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Iphigénie en Aulide

IPHIGÉNIE EN AULIDE

Tragédie-opéra en trois actes.

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Livret de François-Louis GAND LE BLAND DU ROULLET.
Musique de Christoph Willibald GLUCK.

Première représentation : 19 avril 1774, Paris.


Personnages:

AGAMEMNON

basse

CLYTEMNESTRE femme d'Agamemnon

soprano

IPHIGÉNIE fille d'Agamemnon

soprano

ACHILLE

ténor

PATROCLE

basse

CALCHAS grand-prêtre

basse

ARCAS capitaine des gardes d'Agamemnon

basse

UNE GREQUE

soprano

UNE AUTRE greque

soprano

UNE ESCLAVE lesbienne

soprano


Officiers grecs, Guerriers et peuple grecs, Gardes, Guerriers thessaliens, Femmes argiennes de la suite des princesses, Femmes aulidiennes, Esclaves lesbiennes, Prêtresses de Diane.

En Aulide.

Avertissement

On sera étonné, sans doute, qu'en transportant à notre thèâtre lyrique l'un des chef-d'œuvres immortels de Racine, on n'en ait pas emprunté un plus grand nombre de beautés; et, sur-tout, qu'en conservant quelques-unes des pensées et des images de ce grand poëte, on ne soit servi d'autres expresssions que les siennes: mais on nous en a fait une loi; il a fallu s'y soumettre, ou renoncer à faire connoïtre en France un genre de musique nouveau, et qu'on n'y avoit point encore entendu.

Au reste, nous n'avons pas cru de voir désigner les vers de ce drame qui appartiennent à Racine. Eh ! y a-t-il un seul homme de goût qui ne sache par cœur ses divines tragédies ? d'ailleurs, quel écrivain seroit assez présomptueux pour imaginer qu'on pût jamais confondre sa diction avec celle du Virgile français !

Acte premier

Le théâtre réprésente, dans le fond, d'un côté, le camp des Grecs; et, de l'autre, une des façades du palais d'Agamemnon.

Scène première

Agamemnon seul.

[N. 1 - Récitatif et Air]

Diane impitoyable, en vain vous l'ordonnez

cet affreux sacrifice;

en vain vous promettez de nous être propice,

de nous rendre les vents par votre ordre enchainés.

Non, la Grèce outragée,

des Troyens, à ce prix, ne sera pas vengée.

Je renonce aux honneurs qui m'étoient destinés;

et dût-il m'en coûter la vie,

on n'immolera point ma fille Iphigénie.

Diane impitoyable, en vain vous l'ordonnez.

Brillant auteur de la lumière,

verrois-tu, sans pâlir, le plus grand des forfaits ?

Dieu bienfaisant, exauce ma prière,

et remplis les vœux que je fais !

Sur la route de Mycène,

dirige le fidèle Arcas;

que, trompant ma fille et la reine,

elles pensent qu'Achille, oubliant tant d'appas,

songe à former une autre chaîne;

qu'elles retournent sur leurs pas.

Brillant auteur, de la lumière,

etc.

Si ma fille arrive en Aulide,

si son fatal destin la conduit dans ces lieux;

rien ne la peut sauver du transport homicide

de Calchas, des Grecs et des dieux.

Scène seconde

Calchas, Agamemnon, Grecs.

[N. 2 - Chœur]

CHŒUR

C'est trop faire de résistance;

il faut, des dieux irrités

nous révéler les volontés,

ô Calchas, rompez le silence !

GÉNÉRAUX GRECS

Parlez : pour calmer leur courroux,

quel sacrifice exigent-ils de nous ?

CALCHAS

Pourquoi me faire violence !

CHŒUR

C'est trop faire de résistance;

il faut, des dieux irrités

nous révéler les volontés,

ô Calchas, rompez le silence !

CALCHAS

Le ciel répond à votre impatience.

CALCHAS

D'une sainte terreur tous mes sens sont saisis:

Diane, ô puissante déesse

ton esprit m'agite et me presse,

j'annonce, en frémissant, l'ordre que tu préscris.

Tu veux que par ma main tremblante

le sang le plus pûr soit versé...

Quoi ! ton courroux ne peut être appaisé

que par une offrande sanglante ?

Que de cris, que de pleurs !

Ô père déplorable !

Ô divinité redoutable !

Adoucis tes rigueurs.

AGAMEMNON, CALCHAS

O divinité redoutable !

adoucis tes rigueurs.

Grecs, pourrez-vous l'offrir cet affreux sacrifice ?

CHŒUR

Nomme-nous la victime, et s'il faut l'immoler,

sur l'autel, par nos mains, tout son sang va couler.

Ô Diane ! sois-nous propice,

conduis-nous au bord Phrygien;

que notre fureur s'assouvisse

dans le sang du dernier Troyen !

CALCHAS

Soyez contens, allez; et, ce jour même,

la victime à l'autel remplira vos souhaits.

Scène troisième

Agamemnon, Calchas.

[N. 3 - Récitatif et Air]

CALCHAS

Vous voyez leur fureur extrême,

et vous savez des dieux la volonté suprême.

AGAMEMNON

Ah ! ne me parlez plus de ces dieux que je hais.

CALCHAS

Téméraire ! arrêtez; redoutez leur vengeance !

Par une prompte obéissance,

vous en pouvez encore prévenir les effets:

soumettez-vous, sans résistance,

à leurs inflexibles décrets.

AGAMEMNON

Peuvent-ils ordonner qu'un père

de sa main présente à l'autel

et pare du bandeau mortel

le front d'une victime et si tendre et si chère ?

Je n'obéirai point à cet ordre inhumain.

J'entends retentir dans mon sein

le cri plaintif de la nature;

elle parle à mon cœur, et sa voix est plus sûre

que les oracles du destin.

Je n'obéirai point à cet ordre inhumain.

CALCHAS

Vous oseriez être parjure ?...

