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Fra-Diavolo ou L'hotellerie de Terracine

FRA-DIAVOLO OU L'HOTELLERIE DE TERRACINE

Opéra comique en trois actes.

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Livret de Augustin Eugène SCRIBE.
Musique de Daniel-François-Esprit AUBER.

Première représentation : 18 janvier 1830, Paris.


Personnages:

Fra-Diavolo, sous le nom de LE MARQUIS de San-Marco

ténor

MILORD Rockburg, voyageur Anglais

ténor

PAMÉLA sa femme

mezzo-soprano

LORENZO brigadier des carabiniers

ténor

MATHÉO maître de l'hotellerie

basse

ZERLINE sa fille

soprano

GIACOMO compagnon du marquis

basse

BEPPO compagnon du marquis

ténor

FRANCESCO prétendu de Zerline, personnage muet

autre

LE PAYSAN

inconnu


Chœur d'habitans et habitantes de Terracine, Carabiniers.

La scène se passe dans un village aux environs de Terracine.

Acte premier

[Ouverture]

Scène première

Le Théâtre représente un vestibule d'auberge en Italie, aux environs de Terracine. Le fond, que soutient deux piliers, est ouvert et laisse apercevoir un riant paysage. À gauche et à droite, porte latérale; sur le devant, à droite des spectateurs, une table autour de laquelle boivent plusieurs carabiniers en uniformes de carabiniers romains.
Chœur de carabiniers, Lorenzo, Zerline

[N. 1 - Introduction]

LE CHŒUR

En bons militaires,

buvons à pleins verres:

le vin au combat

soutient le soldat.

Il mène à la gloire,

donne la victoire.

(à Lorenzo)

Brigadier Romain,

verse-nous du vin !

En bons militaires,

buvons à pleins verres:

le vin au combat

soutient le soldat.

PLUSIEURS CARABINIERS

S'il tombait en notre puissance

ce bandit, ce chef redouté,

nous aurions donc pour récompense...

LORENZO

Vingt mille écus !

PLUSIEURS CARABINIERS

En vérité ?

LORENZO

Tout autant !

TOUS

Sans compter la gloire !

Allons, notre hôte, allons à boire !

(Entre Mathéo, qui apporte de nouvelles cruches de vin, et retire celles qui sont vides.)

TOUS

Vingt mille écus ! nous les aurons !

Et mort ou vif nous le prendrons.

Nous le jourons, nous le jourons !

En bons militaires,

buvons à pleins verres:

le vin au combat

soutient le soldat.

MATHÉO

(à Lorenzo)

Lorsque c'est vous qui leur payez rasades,

qu'avec eux on vous voie au moins le verre en main.

LORENZO

Buvez sans moi, buvez mes camarades !

LE CHŒUR

(à demi-voix)

Le brigadier a du chagrin.

MATHÉO

(à part)

Moi, je crois deviner d'ou provient ce chagrin.

(haut)

Demain, mes chers seigneurs, ma fille se marie

au riche Francesco, fermier de ce canton.

Je vous invite tous.

LORENZO

(à part)

Plutôt perdre la vie !

LE CHŒUR

Du vin !... Du vin !...

MATHÉO

Je va en chercher, et du bon !

ZERLINE

(s'approchant de Lorenzo)

Lorenzo, vous partez ?

LORENZO

Je vais à la montagne

combattre ces brigands, et puissé-je y périr !

ZERLINE

Ô ciel !

LORENZO

D'un autre, hélas ! vous serez la compagne,

votre père le veut, je n'ai plus qu'à mourir !

Premier couplet.

ZERLINE

Cher Lorenzo, conservons l'espérance.

LORENZO

En reste-t-il à qui perd ses amours ?

ZERLINE

Reste du moins, c'est calmer ma souffrance.

LORENZO

Adieu, adieu, peut-être pour touiours !

Deuxième couplet.

ZERLINE

Mes voeux, hélas ! au combat vont te suivre.

LORENZO

Qu'ai-je besoin de penser à mes jours ?

ZERLINE

Ah ! pense à moi qui sans toi ne peut vivre.

LORENZO

Adieu, peut-être pour toujours !

(En ce moment on entend un grand bruit au dehors; tous les carabiniers se lèvent.)

Scène deuxième

Les précédens, milord et milady Cockburg; un postillon et plusieurs laquais en livrée qui les suivent.

MILORD, PAMÉLA, LE CHŒUR

Au secours ! au secours !

On en veut à nos jours.

Quel pays effroyable !

Au secours ! au secours !

On en veut à nos jours.

LORENZO

(s'approchant de milord)

Qu'est-ce donc ? parlez, je vous prie.

MILORD

Messié l'archer...

LORENZO

C'est un Anglais !

(regardant Paméla, qui vient de s'assessoir)

Une femme jeune et jolie !

MILORD

J'étais dans le colère.

PAMÉLA

(soutenue par Zerline)

Et moi, je me mourrais.

MILORD

(allant à elle et lui faisant respirer des sels)

Milady ! Paméla ! ma chère milady !

C'est ma femme, elle était sensible à l'infini.

PAMÉLA

(se soutenant à peine)

Ah ! quel voyage abominable !

En vérité c'est effroyable:

ce monsieur le brigand

s'était conduit vraiment

en gentleman bien peu galant.

Je n'avais plus l'envie

de revoir l'Italie;

mes chapeaux, mes dentelles,

mes robes les plus belles,

répondez: où sont-elles ?

Est-il malheur plus grand !

Oui, milord, cette aventure

me mettait dans le courroux;

je voulais, je le jure,

plus voyager avec vous.

MILORD

Non, non, jamais plus de voyage,

pour long-temps j'en suis revenu.

Si je cours d'avantage,

je veux être perdu.

LES CARABINIERS

On prétend qu'en ce voisinage

depuis quelque temps on l'a vu.

Gagnons avec courage

le prix qui nous est dû.

PAMÉLA

Non, non, jamais plus de voyage,

c'etait un point bien resolu.

Malgré tout mon courage,

que mon cœur est ému !

LORENZO

On prétend qu'en ce voisinage,

depuis quelque temps on l'a vu.

Mes amis, du courage,

le bandit est perdu.

ZERLINE

Je tremble qu'en ce voisinage

ce hardi brigand n'ait paru.

Je redoute sa rage;

que mon cœur est ému !

MILORD

(s'approchant de Lorenzo)

Oui, messier le brigadier, c'est à vous que je faisais ma declaration.

LORENZO

Je vous écoute, Milord.

MILORD

Je havais l'honneur d'être Anglais; je havais enlevé selon l'usage, miss Paméla, une riche héreditière que je havais épousée par inclination.

PAMÉLA

(soupirant)

Oh oui ! à Gretna-Green !

MILORD

Et pour éviter les poursuites, je havais voulu voyager en Italie avec elle, et la dot que je havais enlevée aussi, comme je disais à vous, par inclination.

PAMÉLA

(soupirant)

Oh oui !

MILORD

Et, à une lieue d'ici, le postillon à moi, il avait été arrêté.

PAMÉLA

Yes, par des bandits. Oh dieu !

LORENZO

De quel côté venaient-ils ?

MILORD

Quand ils ont attaqué moi, je dormais dans le landau, près de milady.

PAMÉLA

Yes. Maintenant, milord dormait beaucoup, aussi je disais: cela portera malheur à vous, mon cher milord.

LORENZO

Et que vous ont-ils dérobé ?

MILORD

Ils avaient fouillé partout, et avaient pris...

PAMÉLA

Tous mes diamans.

MILORD

Ils étaient si beaux !

PAMÉLA

Et ils allaient si bien à moi !

LORENZO

C'est la bande que nous poursuivons, celle de Fra-Diavolo ! De quel côté se sont-ils réfugiés ?

MILORD

Vers la montagne, et nos diamans aussi.

LORENZO

(à ses soldats)

Allons, messieurs, en route ! buvez le coup de l'étrier, et dirigeons-nous de ce côté.

(Pendant que Mathéo verse à boire aux soldats.)

ZERLINE

(s'approchant de Lorenzo et à demi-voix)

On dit ce brigand si redoutable... s'il vous arrivait malheur ?

LORENZO

Autrefois je pouvais tenir à la vie; mais maintenant...

ZERLINE

Lorenzo !

LORENZO

Demain vous en épouserez un autre; vous avez eu plus d'obéissance pour votre père que d'amour pour moi, je ne vous en ferai point de reproches. Adieu, soyez hereuse, et pensez à moi quand je ne serai plus...

ZERLINE

Vous vivrez, vous vivrez ! je ferai des vœux pour vous !

LORENZO

Des vœux ! oui, faites-en pour que demain je ne puisse pas voir votre mariage.

ZERLINE

Que dites-vous ?

LORENZO

(essuyant une larme)

Allons ! allons ! le devoir avant tout, J'espère, milord, vous rapporter de bonnes nouvelles. Adieu, père Mathéo. Adieu, Zerline. (à ses soldats) En marche !

(Il sort avec ses soldats.)

Scène troisième

Milord, Paméla, Mathéo, Zerline.

MILORD

Il avait l'air bien ému, le brigadier. Ce Fra-Diavolo, il effrayait tout le monde.

MATHÉO

Vous vous trompez, Lorenzo n'a peur de rien. Il a servi dans l'armée d'Italie avec les Français; c'est un brave garçon qui n'a qu'un défaut..

PAMÉLA

Et lequel ?

MATHÉO

Il est amoureux, et n'a pour s'établir que sa paye de soldat, et de coups de fusil en perspective.

MILORD

Ce n'était pas assez pour vivre.

MATHÉO

Sans cela je n'aurais pas demandé mieux. (regardant sa fille) Mais il faut de la raison. Allons, Zerline, serrez ces verres, ces bouteilles.

MILORD

Je havais envie de donner du courage aux gens du pays avec des guinées. (s'avançant vers Mathéo) Messié l'hôtesse, voulez-vous rédiger une pancarte, où je promettrai de l'argent beaucoup à celui qui rapporterait à nous ce que nous avons perdu ?

MATHÉO

(se mettant à la table à droite, et écrivant pendant que Milord lui dicte à voix basse)

Volentiers.

PAMÉLA

(observant Zerline qui a été assise dans un coin à gauche)

Miss Zerline pleurait ? elle avait du chagrin ?

ZERLINE

(essuyant ses yeux)

Moi ! madame, pas du tout.

PAMÉLA

Yes, je m'y connaissais. Le petite brigadier, il avais lancé à vous un regard qui disait: Oh ! je vous aime beaucoup !

ZERLINE

(effrayée)

Madame !

PAMÉLA

Ce était bien, Ce était si joli les mariage d'inclination !

(tendrement)

N'est-ce pas, milord ?

(voyant qu'il ne répond pas, et avec colère)

Milord ?

MILORD

(de l'autre côté, occupé avec Mathéo)

Vous voyez que j'étais occupé, et vous tourmentez moi. Je fasais la pancarte pour la récompense. (à Mathéo) Vous avez écrit que je promettais trois mille francs ?

PAMÉLA

Ce etait pas assez ! mettez dix mille francs. L'écrin il en valait trois cent mille ! et s'il était perdu ce était la faute à vous, qui avez voulu prendre le chemin de traverse.

MILORD

Pour éviter ce cavalier si élégant qui nous suivait partout, et qui s'arrêtait toujours dans les mêmes auberges.

PAMÉLA

Je pouvais pas empêcher lui de faire la même route.

MILORD

Vous pouvez empêcher vous de le regarder et de chanter, comme hier au soir, ce petit barcarolle qui amusait pas moi du tout.

PAMÉLA

(avec humeur)

On peut pas faire la musique ?

MILORD

Vous faisiez pas la musique, vous faisiez le coquetterie avec lui.

PAMÉLA

Moi ! le coquetterie !

MILORD

Yes, milady, je l'avais vu, et je déclare ici que je ne voulais pas.

PAMÉLA

Vous ne voulez pas ?

MILORD

C'est-à-dire, je voulais bien, mais je ne voulais pas ! entendons-nous !

(Pendant les couplets suivans, Mathéo et Zerline vont placarder en dedans et en dehors des piliers de l'auberge les affiches que Mathéo vient d'ecrire.)

[N. 2 - Couplets]

Premier couplet.

Je voulais bien, je voulais bien

que l'on trouve vous très-aimable

et que de loin maint fashionable

admire aussi votre maintien...

