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Richard cœur de lion

RICHARD CŒUR DE LION

Comédie en trois actes, en prose, et en vers mis en musique.

Version synthétique édité par www.operalib.eu.

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Livret de Michel-Jean SEDAINE.
Musique de André GRÉTRY.

Première représentation : 21 octobre 1784, Paris.


Personnages:

RICHARD

ténor

MARGUERITE

soprano

BLONDEL

ténor

LE SÉNÉCHAL

autre

FLORESTAN

basse

WILLIAMS

basse

LAURETTE

soprano

BÉATRIX

soprano

ANTONIO

soprano


Suite de Marguerite, Vieilles et Vieillards, Officiers et Soldats.

La scène se passe au château de Lints.

Acte premier
Pendant l'ouverture

Le théâtre représente les environs d'un château fort; on en voit les tours, les crénaux. Il est élevé dans un lieu agreste; des montagnes stériles, et des forêts sombres et touffues paraissent entourer le lieu. Sur un des côtés est une maison, qui a l'apparence d'une gentilhommière; on en voit la porte; un banc est de l'autre côté.

(Pendant l'ouverture, passent plusieurs paysans, avec leurs outils de travail sur leurs épaules; ils sont en veste, et portent leurs habits.)

PAYSANS

Chantons, chantons,

célébrons cette journée,

à demain la matinée;

chantons, chantons,

retournons dans nos maisons.

(L'ouverture continue.)

LES MÊMES

Sais-tu que c'est demain

que le vieux Mathurin

refait son mariage:

oui, le fait est certain,

nous danserons demain,

nous boirons du bon vin.

(L'ouverture continue.)

COLETTE

Antonio, je gage

en ce moment

est bien loin du village:

ah ! quel cruel tourment !

AUTRE TROUPE DE PAYSANS

Colette, c'est demain

que le vieux Mathurin

refait son mariage.

Fille, point de chagrin;

nous danserons demain,

nous boirons du bon vin.

(L'ouverture continue.)

Le vieux Mathurin et sa vieille femme.

LE VIEUX MATHURIN

Comment, c'est demain

que ton vieux Mathurin

avec toi, ma femme, se remet en train !

LA FEMME

Après cinquante ans,

il est encor temps

de nous montrer gais, et d'être contens.

Scène première

Blondel, Antonio.

BLONDEL

Antonio, qu'est-ce que j'entends ? j'entends, je crois, chanter ?

ANTONIO

Ce n'est rien; c'est tout le hameau qui s'en retourne chez lui après le travail des champs: le soleil est couché.

BLONDEL

Où suis-je ici, mon petit ami ?

ANTONIO

Vous n'êtes pas loin d'un château où il y a des tours, des crénaux: je vois tout en haut un soldat qui fait faction avec son arbalète.

BLONDEL

Je suis bien las.

ANTONIO

Tenez, asseyez-vous sur cette pierre; c'est un banc.

BLONDEL

Ah ! je te remercie.

ANTONIO

C'est un banc qui est vis-à-vis la porte d'une maison qui paraît être une ferme; c'est comme une maison de gentilhomme.

BLONDEL

Eh bien, mon ami, va t'informer si l'on peut m'y donner à coucher pour cette nuit.

ANTONIO

Je vous retrouverai là ?

BLONDEL

Ah ! je n'ai pas envie d'en sortir; quand on ne voit pas, on est bien forcé de rester où on nous dit d'attendre: ne manque pas de revenir.

ANTONIO

Oh ! non, car vous m'avez bien payé. Mais, père Blondel, j'ai quelque chose à vous dire.

BLONDEL

Quoi ?

ANTONIO

Ah ! c'est que...

BLONDEL

Dis, mon fils, qu'est-ce que c'est ?

ANTONIO

C'est que je suis bien fâché; je ne pourrai pas vous conduire demain.

BLONDEL

Eh, pourquoi donc ?

ANTONIO

C'est que je suis de noce; mon grand'père et ma grand' mère se remarient, et mon petit-fils, qui est leur frère...

BLONDEL

Ton petit-fils ! tu as un petit-fils ?

ANTONIO

Oui, leur petit-fils, qui est mon frère, se marie aussi le même jour de leur mariage, à une fille de ce canton.

BLONDEL

Eh, dis-moi, elle ne demeurerait pas dans ce château que tu dis, où il y a un soldat qui a un arbalète ?

ANTONIO

Non, non.

BLONDEL

Mais, mon ami, demain, comment ferai- je pour me conduire ?

ANTONIO

Ah ! je vous donnerai un de mes camarades; il est un peu volage, mais je vous ferai venir à la noce, et vous y jouerez du violon. Ah ! ne vous embarrassez pas.

BLONDEL

Tu aimes donc bien à danser ?

ANTONIO

La danse n'est pas ce que j'aime,

mais c'est la fille à Nicolas;

lorsque je la tiens par le bras,

alors mon plaisir est extrême.

Je la presse contre moi-même,

et puis nous nous parlons tout bas,

que je vous plains, vous ne la verrez pas.

BLONDEL

C'est vrai, mon fils, je suis bien à plaindre.

ANTONIO

Elle a quinze ans, moi, j'en ai seize:

ah ! si la mère Nicolas

n'était pas toujours sur nos pas !...

eh bien, quoique cela déplaise,

auprès d'elle je suis bien aise.

Et puis nous nous parlons tout bas.

Que je vous plains, vous ne la verrez pas.

BLONDEL

Continue, je crois la voir.

ANTONIO

Vous la voyez ! ah ! vous êtes aveugle.

BLONDEL

Va, mon fils, va toujours voir si je pourrai trouver où passer cette nuit.

Scène deuxième

Blondel.

Oui, voilà des tours, des fossés, des redoutes; c'est bien là un château fort; il est bien éloigné des frontières, dans un pays sauvage, au milieu des marais; il n'est propre qu'à renfermer des prisonniers d'état. On dit qu'on ne peut en approcher; nous verrons: on se méfiera moins d'un homme que l'on croira aveugle. Orphée, animé par l'amour, s'est ouvert les enfers: les guichets de ces tours s'ouvriront peut-être aux accens de l'amitié.

Ô Richard ! ô mon roi !

L'univers t'abandonne;

sur la terre il n'est que moi

qui s'intéresse à ta personne.

Moi seul, dans l'univers,

voudrait briser tes fers;

et tout le reste t'abandonne !

Et sa noble amie !... ah ! son cœur

doit être navré de douleur.

Ô Richard ! ô mon roi !

L'univers t'abandonne,

etc.

Monarques, cherchez des amis,

non sous les lauriers de la gloire,

mais sous les myrtes favoris

qu'offrent les filles de mémoire.

Un troubadour

est tout amour,

fidélité, constance,

et sans espoir de récompense.

Ô Richard ! ô mon roi !