Le ciel a reçu vos sermens.

AGAMEMNON

Je connois mes engagemens.

Sur ces bords malheureux, si ma fille appellée,

obéit, je consens qu'elle soit immolée.

CALCHAS

On croit tromper les dieux avec de vains détours;

mais jusqu'au fond des cœurs leur œil perçant sait lire.

S'il faut qu'Iphigénie expire,

vous tentez vainement de conserver ses jours;

malgré vous, à l'autel ils sauront la conduire...

Ils y traînent déjà ses pas.

[N. 4 - Chœur, Récitatif et Air]

CHŒUR

(de Grecs qui traversent le théâtre)

Clytemnestre et sa fille, ô dieux ! que d'allégresse:

courons admirer tant d'appas.

AGAMEMNON

Ma fille, je frémis... ô douleur ! ô tendresse !

Scène quatrième

Agamemnon, Calchas.

CALCHAS

Au faîte des grandeurs, mortels impérieux,

voyez quelle est votre foiblesse:

rois, sous qui tout fléchit, fléchissez sous les dieux.

AGAMEMNON

Dieux cruels ! vous voulez opprimer l'innocence.

Accablé sous votre puissance,

je ne puis résister à votre volonté.

(On entend derrière le théâtre une symphonie.)

Qu'entends-je, juste ciel !

CALCHAS

La victime s'avance.

AGAMEMNON

Ah ! Calchas, que son nom soit encore un mystère.

Dieux ! que de pleurs va répandre une mère !

Scène cinquième

Clytemnestre, Iphigénie, Grecs et Grecques de leur suite, Aulidiens, Aulidiennes.

(Clytemnestre et Iphigénie arrivent sur le théâtre, montées sur un char antique, accompagnées des femmes de leur suite. Ce char est suivi et précédé d'une garde magnifiquement vêtue. Un peuple immense entoure et suit, en dansant et en chantant.)

[N. 5 - Chœur]

CHŒUR

Que d'attraits, que de majesté !

Que de grâces, que de beauté !

Qu'aux auteurs de ses jours elle doit être chère !

Agamemnon est à la fois

le plus fortuné père,

le plus heureux époux et le plus grand des rois.

[N. 6 - Air]

CLYTEMNESTRE

(après être descendu du char, et en approchant sur le devant du théâtre)

Que j'aime à voir ces hommages flatteurs,

qu'ici l'on s'empresse à vous rendre !

Pour une mère tendre,

que ce spectacle a de douceurs !

Demeurez dans ces lieux, ma fille; sans partage,

recevez les honneurs qui nous sont addressés.

Je vais voir, si le roi de nos vœux empressés

consent à recevoir l'hommage.

(Clytemnestre sort suivie d'une partie de la garde.)

[N. 7 - Ballet]

[N. 8 - Chœur et Solo]

Une Greque, alternativement avec le chœur.

CHŒUR

Non, jamais, aux regards du perfide Pâris,

les trois rivales immortelles

qui, sur le mont Ida, disputèrent le prix,

n'offrirent tant d'appas, ne parurent si belles.

UNE GREQUE

À la suprême majesté

de la jalouse déité,

qui règne sur les airs, que l'Olympe révère;

UNE AUTRE

à la redoutable fierté

de la déesse de la guerre;

UNE TROISIÈME

au sourire enchanteur de la tendre Vénus;

UNE GREQUE, UNE AUTRE, UNE TROISIÈME

elle unit toutes les vertus

de la fille du dieu qui lance le tonnerre.

CHŒUR

Non, jamais, aux regards du perfide Pâris,

les trois rivales immortelles

qui, sur le mont Ida, disputèrent le prix,

n'offrirent tant d'appas, ne parurent si belles.

UNE GREQUE

Qui pourra jamais se flater

d'obtenir de l'hymen cette Thétis nouvelle ?

S'il étoit un mortel qui pût la mériterm

Achille seul paroîtroit digne d'elle.

Non, jamais aux regards du perfide Pâris,

les trois rivales immortelles

qui, sur le mont Ida, disputèrent le prix,

n'offrirent tant d'appas, ne parurent si belles.

[N. 9 - Ballet]

[N. 10 - Air]

IPHIGÉNIE

Les vœux dont ce peuple m'honore,

peuvent-ils flatter mes souhaits ?

Achille à mes yeux inquiets

ne s'offre point encore.

(Suite du divertissement.)

[N. 11 - Ballet]

Scène sixième

Iphigénie, Clytemnestre, Peuple.

[N. 12 - Récitatif]

CLYTEMNESTRE

(au peuple)

Allez...

(à Iphigénie)

Il faut sauver notre gloire offensée,

ma fille, il faut partir à l'instant de ces lieux.

IPHIGÉNIE

Sortir sans voir Achille ! ô dieux !

Lui de qui l'ardeur empressée...

CLYTEMNESTRE

Achille désormais doit vous être odieux:

indigne de l'honneur promis à sa tendresse,

dans de nouveaux liens ses vœux sont retenus.

IPHIGÉNIE

Qu'entends-je !

CLYTEMNESTRE

Agamemnon, redoutant que la Grèce

ne vous vît exposée à l'affront d'un refus,

vous ordonnait de fuir loin de l'Aulide,

et d'aller, dans Argos, oublier le perfide.

Arcas nous apportoit ces ordres absolus;

mais nos pas égarés trompant sa diligence,

il ne vient que dans ce moment,

de s'acquitter des soins commis à sa prudence,

et de me confirmer ce fatal changement.

IPHIGÉNIE

Hélas !

[N. 13 - Air]

CLYTEMNESTRE

Armez-vous d'un noble courage;

étouffez des soupirs, trop indignes de vous;

n'écoutez qu'un juste courroux,

contre un amant qui vous outrage.

Que votre père et les dieux irrités,

ces dieux jaloux dont vous sortez,

s'arment, pour le punir, de toute leur puissance;

et que le cri de la vengeance

retentisse de tous côtés !