Je voulais bien, je voulais bien;

mais qu'en tous les lieux où je passe,

en lorgnant vous avec audace,

un galantin suive vos pas,

je voulais pas, je voulais pas;

non, non, non, non, je voulais pas,

goddam ! je voulais pas.

Deuxième couplet.

Je voulais bien, je voulais bien

payer les bijoux et la soie,

et pour qu'à la mode on vous voie,

par an dépenser tout mon bien...

Je voulais bien, je voulais bien;

mais moi suivre votre méthode,

mais être un époux à la mode

comme on en voit tant ici-bas,

je voulais pas, je voulais pas;

non, non, non, non, je voulais pas,

goddam ! je voulais pas.

Toisième couplet.

PAMÉLA

Je voulais bien, je voulais bien

être sage et jamais coquette,

et, s'il le faut, pour ma toilette

ne plus dépenser jamais rien;

je voulais bien, je voulais bien;

car, par goût et par caractère,

je suis très douce d'ordinaire;

mais dès qu'on dit: je veux... hélas !

je voulais pas, je voulais pas;

non, non, non, non, je voulais pas,

milord, je voulais pas !

MILORD

Ah ! vous voulez pas ? Il faudra pourtant bien... car j'entends plus que vous voyiez jamais ce marquis napolitain.

MATHÉO

(se levant et écoutant)

C'est le bruit d'une voiture !

Scène quatrième

Les précédens, puis le marquis.

[N. 3 - Quintetto]

MATHÉO

(regardant par la droite)

Un landau qui s'arrête, ah ! quel honneur extreme !

C'est quelque grand seigneur qui vient loger ici.

(voyant entrer le marquis)

MATHÉO

Oui, c'est un grand seigneur.

MILORD

Qu'ai-je vu ? c'est lui-même !

PAMÉLA

C'est monsieur le marquis !

MILORD

(avec fureur)

Comment, c'est encore lui ?

LE MARQUIS

Comment, c'est milady !

Ensemble

LE MARQUIS

Que voi-je ? c'est elle !

c'est la charmante milady.

Que voi-je, c'est elle

que je retrouve ici !

MILORD

Surprise nouvelle !

comme il regarde milady !

Surprise nouvelle,

comment ! c'est encore lui !

PAMÉLA

Surprise nouvelle !

il a suivi nous jusqu'ici !

Surprise nouvelle !

comment ! c'est encore lui !

ZERLINE

C'est elle, c'est elle

que cherchait monsieur le marquis;

c'est elle, c'est elle

dont son cœur est épris.

MATHÉO

C'est elle, c'est elle

que cherchait monsieur le marquis;

c'est elle, c'est elle

dont son cœur est épris !

MATHÉO

(à ses gens, montrant le marquis)

Que l'on serve sa seigneurie.

LE MARQUIS

J'ai le temps, pourquoi vous hâter ?

(regardant Paméla)

Je compte en cette hôtellerie

jusqu'à demain matin rester.

MILORD

(bas à sa femme)

Vous entendez ? ce départ qu'il retarde,

c'était pour vous, assurément.

Et comme il vous regarde !

Tenez, encore en ce moment !

LE MARQUIS

La bonne folie,

mon âme est ravie,

la fortune et l'amour secondent tous mes vœux.

PAMÉLA

De moi bien jolie,

son âme est ravie;

est-ce ma faute, à moi s'il était amoureux ?

ZERLINE

Oui, cette étrangère

aura su lui plaire;

il lui fait les doux yeux, les doux yeux d'un amoureux.

Ensemble

LE MARQUIS

Que voi-je ? c'est elle !

c'est la charmante milady.

Que voi-je, c'est elle,

que je retrouve ici !

MILORD

Surprise nouvelle !

comme il regarde milady !

surprise nouvelle,

comment ! c'est encore lui !

PAMÉLA

Surprise nouvelle !

il a suivi nous jusqu'ici !

surprise nouvelle !

comment ! c'est encore lui !

ZERLINE

C'est elle, c'est elle

que cherchait monsieur le marquis;

c'est elle, c'est elle

dont son cœur est épris.

MATHÉO

C'est elle, c'est elle

que cherchait monsieur le marquis;

c'est elle, c'est elle

dont son cœur est épris !

(A la fin de ce morceau, milord force Paméla à rentrer dans l'auberge. Elle fait en sortant une révérence au Marquis.)

Scène cinquième

Le marquis, à table, Mathéo, Zerline, Garçons d'auberge.

MATHÉO

(à Zerline)

Allons donc, petite fille, servez monsieur le marquis. J'espère que monseigneur sera content du zèle de mes gens, et de ma fille, que je laisse maîtresse de la maison, car je suis obligé ce soir de m'absenter.

LE MARQUIS

Ah ! vous partez ?

MATHÉO

Dans l'istant. Je vais coucher à deux lieues d'ici chez Francesco, mon gendre, que j'amènerai demain matin avec toute la noce.

ZERLINE

(à part)

Ah ! mon dieu !

LE MARQUIS

Avez-vous beaucoup de monde dans cette auberge ?

MATHÉO

Vous, monseigneur, et ceux que vous venez de voir, milord et milady.

LE MARQUIS

Pas d'autres ?

(après un istant de réflexion)

Milady est jolie; mais milord est de mauvaise humeur.

ZERLINE

On le serait à moins. Il a été attaqué et dévalisé par les bandits de la montagne.

LE MARQUIS

(toujours mangeant)

Pas possible ! je ne crois pas aux voleurs.

MATHÉO

Moi j'y crois comme en dieu, et en notre-dame des rameaux, notre patrone.

LE MARQUIS

Ce sont des histoires pour effrayer les voyageurs. J'ai parcouru de jour et de nuit les montagnes, et je n'ai jamais été attaqué.

MATHÉO

Autrefois, pet-être; mais depuis que Fra-Diavolo s'est établi dans ce canton...

LE MARQUIS

Fra-Diavolo ? Qu'est ce que c'est que cela ?

ZERLINE

Vous n'en avez pas entendu parler ? un fameux bandit.

MATHÉO

Qui est partout.

ZERLINE

Et qu'on ne peut jamais joindre.

MATHÉO

Il a un amulette qu'il a volé à un cardinal, et qui le rend invisibile.

LE MARQUIS

Voyez-vous cela !

ZERLINE

Et les balles des gendarmes rebondissent sur sa peau.

LE MARQUIS

Vraiment !

ZERLINE

Oui, monseigneur; et comme dit la chanson...

LE MARQUIS

Il y a une chanson sur lui ?

MATHÉO

Une fameuse en son honneur ! Vingt-deux couplets ! Si, pendant son dîner, monseigneur veut permettre...

LE MARQUIS

Est-on obligé de l'entendre tout entière ?

MATHÉO

C'est au choix des voyageurs; on ne force personne.

LE MARQUIS

À la bonne heure.

MATHÉO

(détachant de la muraille une mandoline et la présentant à Zerline)

Tiens, ma fille.

ZERLINE

(la repoussant de la main et la plaçant près d'elle sur le coin de la table)

Merci, mon père, je chanterai bien sans cela.

[N. 4 - Couplets]

Premier couplet.

Voyez, sur cette roche,

ce brave à l'air fier et hardi,

son mousquet est près de lui,

c'est son fidèle ami.

Regardez, il s'approche,

un plumet rouge à son chapeau,

et couvert de son manteau

du velours le plus beau.

Tremblez ! au sein de la tempête,

au loin l'écho répète:

Diavolo ! Diavolo !

Diavolo !

Deuxième couplet.

S'il menace la tête

de l'ennemi qui se défend,

pour les belles on prétend

qu'il est tendre et galant.

Plus d'une qu'il arrête

(témoin la fille de Piétro),

pensive rentre au hameau

dans un trouble nouveau.

Tremblez ! car voyant la fillette,

tout bas chacun répète:

Diavolo ! Diavolo !

Diavolo !

Troisième couplet.

LE MARQUIS

(se levant)

Il se peut qu'on s'abuse,

ma chère enfant; peut-être aussi,

tout ce qui se prend ici

n'est-il pas pris par lui.

Souvent, quand on l'accuse,

auprès de vous maint jouvenceau

pour quelque larcin nouveau

se glisse incognito !

Tremblez ! cet amant qui soupire,

c'est de lui qu'on peut dire:

Diavolo ! Diavolo !

Diavolo !

Scène sixième

Les précédens, Beppo, Giacomo, paraissant près des piliers du fond.

ZERLINE

Ah ! mon dieu, qu'ai-je vu !

MATHÉO

(brusquement)

Qu'est-ce ? Que demandez-vous ?

BEPPO

L'hospitalité pour cette nuit.

GIACOMO

Au nom de notre-dame des rameaux !

MATHÉO

On ne reçoit pas ainsi des mendians, des vagabonds.

BEPPO

Nou sommes des pélerens.

ZERLINE

Mon père, si c'était vrai !

MATHÉO

Sous un pareil costume !

BEPPO

Nous sommes parti pour remplir un vœu.

MATHÉO

Et lequel ?

GIACOMO

Celui de faire fortune.

MATHÉO

Ce n'est pas ici que vous la trouverez.

LE MARQUIS

(se levant et ouvrant sa bourse, où il prend un peu de monnaie)

Peut-être ! tenez, tenez, voici ce que je vous donne au nom de cette belle enfant.

BEPPO ET GIACOMO

Ah ! monsieur le marquis !

MATHÉO

(étonné)

Ils vous connaissent ?

LE MARQUIS

Oui, ce sont des pouvres diables que j'ai rencontrés ce matin, et à qui j'ai déjà fait l'aumône. Monsieur l'hôte, je veux bien payer leur souper et leur coucher.

MATHÉO

Ce sera un écu par tête.

LE MARQUIS

Par tête ! c'est peut-être plus qu'elles ne valent; n'importe !

MATHÉO

(recevant l'argent)

Dès que monsieur le marquis s'y intéresse, il n'y a pas besoin d'autre recommandation.

ZERLINE

Mon père, on le va les loger tout là-haut ?

MATHÉO

Pas dans la maison, surtout quand je vais passer la nuit dehors. Jean, vous leur donnerez un morceau, et puis vous les conduirez vous-même à la grange, ici à côté.

(aux autres gens de l'auberge)

Rentrez, et preparez le souper de milord.

(à Zerline)

Toi, ma fille, tu vas me reconduire à quelques pas d'ici, juqu'à l'ermitage, et nous parlerons de ton prétendu.

(au marquis)

Adieu, monsieur le marquis, j'espère, demain matin, en revenant avec mon gendre, retrouver encore votre seigneurie.

LE MARQUIS

Je l'espère aussi, je me lève tard. Adieu, notre hôte, bon voyage. Adieu, ma belle enfant.

(Les domestiques rentrent dans l'hôtellerie; Mathéo, qui a pris son chapeau et son bâton, sort par le fond avec Zerline.)

Scène septième

Le marquis, Beppo, Giacomo.

Le marquis est assis sur le devant du thèâtre, près de la table à droite, et tient un curedent; Beppo et Giacomo regardent si tout le mond est parti.

BEPPO

(redescendant le thèâtre, et prenant la bouteille qui est sur la table, se verse un verre de vin)

À ta santé !

LE MARQUIS

(se retournant avec hauteur)

Hein !

BEPPO

(de même)

Je dis: à ta santé !

LE MARQUIS

Qu'est-ce que c'est que de pareille manières ?

GIACOMO

(la chapeu bas)

Excusez, capitaine, c'est une recrue qui ne sait pas encore le respect qu'on vous doit.

(bas à Beppo)

Ote donc ton chapeau ! Il n'est pas encore au fait; mais il sort d'une bonne maison, c'est un ancien intendant qui veut travailler maintenant en brave, et à découvert.

LE MARQUIS

Il ne suffit pas d'être brave, il faut encore être honnête et savoir vivre. Je n'ei jamais vu, dans l'origine, de troupe plus mal composée que celle que j'ai l'honneur de commander. Les bandits le plus mal élevés ! et si je n'y avais établi l'ordre et la discipline...

(à Giacomo, lui montrant une carafe et relevant la manche de son pourpoint)

Verse-moi de l'eau !

(à Beppo, tout en se levant les mains)

À la première familiarité je te fais sauter le cervelle; cela t'apprendra.

BEPPO

Hé bien ! par exemple !

GIACOMO

Il le ferait comme il le dit.

BEPPO

(tremblant)

Hein !

LE MARQUIS

Une serviette !

(s'essuyant les mains)

Qu'y a-t-il de nouveau ? et qui vous amène ?