L'univers t'abandonne;

et c'est Blondel, il n'est que moi

qui s'intéresse à ta personne.

Mais j'entends du bruit; remettons-nous, et reprenons notre rôle.

Scène troisième

Blondel, Williams, Laurette, Guillot.

WILLIAMS

Je t'apprendrai à porter des lettres à ma fille !

GUILLOT

C'est de la part du gouverneur.

WILLIAMS

C'est de la part du gouverneur ?

BLONDEL

(à part)

Ah ! si c'était ce gouverneur.

GUILLOT

Il m'a dit de lui remettre

cette lettre.

WILLIAMS

Ma fille écoute un séducteur !

Non, ma Laurette

n'est point faite

pour amuser le gouverneur.

Et toi, et toi,

si tu reviens, c'est fait de toi.

GUILLOT

Ce n'est pas moi

qui reviendrai; non, sur ma foi.

WILLIAMS

Dis, dis à ce gouverneur

que ma Laurette

n'est point faite

pour écouter un séducteur:

monsieur, monsieur le gouverneur

me fait en ce jour trop d'honneur.

BLONDEL

(à part)

Ah ! si c'était le gouverneur

de ce château: dieux ! quel bonheur !

GUILLOT

Mais, c'est monsieur le gouverneur.

WILLIAMS

Eh, que me fait ce gouverneur !

Oui, sur ma foi,

prends garde à toi.

WILLIAMS

(à Laurette qui paraît)

Et toi, si jamais tu revois

ce séducteur,

tu sentiras

si dans mon bras

il est encor quelque vigueur.

BLONDEL

(à part)

Si je pouvais ! ah, quel bonheur !

Mes bons amis, ne frappez pas,

point de débats.

La paix, la paix, point de débats.

LAURETTE

Mon père, hélas !

Je ne vois pas

le gouverneur.

BLONDEL

Ah ! si c'était ce gouverneur !

ah ! quel bonheur !

Mes bons amis,

soyez unis:

ah ! point de fiel,

la paix du ciel;

point de débats,

ne frappez pas:

(à part)

ah ! si c'était le gouverneur.

Scène quatrième

Williams, Blondel.

WILLIAMS

Rentrez dans la maison; elle dit qn'elle ne l'a point vu, et qu'elle ne lui parle pas, et il lui écrit. Je voudrais bien connaître ce que dit cette lettre; ils ont à présent une manière d'écrire qu'on ne peut déchiffrer. Si quelqu'un ... Ce vieillard n'est pas de ce pays-ci. Bon homme, savez-vous lire ?

BLONDEL

Ah, mon dieu, oui, je sais lire.

WILLIAMS

Eh bien, lisez-moi cela.

BLONDEL

Ah ! mon bon monsieur, je suis aveugle; ces méchans Sarrasins m'ont brûlé les yeux avec une lame d'acier flamboyante; mais ne voyez-vous pas venir un petit garçon ?

WILLIAMS

Oui.

BLONDEL

C'est lui qui me conduit; il sait lire, il vous lira tout ce que vous voudrez. Antonio, est-ce toi ?

Scène cinquième

Les précédens, Antonio.

ANTONIO

Oui, c'est moi, père Blondel.

BLONDEL

Tu as été bien long-temps.

ANTONIO

Ah, c'est que je l'ai trouvée, et je lui ai dit un petit mot.

BLONDEL

Tiens, lis la lettre de ce monsieur que voilà, et lis bien haut et distinctement; lis, lis, mon petit ami.

ANTONIO

« Belle Laurette... »

WILLIAMS

Belle Laurette ! voilà comme ils leur font tourner la tête.

ANTONIO

« Belle Laurette, mon cœur ne peut se contenir de la joie qu'il ressent, par l'assurance que vous me donnez de m'aimer toujours. »

WILLIAMS

Ah ! fille ingrate ! elle l'aime.

BLONDEL

Laissez, laissez. Continue.

ANTONIO

« Si le prisonnier que je ne peux quitter... »

WILLIAMS

Tant mieux.

BLONDEL

(à part)

Le prisonnier ?

ANTONIO

« Si le prisonnier, que je ne peux quitter, me permettait de sortir pendant le jour, j'irais me jeter... »

WILLIAMS

Fût-ce dans les fossés de ton château !

BLONDEL

(à part)

Qu'il ne peut quitter ! Lis toujours.

ANTONIO

« J'irais me jeter à vos pieds; mais si cette nuit... » Il y a là des mots effacés.

BLONDEL

Ensuite.

ANTONIO

« Faites-moi dire par quelqu'un à quelle heure je pourrais vous parler. Votre tendre, fidèle amant et constant chevalier, Florestan. »

WILLIAMS

Ah, damnation ! goddam !

BLONDEL

Goddam ! Est-ce que vous êtes anglais ?

WILLIAMS

Ah, oui, je le suis.

BLONDEL

Vigoureuse nation ! Eh ! comment est-il possible que, né un brave Anglais, vous soyez venu vous établir dans le fond de l'Allemagne, et dans un pays aussi sauvage qu'on m'a dit qu'il était ?

WILLIAMS

Ah, c'est trop long à vous raconter. Est- ce que nous dépendons de nous ? Il ne faut qu'une circonstance pour nous envoyer bien loin.

BLONDEL

Vous avez raison; car, moi je suis de l'Isle de France, et me voilà ici; et de quelle province d'Angleterre êtes-vous ?

WILLIAMS

Du pays de Galles.

BLONDEL

Vous êtes du pays de Galles ! Ah, si j'avais la jouissance de mes yeux, que j'aurais de plaisir à vous voir. Et comment avez-vous quitté ce bon pays ?

WILLIAMS

J'ai été à la croisade, à la Palestine.

BLONDEL

A la Palestine ! et moi aussi.

WILLIAMS

Avec notre roi Richard.

BLONDEL

Avec votre roi ! et moi de même.

WILLIAMS

Quand je suis revenu dans mon pays, n'ai-je pas trouvé mon père mort,

BLONDEL

Il était peut-être bien vieux ?

WILLIAMS

Ah, ce n'est pas de vieillesse. Il avait été tué par un gentilhomme des environs pour un lapin qu'il avait tué sur ses terres. J'apprends cela en arrivant: je cours trouver ce gentilhomme, et j'ai vengé la mort de mon père par la sienne.

BLONDEL

Ainsi, voilà deux hommes tués pour un lapin.

WILLIAMS

Cela n'est que trop vrai.

BLONDEL

Enfin, vous vous êtes enfui ?

WILLIAMS

Oui, avec ma fille et ma femme, qui est morte depuis, et me voilà. La justice a mangé mon château et mon fief, et je n'ai plus rien là-bas, qu'une sentence de mort; mais ici je ne les crains pas.

BLONDEL

Je vous demande bien pardon de toutes mes questions.

