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Jérusalem

JÉRUSALEM

Opéra en quatre actes.

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Livret de Alphonse ROYER, Gustave VAËZ.
Musique de Giuseppe VERDI.

Première représentation: 26 novembre 1847, Paris.


Personnages:

GASTON vicomte de Béarn

ténor

LE COMTE de Toulouse

baryton

ROGER frère du Comte

basse

Adhémar de Monteil, LE LÉGAT du Pape

basse

RAYMOND écuyer de Gaston

ténor

LE SOLDAT

basse

UN HÉRAULT

basse

L'ÉMIR de Ramla

basse

UN OFFICIER de l'Émir

ténor

HÉLÈNE fille du Comte

soprano

ISAURE

soprano


Chevaliers, Dames, Pages, Soldats, Pèlerins, Pénitents, un Exécuteur, Cheiks arabes, Femmes du harem, Peuple de Ramla.

Le Premier Acte à Toulouse en 1095, après le concile de Clermont. Les autres actes quatre ans plus tard, en Palestine.

Acte premier

[Introduction]

Scène première

Dans le palais du Comte de Toulouse. Une galerie servant de communication entre le palais et la chapelle élevée de quelques degrés et qu'on voit dans toute sa profondeur. En dehors de la galerie, une terrasse longe le profil du palais; de cette terrasse un escalier descend dans les jardins, qui ne laissent apercevoir que la cime des arbres.
Hélène, Gaston, Isaure.

Il fait nuit. Au lever du rideau, Hélène est près de la porte qui conduit aux appartements, et Gaston au milieu du théâtre, écoutant avec inquiétude. Isaure, qui veille au fond, le rassure du geste.

Recit. et Duo

GASTON

(revenant auprès d'Hélène)

Non, ce bruit, ce n'est rien; mais il faut, mon Hélène,

il faut nous séparer.

HÉLÈNE

Et sans m'avoir promis d'oublier cette haine,

que mon père est près d'abjurer.

GASTON

Il a tué le mien dans une injuste guerre !

HÉLÈNE

Il t'attend ce matin pour réconcilier

ta famille et la sienne.

GASTON

Ah ! puissé-je oublier !

HÉLÈNE

Tu ne m'aimes donc pas ?

GASTON

J'éteindrai ma colère !

Mais s'il me refusait ta main !

HÉLÈNE

Attends, espère !

GASTON

Je puis tout pardonner si je suis ton époux.

HÉLÈNE

Gaston, voici le jour !

GASTON

Déjà ?

HÉLÈNE

Séparons-nous.

GASTON, HÉLÈNE

Adieu, mon bien-aimé, va, fuis, voici l'aurore !

Il faut nous séparer; mais emporte ma foi.

GASTON

Je pars, ma chère Hélène, et je te jure encore

d'oublier mes affronts, pour ne songer qu'à toi.

(Gaston sort par l'escalier qui descend dans les jardins. Hélène le suit des yeux. On entend sonner l'angelus.)

Scène deuxième

Hélène, Isaure.

ISAURE

La cloche sonne. On peut venir, je tremble.

HÉLÈNE

Isaure ! pour Gaston prions, prions ensemble.

(Isaure va s'agenouiller sur les marches de la chapelle.)

[N. 1 - Ave Maria]

Prière.

HÉLÈNE

Vierge Marie,

ma voix te prie:

taris mes pleurs.

O vierge de douleurs,

fais sur nous descendre

tn regard si tendre,

vois mes terreurs !

Fais que la haine, en cette enceinte,

tombe et s'efface avec ma crainte,

et d'être heureuse enfin viendra le jour.

Vierge Marie,

ma voix te prie:

sur nous jette un regard d'amour.

(Hélène entre avec Isaure dans les appartements. L'orchestre peint le lever du soleil.)

Scène troisième

Seigneurs et Dames. Chœur.

[N. 2 - Chorus]

LE CHŒUR

Enfin voici le jour propice

qui réunit deux cœurs rivaux,

le jour ou dieu dans sa justice

vient mettre un terme à tous nos maux.

Non, plus de guerre !

Trève à la haine et paix sincère !

Chrétien et frère,

même bannière

te guidera.

Pour la croisade où l'on t'appelle,

soldat du Christ, montre ton zèle,

toujours fidèle,

dieu se révèle,

il te suivra.

Scène quatrième

Les précédents, le Comte, Hélène, Roger et Isaure, sortant des ap-partements; Gaston, arrivant du dehors, suivi de Raymond son écuyer et de quelques chevaliers.

[N. 3 - Sextuor et Chorus]

LE COMTE

(à Gaston)

Avant que nous partions pour la croisade sainte,

l'église veut ici nous réconcilier.

Plus de haine entre nous. Cette loyale étreinte

vous engage à jamais ma foi de chevalier.

Ne formons désormais qu'une même famille,

vicomte de Béarn, je vous donne ma fille.

ROGER

(au Comte)

Mon frère !...

HÉLÈNE

(avec joie)

Juste ciel !

GASTON

Soyez béni, seigneur !

Mon cœur l'avait choisie,

vous comblez tous mes voeux.

ROGER

(à part)

O rage ! ô jalousie !

HÉLÈNE

Mon père ! mon Gaston !

ROGER

(à part)

Oh ! cachons ma fureur.

Ensemble

HÉLÈNE

Je tremble encor, j'y crois à peine.

Plus de vengeance, plus de haine !

Ah ! d'ivresse mon âme est pleine !

C'est dieu qui nous protége encor.

GASTON

Rêve béni ! j'y crois à peine,

dieu me donne ce doux trésor.

J'oublie à jamais ma haine,

au bonheur je crois encor.

A vous, Comte, jusqu'au trépas.

LE COMTE

Désormais plus de haine.

Que l'amour vous enchaîne.

Mon dieu, bénis leur sort.

(à Gaston)

Tous deux agenouillés à la table de dieu,

scellons dans ce saint lieu

notre amitié sincère.

ROGER

(à part)

Tremble ! j'aurai ta vie.

Tremble ! ma jalousie

sur toi suspend la mort.

Lui !... lui, la posséder !... jamais ! Cherchons un bras

qui serve ma colère.

(il sort)

LE CHŒUR

Sa confiance

est sans prudence,

car la vengeance

peut-être dort,

il se confie à qui jura sa mort.

