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Faust

FAUST

Opéra en cinq actes.

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Livret de Jules BARBIER, Michel CARRÉ.
Musique de Charles GOUNOD.

Première représentation : 3 mars 1869, Paris.


Personnages:

Le docteur FAUST

ténor

MÉPHISTOPHÉLÈS

basse

VALENTIN

baryton

WAGNER

baryton

MARGUERITE

soprano

SIÉBEL

soprano

MARTHE

mezzo-soprano


Étudiants, Soldats, Bourgeois, Sorcières, etc. etc.



Acte premier

[N. 1 - Introduction]

Scène première

Le cabinet de Faust.
Faust, seul.

[N. 2 - Scène et Chœur]

(Sa lampe est près de s’éteindre. Il est assis devant une table chargée de parchemins. Un livre est ouvert devant lui.)

Rien !... ~ En vain j’interroge, en mon ardente veille,

la nature et le créateur;

pas une voix ne glisse à mon oreille

un mot consolateur !

J’ai langui, triste et solitaire,

sans pouvoir briser le lien

qui m’attache encore à la terre !...

Je ne vois rien ! ~ Je ne sais rien !...

(Il ferme le livre et se lève. Le jour commence à naítre.)

Le ciel pâlit ! Devant l’aube nouvelle

la sombre nuit

s’évanouit !...

(Avec desespoir.)

Encore un jour ! ~ encore un jour qui luit !...

Ô mort, quand viendras-tu m’abriter sous ton aile ?

(Saisissant une fiole sur la table.)

Eh bien ! puisque la mort me fuit,

pourquoi n’irais-je pas vers elle ?...

Salut ! ô mon dernier matin !

J’arrive sans terreur au terme du voyage;

et je suis, avec ce breuvage,

le seul maître de mon destin !

(Il verse le contenu de la fiole dans une coupe en cristal. Au moment où il va porter la coupe à ses lèvres, des voix de jeunes filles se font entendre au dehors.)

JEUNES FILLES

Paresseuse fille

qui sommeille encor !

Déjà le jour brille

sous son manteau d’or;

déjà l’oiseau chante

ses folles chansons;

l’aube caressante

sourit aux moissons;

le ruisseau murmure,

la fleur s’ouvre au jour,

toute la nature

s’éveille à l’amour !

FAUST

Vains échos de la joie humaine,

passez, passez votre chemin !

Ô coupe des aïeux, qui tant de fois fus pleine,

pourquoi trembles-tu dans ma main ?

(Il porte de nouveau la coupe à ses lèvres.)

JEUNES FILLES

Aux champs l’aurore nous rappelle;

le temps est beau, la terre est belle;

béni soit dieu !

À peine voit-on l’hirondelle,

qui vole et plonge d’un coup d’aile

dans le ciel bleu !

(dans l'éloignement)

L'oiseau chante !

LABOUREURS

(dans l'éloignement)

La terre est belle !

FAUST

Ô prière universelle !

JEUNES FILLES, LABOUREURS

Béni soit Dieu !

FAUST

Dieu !

(Il se laisse retomber dans son fauteuil.)

[N. 3 - Récitatif]

Mais ce dieu, que peut-il pour moi ?

(Se levant.)

Me rendra-t-il l’amour, l'espérance et la foi ?

(Avec rage.)

Maudites soyez-vous, ô voluptés humaines !

Maudites soient les chaînes

qui me font ramper ici-bas !

Maudit soit tout ce qui nous leurre,

vain espoir qui passe avec l’heure,

rêves d’amour ou de combats !

Maudit soit le bonheur, maudite la science,

la prière et la foi !

Maudite sois-tu, patience !

À moi, Satan ! à moi !

Scène deuxième

Faust, Méphistophélès.

[N. 4 - Duo]

MÉPHISTOPHÉLÈS

(apparissant)

Me voici !... D’où vient ta surprise ?

Ne suis-je pas mis à ta guise ?

L’épée au côté, la plume au chapeau,

l’escarcelle pleine, un riche manteau

sur l’épaule; ~ en somme

un vrai gentilhomme !

Eh bien ! que me veux-tu, docteur ?

Parle, voyons !... ~ Te fais-je peur ?

FAUST

Non.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Doutes-tu de ma puissance ?

FAUST

Peut-être.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Mets-la donc à l’épreuve !...

FAUST

Va-t’en !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Fi ! ~ c’est là ta reconnaissance !