WILLIAMS

Ah ! il ne me déplaît pas de parler de tout cela.

BLONDEL

Et à la croisade, vous avez donc connu le brave roi Richard, ce héros, ce grand homme ?

WILLIAMS

Oui, puisque j'ai servi sous lui.

BLONDEL

Et sans doute vous avez...

WILLIAMS

Mais, j'ai affaire, et je crois que voilà cette voyageuse qui va arriver.

Scène sixième

Laurette, Blondel, Antonio.

(Antonio, pendant cette scène, tire du pain d'un bissac, et va le manger un peu loin.)

LAURETTE

Ah ! bon homme ! dites-moi, je vous en prie, dites-moi ce que vous a dit mon père.

BLONDEL

C'est vous qui êtes la belle Laurette ?

LAURETTE

Oui, monsieur.

BLONDEL

Votre père est fort irrité; il sait ce que contient la lettre du chevalier Florestan.

LAURETTE

Oui, Florestan; c'est son nom. Est-ce qu'on a lu la lettre à mon père ?

BLONDEL

Non pas moi; je suis aveugle, mais c'est mon petit conducteur.

ANTONIO

Oui, c'est moi; mais, est-ce que vous ne me l'aviez pas dit, de la lire ?

LAURETTE

On aurait bien fait de ne pas le faire.

BLONDEL

Il l'aurait fait lire par un autre.

LAURETTE

C'est vrai. Et que disait la lettre ?

BLONDEL

Que sans le prisonnier qu'il garde... et qu'est-ce que c'est que ce prisonnier?

LAURETTE

On ne dit pas ce qu'il est.

BLONDEL

Que sans le prisonnier qu'il garde, il viendrait se jeter à vos pieds.

LAURETTE

Pauvre chevalier !

BLONDEL

Mais que cette nuit...

LAURETTE

Cette nuit... ah ! la nuit !...

(Elle soupire.)

Je crains de lui parler la nuit:

j'écoute trop tout ce qu'il dit.

Il me dit, je vous aime; et je sens malgré moi,

je sens mon cœur qui bat, et je ne sais pourquoi.

Puis, il prend ma main, il la presse

avec tant de tendresse,

que je ne sais plus où j'en suis;

je veux le fuir, mais je ne puis.

Ah, pourquoi lui parler la nuit

etc.

BLONDEL

Vous l'aimez donc bien, belle Laurette ?

LAURETTE

Ah, mon dieu, oui, je l'aime bien.

BLONDEL

En vérité, votre aveu est si naïf, que je ne peux m'empêcher de vous donner un conseil.

LAURETTE

Dites, dites. Je ne sais ici à qui me confier; mais votre air, votre âge: et puis vous ne pouvez me voir; tout cela me donne la hardiesse de vous parler, et me fait, je crois, moins rougir.

BLONDEL

Eh bien, belle Laurette...

LAURETTE

Mais, qui vous a dit que j'étais belle ?

BLONDEL

Hélas ! pour moi, pauvre aveugle, la beauté d'une femme est dans le charme, dans la douceur de sa voix.

LAURETTE

Eh bien ?

BLONDEL

Je vous dirai donc que lorsque ces chevaliers, ces gens de haute condition s'adressent à une jeune personne d'un état inférieur, moins touchés souvent de la beauté, de la noblesse de son âme, que de celle de leur extraction...

LAURETTE

Eh bien ?

BLONDEL

Ils ne se font quelquefois aucun scrupule de la tromper.

LAURETTE

Mais ma noblesse est égale à la sienne.

BLONDEL

Le sait-il ?

LAURETTE

Sans doute. Quoique mon père ait peu d'aisance, nous avons toujours vécu noblement; et si je ne craignais sa vivacité, vivacité qui heureusement l'a forcé de s'établir dans ce pays-ci, je lui aurais confié les intentions du chevalier.

BLONDEL

C'est lui qui est le gouverneur de ce château ?

LAURETTE

Oui.

BLONDEL

Et tout en attendant cette confiance en votre père, vous le recevrez cette nuit: cette nuit ! ce chevalier que vous aimez, vous lui parlerez cette nuit ! Écoutez-moi, ceci n'est qu'une chansonnette.

Un bandeau couvre les yeux

du dieu qui rend amoureux;

cela nous apprend, sans doute,

que ce petit dieu badin

n'est jamais, jamais plus malin,

que quand il n'y voit goutte.

LAURETTE

Ah ! redites-moi, s'il vous plaît,

ce joli couplet.

Ah ! je ne dois pas l'oublier;

je veux l'apprendre au chevalier.

BLONDEL

Très-volontiers

(Ils reprennent ensemble.)

BLONDEL, LAURETTE

Un bandeau couvre les yeux

etc.

LAURETTE

Ah, voici je ne sais combien de personnes qui arrivent; des chevaux, des chariots. C'est sans doute cette dame qui vient loger ici; j'y cours.

BLONDEL

Écoutez donc, belle Laurette, j'ai quelque chose à vous dire.

LAURETTE

De lui ?

BLONDEL

Non.

LAURETTE

Dites donc vite.

BLONDEL

Pourrai-je passer cette nuit-ci seulement, dans votre maison ?

LAURETTE

Non: cela ne se peut pas. Mon père, à la prière d'un ancien ami, a cédé, pour cette nuit seulement, sa maison toute entière, à une grande dame; et, à moins qu'elle ne le permette, nous ne pouvons pas disposer du plus petit endroit: mais demain... Adieu.

BLONDEL

Allons, prenons patience. Antonio ?

ANTONIO

Plaît-il ?

BLONDEL

Va voir s'il n'y a pas d'autre retraite aux environs.

Scène septième

Blondel, Marguerite, comtesse de Flandres et d'Artois.

(Alors paraissent des gens de toutes sortes, des domestiques, des chevaliers; ils donnent le bras à Marguerite. Elle paraît descendre de son palefroi, et est accompagnée de femmes suivantes. Elle a l'air de donner des ordres.)

BLONDEL

Ciel ! que vois-je ? c'est la comtesse de Flandres ! c'est Marguerite; c'est le tendre et malheureux objet de l'amour de l'infortuné Richard ! Ah, j'accepte le présage: sa rencontre ici ne peut être qu'un coup du ciel. Si le roi est ici, et si ces tours lui servent de prison... Ah, dieu ! mais, peut-être me trompai-je !... Voyons si vraiment c'est elle. Si c'est Marguerite, son âme ne pourra se refuser aux douces impressions d'un air qu'en des temps bienheureux son amant a fait pour elle.

(Il joue cet air sur son violon. Dès les premières phrases, Marguerite s'arrête, écoute, s'approche.)

MARGUERITE

O ciel, qu'entends-je !... Bon homme, qui peut vous avoir appris l'air que vous jouez si bien sur votre violon ?