Scène cinquième

Les précédents, le Légat.

LE LÉGAT

Adhémar de Monteil, légat du pape Urbain,

au Comte de Toulouse apporte un bref de Rome:

le saint père te nomme

chef des croisés français...

LE COMTE

Nous partirons demain.

(à Gaston)

Et vous à qui je donne une fille que j'aime...

GASTON

Je vous suivrai.

LE COMTE

Pour signe de ce vœu

prenez ce manteau blanc où de soldats de dieu

brille le saint emblème.

(Quatre pages s'avancent, détachent le manteau du Comte et le placent sur les épaules de Gaston, qui s'est mis à genoux. Le légat lui impose le mains, Gaston se relève.)

TOUS

Cite du Seigneur !

Saint sépulcre ! Calvaire !

Jardin de douleur,

exhalant la prière !

Dieu vient pénétrer

vos soldats d'un saint zèle,

sa voix nous appelle

pour vous délivrer.

Chrétien ! souviens-toi

du devoir qu'on t'impose,

combats pour ta foi,

de dieu seul sers la cause !

Maudis l'offenseur

dont l'injuste colère

prendrait de son frère

la vie ou l'honneur.

[N. 4 - Chœur de femmes et Air]

(Tout le monde entre dans la chapelle, où un chœur religieux se fait entendre.)

LES FEMMES

Viens ! ô pécheur rebelle,

entre dans la chapelle,

notre sauveur t'appelle,

il t'offre un saint pardon;

et toi, chrétien fidèle,

viens invoquer son nom.

(Pendant ce chœur Roger reparaît, il écoute la prière en silence.)

Scène sixième

Roger seul, puis Le soldat.

ROGER

Vous priez vainement le ciel pour mon rival !

Pour ta fille, ô mon frère ! un amour implacable

brûle mon cœur... d'un crime il est capable...

(Avec mélancolie.)

Dieu pourtant n'avait pas voué ma vie au mal...

L'amour pouvait la rendre ou pure ou criminelle !

LE CHŒUR

(dans la chapelle)

Viens, la prière t'appelle.

ROGER

(air)

Oh ! dans l'ombre, dans le mystère,

feu coupable que j'ai su taire,

reste encor et cache à la terre

mes angoisses, mon remord.

Mais redoute ma colère,

toi, l'amant qu'elle préfère !

Ta tendresse en vain espère,

ma vengeance veut ta mort.

(à un soldat qui entre et vient à lui)

Je t'attendais.

LE SOLDAT

J'ai dû tout préparer moi-même

pour fuir après le coup.

ROGER

Dans Toulouse étranger

et de tous inconnu, ta main va me venger.

LE SOLDAT

Comptez sur moi.

ROGER

Compte sur moi de même.

(conduisant le soldat jusqu'aux marches de la chapelle)

Tu vois ces deux guerriers couverts de mailles d'or:

l'un porte un manteau blanc, c'est mon frère que j'aime.

L'autre est mon ennemi... frappe ! je veux sa mort.

(Le soldat entre dans la chapelle.)

Scène septième

Roger, des Soldats.

[N. 5 - Chœur de hommes et Air]

Ils entrent avec des coupes et des hanaps remplis de vin.

CHŒUR

Fier soldat de la croisade,

bois encore cette rasade.

Mort et sang quelle taillade !

nous ferons des Sarrasins !

En silence ouvrant la porte,

les houris prêtent main forte

au chrétien qui leur apporte

le plaisir et de bons vins.

(Le chant religieux se fait entendre de nouveaux à la fin de ce chœur, les soldats se montrent la chapelle et sortent avec respect.)

ROGER

Ah ! viens ! démon ! esprit du mal !

Il t'a livré sa vie,

ah ! viens au cœur de mon rival

porter le coup fatal.

A cet amour qui le perdra

tout son bonheur se fie,

c'est le ciel qu'il prie,

l'enfer lui répondra.

[N. 6 - Finale]

(il écoute)

Mais quel tumulte ! on s'agite, on s'écrie...

Oui !...

(Le soldat sort de la chapelle en fuyant pâle et troublé.)

LE SOLDAT

Ma vengeance est accomplie !

RAYMOND

(sortant de la chapelle suivi par les chevaliers)

Au meurtre ! arrêtez l'assassin !

Quelques soldats se mettent à sa poursuite.

ROGER

(à part, avec joie)

Je respire !

L'enfer assura mon dessein.

Scène huitième

Les mêmes, Gaston, puis Hélène, Isaure, le Légat, le Comte, et tout le chœur.

GASTON

Courez !

ROGER

(stupéfait à sa vue)

Ah ! lui vivant !

(haut)

Qui donc expire ?

GASTON

Ton frère !

ROGER

(foudroyé)

Mon frère ! O terreur !

(Le comte, blessé, descend les marches de la chapelle soutenu par des chevaliers qui le conduisent dans les appartements. Hélène est au-près de son père, dans son plus grand désespoir.)

GASTON

(retenant Hélène)

Venez, éloignez-vous d'un spectacle d'horreur.

HÉLÈNE

(d'une voix gémissante)

Mon père !

(Les soldats qui ont arrêté le meurtrier reviennent avec lui, et le jettent aux pieds de Roger.)

LES CHEVALIERS

Le voilà !

(à Roger)

L'assassin de ton frère,

c'est lui !

HÉLÈNE

Vengez mon père !

LES CHEVALIERS

(à Hélène)

Nous le jurons.

GASTON

(à Hélène)

Par le ciel qui m'éclaire !...

ROGER

(bas au meurtrier)

Malheureux !...

(en désignant Gaston)

C'était lui !

Voilà mon ennemi !

LES CHEVALIERS

(à Hélène)

Oui, nous jurons de venger la victime.

ROGER

(bas au meurtrier)

Sauve-moi, je te sauve.

LE LÉGAT

(au meurtrier)

A commettre un tel crime

qui t'a poussé ?

TOUS

Réponds !

LE SOLDAT

(désignant Gaston)

Lui !

GASTON

Moi !

RAYMOND

Imposture !

LES CHEVALIERS

(à Gaston)

C'est toi ! c'est toi !

Ensemble

LE LÉGAT ET LE CHŒUR

(à Gaston)

Monstre, parjure, homicide !

Du ciel la foudre est rapide.

Malheur à toi, perfide !