Armez-vous d'un noble courage;

étouffez des soupirs trop indignes de vous,

n'écoutez qu'un juste courroux,

contre un amant qui vous outrage.

Scène septième

Iphigénie seule.

[N. 14 - Récitatif et Air]

L'ai-je bien entendu, grands dieux ! le puis-je croire,

qu'oubliant ses engagemens,

Achille, au mépris de sa gloire,

au mépris de l'amour, trahisse ses sermens ?

Hélas ! mon cœur sensible et tendre,

de ce jeune héros s'était laissé charmer !

La gloire et le devoir m'ordonnoient de l'aimer,

et, d'accord avec eux, l'amour vint me surprendre.

Parjure ! tu m'oses trahir;

un autre objet a su te plaire:

je te dois toute ma colère;

je forcerai mon cœur à te haïr.

Que sa tendresse avoit pour moi de charmes !

Qu'il est cruel d'y renoncer !

De mes yeux, malgré moi, je sens couler des larmes;

est-ce pour un ingrat qu'ils en devraient verser ?

Un autre objet a su te plaire:

parjure ! tu m'oses trahir;

je te dois toute ma colère,

je forcerai mon cœur à te haïr.

Scène huitième

Iphigénie, Achille.

[N. 15 - Récitatif et Air]

ACHILLE

En croirai-je mes yeux ! ô ciel ! vous en Aulide,

princesse ?

IPHIGÉNIE

Quel que soit le dessein qui me guide,

ma gloire ne pourra du moins me reprocher

que c'est Achille ici que mon cœur vient chercher.

ACHILLE

Qu'entends-je ? quel discours ! est ce à moi qu'il

s'adresse ?

IPHIGÉNIE

De votre nouvelle tendresse,

suivez, suivez les mouvemens;

votre infidélité n'aura rien qui me blesse,

et vous pouvez former d'autres engagemens.

ACHILLE

D'autres engagemens !... De cette perfidie

qui m'ose accuser ?

IPHIGÉNIE

Moi... que vous avez trahie.

ACHILLE

Achille vous trahir !

IPHIGÉNIE

Malgré tant de sermens...

ACHILLE

Cesser d'aimer Iphigénie !...

IPHIGÉNIE

Rompre la chaîne qui nous lie !

ACHILLE

Moi, briser des nœuds si charmans !

IPHIGÉNIE

Oui, vous brûlez que je ne sois partie...

Rassurez-vous; bientôt, au gré de votre envie,

mon départ pour Argos, que pressent vos désirs,

va laisser un champ libre à vos nouveaux soupirs.

ACHILLE

Ah, c'en est trop; d'un vain caprice

Achille peut, de vos charmes épris,

sans murmurer, supporter l'injustice;

mais son cœur n'est point fait pour souffrir de mépris.

IPHIGÉNIE

Iphigénie, hélas ! vous a trop fait connoître,

pour sa gloire et pour son bonheur,

que l'estime et l'amour, peut-être,

lui parloient en votre faveur.

[N. 16 - Récitatif et Air]

ACHILLE

S'il étoit vrai, votre amour et ma gloire

vous auroient-ils permis ces soupçons odieux ?

Achille vous trahir ! grands dieux !

Ah ! pour vous pardonner d'avoir osé le croire,

il faut tout l'excès de mes feux.

Cruelle, non, jamais votre insensible cœur

ne fut touché de mon amour extrême:

si vous m'aimiez autant que je vous aime,

vous ne douteriez pas de ma fidèle ardeur.

Vous pouvez affliger un cœur qui vous adore,

par des soupçons injurieux,

et lui faire un tourment affreux,

du feu constant qui le dévore.

Cruelle, non, jamais votre insensible cœur

ne fut touché de mon amour extrême:

si vous m'aimiez autant que je vous aime,

vous ne douteriez pas de ma fidèle ardeur.

[N. 17 - Récitatif et Duo]

IPHIGÉNIE

Mon trouble, mes soupçons, mon dépit, ma douleur,

tout vous a prouvé ma foiblesse:

il vous est bien aisé de tromper ma tendresse;

à vous croire mon cœur n'est que trop empressé.

ACHILLE

Ne doutez jamais de ma flâme;

de ce doute cruel mon amour est blessé.

IPHIGÉNIE

Vous le banissez de mon ame;

je sens que pour jamais il en est effacé.

ACHILLE

Iphigénie, ô ciel ! m'a pu croire infidèle !

Par d'odieux soupçons elle a pu m'outrager !

IPHIGÉNIE

Ne me reprochez point une erreur trop cruelle:

les maux que j'ai soufferts, ont bien su vous venger.

Ensemble

IPHIGÉNIE

Que votre amour pour mon cœur a de charmes !

Hymen, viens calmer nos alarmes,

par des liens charmans viens unir, en ce jour,

deux cœurs formés pour toi par les mains de l'amour.

ACHILLE

Que cet aveu pour mon cœur a de charmes !

Hymen, viens calmer nos alarmes,

par des liens charmans viens unir, en ce jour,

deux cœurs formés pour toi par les mains de l'amour.

Fin du première acte.

Acte deuxième

Le théâtre représente un vaste portique du palais d'Agamemnon.

Scène première

Iphigénie, Femmes de sa suite.

[N. 18 - Chœur]

CHŒUR

Rassurez-vous, belle princesse;

Achille sera votre époux:

Agamemnon, pour vous plein de tendresse,

sait trop que ce héros est le seul de la Grèce,

qui soit digne de vous.

[N. 19 - Récitatif et Air]

IPHIGÉNIE

Vous essayez en vain de bannir mes alarmes;

Achille est instruit que le roi

le soupçonnoit de mépriser mes charmes

et de trahir sa foi:

sa gloire offensée en murmure;

ce soupçon lui paroît une mortelle injure,

et j'ai lu dans ses yeux tout son ressentiment.