BLONDEL

Madame, je l'ai appris d'un brave écuyer qui venait de la terre-sainte, et qui, disait-il, l'avait entendu chanter au roi Richard.

MARGUERITE

Il vous a dit la vérité.

BLONDEL

Mais, madame, vous qui avez la voix d'un ange, n'êtes-vous pas cette grande dame qui doit occuper la maison qu'on m'a dit être ici tout près ?

MARGUERITE

Oui, bon homme.

BLONDEL

Ayez pitié, je vous prie, d'un pauvre aveugle, et permettez-lui d'y passer cette nuit, dans le lieu où il n'incommodera personne.

MARGUERITE

Ah ! je le veux bien, pourvu que vous répétiez plusieurs fois l'air que vous venez de jouer.

BLONDEL

Ah, tant qu'il vous plaira.

MARGUERITE

(à ses gens)

Je vous recommande ce bon vieillard.

(Williams donne la main à Marguerite, et la conduit dans sa maison.)

Scène huitième

Blondel se met à jouer plusieurs fois ce même air, avec des variations. Pendant ce temps, tout le bagage se décharge: les gens de la comtesse vont et viennent, on dresse une grande table à la porte, on y met du vin et des verres.

UN PREMIER DOMESTIQUE

(à Blondel)

Allons, bon homme, mettez-vous là, vous boirez un coup avec nous.

BLONDEL

Antonio ?

ANTONIO

Me voilà.

BLONDEL

(lui donnant son verre plein)

Tiens, bois mon fils, bois.

(On verse à Blondel un second verre, et il dit après avoir bu:)

En vous remerciant, mes amis; mais je veux payer mon écot.

UN DOMESTIQUE

Eh, comment ça ?

BLONDEL

En vous disant une chanson, et vous ferez chorus.

UN AUTRE DOMESTIQUE

Allons, c'est un bon vivant. Courage, père.

BLONDEL

(joue de violon en chantant)

Que le sultan Saladin

rassemble dans son jardin

un troupeau de jouvencelles,

toutes jeunes, toutes belles,

pour s'amuser le matin,

c'est bien, c'est bien.

Cela ne nous blesse en rien.

Moi je pense comme Grégoire,

j'aime mieux boire.

(Ces deux vers sont repris en chœur.)

Qu'un seigneur, qu'un haut baron,

vende jusqu'à son donjon

pour aller à la croisade,

qu'il laisse sa camarade

dans les mains de gens de bien,

c'est bien, c'est bien,

cela ne nous blesse en rien.

Moi je pense comme Grégoire,

j'aime mieux boire.

UN OFFICIER DE LA COMTESSE

Voilà madame qui va se retirer dans son appartement.

UN DOMESTIQUE

Rachevons: encore un couplet, père.

BLONDEL

Que le vaillant roi Richard,

aille courir maint hasard,

pour aller loin d'Angleterre

conquérir une autre terre

dans le pays d'un payen;

c'est bien, c'est bien,

cela ne nous blesse en rien.

Moi je pense comme Grégoire,

j'aime mieux boire.

BÉATRIX

Finissez donc, Madame vous entend de son appartement.

(Blondel feint de prendre Béatrix pour son petit garçon, et Antonio l'emmène.)

Acte deuxième
Scène première.

Le théâtre représente l'intérieur d'un château fort. Sur le devant est une terrasse. Elle est entourée de grilles de fer, et cette terrasse est disposée de façon que Richard, lorsqu'il y est, ne peut voir le fond du théâtre, qui représente un fossé revêtu extérieurement d'un parapet. C'est sur la terrasse que paraît Richard, et c'est sur le parapet que Blondel est vu.
Le roi Richard, Florestan

(Le théâtre est peu éclairé, surtout dans le fond; il s'éclaire par degré; l'aurore se lève après le crépuscule.)

FLORESTAN

L'aurore va se lever, profitez-en, sire, pour votre santé: dans une heure on va vous renfermer.

RICHARD

Florestan ?

FLORESTAN

Sire ?

RICHARD

Votre fortune est dans vos mains.

FLORESTAN

Je le sais, sire; mais mon honneur...

RICHARD

Pour un perfide ! pour un traître !

FLORESTAN

Pour un traître ! s'il l'était, sire, je ne le servirais pas. Non, je ne le servirais pas, si je croyais qu'il fût un perfide.

RICHARD

Mais, Florestan...

(Florestan fait une révérence respectueuse, ne répond rien et sort.)

Scène deuxième

Richard, sur la terrasse.

RICHARD

Ah, grand dieu ! quel funeste coup du sort ! convert de lauriers cueillis dans la Palestine, au milieu de ma gloire, dans la vigueur de l'âge, être obscurément confiné comme le dernier des hommes, dans le fond d'une prison.

(Il se lève.)

Si l'univers entier m'oublie,

s'il faut ici passer ma vie,

que sert ma gloire, ma valeur ?

(Il regarde le portrait de Marguerite.)

Douce image de mon amie,

viens calmer, consoler mon cœur;

un instant suspens ma douleur.

Ô souvenir de ma puissance !

Crois-tu ranimer ma constance ?

Non, tu redoubles mon malheur.

Ô mort ! viens terminer ma peine;

ô mort ! viens, viens briser ma chaîne:

l'espérance a fui de mon cœur.

Scène troisième

Richard, Blondel, Antonio.

(Richard est le coude appuyé sur une saillie de pierre, et paraît abymé dans le plus profond chagrin. Sa tête est en partie cachée par sa main.)

BLONDEL

Petit garçon, arrêtons-nous ici: j'aime à respirer cet air frais et pur qui annonce et accompagne le lever de l'aurore. Où suis-je à présent ?

ANTONIO

Près du parapet de cette forteresse, où vous m'avez dit de vous mener.

BLONDEL

C'est bien.

(Comme il semble tâter le parapet pour monter dessus.)

ANTONIO

Ah, ne montez pas dessus ce parapet, vous tomberiez dans un grand fossé plein d'eau, et vous vous noyeriez.

BLONDEL

Ah ! je n'en ai pas d'envie. Tiens, mon fils, voilà de l'argent, va nous chercher quelque chose pour déjeûner.

ANTONIO

Ah, vous me donnez trop.

BLONDEL

Le reste sera pour toi.

ANTONIO

En vous remerciant

(Il part.)

BLONDEL

Quand tu seras revenu, nous irons promener. Sans doute que les campagnes sont aussi belles que je les ai vues autrefois. Au défaut de mes yeux, je me plais à l'imaginer. Tu ne réponds pas. Ah ! est-il parti ?

Scène quatrième

Richard, sur sa terrasse; Blondel, monte et s'arrange sur le parapet.

RICHARD

Une année ! une année entière se passe, sans que je reçoive aucune consolation, et je ne prévois aucun terme au malheur qui m'accable.