BEPPO

(chapeau bas)

L'entreprise a réussi; nous avons arrêté le milord et ses diamans.

LE MARQUIS

Crois-tu que je ne sois pas au fait ? je le savais déjà.

GIACOMO

Toutes les indications que vous aviez données étaient si exactes !

LE MARQUIS

Je le crois bien; depuis trois jours que je les suis à la piste, que je dîne avec eux dans les mêmes auberges, et que tous les soirs je chante des barcaroles avec milady, vous croyez que ce n'est pas fatigant !

GIACOMO

Nous savons, capitaine, ce que vous faites pour nous.

LE MARQUIS

Milord ne s'est pas défendu et nous n'avons perdu personne ?

GIACOMO

Non, capitaine, au contraire; le postillon était un ancien que nous avait quittés, et qui demande à s'enrôler de nouveau.

LE MARQUIS

Est-il entre vos mains ?

GIACOMO

Oui.

LE MARQUIS

(se curant les dents et arrangeant sa chemise devant un miroir de poche)

Qu'on le fusille ! je n'aime pas l'incostance; dans notre état, s'entend; près des belles, c'est autre chose; et puisque, grace à milord, nous avons des diamans, tu en enverras pour six mille écus à Fiorina, cette jeune cantatrice que je protège; j'aime les arts et surtout la musique.

GIACOMO

Oui, capitaine.

LE MARQUIS

Eh bien ! est-ce tout ?

GIACOMO

Non vraiment... et nous craignons d'avoir été trompés.

LE MARQUIS

Comment cela ?

GIACOMO

Cette cassette que vous nous aviez annoncée et que milord devait avoir dans sa voiture..

LE MARQUIS

Cinq cent mille francs en or qu'il allait placer à Livourne chez un banquier; du moins milady me l'avait dit.

GIACOMO

Impossible de la trouver.

LE MARQUIS

Imbécille ! manquer une si belle opération !

BEPPO

Peut-être, pour nous faire du tort, les a-t-il dépensés ?

LE MARQUIS

Ce que c'est que de ne pas faire ses affaires soi-même ! Mais je saurai à tout prix ce que cet or est devenu. Laissez-moi.

(à part)

Allons, il foudra encore faire de la musique avec milady. Ces coquins-là sont-il heureux de m'avoir !

(regardant par la porte de l'auberge)

C'est elle !

(apercevant Beppo et Giacomo qui sont ou fond du thèâtre)

Hé bien ! vous n'êtes pas encore partis !...

(Ils disparaissent par la droite.)

Scène huitième

Le marquis, Paméla.

[N. 5 - Trio]

PAMÉLA

(sortant de l'auberge)

Oui, je vais commander le punch à vous, milord.

LE MARQUIS

(s'avançant)

Charmante milady !

PAMÉLA

(effrayée)

Comment ! C'est vous encore ?

et mon époux etait dans la chambre voisine;

lui si jaloux, jaloux comme Othello !

LE MARQUIS

Est-ce donc l'offenser que chanter un duo ?

(prenant la mandoline que Zerline a placée sur le coin de la table à la cinquième scène)

Et nous pouvons, sur cette mandoline,

répéter tous les deux cet air

que nous commençâmes hier.

PAMÉLA

(regardant à gauche par la porte de l'auberge)

Ah ! je l'entends ! c'est lui.

LE MARQUIS

(saisissant brusquement la mandoline et en jouant)

Le gondolier fidèle

brave, pour voir sa belle,

les autans ennemis.

(la regardant)

De loin, s'il obtient d'elle

un regard, un souris,

c'est toujours ça de pris !

(Il regarde vers la gauche si l'on ne vient pas, et remet la mandoline sur la table en s'adressant à Paméla.)

Faut-il que votre cœur ignore

le feu brûlant qui me dévore ?

PAMÉLA

(voulant s'eloigner)

Monsieur, je ne puis écouter.

LE MARQUIS

(le retenant)

Je me tais, vous pouvez rester;

oui, vous admirer en silence

ne peut vous paraitre une offense.

PAMÉLA

Je ne pouvais pas, je le crois,

empêcher vous d'admirer moi.

LE MARQUIS

Ah ! combien mon âme est ravie

en contemplant ces traits charmans,

cette robe simple et jolie.

(regardant un médaillon qui est à son cou)

Ah ! grand dieu ! le beaux diamans !

PAMÉLA

Les seuls échappés au pillage,

tant je les cachais avec soin !

LE MARQUIS

(à part)

Les maladroits ! Ah ! quel dommage !

(haut, à Paméla, d'un ton galant)

Pour plaire, en avez-vous besoin ?

Mais plus je considère

ce riche médaillon... il contient un secret ?

PAMÉLA

Pour lui, mon époux l'a fait faire,

car il renferme mon portrait.

(l'ouvrant et lui montrant)

Trouvez-vous ressemblant ?

LE MARQUIS

(affectant un trouble amoreux)

O ciel ! il se pourrait !

(le regardant avec ivresse)

Voilà ce regard, ce regard doux et tendre,

voilà ces traits si gracieux;

je crois la voir, je crois l'entendre.

(avec délire)

Mon âme a passé dans mes yeux.

(avec rage)

Et c'est pour un rival, un tyran, un barbare...

(Il met le portrait dans sa poche.)

PAMÉLA

Que faites-vous ?

LE MARQUIS

Je m'en empare.

PAMÉLA

(troublée et voulant le reprendre)

Monsieur !

LE MARQUIS

Jamais, iamais il ne me quittera.

PAMÉLA

Monsieur !

LE MARQUIS

Oui, sur mon cœur toujours il restera.

PAMÉLA

C'est mon mari.

(Milord sort de l'hôtellerie; et le marquis, saisissant vivement la mandoline, reprend le premier motif.)

LE MARQUIS

Le gondolier fidèle,

brave sur sa nacelle

les jaloux, les maris,

quand son cœur, de sa belle

presse les traits chéris:

c'est toujours ça de pris.

Scène neuvième

Les précédens, Milord, passant entre eux deux.

MILORD

Bravi ! bravi !

PAMÉLA

Ah, c'était vous.

MILORD

Oui, Milady.

PAMÉLA

Nous faisions de la musique

MILORD

Je n'aime pas la musique.

Ensemble

PAMÉLA

Combien moi j'aimais la musique,

elle me plaisait fort,

mais je vois, c'est unique,

qu'elle ennayait milord.

Jamais, avec milord,

nous ne sommes d'accord.

LE MARQUIS

Bravo, bravo, c'est la musique

qui nous met d'accord;

il faudra qu'on s'explique

et qu'on m'instruise encore.

Enlevons à milord

et sa femme et son or.

MILORD

Toujours ensemble, c'cst unique,

ils sont très-bien d'accord;

aussi cette musique

à moi me déplait fort,

et peut faire du tort

à l'honneur d'un milord.

PAMÉLA

Nous répétions cette barcarolle...

MILORD

C'était bien aimable à vous pendant que je m'impatientais, moi, pour le punch.

LE MARQUIS

Permettez donc, milord, puisque vous preniez du punch, nous pouvions bien faire de la musique.

MILORD

Oui, si j'en avais pris ! mais je n'en prenais pas, j'en attendais.

LE MARQUIS

Que ne le disiez-vous ? holà ! quelqun !

MILORD

Ce était pas besoin; je avais plus soif, je l'avais perdu le soif.

LE MARQUIS

Depuis la perte de vos diamans !

MILORD

Oui, cela et puis autre chose encore.

LE MARQUIS

Ah ! mon dieu ! est-ce qu'il serait arrivé malheur à ces cinq cent mille francs en or que vous alliez placer à Livourne ?

MILORD

Je les aivais toujours.

LE MARQUIS

Ah ! tent mieux ! je respire; car si vous les aviez perdus, j'en aurais été aussi fâché que vous-même.

PAMÉLA

Que vous étiez bon !

LE MARQUIS

Ce que j'en disais, c'était pour vous offrir mon portefeuille.

MILORD

Je remerciais vous.

(tirant son portefeuille)

Je avais déjà regarni le mien.

LE MARQUIS

Et comment cela ? Comment avez-vous ou sauver votre or ?

MILORD

Par un moyen bien adroit que je ne disais pas à personne.

LE MARQUIS

Vous avez de l'esprit.

MILORD

Je croyais bien.

PAMÉLA

Il avait changé les pièces d'or en billets de banque, et il les avait fait coudre.

LE MARQUIS

(vivement)

Où cela ?

MILORD

(riant)

Devinez.

LE MARQUIS

Moi, je ne devine jamais rien.

MILORD

Dans mon habit, et dans la robe de milady.

LE MARQUIS

Il sera possible !

(regardant la robe de Paméla)

Ce tissu charmant et precieux...

(se retournant en riant vers milord)

C'est impayable.

MILORD

(riant aussi)

Yes, yes, nous étions tout cousus d'or.

LE MARQUIS

C'est bon à savoir.

(En ce moment on entend en dehors une marche guerrière. Milord et Paméa vont regarder par le fond.)

[N. 6 - Finale]

PAMÉLA, MILORD

Ecoutez !

LE MARQUIS

Quelle est donc cette marche guerrière ?

(entrent mystérieusement et disent à demi-voix au marquis, sur le devant du thèâtre)

BEPPO, GIACOMO

Un brigadier et des soldats

qui vers ces lieux portent leurs pas.

Fuyons !

LE MARQUIS

Jamais ! poltrons, du cœur !

BEPPO

Je n'en ai guère.

LE MARQUIS

Auprès de moi n'êtes-vous pas ?

Scène dixième

Les précédens, Lorenzo, Chœur de soldats, Zerline, Gens de l'auberge et du village.

LE CHŒUR

Victoire ! victoire ! victoire !

Réjouissons-nous !

Victoire ! victoire !

Pour nous, quelle gloire !

Il sont tombés sous nos coups.

ZERLINE

(courant à Lorenzo)

C'est lui que je revois.

PAMÉLA, MILORD

(à Lorenzo)

De grâce. Expliquez-vous.

LORENZO

En silence et dans l'ombre

suivant leurs pas errants,

dans un défilé sombre

j'ai surpris ces brigands.

LE MARQUIS

(à part)

Et je n'étais pas là !

LORENZO

Long-temps avec audace

ils se sont comportés;

vingt d'entre eux sur la place

en braves sont restés.

LE MARQUIS

(à part)

O fureur !

LORENZO

Mais l'effroi qui les gagne

disperse ces bandits,

l'écho de la montagne

a répété ce cri:

LE CHŒUR

Victoire, victoire, victoire !

Réjouissons-nous !

Victoire, victoire !

Pour nous, quelle gloire !

Il sont tombés sous nos coups.

LORENZO

(à Milord)

Sur l'un de ces bandits couché sur la poussière,

j'ai retrouvé, milord, cet écrin.

MILORD, PAMÉLA

(s'en emparant)

C'est le mien !

Ô sort heureux !

LE MARQUIS

(à part)

Ô sort contraire !

(montrant Lorenzo)

Par lui perdre à la fois mes soldats et mon bien.

Ensemble

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

Que la fureur et la vengeance

pour le punir arment nos bras;

son sang expiera son offense:

oui, je vous promets son trépas,

oui, je jure ici son trépas !

ZERLINE, MILORD, PAMÉLA

Honneur à sa vaillance !

Le ciel a protégé son bras;

oui, je renais à l'espérance;

pour moi quel moment plein d'appas !

oui, quel moment plein d'appas !

LORENZO, LE CHŒUR

Victoire, victoire, victoire !

Réjouissons-nous !

Victoire, victoire !

Pour nous, quelle gloire !

Il sont tombés sous nos coups.

LORENZO

Adieu, milord !

ZERLINE

Déjà quitter cette demoure ?

LORENZO

Il le faut.

ZERLINE

Pourquoi donc repartir à cette heure ?

LORENZO

Le chef de ces bandits a su nous échapper;

mais je suis sur sa trace, il ne peut nous tromper.

Adieu, Zerline.

PAMÉLA

(le retenant)

Un instant, je vous prie.

(à milord)

Le portefeuille à vous ?

MILORD

(le retirant avec peine de sa poche)

Et pourquoi, chère amie ?

PAMÉLA

(ouvrant le portefeuille et y prenant des billets de banque, et s'adressant à Lorenzo)

Milord, qui chérissait beaucoup les gens de cœur,

de ces dix mille francs est votre débiteur;

(montrant la pancarte du fond)

lisez plutôt.