Infâme ! à toi malheur !

ROGER

(à part, isolé)

D'horreur mon front est livide.

Ah ! sois maudit, fratricide !

Du ciel la foudre est rapide,

malheur à moi ! malheur !

GASTON

Moi, sacrilège, homicide !

Dévoile ici le perfide,

mon dieu ! sois mon égide,

toi qui lis dans mon cœur.

HÉLÈNE

Non, tu n'es pas homicide !

Dévoile ici le perfide,

mon dieu ! sois son égide,

toi qui lis dans son cœur.

Tous les Chevaliers tirent l'épée.

LE LÉGAT

Chrétiens, jetez le glaive !

La foudre de l'église atteindra le pervers,

le sang versé se lève

et le crie: anathême ! - Oui, seul dans l'univers

va ! meurtrier du comte !

Que flétri par le ciel

et courbé sous ta honte,

on te refuse, infâme ! et le pain et le sel !

LE CHŒUR

(à Gaston)

Sur ton front est lancé l'anathême.

Sacrilège en horreur à dieu même !

LE LÉGAT

(à Gaston)

Sur ton front je suspends l'anathême.

Sacrilège en horreur à dieu même !

LE LÉGAT ET LE CHŒUR

(à Gaston)

Imposteur dont la bouche blasphème !

Meurtrier, sois maudit ! sois maudit !

Traîne encor loin de nous ta misère,

dans l'exil va chercher quelque terre,

où l'écho porte à dieu ta prière;

ton forfait dans le sang est écrit;

sois maudit !...

ROGER

(à part)

Sur mon front doit tomber l'anathême,

fratricide en horreur à dieu même !

C'est du ciel la justice suprême,

vil Caïn, sois maudit ! sois maudit !

Oui, sur moi, dans sa juste colère,

l'éternel va lancer le tonnerre !

A jamais en horreur à la terre,

mon forfait dans le sang est écrit !...

GASTON

Par le ciel ! suspendez l'anathême !

Car mon cœur en appelle à dieu même.

Arrêtez !... Votre bouche blasphème !

Moi coupable ! ô mon dieu ! moi maudit !

Innocent et flétri sur la terre,

dans l'exil moi traîner ma misère !

Non, le ciel entendra ma prière,

et lui seul vengera le proscrit.

HÉLÈNE

Par le ciel ! suspendez l'anathême !

Car mon cœur en appelle à dieu même.

Arrêtez !... Votre bouche blasphème !

Lui coupable ! ô mon dieu !... lui maudit !

Innocent et flétri sur la terre,

dans l'exil lui traîner sa misère !

Non, le ciel entendra ma prière,

et lui seul vengera le proscrit.

Acte deuxième
Scène première

Montagnes de Ramla en Palestine, à quelques lieues de Jérusalem. Une caverne près de laquelle s'élève une croix grossière. On aperçoit dans le lointain la ville arabe de Ramla.
Roger, vêtu d'une robe de bure et ceint d'une corde. Au lever du rideau il est prosterné devant la croix.

[N. 7 - Invocation]

Grâce ! mon dieu ! De remords déchiré,

j'ai fait pieds nus le saint pèlerinage,

et trois ans j'ai pleuré

dans ce désert sauvage.

A ce front pâle, à ces cheveux blanchis,

dans l'eau des sources réfléchis,

moi-même je ne puis, hélas ! me reconnaître !

Cette tache de sang s'effacera peut-être !

seigneur ! de ton pardon

mon âme est altérée !

L'âme d'un fratricide à ton courroux livrée,

sans l'irriter peut elle invoquer ton saint nom ?

O jour fatal ! ô crime !

Tombeau de ma victime,

du fond de cet abîme

toujours je te revois.

Le spectre de mon frère,

sanglant sur la poussière,

arrête ma prière

et fait trembler ma voix !

Pourtant à ma souffrance

le ciel se laisse voir,

et dieu dans sa clémence

me garde encor l'espoir.

(il rentre dans sa caverne)

Scène deuxième

Raymond, l'écuyer de Gaston, se traînant avec peine, brisé par la fatigue, puis Roger.

RAYMOND

Du secours ! ô mon dieu ! faut-il mourir ainsi !

(il se laisse tomber sur un fragment de roc)

(sortant de sa caverne avec un bâton de pèlerin)

ROGER

Que vois-je ! un malheureux que la fatigue accable !

(il s'approche, et présente à Raymond la gourde qu'il détache de son baston de pèlerin)

RAYMOND

Donnez, la soif me tue...

(il porte la gourde à ses lèvres)

O saint homme, merci !

Car j'allais mourir sur ce sable.

ROGER

(lui montrant la caverne)

Reposez-vous ici.

RAYMOND

D'autres sont là perdus dans la montagne...

ROGER

Je vole à leur secours.

RAYMOND

Le ciel vous accompagne !

ROGER

Fais, ô mon dieu, que je sauve leurs jours !

(il disparaît du côté par où est venu Raymond, qui entre dans la caverne)

Scène troisième

Hélène et Isaure (arrivant par un sentier escarpé de la montagne).

ISAURE

Loin des croisés, madame, et loin de votre père

vous hasarder !

HÉLÈNE

Ce pieux solitaire

qu'à l'égal des chrétiens le Sarrasin révère,

je veux l'interroger. - De la France banni,

pour y cacher sa honte,

Gaston en Palestine est venu. L'on raconte

qu'il a trouvé la mort. - Son malheur est fini,

non le mien. - Cet ermite

peut-être m'apprendra... Chère Isaure, entre vite.

ISAURE

(se dirige vers la caverne, et aperçoit Raymond qui reparait)

Mais voyez sur le seuil...

HÉLÈNE

(reconnaissant Raymond)

En croirai-je mes yeux ?

L'écuyer de Gaston !

RAYMOND

Vous, madame, en ces lieux !

(il descend précipitamment auprès d'elle)

HÉLÈNE

Parle-moi de ton maître,

parle, fais-moi connaître

les maux qu'il a soufferts.

RAYMOND

Avec lui j'ai quitté la France;

le consolant dans sa souffrance,

je l'ai suivi dans ces déserts.

Et toujours sa triste pensée

revolait vers sa fiancée,

qu'il nommait en pleurant...

(Hélène chancelle, Isaure s'approche vivement pour le soutenir.)