Vous connoissez la fierté de mon père:

ils sont ensemble en ce moment.

UNE FEMME DE SA SUITE

L'indomptable lion, ardent, plein de colère,

par les traites de l'amour aisément terrassé,

soumis, en soûpirant, courbe sa tête altière

et caresse la main du dieu qui l'a blessé.

CHŒUR

L'indomptable lion, ardent, plein de colère,

par les traites de l'amour aisément terrassé,

soumis, en soûpirant, courbe sa tête altière

et caresse la main du dieu qui l'a blessé.

[N. 20 - Récitatif et Air]

IPHIGÉNIE

Vous essayez en vain de bannir mes alarmes;

l'amour n'a que de faibles armes,

quand l'honneur parle au héros offensé.

Par la crainte et par l'espérance,

ah ! que mon cœur est tourmenté !

Rien n'égale la violence

des mouvemens confus dont il est agité.

Amour, j'implore ta puissance:

fléchis d'Agamemnon l'indomptable fierté,

appaise le courroux d'un amant irrité,

et rétablis entre eux l'heureuse intelligence

d'où dépend ma félicité.

Par la crainte et par l'espérance,

ah ! que mon cœur est tourmenté !

Rien n'égale la violence

des mouvemens confus dont il est agité.

Scène seconde

Clytemnestre, Iphigénie, Femmes de la suite.

[N. 21 - Récitatif]

CLYTEMNESTRE

Ma fille, votre hymen s'apprête,

le roi lui-même, au temple, en ordonne la fête:

quel triomphe pour vous, quelle gloire pour moi !

Aux yeux de tous les Grecs, le fils d'une déesse

va me nommer sa mère et vous donner sa foi.

IPHIGÉNIE

Ah, grands dieux ! je renaîs.

CLYTEMNESTRE

Tout plein de sa tendresse,

Achille vient.

Scène troisième

Clytemnestre, Iphigénie, Achille, Patrocle, Femmes de la suite d'Iphigénie, Thessaliens et Thessaliennes.

ACHILLE

Les auteurs de vos jours

consentent que l'hymen m'unisse à ce que j'aime;

de ma félicité suprême,

princesse, rien ne peut interrompre le cours.

Les Thessaliens entrent en ordre militaire; ils sont suivis d'esclaves, portant les dépouilles de Lesbos, enlevées par Achille.

[N. 22 - Marche]

[N. 23 - Récitatif]

ACHILLE

(présentant Patrocle à Iphigénie)

Rival de ma valeur, compagnon de ma gloire;

sûr, avec lui, de la victoire,

de tous les biens que je reçus des cieux,

Patrocle est, après vous, le plus cher à mes yeux:

de ses rameaux sacrés l'amitié nous couronne;

heureux par son bonheur, le mien comble ses vœux;

c'est un ami que je vous donne;

je ne saurois vous faire un don plus précieux.

(Se tournant vers les Thessaliens.)

[N. 24 - Solo et Chœur]

Chantez, célébrez votre reine:

l'hymen qui sous ses loix m'enchaîne,

va vous rendre à jamais heureux.

CHŒUR

Chantons, célébrons notre reine;

l'hymen qui sous ses loix l'enchaîne,

va nous rendre à jamais heureux.

[N. 25 - Ballet]

[N. 26 - Chœur]

CHŒUR

La Grece à peine assembloit son armée,

que les Grecs outragés

sur Lesbos enflâmée

par l'invincible Achille étoient dejà vengés.

PATROCLE

Hector et les Troyens, par la honte pressés,

en vains'opposeront à sa valeur altière;

sous les murs d'Ilion, atteints et renversés,

Hector et les Troyens vont mordre la poussière.

La Grece à peine assembloit son armée,

que les Grecs outragés

sur Lesbos enflâmée

par l'invincible Achille étoient dejà vengés.

[N. 27 - Air]

UNE THESSALIENNE

Son front est couronné des mains de la Victoire,

et l'hymen et l'amour le parent tour-à-tour;

ah ! qu'il est doux d'unir au laurier de la gloire

les myrtes de l'amour !

La Grece à peine assembloit son armée,

que les Grecs outragés

sur Lesbos enflâmée

par l'invincible Achille étoient dejà vengés.

[N. 28 - Ballet]

ESCLAVES LESBIENNES

Les filles de Lesbos viennent vous faire entendre,

par l'ordre du vainqueur, leurs suppliantes voix.

UNE ESCLAVE

Il combattoit pour vous, et ses premiers exploits

ont réduit ma patrie en cendre.

LES ESCLAVES

En daignant nous donner des loix,

vous tarirez les pleurs qu'il nous a fait répandre.

IPHIGÉNIE

J'ai causé vos malheurs; je dois, par mes bienfaits,

vous consoler de vos pertes cruelles,

et vous faire oublier les maux qu'on vous a faits.

Venez, et vous serez mes compagnes fidèles.

[N. 29 - Quatuor et Chœur]

ACHILLE, CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, PATROCLE

Jamais à tes autels le plus saint des sermens,

favorable hyménée,

n'enchaîna la destinée

de plus heureux époux, de plus tendres amans.

Scène quatrième

Les acteurs de la scène précédente, Arcas, qui est entré vers la fin du divertissement.

[N. 30 - Récitatif et Chœur]

ACHILLE

Princesse, pardonnez à mon impatience.

Agamemnon nous attend à l'autel;

venez combler les vœux du plus heureux mortel.

ARCAS

(se jetant au devant)

Je ne puis plus garder un coupable silence.

Infortunés amans, où courez-vous ? ô ciel !

non, non, vous n'irez pas à cet autel funeste.

ACHILLE

Que dites-vous Arcas !

CLYTEMNESTRE

Vous me faites trembler.

ARCAS

Votre époux, instrument de la fureur céleste,

attend sa fille au temple, et c'est pour l'immoler.

CLYTEMNESTRE

Lui ! Mon époux !