LORENZO

(repoussant les billets)

Jamais ! Quelle idée est la vôtre ?

PAMÉLA

(à demi-voix)

C'est la dot de Zerline, acceptez aujourd'hui

un trésor qui pourrait vous en donner un autre.

ZERLINE

(le prenant vivement)

Moi, j'accepte pour lui;

le voilà riche, dieu merci !

autant que son rival.

LORENZO

(avec joie et vivement)

Et je puis...

ZERLINE

(de même)

...à mon père...

LORENZO

...demander...

ZERLINE

...dès demain...

LORENZO

Et ton cœur...

ZERLINE

...et ma main.

LORENZO

Ô sort prospère !

ZERLINE

Heureux destin !

Ensemble

LORENZO, ZERLINE

Ah ! je renais à l'espérance,

le ciel me ramène en tes bras;

d'aujourd'hui mon bonheur commence,

pour moi quel moment plein d'appas !

MILORD, PAMÉLA

Rendons honneur à sa vaillance,

le ciel a protégé son bras.

(regardant l'écrin)

Cher écrin, ma seule espérance,

ah ! tu ne me quitteras pas.

Quel moment plein d'appas !

Ensemble

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

Que la fureur et la vengeance

pour le punir arment nos bras !

Son sang expiera son offense,

oui, je jure ici son trépas !

CHŒUR DE SOLDATS

Victoire ! victoire !

etc.

(À la fin de cet ensemble, Lorenzo va parler à ses soldats et les range en bataille.)

LE MARQUIS

(bas à Beppo et Giacomo, sur le devant, à droite)

Tout nous sourit, sachons attendre,

le père ne peut revenir.

BEPPO, GIACOMO

Et ces soldats ?

LE MARQUIS

Ils vont partir.

Ils vont ailleurs pour nous surprendre !

LORENZO

(au fond)

Partons, mes braves compagnons !

LE MARQUIS

Ils s'éloignent et nous restons.

ZERLINE

(à Lorenzo)

Demain, songe au bonheur que l'amour nous destine.

LE MARQUIS

(bas à ses compagnons)

L'or et les diamans, et la dot de Zerline,

cette nuit...

BEPPO

Sont à nous, et nous les reprenderons.

Ensemble

MILORD, PAMÉLA, ZERLINE

À demain, à demain, oui, nous nous reverrons.

Demain, demain, nous reviendrons.

Partons, partons.

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

Cette nuit, cette nuit, oui, d'eux tous je réponds.

Ils sont à nous, oui, j'en réponds,

nous les tenons.

Ensemble

LE MARQUIS, SES COMPAGNONS

Que la fureur et la vengeance

pour le punir arment nos bras !

Son sang expiera son offense,

et je jure ici son trépas;

oui, je jure son trépas.

LORENZO, ZERLINE

Mon cœur renaît à l'espérance;

demain, demain tu reviendras;

oui, demain tu m'appartiendras:

d'aoujourd'hui mon bonheur commence.

Pour moi quel moment plein d'appas !

MILORD, PAMÉLA

Le ciel protège sa vaillance !

Il doit encore guider ses pas.

Cher écrin, ma seule espérance,

ah ! tu ne me quitteras pas.

CHŒUR DE SOLDATS

Victoire ! victoire ! victoire !

Dieu combat pour nous.

Victoire ! victoire !

Pour nous quelle gloire,

il va tomber sous nos coups.

(Lorenzo, à la tete de ses soldats, défile au fond du thèâtre, tandis que des gens de l'auberge apportent des flambeaux au marquis, à Paméla et à milord qui se souhaitent le bonsoir. Un garçon d'auberge montre à Beppo et à Giacomo la grange qui est à droite du thèâtre, et les emmène de ce côté pendant que les autres entrent dans la maison.)

Acte seconde
Scène première

Le théâtre représent, une chambre d'auberge. Sur les deux premiers plans, à gauche et à droite, deux portes vitrées faisant face au spectateur; sur le second plan à gauche, un lit et une table sur laquelle est un miroir; à droite, sur le second plan, une porte conduisant à l'intérieur de la maison. Au fond du théâtre, une croisée donnant sur la rue.
Zerline.

[N. 7 - Récitatif et Air]

(tenant à la main un bougeoir et des flambeaux. Elle entre par la porte de droite qu'elle laisse ouverte et parle à la cantonade).

Ne craignez rien, milord ! oui, je vais sur-le-champ,

pendant que vous êtes à table,

préparer votre lit et votre appartement.

(descendant le thèâtre et posant le bougeoir sur la table)

On n'entendit jamais de tapage semblable;

j'en perdrai la tête, je croi:

aller, venir, courir au bruit de vingt sonnettes,

et de tous ces messieurs écouter les fleurettes,

on n'a pas un instant à soi.

Quel bonheur ! je respire. Oui, je suis seule ici;

on me laisse un instant: qu'au moins il soit pour lui !

A peine ai-je le temps de dire que je l'aime.

De peur de l'oublier je le dis à moi~même.

Non, pour moi ce mot-là

jamais ne s'oubliera.

(montrant son cœur)

Son souvenir est là !

Quel bonheur, je respire. Oui, je suis seule ici;

on me laisse un moment, qu'au moins il soit pour lui !

Ce ne sera pas long, car voilà que l'on monte déjà.

(à milord et à sa femme qui entrent)

Quand milord et milady voudront, leur appartement est prêt. Au bout du corridor.

Scène deuxième

Les précédens, Milord, Milady.

[N. 8 - Trio]

MILORD

Allons, ma femme,

allons dormir.

Déjà le sommeil me réclame.

Pour un époux, ah ! quel plaisir !

ah ! quel plaisir

de bien dormir.

PAMÉLA

Et quoi ! milord, déjà dormir !

déjà le sommeil vous réclame !

Jadis, je crois m'en souvenir,

vous étiez moins prompt à dormir.

MILORD

Pour un époux, ah ! quel plaisir !

ah ! quel plaisir

de bien dormir.

Ensemble

ZERLINE

Après un an de mariage,

on querelle donc son mari ?

Avec le mien, dans mon ménage,

n'en sera jamais ainsi.

PAMÉLA

Après un an de mariage,

comment ! déjà changer ainsi ?

Voyez donc le joli ménage,

voyez donc l'aimable mari !

MILORD

Après un an de mariage,

comment ! déjà changer ainsi ?

Voyez donc le joli ménage,

je ne reconnais plus milady.

MILORD

Il est minuit, c'est très-honnête;

il faut partir de grand matin.

PAMÉLA

Non, vraiment, je reste à la fête;

(moutrant Zerline)

sa noce, elle avait lieu demain.

ZERLINE

Croyez à ma reconnaissance.

PAMÉLA

Je veux vous donner des avis.

Ma chère enfant, je veux d'avance

vous prévenir sur les maris.

Voyez-vous bien, tous les maris.

MILORD

(l'interrompant)

Allons, ma femme, allons dormir.

PAMÉLA

Eh quoi ! milord, déjà dormir ?

ZERLINE

Milord, milord aime à dormir.

(le bourgeoir à la main)

Milord voudrait-il quelque chose ?

MILORD

Un oreiller.

ZERLINE

(allant en prendre un dans le cabinet à droite)

C'est là, je croi !

PAMÉLA

Où donc est la soubrette à moi ?

ZERLINE

De moi que madame dispose.

(Au moment où ils vont sortir, milord s'arrête et regarde au cou de sa femme.)

MILORD

Mais qu'avez-vous donc fait, ma chère,

du médaillon que d'ordinaire

j'ai l'habitude ici de voir

attaché par un ruban noir ?

PAMÉLA

(un peu troublée)

Ce portrait ?

MILORD

Oui, ce médaillon.

PAMÉLA

Il est... il est...

MILORD

Où donc ?

PAMÉLA

Allons, milord,

allons dormir.

Déjà le sommeil me réclame;

pour un époux, ah ! quel plaisir !

ah ! quel plaisir

de bien dormir.

Ensemble

ZERLINE

Après un an de mariage,

etc.

PAMÉLA

Après un an de mariage,

etc.

MILORD

Après un an de mariage,

etc.

(Zerline qui a pris un bougeoir et l'oreiller, entre, en les éclairant, dans la chambre à gauche. Milord et sa famme la suivent, la chambre reste dans l'obscurité.)

Scène troisième

Le marquis seul, entrant mystérieusement.

(Au moment où ils sortent, le marquis paraît au haut de l'escalier à droite.)

LE MARQUIS

(seul, entrant mystérieusement)

Ils sont tous retirés dans leurs appartements, et personne, grace au ciel, ne m'a vu monter cet escalier. Orientons-nous. Au premier, m'a-t-on dit, la seconde chambre au bout du corridor. Voici bien la première chambre, j'y suis. Pour la seconde, est-ce-celle-ci ?

(regardant la porte à droite que Zerline a lassée ouverte)

Non, un cabinet noir avec des porte-manteaux, des rideaux.

(regardant de l'autre côté)

Alors voilà sans doute la porte du corridor qui conduit chez l'Anglais. Pas d'autre issue, notre proie ne peut nous échapper. Il s'agit maintenant d'avertir mes compagnons qu'on a logés dans la grange.

(ouvrant la fenêtre du fond)

Ils devraient déjà être dehors, et je ne le vois pas ! La nuit est si sombre... Peut-être rôdent-ils autour de la maison.

(apercevant une mandoline accrochée à l'un des murs)

Allons, le signal convenu. Et si on m'entendait ! Qu'importe ? Je ne peux pas dormir, je chante. On chante jour et nuit en Italie. D'ailleurs ma chanson n'éveillera pas de supçons. C'est celle que fredonnent toutes les jeunes filles qui attendent leurs amoreux: et elle est joliment connue dans le pays.

[N. 9 - Barcarole]

Premier couplet

Agnès la jouvencelle,

aussi jeune que belle,

un soir à sa tourelle

ainsi chantait tout bas:

la nuit cachera tes pas,

on ne te verra pas;

la nuit cachera tes pas;

et je suis seule, hélas !

C'est ma voix qui t'appelle,

ami, n'entends-tu pas ?

Deuxième couplet

L'instant est si prospère !

Nulle étoile n'éclaire

ta marche solitaire,

pourquoi ne viens-tu pas ?

Le jour, ma grand'mère, hélas !

est toujours sur nos pas.

Mais ma grand'mère, là-bas,

dort après son repas.

L'instant est si prospère !

ami, n'entends-tu pas ?

(A la fin du couplet Beppo et Giacomo paraissent à la croisée du fond.)

Scène quatrième

Le marquis, Beppo, Giacomo.

LE MARQUIS

Entrez sans bruit !

GIACOMO

Il ne nous a pas été difficile de sortir de la grange où l'on nous avait mis.

BEPPO

Et nous voici exacts au rendez-vous.

LE MARQUIS

Silence ! milord et milady viennent d'entrer dans leur chambre.

GIACOMO

Et les cent mille écus de diamans qu'ils nous ont pris ?

BEPPO

Les cinq cents billet de banque qu'ils nous ont dérobés ?

LE MARQUIS

(montrant leur appartement)

Sont là, avec eux.

(voyant qu'ils font un moviment pour y courir)

Où allez-vous ?

GIACOMO

Reprendre notre bien.

LE MARQUIS

Un instant ! ils ne sont pas encore endormis, il y a dans leur chambre quelqu'un qui ne va pas tarder à en sortir, cette petite servante...

GIACOMO

Zerline ?

BEPPO

Nous avons aussi un compte avec elle, car enfin il y a dix mille francs à nous qu'elle a détournés de la masse.

LE MARQUIS

Ils nous reviendront; mais ce n'est pas à elle que j'en veux le plus, c'est à Lorenzo, son amoreux, qui nous a privés d'une vingtaine de braves, et par san-Diavolo, mon patron, je me vengerai de lui, ou je ne suis pas Italien !

ZERLINE

(en dehors de la porte à gauche)

Bonsoir ! milord; il ne vous faut plus rien ?

LE MARQUIS

On vient...

(leur montrant la porte à droite)

Dans ce cabinet... derrière ces rideaux...

BEPPO

(hésitant)

Ces rideaux !

LE MARQUIS

Hé oui ! jusqu'à ce que la petite soit partie !

(Ils entrent tous trois dans le cabinet à droite dont ils referment la porte.)

Scène cinquième

Les précédents, cachés, Zerline, tenant un bougeoir.

Le théâtre redevient éclairé.