BLONDEL

S'il est ici, le calme du matin, le silence qui règne dans ces lieux laissera sans doute pénétrer ma voix jusqu'au fond de sa retraite. Eh ! s'il est ici, peut-il n'être pas frappé d'une romance qu'autrefois l'amour lui a inspirée ? Auteur, amoureux et malheureux, que de raisons pour s'en souvenir !

RICHARD

Trône, grandeurs, souveraine puissance ! vous ne pouvez donc rien contre une telle infortune ! Et Marguerite ! Marguerite !

(Pendant ce couplet, Blondel paraît accorder son violon presque'en sourdine, afin de faire sentir qu'il est très- loin. Il commence à jouer lors du mot, Marguerite.)

Quels sons ! ô ciel, est-il possible qu'un air que j'ai fait pour elle, ait passé jusqu'ici ! Écoutons.

(Lorsque Blondel commence à chanter.)

Ciel ! quels accens !... quelle voix ?

BLONDEL

Une fièvre brûlante

un jour me terrassait...

RICHARD

Je connais cette voix-là.

BLONDEL

et de mon corps chassait

mon âme languissante;

madame approche de mon lit,

et loin de moi la mort s'enfuit.

(Il s'arrête et écoute.)

(Pendant ce couplet, Richard marque tous les degrés de surprise, de joie et d'espérance. Il cherche à se rappeler la fin du couplet, s'en souvient et dit:)

RICHARD

Un regard de ma belle

fait dans mon tendre cœur

à la peine cruelle

succéder le bonheur.

(Pendant ce couplet, Blondel marque la joie la plus vive, il a même l'air de se trouver mal de saisissement.)

BLONDEL

Dans une tour obscure

un roi puissant languit;

son serviteur gémit

de sa triste aventure.

RICHARD

(dit)

Ciel ! c'est Blondel !

RICHARD

Si Marguerite était ici,

je m'écrirais, plus de souci.

Ensemble

BLONDEL

Un regard de sa belle

fait dans son tendre cœur

à la peine cruelle

succéder le bonheur.

RICHARD

Un regard de ma belle

fait dans mon tendre cœur

à la peine cruelle

succéder le bonheur.

(Blondel répète le refrain, en faisant la deuxième partie; il danse, il saute, exprime sa joie, par l'air qu'il joue sur son violon.)

Scène cinquième

Blondel, Richard, Florestan, Des soldats.

(Le gouverneur et des soldats font rentrer le roi; la porte de la terrasse se ferme. Des soldats s'emparent de Blondel, et le font passer par une poterne, et entrer dans les fortifications. Alors il paraît au-devant du théâtre.)

LES SOLDATS

Sais-tu, connais-tu, sais-tu,

qui peut t'avoir répondu ?

Réponds, réponds, reponds vite:

ah ! que tu n'en es pas quitte.

BLONDEL

(feignant d'avoir peur)

Sans doute quelque passant

que divertissait mon chant.

LES SOLDATS

En prison, vite en prison;

tu diras-là ta chanson.

BLONDEL

Ah, messieurs, point de colère;

ayez pitié de ma misère.

Les Sarrasins, furieux,

de la lumière des cieux

ont privé mes pauvres yeux.

LES SOLDATS

Ah, tant mieux pour toi, tant mieux:

tu périrais dans ces lieux

si tu portais de bons yeux.

BLONDEL

Ah, messieurs ! attende donc;

je dois obtenir mon pardon.

Je veux parler à monsieur,

à monsieur le gouverneur,

pour un avis important

qu'il doit savoir à l'instant.

DES SOLDATS

(à un officier)

Il veut parler à monsieur,

à monsieur le gouverneur.

BLONDEL

Pour un avis important

qu'il doit savoir à l'instant.

LES SOLDATS

Pour un avis important,

qu'il doit savoir à l'instant.

LES OFFICIERS ET LES SOLDATS

Tu vas parler à monsieur,

à monsieur le gouverneur,

puisque l'avis important

doit être su dans l'instant.

Le voici; mais prends garde à toi:

oui sur ma foi,

tu périrais,

si tu mentais,

si tu mentais à monseigneur,

à monseigneur le gouverneur.

Scène sixième

Les précédens, Florestan.

UN SOLDAT

Voici monseigneur le gouverneur.

BLONDEL

Où est-il, monseigneur le gouverneur ?

FLORESTAN

Me voilà.

BLONDEL

De quel côté ? où est-il ?

FLORESTAN

Ici.

BLONDEL

J'ai un avis important à lui donner.

FLORESTAN

Eh bien, de quoi s'agit-il ? mais ne cherche points à mentir, ni à m'amuser; car à l'instant tu perdrais la vie.

BLONDEL

Ah, monsieur ! c'est être déjà mort à moitié que d'avoir perdu la vue: eh ! comment un pauvre aveugle pourrait-il prétendre à vous tromper ?

FLORESTAN

Eh bien, parle.

BLONDEL

Êtes-vous seul ?

FLORESTAN

Oui. Retirez-vous, vous autres.

(Les soldats se retirent dans le fond.)

BLONDEL

Monsieur, c'est que la belle Laurette...

FLORESTAN

Parle bas.

BLONDEL

C'est que la belle Laurette m'a lu la lettre que vous lui avez écrite, afin que vous vissiez que je suis envoyé par elle: or, vous y dites que vous vous jetez à ses pieds, et vous lui demandez un rendez-vous pour cette nuit.

FLORESTAN

Eh bien, mon ami ?

BLONDEL

Eh bien, monsieur, elle m'a dit de vous dire que vous pouviez venir à l'heure que vous vous voudriez.

FLORESTAN

Comment, à l'heure que je voudrais ?

BLONDEL

Il y a chez son père une dame de haut parage, qui, pour célébrer la joie d'une nouvelle intéressante, y donne toute la nuit à danser, à boire, à manger et rire et vous pourriez y venir sous quelque prétexte; alors la belle Laurette trouvera toujours bien l'occasion de vous dire quelque petite chose.

FLORESTAN

C'est donc pour me parler que tu as chanté ?

BLONDEL

C'est pour être mené vers vous que j'ai fait tout ce bruit avec mon violon.

FLORESTAN

Il n'y a pas de mal: dis-lui que j'irai. Mais se servir d'un aveugle pour faire une commission ! ah ! elle est charmante ! va-t-en.

BLONDEL

Mais, monsieur le gouverneur ! monsieur le gouverneur !

FLORESTAN

Eh bien ?

BLONDEL

Ah, vous voilà de ce côté là. Pour qu'on ne soupçonne rien de ma mission, grondez-moi bien fort, et renvoyez-moi.

FLORESTAN

Tu as raison.

(à part)

Ce drôle a de l'esprit.

Pour le peu que tu m'as dit,

fallait-il faire ce bruit !

