant à La duchesse qui entre.)

Ah ! madame la duchesse... avec quelle impatience nous vous attendions, ma nièce et moi... je vais avoir l'honneur de vous la présenter tout à l'heure...

LA DUCHESSE

N'est-elle point ici !...

LA MARQUISE

Elle va venir... sa toilette qu'elle finit... elle a tant à cœur de plaire à madame la duchesse... et puis, vous le savez... le trouble, l'émotion d'un pareil moment !...

LE NOTAIRE

(développant le contrat)

Tout le monde est-il présent ?...

LA DUCHESSE
(avec ironie)

Tout le monde, excepté la future... et à moins qu'une indisposition...

LA MARQUISE

Sans doute... elle a les nerfs si délicats... je vais envoyer savoir...

(Apercevant Sulpice, bas.)

Ah ! Sulpice !... eh bien ! Marie ?...

 

Scène quinzième

Les mêmes, Sulpice.

<- Sulpice

 

SULPICE
(bas à la Marquise)

Impossible de la décider à venir !...  

LA MARQUISE
(de même)

Ah ! mon dieu !

SULPICE

Mes instances, mes prières... rien n'a réussi... elle refuse...

LA MARQUISE

Que faire ?... que devenir ?...

SULPICE

Je la connais... elle ne viendra pas !...

LA MARQUISE

O ciel !...

SULPICE

A moins, peut-être, que je ne lui dise tout !...

LA MARQUISE

Y pensez-vous !...

SULPICE

Alors, le respect, l'obéissance... vous comprenez... elle n'osera plus !...

 
(La duchesse se rapproche.)
 

LA MARQUISE
(bas)

Eh bien ! s'il faut ce dernier sacrifice... allez, et qu'elle vienne à tout prix !...

 
(Sulpice sort.)

Sulpice ->

 

Scène seizième

La marquise, Les invités, Le notaire.

 

LE NOTAIRE

M. le duc Scipion, retenu par son service, à la cour, m'a fait remettre sa procuration, par laquelle il consent à s'unir à mademoiselle Marie...  

LA MARQUISE
(avec orgueil)

De Berkenfield !...

LE NOTAIRE

De Berkenfield... Tous les articles du contrat étant arrêtés entre les deux familles... il ne reste plus qu'à signer !...

LA DUCHESSE
(avec colère)

Signer !... mais encore une fois, madame la marquise, et votre nièce ?... on ne se conduit pas ainsi avec la première noblesse du pays !

LA MARQUISE
(à part)

Ah ! je me sens mourir !...

 

Scène dix-septième

Les mêmes, Marie, Sulpice.

<- Marie, Sulpice

 

LA MARQUISE
(apercevant Marie)

Ah ! c'est elle !...  

MARIE

(s'élançant d'une voix étouffée)

Ma mère...

LA MARQUISE

(l'empêchant d'achever)

Marie !... mon enfant !...

SULPICE
(à la Marquise)

Prenez garde !... on a les yeux sur vous !...

LA DUCHESSE

Enfin, madame la marquise...

MARIE

(avec effort, passant à La duchesse)

Oh ! maintenant, j'obéirai... ce contrat... donnez... je suis prête...

 
(On entend du bruit au dehors.)
 

Scène dix-huitème

Les mêmes, puis Tonio, Soldats.

 
[Finale]

 N 

 

TOUS

Mais, ô ciel ! quel bruit ! quels éclats !  

 

<- Tonio, Soldats

TONIO

(paraissant, aux soldats)

Suivez-moi ! suivez-moi !

LES INVITÉS
(avec effroi)

D'ou viennent ces soldats ?

 

CHŒUR DES SOLDATS

Au secours de notre fille,  

nous accourons tous ici,

oui, nous sommes sa famille,

et nous serons son appui.

Mon enfant, sèche tes larmes,

plus de crainte et plus d'alarmes,

mon enfant, non, plus d'effroi;

nous voici tout près de toi.

 

TONIO

(montrant Marie)

Ils viennent la sauver... car on la sacrifie;

on voudrait nous ravir le bonheur et la vie;

et d'un mariage odieux

lui faire, ici, serrer les nœuds.

SOLDATS
(avec force)

Jamais ! Jamais !...

LES INVITÉS

Expliquez-vous !...

TONIO

Je ne dois plus me taire...

LES SOLDATS

Marie était la vivandière,

et la fille du régiment !

LES INVITÉS

Une fille de régiment !

 

SULPICE

Tout est connu maintenant !

 

MARIE

(s'avançant)  

Quand le destin, au milieu de la guerre,

enfant me jeta dans leurs bras,

ils ont recueilli ma misère,

ils ont guidé mes premiers pas !

Ils ont pris soin de mon enfance...

ah ! mon cœur pourrait-il jamais

oublier sa reconnaissance...

quand j'existe par leurs bienfaits !

 

LES INVITÉS

(se rapprochant d'elle)

Au fait, elle est charmante !

Ce noble aveu, vraiment,

prouve une âme excellente,

et mon cœur le comprend !

LA DUCHESSE
(à Marie, avec bonté)

Oublions le passé... signons, ma chère enfant !