HÉLÈNE

Achève ! je suis calme.

RAYMOND

Un jour en combattant,

le nombre, hélas ! rendit sa valeur inutile.

(indiquant Ramla, qu'on aperçoit dans le lointain)

Depuis, dans cette ville,

captif...

HÉLÈNE

(vivement)

Il n'est pas mort !

RAYMOND

Il est là prisonnier.

HÉLÈNE

Il respire ! ô transport !

[N. 8 - Polonaise]

Quelle ivresse ! bonheur suprême !

Tu m'attends, ô toi que j'aime !

Quelle ivresse ! oui, dieu lui-même

nous guida pour nous revoir.

Noble cœur ! je te proclame

innocent d'un crime infâme.

Tu m'appelles, et mon âme

t'a gardé sa chaste flamme,

tu m'appelles, et mon âme

dans ma nuit s'ouvre à l'espoir.

ISAURE

Vous oseriez...

HÉLÈNE

Au péril de ma vie,

je veux le revoir un instant.

(à Raymond)

J'ai de l'or ! guide-moi !

ISAURE

(voulant la retenir)

Ma maîtresse chérie !...

HÉLÈNE

J'irai ! c'est mon époux devant dieu qui m'entend.

Quelle ivresse ! bonheur suprême !

etc.

(Hélène, guidée par Raymond, se dirige avec Isaure vers Ramla.)

Scène quatrième

Des pèlerins, accablés par la fatigue et la soif, entrent par groupes épars; quelques uns gravissent le sentier le plus élevé de la montagne, et reviennent découragés; ils jettent les yeux avec désespoir sur la solitude immense qui les environne.

[N. 9 - Chœur]

LE CHŒUR

Mon dieu ! vois nos misères !

Perdus dans ces déserts, par la soif dévoré,

ne serons-nous pas délivrés

par les soldats croisés nos frères ?

O mon dieu !

Ta parole est donc vaine !

Et ce lieu

va finir notre peine.

Des ravins

partout l'onde est séché,

et cherchée,

elle échappe à nos mains.

Nos malheurs

ont passé notre offense

dans nos cœurs

fais surgir l'espérance.

Daigne enfin

signaler ta puissance:

vers la France

ouvre-nous un chemin.

Sol natal !

O patrie ! ô fontaines !

Pur cristal

de nos sources lointaines !

Ciel si doux !

Frais abris des vieux chênes !

Mourrons nous

sans cercueil loin de vous ?

Nous souffrons,

maudissant la misère

et la terre

où pour toi nous mourons.

Ciel ! enfin

fais surgir l'espérance;

vers la France

ouvre-nous un chemin.

[N. 10 - Marche guerrière]

On entend faiblement dans le lointain le bruit d'une fanfare.

LE CHŒUR

Écoutez !... cette marche guerrière !...

(quelques pèlerins montent vivement sur les hauteurs et redescendent en s'écriant avec joie)

Les croisés !

TOUS

Ah ! le ciel entendit ma prière !

Scène cinquième

Des chevaliers accourent au galop annonçant la délivrance aux pèlerins. Bientôt arrive l'armée des croisés, musique en tête, défilant du haut de la montagne: après les soldats, paraissent à cheval le Comte de Toulouse et le Légat, entourés de pages et de chevaliers. Le légat s'arrête devant les pèlerins qui se prosternent. La suite du cortège fait halte sur la montagne où l'on voit des chevaux chargés de bagages et des chariots avec des blessés.

LE COMTE

Dieu soit loué ! du fer d'un assassin

lui qui sut préserver mon sein.

LE LÉGAT

Nous voici parvenus enfin en Palestine !

Quand le jour renaîtra,

dans sa splendeur divine

Jérusalem à nos yeux paraîtra.

QUELQUES CHEVALIERS

(apercevant Roger qui s'avance)

C'est lui, c'est le saint homme

que pour sa piété dans ces lieux on renomme.

Scène sixième

Les précédents, Roger.

LE COMTE

(allant à Roger)

Homme de dieu, bénissez-nous.

ROGER

(frappé de stupeur)

O ciel !

(il tombe à genoux)

LE COMTE

Que faites-vous ?

ROGER

Chef des soldats du Christ, qui portez sa bannière,

laissez-moi m'incliner le front dans la poussière !

LE COMTE

Levez-vous !

ROGER

(à part)

Oh ! tais-toi ! tais-toi ! cri de mon cœur,

le repentir trahirait le coupable.

(aux croisés)

Accueillez dans vos rangs, chrétiens, un misérable !

LE COMTE

Un saint homme.

ROGER

Un pécheur !

Qui s'offre pour combattre en soldat, en victime;

le sang pour dieu versé rachète même un crime.

[N. 11 - Chœur des croisés]

ROGER, LE LÉGAT ET LE COMTE

Le Seigneur

nous promet la victoire.

O bonheur !

Nous verrons dans sa gloire

le saint lieu,

précieux territoire,

qui d'un dieu

garde encore l'adieu.

Arborons

la bannière chrétienne,

massacrons

cette horde païenne.

Dieu puissant,

notre cause est la tienne;

dans le sang

renversons le croissant.

L'armée se remet en marche.

Scène septième

Le théâtre représente le divan de l'émir de Ramla.
Gaston entre introduit par un muet qui lui fait signe d'attendre et qui se retire.

[N. 12 - Air]

GASTON

(seul)

L'émir auprès de lui m'appelle.

Que dois-je craindre encor ? de la France banni,

captif au sein d'une ville infidèle,

je ne pourrai combattre dans mon zèle

pour les ingrats qui m'ont injustement puni !

Hélène est près de moi !... dans leur camp !...

Chère Hélène !

Dont un destin cruel m'a séparé !

Ne pas te voir, quand le ciel te ramène !

Je briserai ma chaîne et je te reverrai.

Je veux encor entendre

ta voix, ta voix si tendre.

Pour fuir il faut attendre

les ombres du soir.

Ange vers qui s'envole

mon rêve d'espoir,

bel ange, mon idole,

je veux encor te voir.

Scène huitième

Gaston, l'Émir suivi de quelques cheiks arabes, puis un Officier de l'Émir.

L'ÉMIR

(à Gaston)

Prisonnier dans Ramla je te laisse la vie,

car je ne voulais pas

sur ma ville attirer par une perfidie

la vengeance des tiens. - Mais ils portent leurs pas

vers ces murs. - Ce palais est ta prison. - Prends garde,

si tu cherches à fuir, c'est la mort. - Dieu te garde !