Apprends de moi qu’avec Satan

l’on en doit user d’autre sorte,

et qu’il n’était pas besoin

de l’appeler de si loin

pour le mettre ensuite à la porte !

FAUST

Et que peux-tu pour moi ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Tout. ~ Mais dis-moi d’abord

ce que tu veux: ~ est-ce de l’or ?

FAUST

Que ferais-je de la richesse ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Bon ! Je vois où le bât te blesse !

Tu veux la gloire ?

FAUST

Plus encor !

MÉPHISTOPHÉLÈS

La puissance ?

FAUST

Non ! je veux un trésor

qui les contient tous !... je veux la jeunesse !

À moi les plaisirs,

les jeunes maîtresses !

À moi leurs caresses !

À moi leurs désirs !

À moi l’énergie

des instincts puissants,

et la folle orgie

du cœur et des sens !

Ardente jeunesse,

à moi tes désirs !

À moi ton ivresse !

À moi tes plaisirs !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Fort bien ! je puis contenter ton caprice.

FAUST

Et que te donnerai-je en retour ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Presque rien:

ici, je suis à ton service,

mais là-bas tu seras au mien.

FAUST

Là-bas !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Là-bas.

(Lui présentant un parchemin.)

Allons, signe. ~ Eh quoi ! ta main tremble,

que faut-il pour te décider ?...

La jeunesse t’appelle: ose la regarder !...

(Il faut un geste. Le fond du thèâtre s'ouvre et laisse voir Marguerite assise devant son rouet et filant.)

FAUST

Ô merveille !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Eh bien ! que t’en semble ?...

FAUST

(prenant le parchemin)

Donne !...

(Il signe.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Allons donc !

(Prenant la coupe restée sur la table.)

Et maintenant,

maître, c’est moi qui te convie

à vider cette coupe où fume en bouillonnant

non plus la mort, non plus le poison; ~ mais la vie.

FAUST

(prenant la coupe et se tournant vers Marguerite)

À toi, fantôme adorable et charmant !...

(Il vide la coupe et se trouve métamorphosé en jeune et élégant seigneur. La vision disparaît.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Viens ?

FAUST

Je la reverrai ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Sans doute.

FAUST

Quand ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Aujourd’hui.

FAUST

C’est bien.

MÉPHISTOPHÉLÈS

En route !

FAUST

À moi les plaisirs,

les jeunes maîtresses !

À moi leurs caresses !

À moi leurs désirs !

MÉPHISTOPHÉLÈS

À toi la jeunesse,

à toi tes désirs,

à toi ton ivresse,

à toi tes plaisirs !

(Ils sortent. La toile tombe.)

Acte deuxième

La kermesse.

Scène première

Une des portes de la ville. À gauche un cabaret à l’enseigne du dieu Bacchus.
Wagner, Ètudiants, Bourgeois, Soldats, Jeunes filles, Matrones.

[N. 5 - Chœur]

WAGNER, ÉTUDIANTS

Vin ou bière,

bière ou vin,

que mon verre

soit plein !

Sans vergogne,

coup sur coup,

un ivrogne

boit tout !

Jeune adepte

du tonneau,

n’en excepte

que l’eau !

Que ta gloire,

tes amours

soient de boire

toujours !

ÉTUDIANTS

Jeune adepte

etc.

(Ils trinquent et boivent.)

SOLDATS

Filles ou forteresses

c’est tout un, morbleu !

Vieux burgs, jeunes maîtresses,

sont pour nous un jeu !

Celui qui sait s’y prendre

sans trop de façon

les oblige à se rendre

en payant rançon !

BOURGEOIS

Aux jours de dimanche et de fête,

j’aime à parler guerre et combats,

tandis que les peuples là-bas

se cassent la tête.

Je vais m’asseoir sur les côteaux

qui sont voisins de la rivière,

et je vois passer les bateaux

en vidant mon verre !

(Bourgeois et soldats remontent vers le fond du thèâtre.)

UN MENDIANT

(circulant de groupe en groupe)

Mes beaux messiers, mes belles dames,

que la pitié touche vos âmes;

et que votre folle gaité

sur moi retombe en charité.

(Un groupe de jeunes filles entre en scène.)

JEUNES FILLES

(regardant de côté)

Voyez ces hardis compères

qui viennent là-bas;

ne soyons pas trop sévères,

retardons le pas.