Ensemble

IPHIGÉNIE

Mon père !

ACHILLE

Son père !

CLYTEMNESTRE

Ô désespoir ! ô crime !

TOUS

Fut-il jamais conçu de projet plus affreux !

ARCAS

Oui, c'est Iphigénie, oui, voilà la victime

que demandent les dieux.

LES THESSALIENS

(s'avançant en tumulte)

Nous ne sonffrirons point ce sacrifice impie:

c'est notre reine, Achille est son époux;

et nous périrons tous,

pour conserver les jours d'Iphigénie.

CLYTEMNESTRE

(tombant aux genoux d'Achille)

Seigneur, j'embrasse vos genoux !

Ayez pitié de cette infortunée:

sur ces bords malheureux je l'avois amenée,

dans l'espoir de l'unir à vous.

[N. 31 - Air]

Par un père cruel à la mort condamnée,

et par les dieux abandonnée;

elle n'a que vous seul; vous êtes dans ces lieux

son père, son époux, son asyle et ses dieux.

Vous remplirez mon espérance,

vous défendrez des jours si précieux;

le courroux éclatant qui paroît dans vos yeux

m'en donne l'assurance.

Par un père cruel à la mort condamnée,

et par les dieux abandonnée;

elle n'a que vous seul; vous êtes dans ces lieux

son père, son époux, son asyle et ses dieux.

[N. 32 - Récitatif]

ACHILLE

Reine, rassurez-vous, et n'appréhendez pas

que son père et les Grecs l'arrachent de vos bras:

rentrez, je vais ici l'attendre.

IPHIGÉNIE

Je ne vous quitte pas; seigneur, daignez m'entendre.

ACHILLE

Le cruel, sous mon nom, vous donnoit le trépas !

À ma juste fureur rien ne peut le soustraire.

IPHIGÉNIE

Seigneur, au nom des dieux, songez qu'il est mon père.

ACHILLE

Votre père, cet inhumain !

[N. 33 - Trio]

IPHIGÉNIE

C'est mon père, seigneur; c'est un père que j'aime.

CLYTEMNESTRE

Son père ! et le cruel veut lui percer le sein !

IPHIGÉNIE

Un père infortuné, qui me chérit lui-même.

ACHILLE

Je ne vois plus en lui qu'un perfide assassin.

CLYTEMNESTRE

Ciel, soutiens mon courage;

je n'espère qu'en toi !

IPHIGÉNIE

Ciel, détourne l'orage,

dissipe mon effroi !

ACHILLE

Ciel, dévoue à ma rage

un inhumain, sans foi.

CLYTEMNESTRE, IPHIGÉNIE, ACHILLE

Ô ciel, exauce-moi !

Scène cinquième

Achille, Patrocle.

[N. 34 - Récitatif et Air]

ACHILLE

Suis-moi, Patrocle.

PATROCLE

Et que voulez-vous faire ?

Voulez-vous, n'écoutant qu'un aveugle transport,

aussi cruel que les dieux et son père,

vous-même lui donner la mort ?

ACHILLE

Qui ! moi ?

Cours, et dis-lui qu'elle n'a rien à craindre,

qu'outragé, furieux, mais vaincu par l'amour,

quelque soit mon courroux, je saurai me contraindre,

et respecter celui qui lui donna le jour.

Scène sixième

Agamemnon, Achille, Arcas, Gardes.

[N. 35 - Récitatif]

ACHILLE

Je le vois, ciel ! retiens la fureur qu'il m'inspire.

Arrêtez !

AGAMEMNON

(à part)

C'est Achille ! Auroit-on pu l'instruire ?

ACHILLE

Je sais vos barbares projets;

je sais qu'inhumain et parjure,

vous vouliez, sous mon nom, consommer des forfaits

dont frémit la nature:

j'en saurai, malgré vous, prévenir les effets.

Mais, vous, qui m'avez fait la plus sensible injure,

rendez grâce à l'amour, si mon bras furieux

n'a pas encor vengé...

AGAMEMNON

Jeune présomptueux,

vous, dont l'audace et m'indigne et me blesse,

oubliez-vous qu'ici je commande à la Grèce;

que je ne dois qu'aux dieux compte de mes desseins,

et que vingt rois, soumis à mon pouvoir suprême,

doivent, sans murmurer, que vous devez vous-même,

attendre, avec respect, mes ordres souverains ?

ACHILLE

Dieux ! faudra-t-il souffrir ce superbe langage ?

Votre fille est à moi; mes droits sont vos sermens;

de mon bonheur votre aveu fut le gage:

vous tiendrez vos engagemens.

AGAMEMNON

Cessez un discours qui m'offense.

Quelque sort aujourd'hui qui lui soit destiné,

c'est à vous d'attendre en silence

ce qu'un père et les dieux en auront ordonné.

ACHILLE

Est-ce à moi que l'on parle, et pourroit-on le croire ?

Pensez-vous, qu'insensible à la gloire, à l'amour,

je vous laisse immoler votre fille en ce jour,

et des horreurs consommer la plus noire ?

AGAMEMNON

Pensez-vous, qu'oubliant et mon rang et ma gloire,

je souffre plus long-tems vos superbes discours ?

[N. 36 - Duo]

De votre audace téméraire,

j'arrêterai le cours.

ACHILLE

De votre fureur sanguinaire

je sauverai ses jours.

AGAMEMNON

Audacieux !

ACHILLE

Barbare père !

Ensemble

AGAMEMNON

Tremblez, redoutez ma colère:

craignez l'effet de mon ressentiment !

Je vous ferai connoître,

si l'on me brave impunément.

Tremblez, redoutez ma colère;

craignez l'effet de mon ressentiment !

ACHILLE

Tremblez, redoutez ma colère:

craignez l'effet de mon ressentiment !

Vous apprendrez, peut-être,

si l'on m'offense impunément.