UN OFFICIER

(entrant)

Une femme chrétienne en arabe vêtue,

vient d'être prise, émir, dans les murs de Ramla...

Ordonne, et sa tête abattue...

L'ÉMIR

Non, qu'on l'amène !...

UN OFFICIER

La voilà !

Scène neuvième

Les précédents, Hélène (amenée par quelques soldats).

[N. 13 - Duo]

GASTON

(à part)

Hélène !

HÉLÈNE

(à part)

Ciel ! Gaston !

L'ÉMIR

Approche, jeune fille !...

Ici que cherches-tu ? Dis ton nom, ta famille.

HÉLÈNE

Je te suis inconnue, et tu peux sans danger

m'accorder un asile.

Les chrétiens passeront sans attaquer ta ville,

mais, mon trépas, ils sauraient le venger !

L'ÉMIR

(à part)

Ce regard ! cet orgueil !

UN OFFICIER

(bas à l'Émir)

Ils sont d'intelligence.

L'ÉMIR

(bas à l'Officier)

Qu'ils restent seuls ! ils pourront se trahir.

(à Hélène)

Si ta bouche a dit vrai, compte sur ma clémence.

Attends ici mon ordre.

UN OFFICIER

(à l'Émir en sortant)

Et moi, je veille, Émir !

Scène dixième

Hélène, Gaston.

(Ils suivent des yeux l'Émir qui s'éloigne; restés seuls ils tombent dans les bras l'un de l'autre.)

GASTON

Mon Hélène !...

HÉLÈNE

Gaston !...

GASTON

Chère âme, sois bénie !

HÉLÈNE

Gaston ! j'ai tout bravé.

Pour cet instant, j'aurais donné ma vie.

Car tu n'es pas coupable. Oh ! Dieu t'a préservé,

et m'a vers toi guidée.

GASTON

En ma misère,

je voulais, affrontant leur colère,

parmi mes ennemis aller trouver ton père.

HÉLÈNE

A leurs regards crains de t'offrir.

GASTON

Errant, proscrit sur cette terre

je n'avais plus qu'un seul désir:

te voir encor et puis mourir !

HÉLÈNE

Oh ! garde l'espérance !

GASTON

Hélas ! elle est bannie.

Ma gloire flétrie !

Famille... patrie...

J'ai tout perdu !

HÉLÈNE

Non ! moi ! je te reste !

C'est pour la vie !

GASTON

Ange céleste !

HÉLÈNE

Ce monde ingrat, je le déteste !

GASTON

Ah ! rétracte un vœu funeste.

L'anathême est sur moi descendu.

Dans la honte et l'épouvante

partager ma vie errante !

Ne crois pas que j'y consente.

Non... plutôt adieu sans retour...

Dans mon cœur ta douce image

de l'espoir sera le gage.

Dieu me rend tout mon courage

s'il me garde ton amour.

GASTON

Fuis !

HÉLÈNE

Je reste !...

GASTON

Je t'en supplie !

HÉLÈNE

Que mon sort au tien se lie.

GASTON

Fuis !

HÉLÈNE

Je reste ! à ta toi ma vie !

Que je meure au bras d'un époux !

GASTON

Dieu t'inspire un sacrifice

dont les anges seraient jaloux.

HÉLÈNE

Avec toi que je périsse !

Le trépas me sera doux !

(Hélène se jette dans les bras de Gaston; puis, au milieu de son ivresse, elle semble tout à coup frappée d'un souvenir douloureux)

Une pensée amère

me rappelait mon père;

de son enfant si chère

en vain il attend le retour.

Toi que ta fille abandonne;

toi qu'elle afflige en ce jour,

mon père ! ô mon père ! pardonne !

Ma vie est dans mon amour.

GASTON

Toi, qui me fus ravie,

o douce fleur de ma vie,

dans mon âme assombrie

rayonne un céleste jour,

quand, pour finir ma peine,

dieu m'a donné ton retour,

il veut que je rompe ta chaîne;

ma vie est dans ton amour !

CRIS AU DEHORS

Aux armes !

HÉLÈNE

Ciel !

CRIS AU DEHORS

Aux armes !

HÉLÈNE

(avec effroi)

Entends ces cris d'alarmes !

S'il faut mourir, que ce soit dans tes bras.

GASTON

(regardant par une fenêtre au fond)

Vois-tu dans la plaine là-bas

flotter la bannière chrétienne ?

La ville est en tumulte, et l'on court aux remparts...

HÉLÈNE

Viens ! peut-être on peut fuir.

Oh ! que dieu nous soutienne !

GASTON

Silence ! on vient.

HÉLÈNE

Mon dieu !

Ils écoutent avec angoisse.

GASTON

Non.

HÉLÈNE

Fuyons sans retard.

HÉLÈNE ET GASTON

Ah ! viens, viens ! je t'aime !

Suis-moi, viens ! je t'aime !

Le ciel ! le ciel même

ne peut t'arracher à moi !

Viens ! viens ! je tremble !

Fuyons ensemble,

la mort seule pourra me séparer de toi.

Ils se dirigent vers la fenêtre, tandis qu'au dehors redoublent les cris d'alarme; des soldats Arabes entrent conduits par l'Officier de l'Émir. Hélène et Gaston sont arrêtés dans leur fuite.

Acte troisième
Scène première

Les jardins du harem.
Hélène, plongée dans la tristesse. Les femmes du harem, la regardant et riant de son désespoir, les unes dansent, les autres sont couchées sur des coussins.

[N. 14 - Chœur dansé]

LE CHŒUR

O belle captive,

timide et plaintive,

tu restes craintive

et les yeux baissés.

Pourquoi ces alarmes ?

Pourquoi par tes larmes

voiler de tes charmes

les feux éclipsés ?

Pourquoi de ton père,

qui se désespère,

o belle étrangère,

laissas-tu le seuil ?

(Hélène fait un mouvement désespéré.)

Voyez sa colère,

l'affreux caractère !

Son front est sévère,

son air plein d'orgueil.

Pourquoi ces alarmes ?

Pourquoi par tes larmes

voiler de tes charmes

les feux éclipsés ?

O belle captive !