(Elles gagnent la droite du thèâtre. Un secon chœur d'étudiants entre à leur suite.)

ÉTUDIANTS

Voyez ces mines gaillardes

et ces airs vainqueurs !

Amis, soyons sur nos gardes !

Tenons bien nos cœurs !

MATRONES

(observant les étudiants et les jeunes filles)

Voyez après ces donzelles

courir ces messieurs !

Nous sommes aussi bien qu’elles

sinon beaucoup mieux !

LE MENDIANT

Mes beaux messiers, mes belles dames,

que la pitié touche vos âmes !

Et que votre folle gaité

sur moi retombe en charité !...

(Tous les groupes redescendente en scène.)

Ensemble

ÉTUDIANTS

Vin ou bière,

bière ou vin,

que mon verre

soit plein !

SOLDATS

Pas de beauté fière !

Nous savons leur plaire

en un tour de main !

BOURGEOIS

Vidons un verre

de ce bon vin !

MATRONES

(aux jeunes filles)

Vous voulez leur plaire,

nous le voyon bien !

JEUNES FILLES

De votre colère

nous ne craignons rien !

ÉTUDIANTS

Voyez leur colère,

voyez leur maintien !

(Les étudiants et les soldats séparent les femmes en riant. Tous les groupes s'éloignent et disparaissent.)

Scène deuxième

Wagner, Siébel, Étudiants, Valentin.

[N. 6 - Scène et Récitatif]

VALENTIN

(paraissant au fond; il tient une petite médaille à la main)

Ô toi, sainte médaille,

qui me viens de ma sœur,

au jour de la bataille,

pour écarter la mort, reste là sur mon cœur !

WAGNER

Ah ! Voici Valentin qui nous cherche sans doute !

VALENTIN

Un dernier coup, messieurs, et mettons-nous en route !

WAGNER

Qu’as-tu donc ?... quels regrets attristent nos adieux ?

VALENTIN

Comme vous, pour longtemps, je vais quitter ces lieux;

j’y laisse Marguerite, et, pour veiller sur elle,

ma mère n’est plus là !

SIÉBEL

Plus d’un ami fidèle

saura te remplacer à ses côtés !

VALENTIN

Merci !

SIÉBEL

Sur moi tu peux compter.

ÉTUDIANTS

Compte sur nous aussi !

WAGNER

Allons, amis ! point de vaines alarmes !

À ce bon vin ne mêlons pas des larmes !

Buvons, trinquons, et qu’un joyeux refrain

nous mette en train !

ÉTUDIANTS

Buvons, trinquons, et qu’un joyeux refrain

nous mette en train !

WAGNER

(montant sur un escabeau)

Un rat plus poltron que brave,

et plus laid que beau,

logeait au fond d’une cave,

sous un vieux tonneau;

un chat...

Scène troisième

Les mêmes, Méphistophélès.

MÉPHISTOPHÉLÈS

(paraissant tout à coup au milieu des étudiants et intertrompant Wagner)

Pardon !

WAGNER

Hein !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Parmi vous, de grâce,

permettez-moi de prendre place !

Que votre ami d’abord achève sa chanson !

Moi, je vous en promets plusieurs de ma façon !

WAGNER

(descendant de son escabeau)

Une seule suffit, pourvu qu’elle soit bonne !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je ferai de mon mieux pour n’ennuyer personne !

(Les étudiants se groupent autour de Méphistophélès; Valentin le regarde avec défiance et se tient à l’écart avec Siébel.)

[N. 7 - Ronde du veau d’or]

I

Le veau d’or est toujours debout;

on encense

sa puissance

d’un bout du monde à l’autre bout !

Pour fêter l’infâme idole,

rois et peuples confondus,

au bruit sombre des écus,

dansent une ronde folle

autour de son piédestal !...

Et Satan conduit le bal !

II

Le veau d’or est vainqueur des dieux !

Dans sa gloire

dérisoire

son front abjecte insulte aux cieux !

Il contemple, ô rage étrange !

à ses pieds le genre humain

se ruant, le fer en main,

dans le sang et dans la fange

où brille l’ardent métal !...

Et Satan conduit le bal !

TOUS

Et Satan conduit le bal !

[N. 8 - Récitatif et Choral des épées]

ÉTUDIANTS

Merci de ta chanson !

VALENTIN

(à part)

Singulier personnage !