Tremblez, redoutez ma colère;

craignez l'effet de mon ressentiment !

[N. 37 - Récitatif et Air]

ACHILLE

Je n'ai plus qu'un mot à vous dire;

et, si vous m'entendez, ce seul mot doit suffire.

Avant que votre fureur

immole ce que j'aime

il faut que votre rage extrême

s'apprête à me percer le cœur.

Scène septième

Agamemnon, Arcas, Gardes.

AGAMEMNON

Tu décides son sort;

ton insolente audace

hâte le coup qui la menace;

elle va recevoir la mort.

A moi, soldats !... Ô dieu ! que vais-je faire !

C'est ta fille, cruel, que tu leur vas livrer;

ta fille, si long-tems à ton amour si chère;

tout mon cœur se sent déchirer:

non, qu'elle vive !... Ah ! qu'elle est ma foiblesse !

Pour conserver ses jours que les dieux ont proscrits,

faut-il sacrifier l'intérêt de la Grèce ?

Faut-il d'Achille endurer les mépris ?

Non ! que plutôt cent fois à l'autel entraînée,

ma fille par sa mort... ma fille ! je frémis !

Iphigénie, ô ciel ! de festons couronnée,

à l'homicide acier présentera son sein !

Je verrai tout son sang couler ? ... Père inhumain !

N'entends-tu pas déjà les cris des Euménides ?

L'air retentit des affreux sifflements

de leurs serpens homicides:

vengeresses des parricides,

elles commencent tes tourmens.

Barbares ! arrêtez ! les dieux ont fait mon crime,

ils ont conduit ma main, ils ont porté les coups;

eux seuls immolent la victime.

Quoi ! rien ne peut fléchir votre courroux,

cruelles !... mais en vain votre fureur s'irrite.

Le remord dévorant qui me presse et m'agite,

pour déchirer mon cœur est plus puissant que vous.

Avec ma garde, Arcas, accompagnez la reine;

qu'elle prenne, à l'instant, le chemin de Mycène;

qu'avec ma fille, abandonnant ces lieux,

elle la cache à tous les yeux.

Allez.

(Arcas et les gardes sortent.)

Ô toi, l'objet le plus aimable,

que tant de vertus font chérir,

pardonne à ton père coupable,

en faveur de son repentir.

Hélas ! c'est toi qui la première

d'un nom si doux sut m'appeler;

et déjà ma main sanguinaire

se préparoit à t'immoler !

Non, que plutôt des dieux l'implacable colère

à tes yeux me puisse accabler.

Ô toi, l'objet le plus aimable,

que tant de vertus font chérir,

pardonne à ton père coupable,

en faveur de son repentir.

Et toi, déesse impitoyable,

perce mon cœur, au lieu du sien;

satisfais ta rage implacable:

tu veux du sang, répands le mien !

Fin du second acte.

Acte troisième

Le théâtre représente l'intérieur d'une tente magnifique, dont l'ouverture entre'ouverte laisse voir une foule de peuple en tumulte.

Scène première

Iphigénie, Femmes de sa suite, Arcas, Gardes, Grecs, derrière le théâtre et à la porte de la tente.

[N. 38 - Chœur et Récitatif]

CHŒUR

Non, non, nous ne souffrirons pas

qu'on enleve au dieux leur victime;

ils ont ordonné son trépas,

notre fureur est légitime.

IPHIGÉNIE

(entrant éperdue, au milieu de ses femmes et des gardes)

Pourquoi vous opposer, Arcas,

à la fureur qui les anime ?

ARCAS

(aux femmes)

Dans ces lieux retenez ses pas,

tandis qu'à mon devoir fidèle,

mon bras va repousser cette troupe cruelle.

Scène seconde

Iphigénie, Femmes de sa suite.

IPHIGÉNIE

(à Arcas qui sort)

Ne tentez point des efforts impuissans;

(aux femmes)

volez au secours de ma mère,

éloignez ses regards de mes derniers instans,

et laissez-moi des dieux assouvir la colère.

Mourons, obéissons...

Scène troisième

Iphigénie, Achille.

[N. 39 - Récitatif]

ACHILLE

Princesse, suivez-moi !

Ne craignez ni les cris, ni la rage inutile

d'un peuple, à mon aspect saisi d'un juste effroi !

Marchez en sûreté sous la garde d'Achille,

venez...

IPHIGÉNIE

Hélas ! ô devoir rigoureux !

ACHILLE

Venez, ne perdons point des instans précieux.

IPHIGÉNIE

Vous vous armez en vain pour une infortunée,

seigneur, dont le trépas...

ACHILLE

Quel étrange discours !

Songez-vous que ma destinée,

ma vie et mon bonheur dépendent de vos jours ?

IPHIGÉNIE

Ils m'étoient chers, je ne puis m'en défendre,

ces jours, contre lesquels les dieux sont conjurés;

ils vous appartenoient, et l'amour le plus tendre

vous les avoit à jamais consacrés.

[N. 40 - Air]

Il faut de mon destin subir la loi suprême:

jusqu'au tombeau je braverai ses coups;

oui, sous le fer de Calchas même,

je vous dirai que je vous aime,

et mon dernier soupir ne sera que pour vous.

[N. 41 - Récitatif]

ACHILLE

Et vous m'aimez ! Puis-je le croire encore ?

Vous savez que je vous adore,

ingrate, et vous voulez mourir !

IPHIGÉNIE

Partez, seigneur, la gloire vous appelle;

elle offre à vos regards la carrière immortelle,

où vous devez courir:

ma mort seule peut vous l'ouvrir.

ACHILLE

Cette gloire à mes yeux si belle,

vous voulez donc, cruelle,

me la faire haïr !

[N. 42 - Air]

IPHIGÉNIE

Adieu, conservez dans votre ame

le souvenir de notre ardeur;

et qu'une si parfaite flâme

vive à jamais dans votre cœur.