TONIO

(regardant Marie qui prend la plume)

Marie, elle consent !

LA MARQUISE
(à part)

O ciel ! tant de douleur,

et c'est pour moi... si soumise et si bonne.

(Courant à Marie qui va signer.)

Arrêtez ! arrêtez ! l'époux que je lui donne,

ah ! c'est l'époux que son cœur a choisi...

et cet époux... cet époux... le voici !

 

SULPICE

(avec transport montrant la Marquise)  

C'est bien, morbleu ! j' crois que si j'osais,

pour ce trait-la, j' l'embrasserais !

LA DUCHESSE ET LES INVITÉS

Quel affront ! et quelle insolence.

 
(La duchesse et les invités sortent.)

La duchesse, Invités ->

 
[Chœur général]

 N 

 

CHŒUR

Salut à la France !  

à ses beaux jours !

à l'espérance

à leurs amours!

Ensemble

MARIE, TONIO

Salut à la France !

à ses beaux jours !

à l'espérance

à nos amours!

 

Fin (Acte deuxième)

Acte premier Acte deuxième

Un salon ouvrant, par trois portes au fond, sur une vaste galerie donnant sur le parc. Portes latérales. À droite, un clavecin. À gauche, une fenêtre et balcon.

La marquise, La duchesse, Le notaire
 

Madame La duchesse de Crakentorp

La marquise
La duchesse, Le notaire ->

Enfin, la voilà mariée !...

La marquise
<- Sulpice

C'est bien; pleurard !... on y va!...

La marquise, Sulpice
<- Marie

Allons, approchez... approchez, mon enfant !

[Trio]

Marie, Sulpice, La marquise
Le jour naissait dans le bocage

 

En vérité, ma nièce, je ne vous comprends pas...

La marquise, Sulpice, Marie
<- Un domestique

Sulpice, Marie, Un domestique
La marquise ->

Tenez-vous droite ! levez la tête !

Sulpice, Marie, Un domestique
<- Hortensius

Dites donc, grenadier !

Marie, Un domestique, Hortensius
Sulpice ->

Marie, Un domestique
Hortensius ->

[Cavatine]

[Cabaletta]

Marie, Un domestique
<- Soldats
Marie, Un domestique, Soldats
<- Sulpice

Les amis... les camarades ici !...

Marie, Un domestique, Soldats, Sulpice
<- Tonio

Non, mam'zelle... non... pas un de ceux

Marie, Un domestique, Soldats, Sulpice, Tonio
<- Hortensius

Ah ! miséricorde ! des soldats

Marie, Un domestique, Sulpice, Tonio
Soldats, Hortensius ->
Sulpice, Marie, Tonio
Tous les trois réunis

Mais la tante, mes pauvres enfans...

Marie, Un domestique, Sulpice, Tonio
<- La marquise

Qu'ai-je vu ?... Un soldat ici !...

[Romance]

Tonio, La marquise, Sulpice, Marie
Pour me rapprocher de Marie

En vérité ! c'est d'une hardiesse !

Un domestique, Sulpice, La marquise
Marie, Tonio ->

Ah ! mon dieu ! qu'est-ce qui va se passer ?

Un domestique, Sulpice, La marquise
<- Hortensius

Madame la marquise !...

Un domestique, Sulpice, La marquise
Hortensius ->
Un domestique, La marquise
Sulpice ->
Un domestique, La marquise
<- Un valet, La duchesse, Le notaire, Invités

J'éprouve un trouble... une agitation...

Un domestique, La marquise, Un valet, La duchesse, Le notaire, Invités
<- Sulpice

Impossible de la décider à venir !...

Un domestique, La marquise, Un valet, La duchesse, Le notaire, Invités
Sulpice ->

M. le duc Scipion, retenu par son service

Un domestique, La marquise, Un valet, La duchesse, Le notaire, Invités
<- Marie, Sulpice

Ah ! c'est elle !... / Ma mère...

(On entend du bruit au dehors.)

[Finale]

Mais, ô ciel ! quel bruit ! quels éclats !

Un domestique, La marquise, Un valet, La duchesse, Le notaire, Invités, Marie, Sulpice
<- Tonio, Soldats

Marie, Les invités, La duchesse
Quand le destin, au milieu de la guerre

C'est bien, morbleu ! j' crois que si j'osais

Un domestique, La marquise, Un valet, Le notaire, Marie, Sulpice, Tonio, Soldats
La duchesse, Invités ->

[Chœur général]

Chœur, Marie, Tonio, Sulpice, La marquise
Salut à la France !
 
Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Scène onzième Scène douzième Scène treizième Scène quatorzième Scène quinzième Scène seizième Scène dix-septième Scène dix-huitème
Un site champêtre du Tyrol. A droite de l'acteur, une chaumière. À gauche, au deuxième plan, un commencement... Un salon ouvrant, par trois portes au fond, sur une vaste galerie donnant sur le parc. Portes latérales. À...
[Introduction] [Duo] [Chant] [Ronde] [Duo] [Finale] [Cavatine] [Romance] [Trio] [Cavatine] [Cabaletta] [Romance] [Finale] [Chœur général]
Acte premier

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