Timide et plaintive,

tu restes craintive

et les yeux baissés.

[N. 15 - Quatre airs de ballet]

Ballet.

L'émir paraît, accompagné de quelques cheiks arabes, à leur approche les femmes se voilent et se dispersent dans les jardins comme une volée d'oiseaux.

Scène deuxième

Hélène, l'Émir, suite, un Officier de l'Émir entrant du côté opposé.

[N. 16 - Air]

UN OFFICIER

Les chrétiens !... ils sont-là !...

Ils vont donner l'assaut.

L'ÉMIR

Par le secours d'Allah,

nous les vaincrons ! et si mon bras ne les arrête,

si le chef des croisés pénètre dans Ramla,

que de sa fille on lui jette la tête.

(ils sortent)

Scène troisième

Hélène, seule.

Que m'importe la vie en ma misère extrême,

lorsque, hélas ! pour jamais je perds celui que j'aime ?

Comblant mon malheur,

sur moi va d'un père

tomber la colère...

Seigneur ! Seigneur !

Ton bras m'accable !

Sois secourable

a ma douleur.

Mes plaintes sont vaines !

Seigneur, brise mes chaînes,

termine mes peines.

A toi,

rappelle-moi !

Des jours pleins d'orages,

voilà mon partage,

leur triste présage

me glace d'effroi.

Termine mes peines

mon dieu, brises mes chaines.

A toi,

rappelle-moi !

VOIX DE FEMMES AU DEHORS

On s'égorge ! on se tue !

HÉLÈNE

Ah ! quel tumulte !

VOIX DES SOLDATS AU DEHORS

Aux armes !

Scène quatrième

Hélène, les femmes du harem, puis Gaston.

LES FEMMES DU HAREM

(traversant le théâtre avec effroi)

On se tue ! on fuit plein d'alarmes.

Car les chrétiens sont entrés dans Ramla !

HÉLÈNE

(avec joie)

Les chrétiens ! mon père ! Il est là !

(elle fait quelques pas pour rejoindre son père, puis elle s'arrête frappée d'une idée qui l'épouvante)

Mais Gaston ! sa perte est certaine,

s'il tombe entre leurs mains !... je tremble !

GASTON

(entrant)

Chère Hélène !

HÉLÈNE

Gaston ! je meurs d'effroi.

GASTON

A mes gardes troublés opposant mon courage;

mon poignard jusqu'à toi

sut m'ouvrir un passage.

HÉLÈNE

Mais les croisés sont là.

GASTON

Ton père m'entendra.

HÉLÈNE

Mais ils t'ont condamné !

GASTON

Mon sort s'accomplira !

HÉLÈNE

Ils viennent !... je frémis !

Scène cinquième

Les croisés font irruption dans le harem. Le comte de Toulouse paraît l'un des premiers, et aperçoit Hélène auprès de Gaston.

Scène et Chœur

LE COMTE

O ciel ! fille coupable !

C'est donc pour cet amant ?...

LE CHŒUR

Gaston le meurtrier !

Qu'il périsse !

HÉLÈNE

O mon dieu !

LE COMTE

(à Gaston)

Déloyal chevalier !

GASTON

D'un forfait exécrable,

et vous aussi, vous m'avez cru capable.

LE CHŒUR

A la mort ! à la mort !

GASTON

Ordonnez de mon sort.

Préparez le supplice,

votre aveugle justice

de l'innocent

va répandre le sang.

HÉLÈNE

Par pitié !

LE CHŒUR

Qu'on l'entraîne !

HÉLÈNE

Arrêtez !

LE CHŒUR

Qu'il périsse !

(Gaston est entraîné par des soldats.)

HÉLÈNE

(avec désespoir)

Et tu le vois !

Dieu tout puissant !

(aux chevaliers)

Non... votre rage,

indigne outrage,

n'est pas l'ouvrage

d'un dieu clément.

L'enfer inspire

votre délire

et le martyre

de mon amant.

A vous la honte, à vous le crime,

que de la victime

retombe sur vous le sang !

LE COMTE

O déshonneur !

LES CROISÉS

Au traître la mort !

HÉLÈNE

Le ciel s'entr'ouvre,

et votre sort

a mes yeux se découvre.

Dieu sur vous étendra,

barbares ! sa main puissante.

Sur vos fronts tonnera

le cri de l'épouvante.

LE COMTE

O sacrilège amour !

Maudite par ton père,

va-t'en ! Qu'à ta prière

le ciel se ferme un jour.

HÉLÈNE

Dans ta colère,

o mon dieu tutélaire,

ton bras, j'espère,

les punira !

Et sans clémence

dans ta sentence,

oui, ta vengeance

les frappera !

LE COMTE ET TOUS LES CHEVALIERS

Courroux impie !

Le traître expie

sa félonie,

il périra.

[N. 17 - Marche funèbre]

Le comte saisit le bras de sa fille et l'entraîne, suivi par les chevaliers.

Scène sixième

La place publique de Ramla. Une estrade tendue de noir.
Cortège, amenant Gaston, entouré de soldats et de pénitents, qui portent son casque, sa targe et son épée, le Légat, l'écuyer de Gaston, portant sa bannière, les chevaliers, un Hérault, un exécuteur, le peuple de Ramla.

[N. 18 - Grande scène et Air]

GASTON

Barons et chevaliers, devant vous je proteste,

et devant dieu, car je suis innocent !

Mais vous m'avez rendu mes armes... Il me reste

a mourir comme doit un homme de mon sang.

Écuyer, près de moi, fais flotter ma bannière !

LE LÉGAT

Arrête !... Condamné, par ce bref du saint-père

demain tu subiras la mort;

mais aujourd'hui c'est l'infamie !

Oui, tu seras d'abord

dégradé de noblesse et de chevalerie;

déclaré traître, infâme, et comme tel traité

dans ta dernière postérité.

GASTON

L'infamie !... O mon dieu ! prenez, prenez ma vie !

Vos bourreaux, je les défie,

mais mon honneur ! mais mon honneur !...

LE LÉGAT

Tel est l'arrêt.

GASTON

O douleur !

O mes amis, mes frères d'armes,

mon cœur se fend, voyez mes larmes !...

Le déshonneur ! c'est trop affreux !

N'accablez pas un malheureux.

Mon dernier jour me sera doux,

et je l'implore à vos genoux.