BLONDEL

Ah ! je n'ai pas fait de bruit;

vos soldats ont fait ce bruit.

LES SOLDATS

Téméraire, téméraire !

Tu devrais, tu dois te taire.

Alarmer la garnison !

tu devrais être en prison.

Scène huitième

Les précédens, Antonio.

(Il a un pain passé dans un baton.)

ANTONIO

Ah, messieurs ! pardon, pardon.

Ayez pitié de sa misère.

Les Sarrasins furieux,

ont privé ses pauvres yeux

de la lumière des cieux.

LES SOLDATS

Ah, tant mieux, tant mieux,

s'il avait porté de bons yeux,

il périrait dans ces lieux.

Va, retire-toi:

mais prends garde à toi;

ici si jamais

tu paraissais,

tu périrais.

BLONDEL

Messieurs, croyez-moi,

ici si jamais

je revenais,

je me soumets à votre loi.

Ah, croyez-moi.

Ah, croyez-moi.

ANTONIO

Ici si jamais

il revenait,

ah, ce serait

sans moi, sans moi;

ah, ce serait

sans moi, sans moi.

(Blondel s'en va en repassant par la poterne avec son guide; et les soldats et le gouverneur, par la porte qui lui a servi d'entrée.)

Acte troisième
Scène première

Le théâtre représente la grande salle de la maison de Williams.
Blondel, Deux hommes de la comtesse.

(On entend la ritournelle du morceau.)

Ensemble

BLONDEL

Il faut, il faut,

il faut que je lui parle.

Mon cher Urbin, mon ami Charle,

il faut que je lui dise un mot.

Tout au plutôt, tout au plutôt.

Mon cher Urbin, mon ami Charles,

à l'instant, ciel ! quoi, dans l'instant !

Voici de l'or.

De l'or, afin que je lui parle.

Ah ! que je lui parle à l'instant.

Dans ce moment.

Eh bien soit; ah ! que je lui parle.

Mon cher Urbin, mon ami Charles,

pourvu que je lui dise un mot,

je suis content; mais au plutôt.

LES DEUX HOMMES

Il faut, il faut,

vous ne pouvez lui dire un mot.

On chasserait Urbin et Charles,

si nous vous laissions dire un mot.

Sortez, sortez tout au plutôt.

Nous allons partir à l'instant;

oui, dans l'instant.

(À part.)

Est-ce de l'or ? oui, c'est de l'or.

De l'or ! attendez. Mais comment

peut-il parler en ce moment ?

Le pourrait-il en ce moment ?

À la dame de compagnie,

on peut lui dire qu'il la prie...

dans ce moment,

tout au plutôt.

Scène deuxième

La dame de compagnie, La comtesse, sir Williams, Les chevaliers, Le sénéchal.

(La dame de compagnie arrive avant la comtesse et ses chevaliers. Les deux hommes qui étaient sur la scène vont parler à la dame de compagnie, qui sort avec eux. Il reste avec la comtesse une autre dame de compagnie.)

MARGUERITE

Sir Williams, je ne peux trop vous remercier du gracieux accueil que j'ai reçu chez vous.

WILLIAMS

Madame, que ne puis-je vous retenir plus long-temps !

MARGUERITE

Cela ne peut être.

LE SÉNÉCHAL

Madame, tout sera bientôt prêt pour votre départ.

MARGUERITE

Ah, chevalier, ce soir assignera le terme à notre voyage qu'il m'en coûte de vous dire ce qui va le terminer !

LE SÉNÉCHAL

Quoi donc, madame ?

MARGUERITE

Je vais consacrer mes jours à une retraite éternelle.

LE SÉNÉCHAL

Vous, madame ?

MARGUERITE

Un long chagrin qui me dévore me rend incapable de m'occuper du bonheur de mes sujets. Je vais, chevalier, faire ajouter quelques mots à cet écrit, vous le remettrez aux états assemblés; ce sont mes volontés.

Scène troisième

Les précédens, Béatrix, Dame suivante.

BÉATRIX

Madame ?

MARGUERITE

Que voulez-vous ?

BÉATRIX

Ce bon homme à qui vous avez permis de passer la nuit dans ce logis, et qui n'est plus aveugle.

MARGUERITE

Eh bien ?

BÉATRIX

Il demande l'honneur de vous être présenté.

MARGUERITE

Que me veut-il ? Ah ciel !

BÉATRIX

Je lui ai dit que madame était bien triste. Il m'a répondu: si je lui parle, je la rendrai gaie. Entendez-vous sa voix, madame; il l'a très-belle.

MARGUERITE

Qu'il paraisse, peut-être a-t-il appris cette complainte de la bouche même de Richard.

Scène quatrième

Les précédens, Blondel.

MARGUERITE

Eh bien, bon homme, on dit que vous demandez à m'être présenté.

BLONDEL

Oui, madame; mais qu'il est difficile d'approcher des grands, même pour leur rendre service !

MARGUERITE

Qui était celui qui vous a appris ce que vous chantiez si bien tout-à-l'heure, et en quel lieu de la terre cette complainte vous-at-elle été connue ?

BLONDEL

Je ne peux le dire qu'à vous.

(Béatrix se retire.)

MARGUERITE

Hier, vous étiez aveugle ?

BLONDEL

Oui, madame, mais je ne le suis plus. Eh, quelles grâces n'ai-je point à rendre au ciel, puisqu'il me fait jouir de la présence de madame Marguerite, comtesse de Flandres et d'Artois.

MARGUERITE

Ciel ! vous me connaissez ?

BLONDEL

Oui, madame, et reconnaissez Blondel.

MARGUERITE

Quoi ! c'est vous, Blondel ! vous étiez avec le roi ! où l'avez-vous laissé ?

BLONDEL

Le roi, le roi, que je cherchais depuis un an, le roi, madame, est à cent pas d'ici.

MARGUERITE

Le roi !

BLONDEL

Il est prisonnier dans ce château que vous voyez de vos fenêtres; car, sans le voir, je lui ai parlé ce matin.

MARGUERITE

Ah, dieu ! ah, Blondel ! chevaliers !

BLONDEL

Madame, qu'allez-vous dire ?

MARGUERITE

Qu'ai-jé à craindre ? ce sont tous mes chevaliers, tous attachés à moi, à ma personne, et sir Williams est anglais.

(Les chevaliers, Williams et Béatrix s'approchent.)

BLONDEL

Oui, chevaliers, oui, ce rempart

tient prisonnier le roi Richard.

CHEVALIERS

Que dites-vous ? le roi Richard ?

Richard ! qui ? le roi d'Angleterre ?

BLONDEL

Oui, chevaliers, oui, ce rempart

tient prisonnier le roi Richard.

C'est là qu'est le roi d'Angleterre.