ZERLINE

Bonne nuit, milord; bonne nuit, milady. Oh ! vous dormirez bien: la maison est très-sûre et très-tranquille.

(posant son bougeoir sur la table, près du lit)

Grâce au ciel, voilà chez nous tout le monde endormi; et je ne suis pas fâchée d'en faire autant, je suis fatiguée de ma journée. Dépéchon-nous de dormir, car il est déjà bien tard, et demain au point du jour il faut être sur pied.

(elle s'approche du lit, dont elle ôte la courte-point)

Mon lit ne vaut pas celui de milord, non certainement.

(elle ouvre la porte du cabinet, et place sur la chaise qui est à l'entrée la couverture qu'elle vient de ployer; elle laisse la porte ouverte; cette porte doit s'ouvrir en dehors, c'est-à-dire du côté du spectateur; continuant à parler, elle se rapproche de son lit, et tourne le dos au cabinet)

Mais c'est égal, j'ai idée que j'y dormirai mieux; je suis si heureuse !...

GIACOMO

(paraissant à l'entrée du cabinet dont on vient d'ouvrir la porte)

Il paraît que c'est sa chambre.

BEPPO

(de même)

Qu'allons-nous faire ?

LE MARQUIS

Attendre qu'elle soit couchée et endormie.

BEPPO

Alors, qu'elle se dépêche.

ZERLINE

Demain matin Lorenzo reviendra, il demandera ma main à mon père qui ne pourra la lui refuser; car il est riche, il a dix mille francs !

(les tirant de son corset)

Les voilà ! Ils sont à lui ! qu'est-ce que je dis ? ils sont à nous ! Le compte y est-il ? oui, vraiment ! J'ai toujous peur qu'il n'en manque. Qu'ils sont jolis ! que je les aime !

(elle les porte à sa bouche)

Aussi ils ne me quitteront pas.

(allant les mettre sous son oreiller)

Ils passeront la nuit à côté de moi, sous mon chevet.

BEPPO

(à part dans le cabinet)

Ces coquins de billet !

LE MARQUIS

Te tairas-tu ?

BEPPO

(avec mauvaise humeur)

On ne peut plus parler maintenant.

ZERLINE

(va chercher la table qui est à côté du lit et sur laquelle est un miroir en pupitre)

Et Francesco, que mon père doit m'amener comme son gendre ! Je lui parlerai franchement; je lui dirai que je ne l'aime pas, cela le consolera; et demain, à cette heure-ci, peut-être que je serai la femme de Lorenzo.

(s'arretant)

Sa femme ! il est vrai qu'il y a si long-temps que j'y rêve ! tous les soirs en me couchant; mais maintenant il n'y a plus à dire:

(Sur la ritournelle de l'air suivant, elle s'assied pres de la table et commence sa toilette de nuit; elle détache son collier, ses boucles d'oreilles et les rubans de sa coiffure.)

[N. 10 - Air et scène]

Oui, c'est demain, c'est demain

qu'enfin l'on nous marie !

C'est demain, c'est demain

qu'il recevra ma main.

Que mon âme est ravie !

c'est demain ! c'est demain,

c'est demain !

(détachant son fichu)

Nous ferons bien meilleur ménage

que cette Anglaise et son époux;

car Lorenzo n'est pas volage,

et ne sera jamais jaloux.

Aye, aye ! je n'y prends pas garde,

et je me pique !

(elle presse son doigt)

BEPPO

(regardant par la porte vitrée)

Elle est jolie ainsi.

(s ur un geste menaçant que lui fait le marquis)

Je ne parle pas, je regarde.

LE MARQUIS

(le repoussant et prenant sa place)

Va-t'en ! c'est moi qui dois tout observer ici.

ZERLINE

(continuant l'air tout en faisant sa toilette)

Je suis sûre de mon mari:

en sa femme il a confiance;

aussi pour moi quelle espérance !

C'est demain, c'est demain

qu'enfin l'on nous marie;

c'est demain, c'est demain

qu'il recevra ma main !

Que mon âme est ravie !

C'est demain ! c'est demain,

c'est demain !

(elle a ôté son fablier, ses manches et son corset; elle reste le col et les bras nus, et avec une petite robe de dessus)

Pour moi je n'ai pas l'élégance

ni les attraits de milady.

(se regardant)

Pourtant Lorenzo quand j'y pense

n'est pas à plaindre, dieu merci !

(se retournant pour voir sa taille)

Oui, voilà pour une servante

une taille qui n'est pas mal, oui;

vraiment, vraiment, ça n'est pas mal:

je crois qu'on en volt de plus mal !

(avec satisfaction)

Oui, oui, je suis assez contente.

(Le marquis et les deux autres dans le cabinet, ne pouvant contenir un éclat de rire.)

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

Ah ! ah ! c'est original !

ZERLINE

(effrayée s'arrétant)

Je crois qu'on vient de rire.

(elle remonte le thèâtre, écoute du côté du cabinet et n'entend plus rien)

Est-ce en la chambre de milord ?

(allant écouter)

Non, il ne rit jamais, je n'entends rien ! il dort.

(reprenant avec gaieté)

C'est demain, c'est demain,

ce jour que je désire;

c'est demain, c'est demain

qu'il recevra ma main.

Ah ! quel bonheur de dire:

c'est demain, c'est demain !

(elle reporte la table près du lit, et s'y asseyant, elle défail ses sonliers)

Allons, allons, il faut dormir.

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

C'est heureux !

ZERLINE

Lorenzo, que ton douce souvenir

pour un seul instant m'abandonne !

Lasse-moi prier ma patronne.

(se mettant à genoux près du lit)

Bonsoir, bonsoir, mon ami,

mon mari.

Ô vierge sainte, en qui j'ai foi !

Priez pour lui ! priez pour m...

(Le sommeil le saisit, ses yeux se ferment, et sa tête tombe sur son oreiller.)

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

(sortant du cabinet)

Que le prudence

guide nos pas !

Que la vengeance

arme nos bras !

LE MARQUIS

(s'approchant de la lumière qui est sur la table et qu'il éteint)

Elle dort.

BEPPO

Non sans peine.

Je croyais, capitaine,

(montrant le cabinet)

que nous y resterions toujour.

GIACOMO

Qu'une jeune fillette

est longue en sa toilette,

ainsi qu'en ses pensers d'amour !

BEPPO

Entrons chez milord !

LE MARQUIS

Du mystère.

GIACOMO

(montrant son poignard)

Je sais comment le faire faire.

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

Oui, la prudence

veut son trépas !

Que la vengeance

arme nos bras !

GIACOMO

(prêt à entrer dans la chambre de milord)

Marchons !

BEPPO

(l'arrétant et lui montrant Zerline)

Et cette jeune fille,

que le bruit pourrait éveiller,

à son secours peut appeler.

LE MARQUIS

Beppo par la prudence brille.

GIACOMO

Que faire ?

BEPPO

Commençons par elle.

GIACOMO

(au marquis)

Le voux-tu ?

LE MARQUIS

C'est dommage !

BEPPO

Qu'ai-je entendu ?

Le capitaine y met de la délicatesse !

LE MARQUIS

Moi ! faquin, pour quoi me prends-tu ?

(lui donnant son poignard)

Tiens, frappe ! et point de faiblesse.

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

Oui, la prudence,

veut son trépas !

Que la vengeance

arme nos bras !

(Beppo passe derrière le lit en faisant face aux spectateurs. Il lève le poignard pour frapper Zerline.)

ZERLINE

(dormant et répétant les derniers mots de sa prière)

Ô vierge sainte, en qui j'ai foi !

Veillez sur lui ! veillez sur moi !

(Beppo, troublé, hésite.)

GIACOMO

N'importe ! frappe !

LE MARQUIS

(détournant la tête)

Allons, n'hésite pas.

(Beppo lève le bras de noveau, et va frapper, lorsqu'on entend heuter violemment en dehors. Tous trois, étonnés, s'arrêtent)

LE MARQUIS

C'est en dehors, c'est à la grande porte !

que veut dire ce bruit ?

(On frappe plus forte.)

ZERLINE

(étendant les bras)

Quoi ! déjà m'éveiller ! Qui frappe de la sorte

au milieu de la nuit ?

CHŒUR DE CARABINIERS

(en dehors)

Qu'on se réveille en cette auberge !

voici de braves cavaliers.

Ouvrez vite ! qu'on les héberge.

Car ce sont des carabiniers;

oui, ce sont des carabiniers.

BEPPO

(tremblant)

Des carabiniers ! Capitaine !

LE MARQUIS

(froidanent)

As-tu donc peur ?

BEPPO

Qui les ramène ?

LORENZO

(en dehors)

Zerline, Zerline, écoute-moi,

c'est ton amant qui revient près de toi.

ZERLINE

(avec joie)

C'est Lorenzo !

GIACOMO

Grands dieux !

LE MARQUIS

(avec colère)

Ah ! j'en aurai vengeance !

mais d'ici là de la prudence !

LE MARQUIS, BEPPO, GIACOMO

(se retirant vers le cabinet)

Que la prudence

guide nos pas !

Faisons silence;

ne nous montrons pas.

LORENZO, CAVALIERS

(en dehors)

Qu'on se réveille en cette auberge !

voici de braves cavaliers.

Ouvrez vite ! qu'on les héberge.

Ce sont des carabiniers.

(Ils frappent de nouveau à la porte.)

Scène sixième

Zerline, qui pendant le chœur précédent s'est habillé à la húte, a remis ses souliers, etc.

ZERLINE

Mais un instant ! un instant ! par notre-dame ! donnez-vous patience.

(allant à la fenêtre du fond qu'elle ouvre)

Est-ce bien vous, Lorenzo ?

LORENZO

(en dehors)

Sans doute.

ZERLINE

Vous ête bien sûr ?

LORENZO

Moi et mes camarades que depuis une heure vous faites attendre.

ZERLINE

Il faut bien le temps de s'habiller ! quand on est réveillée en sursaut.

(jetant une clef par la fenêtre)

Mais tenez, vous entrerez par la cuisine, et voici la clé; la lampe y est allumé, d'ailleurs voici le jour qui commence à poindre.

(elle referme la croisée, et revient près du lit achever sa toilette)

Dépéchon-nous à grand renfort d'épincle, encore faut-il être présentable, surtout devant des militaires; c'est terrible !

(Le bruit redouble en bas à gauche; en dehors, on entend milord.)

MILORD

Calmez-vous, milady ! je allais voir ce que c'éait... je avais payé pour le dormir tranquille, et on volait à moi mon argent !

Scène septième

Zerline, Lorenzo, entrant par la droite, puis Milord.

ZERLINE

(apercevant Lorenzo et s'enveloppant vivement dans le rideau du lit)

Ah ! mon dieu ! c'est déjà vous ! on n'entre pas ainsi à l'improviste chez le gens ! c'est très-mal !

LORENZO

Ma Zerline, pardonne-moi; tu es si jolie dans ce négligé !

MILORD

(entrant et apercevant Lorenzo)

C'est vous la, brigadier ? D'où venait ce bruit, et qui ramenait vous ainsi ?

LORENZO

De bonnes nouvelles ! je crois que maître Diavolo ne peut nous échapper.

ZERLINE, MILORD

Vraiment ?

LORENZO

Nous avions de mauvais renseignemens et nous le poursuivions dans une fausse direction, lorsqu'à trois lieues d'ici nous avons rencontré un brave meûnier qui nous a dit: Seigneurs cavaliers, je sais où est le bandit que vous cherchez, il n'est pas à la montagne; je connais sa figure, car j'ai été deux jours son prisonnier, et ce soir je l'ai vu passer dans une voiture découverte et suivant la route de Terac ine.

ZERLINE

Il serait possible !

LORENZO

Il nous a offert alors de nous conduire, de ne pas nous quitter; ce que j'ai accepté, et de gran cœur; quand il ne servirait qu'à le désigner, c'est déjà beaucoup, et nous allons nous remettre à sa poursuite; mais auparavant, j'ai voulu faire prendre à mes soldats quelques heures de repos, car ils ont marché toute la nuit, et meurent de faim.

MILORD

Mourir de faim ! c'était un vilain mort !

ZERLINE

Jésus, Maria ! Et vous, monsieur ?

LORENZO

Et moi aussi ! pour être brigadier cela n'empêche pas.

ZERLINE

Il y a d'autres auberges, où vous auriez depuis long-temps trouvé à souper ?

LORENZO

Il n'y avait que celle-ci où j'aurais trouvé Zerline.

ZERLINE

Ah ! ah ! c'est pour cela ?