Mais, par le ciel ! moi, traître !... infâme !...

Je pleure, hélas ! comme une femme.

C'est la pitié que je réclame...

Par quels accents vous attendrir ?

O mes amis ! sans me flétrir,

laissez-moi, laissez-moi mourir !

LE LÉGAT

Qu'on exécute la sentence.

LES CHEVALIERS

Point de pitié ! point de clémence !

(Un hérault fait monter Gaston sur l'estrade où se trouve déjà l'exécuteur; le Hérault y monte également.)

UN HÉRAULT

(montrant le casque de Gaston)

Ceci

est le heaume d'un traître,

déloyal chevalier !

GASTON

(avec désespoir)

Tu mens ! tu mens !

LES CHEVALIERS

Au traître

point de merci !

(l'exécuteur brise le casque avec une masse d'armes)

LES PÉNITENTS

« Cum judicatur exeat condemnatus et oratio ejus fiat in peccatum. »

GASTON

O torture ! ô douleur ! ô m'avilir ainsi !

LE PEUPLE

Au fond du cœur sa voix pénètre.

UN HÉRAULT

(montrant l'écu de Gaston)

Ceci

est la targe d'un traître,

déloyal chevalier.

GASTON

Tu mens ! tu mens !

LES CHEVALIERS

Au traître

point de merci !

(l'exécuteur brise la targe)

LES PÉNITENTS

« Fiant dies ejus pauci et hereditatem ejus accipiat alter. »

GASTON

Mon dieu ! tu vois ce que je souffre ici.

LE PEUPLE

Quelle pitié ses pleurs font naître.

UN HÉRAULT

(élevant l'épée de Gaston)

Ceci

est l'estoc de ce traître,

déloyal chevalier !

GASTON

Tu mens ! tu mens !

LES CHEVALIERS

Au traître

point de merci !

(l'exécuteur brise l'épée)

LES PÉNITENTS

« Et dilexit maledictionem et reniet ei. Et noluit benedictionem et longabitur ab eo. »

GASTON

Calice d'amertume ! Oh ! qu'on me tue aussi !

LE PEUPLE

Dans ta bonté, seigneur, accorde-lui merci.

LE LÉGAT

Que le bras séculier à le punir s'apprête.

Le soleil de demain verra tomber sa tête.

GASTON

(descendant de l'estrade)

Tuez-moi, tuez-moi, frappez ! Qui vous arrête ?

Frappez bourreaux ! je reprends ma fierté,

mon sang versé pour vous fut mon seul crime,

et devant dieu l'innocente victime

vous chargera de votre iniquité.

LE LÉGAT ET LES CHEVALIERS

Traître ! félon ! ton arrêt est porté !

Ton sang versé vengera ta victime !

Tu porteras ton opprobre et ton crime

aux pieds de dieu, qui voit l'iniquité.

RAYMOND ET LE PEUPLE

O dieu puissant ! son arrêt est porté !

Prends en pitié, dieu du ciel, la victime,

toi, qui connais l'innocence et le crime,

fais luire un jour ta sublime équité.

Acte quatrième
Scène première

Le théâtre représente la limite du camp des croisés dans la vallée de Josaphat. Des soldats gardent l'entrée d'une tente principale.
Roger, seul.

[N. 19 - Chœur et la procession]

ROGER

Voici de Josaphat la lugubre vallée.

Jérusalem, où vont flatter nos étendards.

Que je trouve, ô mon dieu, la mort sur ses remparts !

Et reçois dans ton sein mon âme désolée.

LE CHŒUR

(dans la coulisse)

Jérusalem la sainte,

la divine cité,

accueille en ton enceinte

un dieu de liberté.

ROGER

Les chrétiens en prière,

prêts à combattre, invoquent la faveur

du seigneur.

Scène deuxième

Roger, les croisés en procession, bannières déployées, Hélène parmi les femmes.

LES FEMMES

Ah ! que nos pleurs arrosent la poussière

du céleste tombeau !

Puisse notre âme à son heure dernière

fêter un jour si beau !

HÉLÈNE

(Hélène, qui s'avance au milieu des femmes, ralentit ses pas devant la tente, elle cherche à y faire pénétrer ses regards en disant:)

Pourrai-je le revoir ?...

LE PÈLERINS

C'est là

qu'apparut, portant le calice,

un ange au fils de dieu, c'est ici qu'il pleura,

et son supplice,

ces lieux l'ont vu... c'est là !

TOUS

Des oliviers saluons la montagne

et son reflet de sang !

Comme un linceul sur l'aride campagne,

le silence descend.

O montagne ! ô vallée ! ô lieux pleins de mystère,

où dieu nous jugera !

Des anges lorsqu'ici l'appel retentira,

les morts sortiront de la terre

et le juge apparaîtra !...

La procession continuant sa marche disparaît aux yeux, et les chants meurent au loin dans la vallée. Roger est resté en prières pendant tout ce temps.

Scène troisième

Roger, le Légat, puis Hélène.

LE LÉGAT

(sortant de la tente)

Saint ermite, c'est vous !

ROGER

Sans entrer dans Ramla,

j'ai devancé l'armée.

LE LÉGAT

(désignant la tente d'où il sort)

Un grand coupable est là,

pour meurtre condamné par un décret de Rome;

assistez-le.

Hélène a reparu mystérieusement pendant ces derniers mots; elle reste au fond du théâtre et écoute.

LE LÉGAT

(s'adressant aux soldats qui gardent la tente où est Gaston)

Qu'il vienne ! à ce saint homme

vous obéirez comme à moi.

(à Roger)

Absolvez le coupable.

Moi, je vais des croisés fortifier la foi.

(il sort)

ROGER

(à lui-même)

Meurtrier comme moi ! pensée inexorable.

Après la sortie du Légat, Hélène s'est avancée, attendant avec angoisse que Gaston paraisse; il sort de la tente amené par les soldats.

Scène quatrième

Gaston, Hélène, Roger, soldats.

[N. 20 - Trio]

HÉLÈNE

C'est lui !

(elle se jette sur son passage)

GASTON

Je te revoi.

J'y comptais.

ROGER

(à part, tressaillant)

Cette voix !

(il s'approche et les reconnaît)

Ah ! terre, entrouvre-toi !

GASTON

(à Hélène)

Oh ! comme il m'ont traité ! mes yeux n'ont plus de larmes.