N'oubliez pas qu'Iphigénie,

digne d'un moins funeste sort,

pour vous seul chérissoit la vie,

et vous aima jusqu'à la mort.

Adieu, conservez dans votre ame

le souvenir de notre ardeur;

et qu'une si parsaite flâme

vive à jamais dans votre cœur.

[N. 43 - Récitatif]

ACHILLE

Sans vous, Achille pourroit vivre ?

Non, non, j'en atteste les dieux !

Je dois vous arracher, malgré vous, de ces lieux.

Venez, princesse; il faut me suivre.

IPHIGÉNIE

Arrêtez !... Quel est votre espoir ?

Avez-vous cru qu'Iphigénie

pût oublier sa gloire et son devoir ?

Ils lui sont plus chers que la vie.

Ah, plutôt que de les trahir,

plutôt que d'être aux dieux, à mon père rebelle,

j'accepterai la mort la plus cruelle;

et de mes propres mains je saurai m'affranchir

du criminel secours que vous osez m'offrir.

ACHILLE

Hé bien, obéissez, barbare;

courez chercher le plus affreux trépas,

à ce temple odieux, je marche sur vos pas,

j'y préviendrai le coup qu'on vous prépare.

[N. 44 - Air]

Calchas, d'un trait mortel percé,

sera ma première victime;

l'autel, préparé pour le crime,

par ma main sera renversé.

Et si, dans ce désordre extrême,

votre père, offert à mes coups,

frappé, tombe et périt lui-même,

de sa mort, n'accusez que vous.

Scène quatrième

Iphigénie, Femmes de sa suite.

[N. 45 - Récitatif et Chœur]

IPHIGÉNIE

Cruel !... Il fuit... Ô ciel ! satisfais ton courroux,

et préviens par ma mort le carnage et le crime !

Scène cinquième

Iphigénie, Clytemnestre, Femmes, Grecs derrière le théâtre.

CHŒUR

Non, non, nous ne souffrirons pas

qu'on enleve au dieux leur victime;

ils ont ordonné son trépas,

notre fureur est légitime.

CLYTEMNESTRE

Osez mettre le comble à votre rage impie,

barbares ! venez donc m'immoler dans ses bras.

(Elle se jette dans ses bras.)

Ô ma fille !

IPHIGÉNIE

Ô ma mère !

CLYTEMNESTRE

Ô mon Iphigénie !

Jusqu'au dernier soupir je défendrai tes jours.

IPHIGÉNIE

Rien n'en peut prolonger le cours:

les dieux les ont marqués du sceau de leur colère;

fuyez, laissez aux Grecs servir leur cruauté.

Ah ! si jamais je vous fus chère,

partez et n'allez point dans un camp révolté,

pour m'arracher des mains d'un peuple sanguinaire,

exposer votre rang et votre dignité.

CLYTEMNESTRE

Eh ! qu'importe ma gloire et mon rang et ma vie !

Non, si ma fille m'est ravie,

non, je ne veux plus voir la lumière des cieux.

[N. 46 - Air et Chœur]

IPHIGÉNIE

Vivez pour Oreste, mon frère;

sur cet objet si cher réunissez vos vœux:

puisse-t-il être plus heureux,

puisse-t-il être, hélas ! moins funeste à sa mère !

Du sort qui me poursuit n'accusez point mon père.

CLYTEMNESTRE

Qui... lui, par qui ton cœur à Calchas présenté...

IPHIGÉNIE

Pour conserver mes jours, que n'a-t-il point tenté !

Mais au courroux des dieux, qui pourroit me soustraire ?

CHŒUR

Non, non, nous ne souffrirons pas

qu'on enleve aux dieux leur victime;

ils ont ordonné son trépas;

notre fureur est légitime.

[N. 47 - Récitatif et Air]

IPHIGÉNIE

Vous entendez les cris d'un peuple furieux,

ma mère, rappelez ce sublime courage,

appanage du sang que vous tenez des cieux;

il est tems d'obéir aux dieux:

ah ! faisons les rougir du moins de leur ouvrage.

Recevez mes derniers adieux.

CLYTEMNESTRE

Cruelle, tu veux donc que j'expire à tes yeux ?...

Moi, je consentirois... et du courroux céleste...

ta mère... ô ciel !

(Elle tombe dans les bras des femmes.)

IPHIGÉNIE

(aux femmes)

Hélas !... prenez soin de ses jours,

et détournez ses pas de l'autel où je cours.

Scène sixième

Clytemnestre.

(courant après Iphigènie)

Dieux puissans que j'atteste,

non, je ne souffrirai pas...

(aux femmes qui lui barrent le passage)

Vous osez retenir mes pas !

Perfides, privez-moi du jour que je déteste;

dans ce sein maternel enfoncez le couteau;

et qu'au pied de l'autel funeste,

je trouve du moins mon tombeau.

Ah ! je succombe à ma douleur mortelle...

Ma fille... je la vois... sous le fer inhumain...

que son barbare père aiguisa de sa main;

un prêtre, environné d'une foule cruelle,

ose porter sur elle une main criminelle,

il déchire son sein, et d'un œil curieux

dans son cœur... palpitant... il consulte les dieux.

Arrêtez, monstre sanguinaire !

Tremblez ! c'est le plus pur sang du souverain des cieux,

dont vous osez rougir la terre !

Tremblez ! c'est le plus pur sang du souverain des cieux !

Jupiter, lance la foudre !

Que sous tes coups écrasés,

les Grecs soient réduits en poudre,

dans leurs vaisseaux embrâsés !

Et toi, soleil, et toi, qui, dans cette contrée,

reconnois l'héritier et le vrai fils d'Atrée,

toi, qui n'osas du père éclairer le festin,

recule, ils t'ont appris ce funeste chemin.

Jupiter, lance la foudre !

Que sous tes coups écrasés,

les Grecs soient réduits en poudre,

dans leurs vaisseaux embrâsés !