LORENZO

Justement, aussi je disais toujour: cavaliers ! en avant ! marche ! Voilà les occasions où il est agréable d'être commandant.

ZERLINE

Ce pauvre garçon ! je vais vous chercher à manger.

LORENZO

Non, commencez par mes camarades; eux qui ne sont pas amoureux, sont plus pressés. Va vite, ma Zerline.

ZERLINE

Ma Zerline ! Il se croit déjà mon mari.

LORENZO

(la serrant dans ses bras)

Pas aujourd'hui, mais demain !

ZERLINE

Finissez, monsieur ! finissez. Je ne sais pas ce que vous voulez dire. Et tenez ! tenez ! voilà vos camarades qui s'impatientent

(On entend les cavaliers qui sonnent et frappent sur les meubles.)

CAVALIERS

Holà, la fille ! holà, quelqu'un !

ZERLINE

(se degageant des bras de Lorenzo)

Ils ne sont pas comme vous, ils sont bien sages. -Voilà, voilà.- Je vais leur donner tout ce qu'il y aura, et puis je garderai ce qu'il y a de meilleur pour vous l'apporter... Eh ! mon dieu ! quel tapage !

(Elle sort en courant. - Il est grand jour.)

Scène huitième

Lorenzo, Milord.

MILORD

Et moi, messié le brigadier, je allais retrouver milady qui était capable pour mourir de frayeur. J'ai dit, rassurez-vous, je vais aller voir.

(contrefaisant la voix d'une femme)

Milord, mon cher milord, ne laissez pas moi toute seule ! Et elle serrait moi tendrement beaucoup. C'était pas arrivé depuis bien long-temps.

LORENZO

(sourisant)

Vous voyez qu'à quelque chose la frayeur est bonne.

MILORD

Yes, c'etait bonne pour des femmes.

(continuant à parler pendant que Lorenzo remonte le thèâtre, regarde par la porte à droite si Zerline revient, et redescend à gauche du spectateur. Il s'assied près de la table)

Mais pour nous autres, messiè le brigadier, pour nous autres qui étaient des hommes...

(on entend dans le cabinet à droite le bruit d'une chaise qu'on reverse. Milord est effrayé)

Hein ! avez-vous entendu ?

LE MARQUIS

(bas à Beppo dans le cabinet)

Maladroit !

LORENZO

(froidement)

C'est le bruit d'un meuble qu'on a renversé.

MILORD

Nous n'étions pas seuls ici ?

LORENZO

C'est sans doute milady ou sa femme de chambre.

MILORD

No, elle n'est pas de cette côté, il n'y avait personne.

LORENZO

(toujours assis)

Vous croyez ?

MILORD

(inquiet et regardant)

Je en étais persuadé !

BEPPO

Nous sommes perdus !

[N. 11 - Finale]

MILORD

N'était-il pas prudent de reconnaitre ce qui se passe là-bas ?

LORENZO

(se levant)

On peut voir.

MILORD

(l'engageant à passer)

Yes, voyez.

BEPPO

(dans le cabinet)

C'est fait de nous.

LE MARQUIS

(de même)

Peut-être.

Laissez-moi faire et ne vous montrez pas !

(Au moment où Lorenzo traverse le thèâtre pour entrer dans le cabinet, le marquis en ouvre la porte qu'il referme.)

Scène neuvième

Lorenzo, Milord, Le marquis.

LORENZO, MILORD

Ah ! grand dieu !

LE MARQUIS

(le doigt sur la bouche)

Du silence !

MILORD

C'est messié le marquis.

LORENZO

Ce seigneur qu'hier soir j'ai vu dans ce logis ?

LE MARQUIS

Lui-même !

LORENZO

(vivement et à haute voix)

Qui l'amène à cette heure ?

LE MARQUIS

(à demi-voix)

Silence !

J'ai d'importans motifs pour cacher ma présence.

LORENZO, MILORD

Quels sont-ils ?

LE MARQUIS

(feignant 1'embarras)

Je ne puis les dire en ce moment.

Si c'était, par exemple, un rendez-vous galant ?

LORENZO, MILORD

Ô ciel !

LE MARQUIS

(passant entre eux deux)

En votre honneur je mets ma confiance.

LORENZO, MILORD

Achevez !

LE MARQUIS

Eh bien ! oui, je l'avoue entre nous,

soyez discret, c'était un rendez-vous.

Ensemble

MILORD

Quel soupçon dans mon âme

se glisse malgré moi !

Si c'était pour ma femme !

ah ! j'en tremble d'effroi !

LORENZO

Quel soupçon dans mon âme

se glisse malgré moi !

LE MARQUIS

Je ris au fond de l'ame

du trouble où je les voi;

le courroux qui l'enflamme

est un plaisir pour moi.

BEPPO, GIACOMO

(dans le cabinet)

L'espoir rentre en mon âme;

j'en sortirai, je crois !

Le courroux qui l'enflamme

a banni mon effroi.

MILORD

(au marquis)

Peut-on savoir au moins... la nuit... à la sourdine,

pour qui donc vous veniez ici ?

LORENZO

(à voix basse et d'un air menaçant)

Était-ce pour Zerline ?

MILORD

(de même de l'autre côté)

Est-ce pour Milady ?

LE MARQUIS

Qu'importe ! De quel droit m'interroger ainsi ?

De mes secrets ne suis-je pas le maître ?

LORENZO, MILORD

(chacun à voix basse, et aux deux côtés du marquis)

Pour laquelle des deux ?

LE MARQUIS

(riant)

Pour toutes deux, peut-être.

LORENZO, MILORD

Monsieur, sur ce doute outrageant,

vous vous expliquerez ici même à l'instant.

LE MARQUIS

(à part, avec joie, et les regardant l'un après l'autre)

De tous mes ennemis, enfin, j'aurai vengeance.

(prenant milord à part, et à demi voix)

Pour vous-même, milord, ne faites point de bruit !

De milady, c'est vrai, les charmes m'ont séduit;

et ce portrait charmant, gage de sa constance...

(il tire de sa poche le medaillon qu'il lui montre)

MILORD

(furieux)

Ah ! goddam ! nous verrons !

LE MARQUIS

(froidement et à voix basse)

Quand vous voudrez; suffit !

(prenant à part Lorenzo, et montrant milord)

Je voulais à ses yeux dérober ton offense;

mais tu l'exiges...

LORENZO

Oui !

LE MARQUIS

J'étais là... je vennais...

pour Zerline.

LORENZO

Grand dieu !

LE MARQUIS

Tu comprends, je suppose.

LORENZO

Être trahi par elle, et je le souffrirais !

Courons !

LE MARQUIS

(le retenant par la main)

Je n'entends point qu'un tel aveu l'expose !

LORENZO

Vous la défendez ?

LE MARQUIS

Oui, pour elle, point d'éclat !

LORENZO

(s'arrêtant et regardant le marquis avec une fureur concentrée)

Quand un grand ne craint pas d'outrager un soldat,

s'il a du cœur...

LE MARQUIS

(à demi voix)

J'entends ! tantôt, seul, à sept heures,

aux rochers noir.

LORENZO

(de même)

C'est dit !

LE MARQUIS

(à part, avec joie)

Il n'en reviendra pas.

Mes compagnons, dans ces sombres demoures,

de nos braves sur lui vengeront le trépas.

Ensemble

LORENZO

Ô fureur, ô vengeance !

elle a pu me trahir !

Après son inconstance

je n'ai plus qu'à mourir !

LE MARQUIS

Ô bonheur ! ô vengeance !

tout va me réussir.

Je punis qui m'offense:

ah ! pour moi quel plaisir !

MILORD

Ô fureur, ô vengeance !

elle a pu me trahir !

Gardons bien le silence;

mais sachons la punir !

BEPPO, GIACOMO

Ô bonheur, ô vengeance !

il s'en tire à ravir !

Attendons en silence

le moment de sortir.

Scène dixième

Les précédens, Paméla, sortant de la chambre à gauche, Zerline, entrant par la porte à droite.

PAMÉLA

Dans cette auberge, quel tapage !

(à son mari)

Vous veniez pas me rassurer.

ZERLINE

(allant à Lorenzo)

Venez, j'ai fait tout préparer.

ZERLINE, PAMÉLA

(l'une à Lorenzo, l'autre à milord)

Pourquoi donc ce sombre visage ?

MILORD, LORENZO

(à part)

La perfide !

PAMÉLA

(tendrement)

Mon cher époux !

MILORD

Laissez-moi ! je voulais me séparer de vous.

PAMÉLA

Pourquoi donc ?

MILORD

Je voulais.

ZERLINE

(de l'autre côté, à Lorenzo)

Lorenzo, qu'avez-vous ?

LORENZO

(froidment et sans la regarder)

Laissez-moi ! laissez-moi !

ZERLINE, PAMÉLA

Quel est donc ce mystère ?

LORENZO

Pour vous, pour votre honneur, je consens à me taire.

ZERLINE

Que dit-il ?

LORENZO

Mais partez !

ZERLINE

Lorenzo !

LORENZO

Laissez-moi !

ZERLINE

Ecoutez.

LORENZO

Je ne puis ! je vous rends votre foi.

(bas, au marquis)

Ce matin aux rochers.

LE MARQUIS

(de même)

C'est dit: comptez-sur moi.

Ensemble

LORENZO

(de même)

Comptez sur moi !

ZERLINE

C'est fait de moi !

MILORD

(à sa femme)

Oui, laissez-moi !

PAMÉLA

Mais qu'avait-il donc contre moi ?

ZERLINE

Voilà donc sa constance !

Il ose me trahir.

Pour moi plus d'espérance !

je n'ai plus qu'à mourir.

LORENZO

Ô fureur ! ô vengeance !

Elle a pu me trahir.

Après son inconstance,

je n'ai plus qu'à mourir.

LE MARQUIS

(qui tient le mileu du thèâtre, et qui les regarde tous avec joie)

Ô bonheur ! ô vengeance !

Tout va me réussir;

je punis qui m'offense:

ah ! pour moi quel plaisir !

PAMÉLA

Le dépit, la vengeance

à moi se font sentir;

milord de son offense

pourra se repentir !

MILORD

Ô fureur ! ô vengeance !

Elle a pu me trahir !

Gardons bien le silence;

mais sachons la punir.

BEPPO, GIACOMO

(dans le cabinet)

Ô bonheur ! ô vengeance !

il s'en tire à ravir;

attendons en silence

le moment de sortir.

(Milord veut rentrer dans sa chambre; Paméla s'attache à ses pas et l'arrête. Lorenzo, qui veut s'élancer sur l'escalier à droite, est retenu par Zerline qui le conjure encore de l'écouter. Beppo et Giacomo entr'ouvrent la porte du cabinet pour sortir. Le marquis étend la main vers eux et leur fait signe d'attendre encore, la toile tombe.)

Acte troisième
Scène première

Le thèâtre représente un riant paysage d'Italie; à gauche des spectateurs, une porte extérieure de l'auberge, et devant, un bouquet d'arbres; à droite, une table et un banc de pierre, et derrière, un bosquet; au fond, une montagne et plusieurs sentiers pour y arriver. Au sommet de la montagne, un ermitage avec un clocher.
Diavolo, seul, descendant de la montagne

[N. 12 - Récitatif et Air]

J'ai revu nos amis ! tout s'apprête en silence

pour seconder ma vengeance,

et pour combler tous mes vœux;

est-il un destin plus heureux ?

Je vois marcher sous ma bannière

des braves qui me sont soumis;

j'ai pour sujets et tributaires

les voyageurs de tous pays.

Aucun d'eux ne m'échappe,

je leur commande en roi,

et les soldats du pape

tremblent tous devant moi.

On m'amène un banquier: ~ De l'or ! ~ De l'or ! ~ De l'or !

Là c'est un grand seigneur: ~ De l'or ! ~ De l'or ! ~ De l'or !

la c'est un fournisseur: ~ Que justice soit faite !

De l'or ! de l'or ! bien plus encore.

Là c'est un pauvre pèlerin:

~ Je suis sans or, je suis sans pain !

~ En voici, camarade; et poursuis ton chemin.

Là, c'est une jeune fillette !

Comme elle tremble, la pauvrette !

« Par charité, laissez-moi, je vous prie !

Ah ! ah ! ah ! ah !

Par charité, ne m'ôtez pas la vie.

Ah ! ah ! ah ! ah !

Grâce, monseigneur le brigand !