Par le bourreau j'ai vu briser mes armes.

ROGER

(à part)

Et je n'étais pas là !

GASTON

Ce jour est le dernier.

Je mourrai sans combattre...

ROGER

(à part)

Ah ! c'est dieu qui m'éclaire.

(aux soldats)

Par l'ordre du Légat à son heure dernière

laissez-moi seul avec le prisonnier.

(Le soldats se retirent.)

GASTON

Enfin s'apprête mon supplice !

HÉLÈNE

(avec désespoir)

Seigneur ! voilà donc la justice !

Dieu qui causes ma misère,

qui repousses ma prière,

frappe et montre, en ta colère,

que le ciel s'égare aussi !

Dieu cruel...

ROGER

(s'avançant)

Sur l'innocence

sa clémence

veille ici.

HÉLÈNE

Doux espoir, parole ineffable !...

GASTON

Bénissez-moi !

ROGER

Pour t'obéir

je suis, hélas ! trop coupable,

cette main ne peut bénir.

HÉLÈNE

O saint homme !

GASTON

Ma voix vous prie.

ROGER

Je ne puis.

GASTON

Je succombe ! oh ! que, par vous bénie,

finisse ma triste vie,

homme de dieu, bénissez-moi.

ROGER

(mettant dans la main de Gaston son épée, dont la garde forme une croix)

Eh bien ! sur cette croix qu'un pécheur te présente:

(imposant les mains à Gaston, qui est à genoux, les yeux fixés sur la croix de l'épée)

ame innocente,

en dieu sois confiante;

oui, sa justice éclatera pour toi.

HÉLÈNE

O bonheur ! ton innocence

peut au jour paraître encor.

GASTON

En vain tu parles d'espérance,

elle est pour moi dans la mort.

Ensemble

GASTON

Dieu nous sépare, Hélène !

Oui, l'espérance est vaine !

La mort, hélas ! m'entraine,

je me soutiens à peine...

La terre sur nous est fermée,

Hélène, que j'ai tant aimée...

Tes plaintes déchirent mon cœur.

HÉLÈNE

Ah ! si ton heure est venue,

si l'espérance est perdue,

je te serai bientôt rendue,

la tombe finira mon malheur.

O douleur !

Seule dans sa misère,

laisser ton Hélène si chère !

ROGER

(à part)

Mon dieu, sur le vrai coupable

descend ta main redoutable.

Grâce ! ô divin sauveur !

(à Gaston)

Qu'en dieu ton âme espère,

e ntends la voix du ciel.

Ensemble

HÉLÈNE

Je quitte avec toi la terre,

ce monde ingrat et cruel,

mon âme te suit dans le ciel !

ROGER

(à part)

Sois apaisée,

o justice du ciel !

GASTON

Ma vie est brisée;

elle est flétrie, et dieu m'ouvre le ciel.

ROGER

(à part)

Reprends ce fer, je te délivre !

GASTON

(ramassant l'épée)

Qu'entends-je ?

HÉLÈNE

O bonheur !

ROGER

Viens, viens ! pour le Seigneur

tu peux combattre.

HÉLÈNE

Vivre !

GASTON

(avec transport)

Mourir avec honneur !

Scène cinquième

La tente du Comte de Toulouse.
Hélène, Isaure, puis le Comte, le Légat, des chevaliers et Gaston.

[N. 21 - Finale]

ISAURE

La bataille est gagnée ! En ses murs embrasés,

Jérusalem a reçu les croisés.

VOIX AU DEHORS

Victoire !

ISAURE

Entendez-vous ?

HÉLÈNE

(se jetant dans les bras du Comte, qui entre, suivi du Légat)

Mon père !

LE COMTE

Plus d'alarmes !

LE LÉGAT

Dieu protégea nos armes.

Des chevaliers portant les étendards conquis sont venus à la suite du Comte; Gaston paraît le dernier, son épée de combat à la main, la visière de son casque abaissée.

LE COMTE

(à Gaston)

Noble guerrier,

qui plantas le premier

l'étendard de la croix sur la cité conquise,

quel est ton nom ?

GASTON

(relevant la visière de son casque)

Me reconnaissez-vous ?

LES CHEVALIERS

O surprise !

Gaston !

GASTON

Oui, c'est moi ! dont le nom fut couvert d'infamie.

Ma bannière à vos pieds fut jetée en lambeaux.

Que par vous cette épée encor soit avilie;

pour-vous j'ai combattu, donnez-moi des bourreaux.

HÉLÈNE

(avec angoisse, au Légat)

Le ferez-vous mourir ?

GASTON

Qu'on me mène au martyre.

Scène sixième et dernière

Les mêmes, Roger, blessé mortellement, soutenu par quelques chevaliers.

ROGER

Arrêtez !

LES CHEVALIERS

Le saint homme ! il est blessé !

ROGER

J'expire !

Ciel, daigne prolonger

ma vie un seul moment... Vous allez me maudire...

(au Comte)

Reconnais-moi... je suis... ton frère.

TOUS

Lui ! Roger !

ROGER

Un instant me reste encore,

pour Gaston ma voix t'implore.

Oh ! qu'il soit sauvé par toi !

Le remords ici m'amène,

seul je dois subir la peine

d'un forfait commis par moi.

Mouvement général. Hélène se jette dans les bras de Gaston.

Ensemble

HÉLÈNE

Dieu secourable,

tu lui rends le bonheur,

et la vie et l'honneur.

GASTON

Dieu secourable,

tu me rends le bonheur,

son amour et l'honneur.

LE COMTE ET LE LÉGAT

Quoi ! le coupable,

c'est mon frère. O terreur !

O mystère d'horreur !

ROGER

(d'une voix suppliante)

A mon heure dernière,

grâce ! grâce !

LE COMTE

Mon frère !

ROGER

(après avoir étreint le Comte dans ses bras)

Que je voie en mourant la cité du Seigneur !

Le fond de la tente s'ouvre et montre un panorama de Jérusalem.

HYMNE GÉNÉRAL

A toi gloire,

o dieu de victoire,

en mémoire

de ton ferme appui !

Que des anges

les saintes phalanges

en louanges

éclatent pour lui !

Fin du livret.

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Locandina Acte premier Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Acte deuxième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Acte troisième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Acte quatrième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième et dernière