Ensemble

CHEVALIERS

Qui vous l'a dit ? par quel hasard

avez-vous connu cette affaire ?

Comment savez-vous ce mystère ?

MARGUERITE

Qui vous l'a dit ? par quel hasard ?

Ah, grand dieu ! mon cœur se serre.

BLONDEL

Par moi, qui, sous cet habit vil

m'en suis approché sans péril.

Sa voix a pénétré mon âme:

je la connais. Oui, oui, madame,

oui, chevaliers, oui, ce rempart

tient prisonnier le roi Richard.

MARGUERITE

Ah ! s'il est vrai, quel jour prospère !

Ah ! grand dieu !... ah ! mon cœur se serre

de joie et de saisissement.

CHEVALIERS, WILLIAMS, MARGUERITE, BÉATRIX

Ah, grand dieu, quel étonnement !

quel bonheur ! quel événement !

Travaillons à sa délivrance.

Marchons, marchons.

BLONDEL

Point d'imprudence;

travaillons à sa délivrance:

mais il faut agir prudemment.

CHEVALIERS

Travaillons à sa délivrance.

MARGUERITE

Que faire pour sa délivrance ?

Ah, Blondel ! quel heureux moment !

Que faire pour sa délivrance ?

Chevaliers, écoutez Blondel.

CHEVALIERS

Blondel ! Blondel ! oui, c'est Blondel.

MARGUERITE

Chevaliers, connaissez Blondel.

Ah, quel bonheur ! quel coup du ciel !

BLONDEL

Travaillons à sa délivrance,

et ne parlons point de Blondel.

Scène cinquième

Les précédens.

MARGUERITE

Ah chevaliers, ah, sir Williams, et vous Blondel, mon cher Blondel, voyez entre vous ce qu'il convient de faire pour délivrer le roi; la joie, la surprise... cette nouvelle m'a saisie, de manière que je ne peux jouir de ma réflexion; servez- vous de tout mon pouvoir, c'est de moi, c'est de mon bonheur que vous allez vous occuper.

(Elle sort, en s'appuyant sur les bras de ses femmes.)

Scène sixième

Le sénéchal, Williams, Blondel, Deux chevaliers.

LE SÉNÉCHAL

Oui, c'est l'infortune de Richard qui faisait toute sa peine.

BLONDEL

Sirs chevaliers, sir Williams, le temps est précieux; voyons quels sont les moyens qui s'offrent à nous pour délivrer Richard; sachons d'abord quel est l'homme qui le garde: Williams, quel homme est-ce que ce gouverneur ? le connaissez-vous ?

WILLIAMS

Que trop.

BLONDEL

L'intérêt peut-il quelque chose sur lui !

WILLIAMS

Non.

BLONDEL

Et la crainte ?

WILLIAMS

Encore moins.

BLONDEL

Ni l'intérêt ni la crainte ! c'est un homme bien rare. Écoutez, chevaliers, et vous Williams, voici mon avis: le gouverneur va venir parler à votre fille.

WILLIAMS

Parler à ma fille !

BLONDEL

Oui, il sait que ce soir vous donnez un bal, une fête.

WILLIAMS

Moi !

BLONDEL

Oui, vous. Et faites tout préparer à l'instant pour recevoir ici les bonnes gens des noces qui s'amusent ici près, et que j'ai prévenus de votre part.

WILLIAMS

Des noces ! un bal ! il sait que je donnerais une fête ! et de qui aurait-il pu savoir ?...

BLONDEL

De moi.

WILLIAMS

De vous ! Eh, comment cela se peut-il ?

BLONDEL

Enfin il le sait, je vous le dirai; mais ne perdons pas un instant: il viendra ici dans l'espoir que cette fête lui donnera des moyens de parler à la belle Laurette.

WILLIAMS

Ah ! qu'il lui parle.

BLONDEL

Oui, il lui parlera; mais qu'aussitôt il soit entouré des officiers de la princesse, qu'il soit sommé de rendre le roi: s'il refuse, alors la force.

LE SÉNÉCHAL

Oui, la force. Armons-nous, forçons le château.

WILLIAMS

Forcer le château ! Eh, que peuvent vingt ou trente hommes, armés seulement de lances et d'épées, contre cent hommes de garnison placés dans un château fort ?

LE SÉNÉCHAL

Vingt ou trente hommes ! et les soldats qui jusqu'ici ont servi d'escorte à Marguerite, et qui sont dans la forêt voisine en attendant notre retour, je vais les faire avancer. Eh, que ne peuvent la valeur, notre exemple, et le désir de délivrer le roi !

BLONDEL

Ah, sénéchal ! vous me rendez la vie. Est-il quelqu'un de nous qui ne se sacrifie pour une si belle cause ? Williams, Richard est dans les fers, et vous êtes anglais.

WILLIAMS

Ou le délivrer ou mourir.

BLONDEL

Sénéchal, faites promptement avancer votre escorte, faites armer vos chevaliers, que Florestan soit arrêté; et dès que nos gens seront au pied des murailles, le signal de l'assaut. J'ai remarqué un endroit faible où, à l'aide des travailleurs, j'espère faire brèche, et montrer à nos amis le chemin de la victoire. En attendant, Williams, faites tout préparer ici pour la danse.

(Williams sort.)

Scène septième

Blondel, seul.

Si l'amitié la plus pure, si l'ardeur la plus vive peuvent inspirer un cœur tendre et sensible, que ne dois-je pas attendre des motifs qui m'enflamment !

Scène huitième

Williams, Laurette, Les domestiques.

WILLIAMS

(aux garçons)

Préparez tout ici, rangez cette table, et enlevez les meubles qui peuvent embarasser.

LAURETTE

Est-ce que l'on va danser ?

WILLIAMS

Oui, ma fille, ma chère fille.

LAURETTE

Ma chère fille ! ah ! mon père n'est plus en colère. On va danser ! Ah, si le chevalier le savait ! peut-être pourrait-il...

WILLIAMS

Allons, aide-nous à préparer cette salle; nou allons danser.

(Pendant ce temps les garçons rangent les meubles et préparent la salle.)

Mettez encore ici des lumières.

Scène neuvième

Les précédens, Blondel.

BLONDEL

(à Laurette)

Le gouverneur, après la danse,

viendra se rendre dans ces lieux.

LAURETTE

Ah, quel bonheur ! que sa présence

pour moi doit embellir ces lieux !

BLONDEL

(à Williams qui approche)

Nous n'avons point de mystère:

je lui disais que mes yeux

revoyaient enfin les cieux.

LAURETTE

Nous n'avons point de mystère:

non, mon père, non, mon père:

ce bon homme doit vous plaire.

WILLIAMS

Parlez, parlez sans mystère;

ce bon homme a su me plaire.

LAURETTE

(à part)

Est-il bien sûr de ma tendresse ?

Me sera-t-il toujours constant ?