Je ne suis qu'une pauvre enfant. »

Nous ne demandons rien aux belles:

l'usage est de les épargner;

mais toujours nous recevons d'elles

ce ce que leur cœur vout nous donner.

Ah ! quel plaisir et quel enchantement !

le bel état que celui de brigand !

Mais, mais dans cet état charmant...

Il faut nous hâter, le temps presse,

il faut se hâter de jouir !

Le sort qui nous caresse

demain pourra nous trahir.

Quand des périls de toutes espèce

semblent toujours nous menacer,

et plaisirs et richesses,

il faut gaîment tout dépenser.

Ah ! le bel état !

Aussi puissant qu'un potentat,

partout j'ai des droits,

et moi-même je le perçois.

Je prends, j'enlève, je ravis

et le femmes et les maris.

J'ai fait battre souvent leur cœur,

l'un d'amour, l'autre de frayeur.

L'un en tremblant dit: Monseigneur !

et l'autre dit: Cher voleur ! cher voleur !

Oui, tout mon plan est arrêté, et j'espère que cette fois messire Lorenzo ne pourra plus le déranger. Six heures viennent de sonner à l'horloge de l'auberge ! dans une heure j'en serai débarassé. Il est jaloux; il est brave; il ira au rendez-vous.

(souriant)

J'ai donné ma procuration à mes compagnons qui l'attendent, et qui se font toujours une fête de mettre du plomb dans la tête d'un brigadier romain. Moi, pendant ce temps, et sitôt que le détachement sera parti... Oui, si j'ai bonne mémoire, le père de Zerline, Mathéo, revient ce matin avec son genre pour la noce; et pendant qu'ils seront tous à la chapelle, les billets de banque à milord, ses bijoux, et jusqu'à milady... je lui dois cela, je l'inviterai à venir passer quelque temps avec nous à la montagne. En sera-t-elle fâchée ? Elle le dira.

(avec fatuité)

Mais je ne le crois pas, il est si agréable de pouvoir raconter son aventure dans toutes les sociétés de Londres.

(contrefaisant une voix de femme)

« Ah ! ma chère, quelle horreur ! j'ai été enlevée par les brigands les plus amaibles et les plus respectueux. - Vraiment ? - Je vous le jure. » Elle voudront toutes, d'après cela, faire le voyage d'Italie.

(regardant autour de lui)

L'essentiel est de guetter le départ de Lorenzo, et celui du détachement. Je ne vois pas paraître Beppo et Giacomo qui j'ai laissés ici en éclaireurs; et je n'ose les aller chercher dans l'auberge; car les carabiniers sont sur pied, et si je rencontrais ce paysan qu'ils ont amené et qui me connaît... Un ingrat ! qu'on s'est contenté de voler. Voilà une leçon pour l'avenire.

(écoutant)

On vient !

(tirant des tablettes)

Ayons recours au messager convenu.

(montrant un des arbres du bosquet à droite)

Le creux de cet arbre... à Beppo et à Giacomo, deux mots qu'eux seuls pourront comprendre.

(il déchire la feuille de ses tablettes, la ploie, la jette dans l'arbre et s'éloiger par la droite)

Scène deuxième

Mathéo, Francesco, Paysans et Paysannes, paraissant au haut de la montagne. Ils ont tous des feuillages à leur coiffure.

[N. 13 - Scène et Chœur]

LE CHŒUR

C'est aujourd'hui pâques fleuries !

De nos vallons, de nos prairies,

accourrez tous; voici

ce jour si joli !

Garçons, fillettes,

vite, qu'on mette

de verts rameaux

à vos chapeaux.

C'est grande fête !

Voici, voici

ce jour si joli !

Scène troisième

Les précédens, descendant de la montagne, Beppo et Giacomo, sortant de la gauche, près de l'auberge.

GIACOMO

Paresseux, viendras-tu ?

BEPPO

C'est bien le moins qu'on prenne

une heure de sommeil.

GIACOMO

Et si le capitaine

nous attendait ?

(s'arrêtant sous le bosquet à gauche)

Eh ! mais voici tout le hameau.

BEPPO

Eh ! oui, c'est jour de fête, et cependant, regarde,

tu n'as pas seulement un buis à ton chapeau !

Veux-tu donc nous porter malheur ?

GIACOMO

(cueillant une branche d'arbre)

Le ciel m'en garde !

Dès long-temps pour son zèle on connaît Giacomo.

LE CHŒUR

C'est aujourd'hui pâques fleuries !

De nos vallons, de nos prairies,

accourrez tous; voici

ce jour si joli !

Garçons, fillettes,

vite, qu'on mette

de verts rameaux

à vos chapeaux.

C'est grande fête !

Voici, voici

ce jour si joli !

MATHÉO

Est-il un plus beau jour pour entrer en ménage ?

(à Francesco qui est près de lui, le bouquet au côté)

Mon gendre, avant d'offrir vos vœux et votre hommage

(montrant des jeunes filles e des garçons qui s'arrêtent au haut de la montagne, et qui s'agenouillent à la porte de l'hermitage)

à Notre-Dame des Rameaux,

faisons comme eux la prière d'usage.

LE CHŒUR

(se mettant à genoux)

Ô sainte vierge des rameaux,

exauce aujourd'hui nos prières !

Veille toujours sur nos chaumières !

Protège toujours nos travaux !

MATHÉO

(montrant sa maison, où est sa fille)

Conserve à ma tendresse

l'enfant que je chéris !

CHŒUR DE GARÇONS

Donne-nous la richesse !

CHŒUR DE FILLES

Donne nous des maris.

CHŒUR DE GARÇONS ET FILLES

O sainte vierge des rameaux,

exauce aujourd'hui nos prières !

Veille toujours sur nos chaumières !

Protège toujours nos travaux !

(Mathéo leur montre la porte de l'auberge, et engage tous les gens de la noce à entrer chez lui)

LE CHŒUR

C'est grande fête

aujourd'hui.

Garçons, fillettes,

voici, voici

ce jour si joli !

(Ils sortent tous par la porte à gauche.)

Scène quatrième

Beppo, Giacomo.

GIACOMO

Ils s'éloignent.

(regardant par les sentiers du fond qui sont à droite et à gauche)

Vois-tu le capitaine ?

BEPPO

(s'asseyant sur le banc à droite)

Non, il est peut-être déjà parti.

GIACOMO

Et que fais-tu là ? à quoi t'occupes-tu ?

BEPPO

Je m'occupe... à rien faire; c'est si doux de ce beau soleil-là !

GIACOMO

Dans le cas où le capitain ne pourrait nous rejoindre, il a dit que nous trouverions ses instructions dans le creux de l'arbre, près de la treille.

BEPPO

(se retournat et mettant son bras dans l'arbre)

C'est ici; il y a quelque chose, un papier, et de son écriture.

GIACOMO

Lisons

BEPPO

Lis toi-même.

GIACOMO

(lisant)

« Dès que l'amoureux de la petite sera parti pour le rendez-vous où nos braves l'attendent, les carabiniers pour leur expédition contre nous, et les gens de l'auberge pour la noce, vous m'en avertirez en sonnant la cloche de l'ermitage. Je viendrai alors avec quelques braves, et me charge de milord et de milady. Attendez-moi. »

BEPPO

C'est clair.

GIACOMO

Clair ou non, des qu'il le dit, il faut le faire; il s'agit de guetter le départ des carabiniers.

BEPPO

Ce ne sera pas long, nous venons de les voir sur pied et prêts à se mettre en route.

GIACOMO

Tant mieux.

BEPPO

Il n'y a qu'une chose qui m'embarrasse. Attaquer ce milord un dimanche ! un jour de fête !

GIACOMO

Si c'était un chrétien, mais un Anglais ! cela doit nous porter bonheur pour le reste de l'année.

BEPPO

Tu as raison; que le ciel nous soit en aide !

GIACOMO

Mais tiens, voici l'amoureux, le brigadier Lorenzo, qui vient de ce côté; il est triste, il soupire.

BEPPO

Il fait bien de se dépêcher; car s'il va au rendez-vous que lui prépare le capitaine, il n'aura pas long-temps à soupirer.

GIACOMO

Viens, laisson-le, et ne le perdons pas de vue...

(Ils s'éloignent par le sentier à droite qui est derrière la treille.)

Scène cinquième

Lorenzo, sortant de l'auberge, à gauche.

[N. 14 - Romance]

Premier couplet

Pour tonjours, disait-elle,

je suis à toi;

le sort peut bien t'être infidèle,

mais non pas moi.

Et déjà la perfide adore

un autre amant !

Ah ! je ne puis le croire encore:

je l'aimais tant !

Deuxième couplet

Allons, que l'honneur seul me guide !

Je voux la fuir !

Je voux oublier la perfide,

et puis mourir !

Oui, je la hais, oui, je l'abhorre;

et cependant

je ne puis l'oublier encore:

je l'aimais tant !

Et j'ai su me contraindre, j'ai eu le courage de l'épargner ! quand je puis, à haute voix, devant son père, devant toute le monde, lui reprochersa trahison ! Qu'ai-je dit ? moi ? déshonorer celle que j'ai aimée, la perdre à jamais ! non, qu'elle se marie, qu'elle soit heureuse si elle peut l'être; elle n'entendra de moi ni plaintes, ni reproches. Voici bientôt l'heure du rendez-vous; j'irai, j'irai me faire tuer pour elle, ce sera ma seule vengeance.

Scène sixième

Lorenzo, Mathéo, Zerline, sortent de l'auberge à gauche.

MATHÉO

Mettez là une table et du vin ! les gens de la noce et le carabiniers ne seront pas fâchés de boire un coup avant de partir. Des carabiniers, c'est toujours altéré !

(Mathéo va et vient pendant toute la scène suivante. Durant ce temps, Zerline s'est approchée de Lorenzo qui est dans le coin a droite.)

ZERLINE

(timidement)

Lorenzo, c'est moi qui vous cherche. Voici mon père de retour.

LORENZO

C'est bien.

ZERLINE

Francesco est avec lui !

LORENZO

(un peu ému)

Francesco !

ZERLINE

Il me l'a présenté comme son gendre. Tout est prêst pour notre marriage.

LORENZO

(à part)

Tant mieux !

ZERLINE

Dans une heure, je vais être à un autre, si vous ne parlez pas, si vous ne daignez pas m'expliquer votre étrange conduite.

MATHÉO

(à la table à gauche)

Qu'est-ce que tu fais donc, au lieu de venir m'aider ?

ZERLINE

(allant à lui tout en regardant Lorenzo)

Me voici, mon père.

Scène septième

Les précédents, Beppo et Giacomo entrent par la droite.

BEPPO

(s'asseyant près de la table à droite sous la treille)

D'ici nous pouvons tout surveiller.

ZERLINE

(qui s'est approchér de Lorenzo)

Lorenzo, dites-moi la vérité; qu'avez-vous contre moi ? qu'avez-vous à me reprocher ?

BEPPO, GIACOMO

(frappant sur la table)

Allons, la fille ! ici ! à boire !

MATHÉO

Eh bien ! eh bien ! tu n'entends pas qu'on t'appelle ?

ZERLINE

(avec impatience)

Tout à l'heure. Il s'agit bien de cela dans ce moment !

(Elle fait un signe à un garçon qui apporte à boire à Beppo et à Giacomo. Zerline cherche encore à parler à Lorenzo; mais dans ce moment entrent les cavaliers.)

Scène huitième

Les précédens, Soldats du détachement

[N. 15 - Finale]

LE CHŒUR

Allons, allons, mon capitaine,

voici le jour qui nous ramène

et les combats et le plaisir.

Allons, allons, il faut partir !

MATHÉO

Quoi ! Déjà vous mettre en campagne !

LE CHŒUR

Dès long-temps l'aurore a paru:

sept heures vont bientôt sonner.

LORENZO

(à part)

Qu'ai je entendu ?

(aux soldats)

Nous partons.

(à un sous-officier qu'il prend à part)

Écoute: au pied de la montagne

un quart d'heure tu m'attendras;

et, si je ne reparais pas,

à ma place commande et dirige leur zèle.

MATHÉO

Quoi ! seul dans ces rochers !

LORENZO

C'est l'honneur qui m'appelle !

BEPPO

(à part)

C'est à la mort qu'il va courir.

GIACOMO

Enfin, enfin, il va partir !

ZERLINE

Je ne puis le laisser partir.

Il faut...

(Elle va s'avancer vers lui; en ce moment Francesco et toute la noce arrivent et l'entournent.)