(On entend une symphonie dans l'éloignement.)

[N. 48 - Récitatif et Chœur]

Quels tristes chants se font entendre...

Ô dieux ! on va trancher ses jours.

En vain vous m'opposez une pitié cruelle;

barbares, malgré vous je vole à son secours,

ou je vais mourir avec elle.

(elle force le passage)

Scène septième

Le théàtre représente le rivage de la mer, sur lequel on voit un autel; Iphigénie est à genoux sur la marche de l'autel, derrière lequel est le grand-prêtre, les bras étendus vers le ciel et le couteau sacré à la main: les Grecs en foule occupent les deux côtés du théàtre.
Calchas, Chœur des Grecs.

CALCHAS, CHŒUR

Pour prix du sang que nous allons répandre,

puissante déité, protège-nous toujours;

de nos exploits n'interromps plus le cours,

au rivage Troyen permets-nous de descendre !

Scène huitième

Achille, et les acteurs de la scène précédente, Grecs, se jettant avec effroi de la gauche à la droite du théâtre.

[N. 49 - Chœur et Solo]

CHŒUR

Fuyons, fuyons tous:

d'Achille craignons le courroux.

(Achille entre, suivi des Thessaliens en ordre, qui occupent tout le côté gauche du théâtre: il va à Iphigénie, l'enleve; et la tenant de la main gauche, il menace de la droite armée Calchas et les Grecs.)

CALCHAS, GRECS

C'est en vain qu'on veut la défendre:

les dieux ordonnent son trépas.

ACHILLE

Venez, si vous l'osez, l'arracher de mes bras.

IPHIGÉNIE

Grands dieux ! prenez votre victime.

GRECS

Ils ont ordonné son trépas,

notre fureur est légitime.

Scène dernière

Clytemnestre, Agamemnon et les acteurs de la scène précédente.

CLYTEMNESTRE

Oh ! ma fille ! ah, seigneur !

ACHILLE

Reine, ne craignez rien.

CALCHAS, GRECS

C'est en vain qu'on veut la défendre;

tout son sang doit couler !

ACHILLE

Avant de le répandre,

il faudra verser tout le mien.

GRECS

Frappons, immolons la victime !

IPHIGÉNIE, CLYTEMNESTRE

(embrassant sa fille)

Secourez-nous, grands dieux !

(Le tonnerre se fait entendre, et continue.)

ACHILLE, THESSALIENS

Ecrasons ces audacieux.

GRECS

Notre fureur est légitime.

Frappons, frappons !

(Le tonnerre éclate: une masse de nuages, qui avoit rempli successivement le fond du théâtre, s'éclaire, s'entr'ouvre et laisse voir Diane dans tout son éclat.)

CALCHAS

(s'avançant)

Arrêtez, arrêtez !

Calmez cette fureur extrême.

La déesse vient elle-même,

vous prescrire ses volontés.

[N. 50 - Récitatif et Chœur]

DIANE

Votre zèle des dieux a fléchi la colère:

les vertus de la fille et les pleurs de la mère

ont trouvé grâce devant eux.

Je ne vous retiens plus dans les champs de l'Aulide,

volez où la gloire vous guide,

étonnez l'univers par vos faits glorieux;

et vous jeunes amans, vivez, soyez heureux.

(Les nuages recouvrent la déesse, qui remonte au ciel.)

CALCHAS

Adorez la clémence et les bontés des dieux !

CHŒUR

Adorons la clémence et les bontés des dieux.

AGAMEMNON

Ô ma fille !

IPHIGÉNIE

Ô mon père !

ACHILLE

Iphigénie !

IPHIGÉNIE

Achille !

CLYTEMNESTRE

Ô toi qui m'est si chère !

CLYTEMNESTRE, AGAMEMNON

Les dieux te rendent à nos vœux,

pour faire le bonheur d'Achille.

IPHIGÉNIE

Ah ! qu'il est doux ! mais qu'il est difficile

de passer, si subitement,

du plus cruel tourment

à la félicité suprême.

[N. 51 - Quatuor et Chœur]

AGAMEMNON, IPHIGÉNIE, ACHILLE, CLYTEMNESTRE

Mon cœur ne sauroit soutenir

l'excès de mon bonheur extrême:

palpitant, il s'élance au-delà de moi-même,

il est enivré de plaisir.

À peine je respire,

quel aimable délire

vient s'emparer de tous mes sens !

ACHILLE, IPHIGÉNIE

Les dieux ont eu pitié de nos gémissemens.

AGAMEMNON, CLYTEMNESTRE

Jusques aux voûtes éthérées

portons nos vœux reconnoissans,

et célébrons les noces désirées

de ces deux illustres amans.

Leur bonheur est le premier gage

de la juste faveur des dieux;

et leur hymen est le présage

de nos triomphes glorieux.

AGAMEMNON, IPHIGÉNIE, ACHILLE, CLYTEMNESTRE, CHŒUR

Jusques aux voûtes éthérées

portons nos vœux reconnoissans,

et célébrons les nôces désirées

de ces deux illustres amans.

Leur bonheur est le premier gage

de la juste faveur des dieux;

et leur hymen est le présage

de nos triomphes glorieux.

[N. 52 - Ballet]

[N. 53 - Chœur]

CALCHAS

Partez, volez à la victoire.

CHŒUR

Partons, volons à la victoire:

de nos faits éclatans étonnons l'avenir;

que nos travaux, que notre gloire,

soient des siécles futurs l'éternel souvenir.

Parés des palmes de Bellone,

qu'il est doux de jouir d'un tranquille repos !

Le plaisir seul paie et couronne

du guerrier désarmé les pénibles travaux.

Partons, volons à la victoire:

de nos faits éclatans étonnons l'avenir;

que nos travaux, que notre gloire,

soient des siécles futurs l'éternel souvenir.

Fin.

Fin du livret.

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Locandina Acte premier Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Acte deuxième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Acte troisième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène dernière