BLONDEL

Si vous aviez vu son ivresse !

Son cœur sera toujours constant.

LAURETTE

Son ivresse !...

Son cœur sera toujours constant !

WILLIAMS

Il te disait que ses yeux

revoyent enfin la lumière ?

LAURETTE

Oui, mon père, oui, mon père.

Nous n'avons pas de mystère:

il me disait que ses yeux

revoyaient enfin les cieux.

BLONDEL

Nous n'avons plus de mystère.

Je lui disais que mes yeux

revoyaient enfin les cieux.

Je voulais vous dire encore...

LAURETTE

Je ne veux point qu'il ignore...

WILLIAMS

Il te disait que ses yeux...

LAURETTE

Oui, mon père, oui, mon père

etc.

Scène dixième

Williams, Laurette, Antonio.

(Les noces paraissent; ensuite on danse.)

UN PAYSAN

Et zig, et zoc,

et fric, et froc,

quand les boeufs

vont deux à deux,

le labourage en va mieux.

Sans berger, si la bergère

est en un lieu solitaire,

tout pour elle est ennuyeux;

mais si le berger Sylvandre

auprès d'elle vient se rendre,

tout s'anime à l'entour d'eux.

Et zic, et zoc,

et fric, et froc,

quand les boeufs

vont deux à deux,

le labourage en va mieux.

Qu'en dites-vous, ma commère ?

Eh, qu'en dites-vous, compère ?

Rien ne se fait bien qu'à deux.

Les habitans de la terre,

hélas ! ne dureraient guère,

s'ils ne disaient point entr'eux,

et zig, et zoc,

et fric, et froc

etc.

La danse continue. À l'instant où le gouverneur entre et est prét de danser avec Laurette, on entend un grand bruit de tambour.

FLORESTAN

Ciel ! qu'entends-je ?

WILLIAMS

(accompagné des chevaliers de Marguerite)

Je vous arrête.

FLORESTAN

Vous ?

WILLIAMS

Moi.

FLORESTAN

Qu'osez-vous faire ? dieu, quelle trahison !

Dieu ! qu'est-ce que prétend

ce parti violent ?

CHEVALIERS

Que Richard à l'instant

soit remis dans nos mains;

oui, qu'ici ses destins

soient remis dans nos mains.

FLORESTAN

Non, jamais ses destins

ne seront dans vos mains.

Le théâtre change, et représente l'assaut donné à la forteresse pur les troupes de Marguerite; Blondel et Williams encouragent les assiégeants; les assiégés reçoivent un renfort, et repoussent l'attaque avec avantage.

Blondel alors jette son habit d'aveugle, et sous celui que couvrait sa casaque, il se met à la tête des pionners; il les place, et leur fait attaquer l'endroit faible dont il a parlé; l'assaut continue. On voit paraître, sur le haut de la forteresse, Richard qui, sans armes, fait les plus grands efforts pour se débarrasser de trois hommes armés. Dans cet instant la muraille tombe avec fracas; Blondel monte à la brèche, court auprès du roi, perce un des soldats, lui arrache son sabre, le roi s'en saisit; ils mettent en fuite les soldats qui s'opposent à eux. Alors Blondel se jette aux genoux de Richard, qui l'embrasse. Dans ce moment le chœur chante « vive Richard », sur une fanfare très-éclatante. Les assiégeants arborent le drapeau de Marguerite; dans ce moment elle paraît, suivie de ses femmes et de tout le peuple; elle voit Richard délivré de ses ennemis, et conduit par Blondel; elle tombe évanouie, soutenue par ses femmes, et ne reprend ses esprits que dans les bras de Richard.

Florestan ensuite est conduit aux pieds du roi par le sénéchal et Williams; Richard lui rend son épée. Toute cette action se passe sur la marche, depuis la fanfare qui finit le combat.

RICHARD

Ô ma chère comtesse !

Ô doux objet de toute ma tendresse !

MARGUERITE

Ah ! Richard ! ô mon roi ! ah, dieux !

RICHARD

À la tendresse

je dois ce moment heureux.

MARGUERITE

(montrant Blondel)

C'est à Blondel, c'est à son cœur.

RICHARD

(embrasse Blondel)

C'est à ton cœur.

Ensemble

RICHARD

Qu'en ce jour je dois mon bonheur.

Délivré par ceux que j'aime,

de mes sujets oublié,

c'est l'amour et l'amitié

qui font mon bonheur suprême.

MARGUERITE, BLONDEL

Qu'en ce jour je dois ce bonheur.

C'est l'amour et l'amitié

qui font mon bonheur suprême.

Chœur.

Ensemble

LES FEMMES DE LA COMTESSE, LAURETTE, ANTONIO, PAYSANS

Ah ! que le bonheur suprême

l'accompagne chaque jour !

Que le bonheur l'accompagne sans cesse !

Ah ! quel plaisir ! quelle ivresse !

C'est un roi, oui, c'est lui-même,

qui paraît dans ce séjour.

MARGUERITE, RICHARD, BLONDEL, WILLIAMS, CHEVALIERS, FLORESTAN

Ah ! que le bonheur suprême

l'accompagne chaque jour !

Non, l'éclat du diadême

ne vaut pas un si beau jour.

MARGUERITE

(à Florestan et à Laurette)

Vous ! commencez ma récompense:

heureux amans, je vous unis.

(à Williams)

Souffrez que ce noeud mette un prix

à notre reconnaissance.

CHŒUR GÉNÉRAL

Heureux amans etc.

Ensemble

MARGUERITE

C'est l'amitié fidèle

qui finit mon malheur.

Qu'un amour éternelle

assure ton bonheur.

RICHARD

C'est l'amitié fidèle

qui finit mon malheur.

Et l'amour de ma belle

assure mon bonheur.

BLONDEL

Pour un sujet fidèle

est-il plus grand bonheur,

quand il voit que son zèle

finit votre malheur !

Chœur.

Ensemble

RICHARD, MARGUERITE, FLORESTAN, WILLIAMS, CHEVALIERS

Ah ! quel bonheur ! quelle ivresse !

Que le bonheur l'accompagne sans cesse;

c'est un roi, oui, c'est lui-même,

qui parait dans ce séjour.

LAURETTE, LES FEMMES DE LA COMTESSE, PAYSANS

Que le bonheur l'accompagne sans cesse;

ah ! quel bonheur ! quelle ivresse !

C'est un roi, oui, c'est lui-même,

qui paraît dans ce séjour.

RICHARD

C'est un roi, oui, c'est lui-même,

qui vous doit un si beau jour.

MARGUERITE

Richard m'est rendu dans ce jour.

BLONDEL

C'est un roi délivré par l'amour.

CHŒUR

Ah ! quel bonheur ! quel plus beau jour !

C'est un roi qui vous doit un si beau jour.

Fin du livret.

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