Scène neuvième

Les précédens, Habitans et Habitantes du village, avec des bouquets, Milord, Paméla.

Ensemble

CHŒUR DE VILAGEOIS

Allons, allons, jeunes fillettes,

le tambourins et les musettes

annoncent l'instant du plaisir;

et pour la noce il faut partir.

CHŒUR DE SOLDATS

Allons, allons, mon capitaine,

voici le jour qui nous ramène

et les combats et les plaisirs.

Allons, allons, il faut partir !

MATHÉO

(unissant Francesco et Zerline)

Allons, enfans, votre bonheur commence.

(à Zerline, montrant Francesco)

Dans un instant il recevra ta foi.

ZERLINE

Tout est fini ! pour moi, plus d'espérance !

(voyant Lorenzo qui va partir, elle s'approche de lui)

Ah ! Lorenzo, de grâce, écoutez-moi !

Qu'ai-je donc fait ?

LORENZO

Perfide !

ZERLINE

(à haute voix)

Achevez !

LORENZO

(à demi-voix, et lui imposant silence)

Imprudente !

Songez à cet amant que cette nuit j'ai vu

non loin de vous caché...

ZERLINE

Qu'ai je entendu ?

De surprise et d'horreur, je suis toute tremblante !

(Lorenzo, qui s'est brusquement éloigné d'elle, va retrouver ses soldats qui sont au fond du thèâtre, et les range en bataille.)

BEPPO

(sur la droite, près de la table, et buvant)

Partent-ils ?

GIACOMO

(de même)

Dans l'instant.

ZERLINE

Ô mystère infernal !

BEPPO

(frappant sur la table et appellant)

Holà ! du vin !

(se retournant et apercevant Zerline qu'il montre à Giacomo)

Eh ! mai ! vois donc, c'est la jeune fillette

qui fut hier au soir si longue à sa toilette.

GIACOMO

Et qui se trouve si bien faite;

il t'en souvient ?

BEPPO

Oui, c'est original.

(riant)

« Oui, voilà, pour une servante,

une taille qui n'est pas mal.

(imitant la posture de Zerline devant la glace)

Vraiment, vraiment, ce n'est pas mal. »

ZERLINE

(étonnée)

Qu'entend-je ?

BEPPO, GIACOMO

Ah ! ah ! ce n'est pas mal:

ella a raison d'être contente.

ZERLINE

(cherchant à rappeler ses idées)

Qu'ont-ils dit ? quel est donc ce mystère infernal ?

Ensemble

MATHÉO, LE CHŒUR

Allons, allons, jeunes fillettes,

le tambourins et les musettes

annoncent l'instant du plaisir;

et pour la noce il faut partir.

SOLDATS

Oui, c'est l'honneur qui nous appelle !

Nous saurons courir avec zèle

au danger ainsi qu'au plaisir;

allons, allons, il faut partir.

BEPPO, GIACOMO

Bon, bon, bon, il va partir !

C'est à la mort qu'il va courir.

Oui, tout semble nous réussir;

c'est bien, c'est bien, ils vont partir.

LORENZO

Oui, de ces lieux il faut partir,

et pour jamais je dois la fuir.

ZERLINE

Qui donc ainsi m'a pu trahir ?

Par quel moyen le découvrir ?

Ô mon dieu ! viens me secourir !

(À la fin de cet ensemble, Lorenzo, qui a rangé ses soldats en bataille, leur crie:)

LORENZO

Portez armes ! en avant ! marche !

(Ils défilent devant lui et commencent à gravir la montagne; Mathéo vient prendre la main à Zerline et lui montre la noce qui se dispose aussi à partir. En ce moment, Zerline voit Lorenzo qui s'éloigne; et, hors d'elle-même, elle s'elance au milieu du thèâtre. Pendant ce temps, l'orchestre continue, et on entend touiours un roulement lointain de tambours.)

ZERLINE

Arrêtez, arrêtez tous, écoutez-moi !

TOUS

(l'entournant)

Qu'a-t-elle donc ?

ZERLINE

(regardant Lorenzo qui est redescendu près d'elle)

J'ignore qui a fait naître les soupçons aux quels je suis en butte, et je cherche en vain à me les expliquer; mais je sais qu'hier soir j'étais seule dans ma chambre,

(avec force et regardant Lorenzo)

oui, seule ! Je pensais à des personnes qui me sont chères, et je me rappelle avoir proféré tout haut des paroles que dieu seul a dû entendre, et cependant on vient de les répéter tout à l'heure près de moi.

LORENZO

Et qui donc ?

ZERLINE

(montrant Beppo et Giacomo)

Ces deux hommes que je ne connais pas. Ils étaient donc près de moi, cette nuit ! à mon insu !

LORENZO

Dans quel but ? dans quelle intention ? Il faut le savoir.

(Le morceau de musique reprend.)

TOUS

Gran dieux !

LORENZO

(à ses soldats, montrant Beppo et Giacomo)

Qu'on s'assure de tous les deux !

Ensemble

LE CHŒUR

Il a raison, le capitaine;

saisissez-les.

Saisissons-les ! saisissons-les !

On connaîtra qui les amène;

oui, l'on connaîtra leurs projects.

LORENZO, ZERLINE

Pour moi quelle lueur soudaine !

Il faut pénétrer leurs secrets;

du ciel la bonté souveraine

peut me rendre à ce que j'aimais !

LORENZO

Seraient-ce ces bandits que poursuivent nos armes ?

(faisant approcher un paysan)

Toi qui connais leur chef et dois nous le livrer,

regarde bien, et parle sans alarmes:

est-ce l'un d'eux ?

LE PAYSAN

(après les avoir regardés quelque temps)

Non, non.

BEPPO, GIACOMO

(à part)

Nous pouvons respirer.

LORENZO

(les regardant)

Ils ne m'en sont pas moins suspects.

MATHÉO

(montrant à Lorenzo deux poignards et un papier)

Voici des armes,

un billet dont sur eux on vient de s'emparer.

LORENZO

(le prenant vivement)

Lisons.

(Même effet que plus haut. L'orchestre continue seul et en sourdine.)

(lisant une partie de la lettre à voix basse et le reste tout haut)

Dès que les carabiniers et les gens de la noce seront partis, vous m'en avertirez en sonnant la cloche de l'ermitage; je viendrai alors avec quelques braves, et me charge de milord et de milady.

TOUS

Grands dieux !

MILORD, PAMÉLA

(tremblans)

C'est un complot contre nous deux.

(à Lorenzo)

Que veut dire ceci ?

LORENZO

Nous la saurons.

(Il parle bas à un de ses soldats.)

MILORD

Je tremble.

(à Paméla)

Pour toi.

PAMÉLA

Pour vous !

MILORD

Non, pour tous deux.

Que l'amour...

PAMÉLA

...ou du moins que la peur nous rassemble.

LORENZO

(au soldat à qui il a parlé bas)

Ainsi que je l'ai dit, va, dispose-les tous.

(à un autre soldat, lui montrant Giacomo)

Toi, monte à l'ermitage avec lui; s'il hésite,

qu'à l'instant même il tombe sous tes coupe.

(aux gens de la noce)

Vous, mes amis, cachez-vous vite

derrière ces buissons épais.

(à Beppo)

Pour toi, reste seul ici, reste !

et si pour nous trahir tu fads le moindre geste...

frappant sur sa carabine et lui montrant ler buisson à gauche

songe que je suis là ! tu m'entends ?

BEPPO

(tremblant)

Trop bien !

LORENZO

Paix !

(Un soldat est monté avec Giacomo à l'ermitage qui est au haut de la montagne, en face le spectateur. Le soldat est dans l'intérieur de la chapelle; on ne voit par une des fenêtres du clocher que le bras de Giacomo qui sonne lentement la cloche. Les carabiniers sont à droite et à gauche dans les ravins qui bordent le thèâtre. Dans le bosquet à droite, Francesco, les paysans. Dans le bosquet à gauche du spectateur, et prèe de la porte de l'auberge, Lorenzo, Zerline, milord, Paméla. Beppo est seul au milieu du thèâtre. La cloche commence à sonner.)

LORENZO

Dieu puissant, que j'implore,

seconde mon dessein.

LE CHŒUR

Dieu puissant, que j'implore,

seconde son dessein.

BEPPO

(seul au milieu du thèâtre, et jetant autour de lui des regards effrayés)

Dieu puissant, que j'implore,

renverse leur dessein.

ZERLINE

Vient-il quelqu'un ?

LORENZO

Non, pas encore !

BEPPO

(à part)

Puisse-t-il rester en chemin !

MATHÉO

(au fond du thèâtre, sur la première élévation)

Quelqu'un s'avance.

LORENZO

Garde à vous ! du silence !

(Tous les soldats disparaissent à droite et à gauche derrière les arbres et les rochers. Le marquis paraît au fond du thèâtre par la droite de la montagne. Il s'arréte, regarde d'en haut, n'aperçoit à l'ermitage que Giacomo qui continue à sonner, et Beppo sur le devant.)

LE MARQUIS

(appelant)

Beppo !

LORENZO

(caché par le bosquet, et couchant Beppo en joue avec sa carabine)

Ne bouge pas !

LE MARQUIS

(toujours au fond sur la montagne)

Sommes-nous seuls ici ?

Et peut-on avancer sans crainte ?

LORENZO

(derrier le bosquet sur le devant du thèâtre, et à voix basse, à Beppo qu'il continue à)

Réponds: oui !

(coucher en joue)

BEPPO

(tremblant)

Oui !

LORENZO

(de même)

Plus haut !

BEPPO

(tournant la tête vers le fond)

Oui, oui, capitaine.

LE MARQUIS

(fait signe à quatre de ses compagnons de descendre, et les précéde)

C'est le plaisir qui me ramène;

c'est la fortune qui m'attend.

BEPPO

(entre ses dents)

Joliment ! joliment !

LE PAYSAN

(qui est dans le bosquet à gauche près de Lorenzo, regardant le marquis, au moment)

C'est Diavolo ! où il descend de la montagne.

LORENZO

Qu'as-tu dit ?

LE PAYSAN

Je l'atteste !

MILORD

C'est le marquis !

PAMÉLA

O méprise funeste !

ce seigneur...

MILORD

Cet amant

n'était rien qu'un brigand !

(Pendant ce temps, le marquis est descendu de la montagne; il avance lentement au milieu du thèâtre, en arrangeant son col et les boucles de ses cheveux.)

LE MARQUIS

(s'appuyant sur l'épaule de Beppo)

Tu vois, Beppo, que le ciel nous protège:

enfin, milord,

et sa femme et son or

sont à nous !

LORENZO

(sortant du bosquet à gauche)

Pas encore !

(En ce moment, les rochers, les hauteurs qui sont aux deux côtés thèâtre, et la montagne du fond, se garnissent de carabiniers qui couchent en joue Beppo et le marquis. Quant à leurs quatre compagnons qui étaient restés au fond thèâtre, les paysans, armés de bâtons, de pioches et de faux, les entourent et les saisissent.)

LE MARQUIS

Gran dieu ! c'est un piège !

LORENZO

Non, c'est le rendez-vous préparé par tes soins.

J'ai changé seulement l'endroit...

(montrant les soldats)

...et les temoins.

(faisant signe de l'emmener)

Allez !

LE CHŒUR

Victoire ! victoire ! victoire !

Mes braves compagnons !

Victoire ! victoire ! victoire !

Ah ! pour nous quelle gloire !

Enfin, nous le tenons !

MILORD

(à Paméla)

D'un mari...

LORENZO

(à Zerline)

D'un amant pardonne les soupçons !

LORENZO, ZERLINE, MILORD, PAMÉLA, MATHÉO

Grand dieu, je te rends grâce !

C'est par ton pouvoir protecteur

que rentrent dans notre cœur

la paix et le bonheur !

Dès que l'orage passe

gaiment chante le matelot,

et se rassurant bientôt,

chacun dans ce hameau,

sans crainte en son foyer paisible,

dira ce nom terrible:

Diavolo ! Diavolo !

(En ce moment Diavolo passe sur la montagne du fond, précédé et suivi des carabiniers; tous les paysans se retournent et le montrent du doigt.)

LE CHŒURS

(achevant l'air)

Diavolo !

Victoire ! victoire ! victoire !

(montrant Lorenzo et Zerline)

Combien ils sont heureux !

Victoire ! victoire ! victoire !

Et l'amour et la gloire

vont combler tous leur vœux !

Fin du livret.

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