WAGNER

(tendant un verre à Méphistophélès)

Nous ferez-vous l’honneur de trinquer avec nous ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Volontiers !...

(saisissant la main de Wagner et l’examinant)

Ah ! voici qui m’attriste pour vous !

Vous voyez cette ligne ?

WAGNER

Eh bien ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Fâcheux présage !

Vous vous ferez tuer en montant à l’assaut !

(Wagner retire sa main avec humeur.)

SIÉBEL

Vous êtes donc sorcier ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

(lui prenant la main)

Tout juste autant qu’il faut

pour lire dans ta main que le sorte te condamne

à ne plus toucher une fleur

sans qu’elle se fane !

SIÉBEL

(retirant vivement sa main)

Moi !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Plus de bouquets à Marguerite !...

VALENTIN

Ma sœur !...

Qui vous a dit son nom ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Prenez garde, mon brave !

Vous vous ferez tuer par quelqu’un que je sais !

(Prenant le verre des mains de Wagner.)

À votre santé !...

(Jetant le contenu du verre, après y avoir trempé ses lèvres.)

Peuh ! que ton vin est mauvais !

Permettez-moi de vous en offrir de ma cave !

(Frappant sur le tonneau, surmonté d’un Bacchus, qui sert d’enseigne au cabaret.)

Holà, seigneur Bacchus ! à boire !...

(Le vin jaillit du tonneau. Aux étudiants)

Approchez-vous !

Chacun sera servi selon ses goûts !

À la santé que tout à l’heure

vous portiez, mes amis, à Marguerite !...

VALENTIN

(lui arrachant le verre des mains)

Assez !...

Si je ne te fais taire à l’instant, que je meure !

(Le vin s’enflamme dans la vasque placée au-dessous du tonneau.)

WAGNER, ÉTUDIANTS

Holà !...

(Ils tirent leurs épées.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Pourquoi trembler, vous qui me menacez ?

(Il trace un cercle autour de lui avec son épée. Valentin s’avance pour l’attaquer. Son épée se brise.)

VALENTIN

Mon fer, ô surprise !

dans les airs se brise !

VALENTIN, WAGNER, SIÉBEL, ÉTUDIANTS

De l’enfer qui vient émousser

nos armes,

nous ne pouvons pas repousser

les charmes !

Mais puisque tu brises le fer,

regarde !...

(Il prend son épée par la lame et la présente sous forme de croix à Méphistophélès.)

SIÉBEL, VALENTIN, WAGNER, ÉTUDIANTS

(forçant Méphistophélès à reculer en lui présentant la garde de leurs epées)

Puisque tu peux briser le fer,

regarde !

C’est une croix, qui de l’enfer

nous garde !...

(Ils sortent.)

Scène quatrième

Méphistophélès, puis Faust.

MÉPHISTOPHÉLÈS

(remettant son épée au fourreau)

Nous nous retrouverons, mes amis ! ~ Serviteur !

FAUST

(entrant en scène)

Qu’as-tu donc ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Rien ! ~ À nous deux, cher docteur !

Qu’attendez-vous de moi ? Par où commencerai-je ?

FAUST

Où se cache la belle enfant

que ton art m’a fait voir ? ~ Est-ce un vain sortilège ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Non pas, mais contre nous sa vertu la protège;

et le ciel même la défend !

FAUST

Qu’importe ? je le veux ! viens ! conduis-moi près d’elle

ou je me sépare de toi !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Il suffit !... Je tiens trop à mon nouvelle emploi

pour vous laisser douter un instant de mon zèle !

Attendons !... ici même, à ce signal joyeux,

la belle et chaste enfant va paraître à vos yeux.

(Les étudiants et les jeunes filles, bras dessus, bras dessous, et précédés par des joueurs de violon, envahissent la scène. Ils sont suivis par les bourgeois qui ont paru au commencement de l'acte.)

Scène cinquième

Les mêmes, Étudiants, Jeunes filles, Bourgeois, puis Siébel et Marguerite.

[N. 9 - Valse et Chœur]

CHŒUR

(marquant la mesure en marchant)

Ainsi que la brise légère

soulève en épais tourbillons

la poussière

des sillons,

que la valse nous entraîne !

Faisons retentir la plaine

de l’éclat de vos chansons !

Valsons !...

(Les musiciens montent sur les bancs; la valse commence.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à Faust)

Vois ces filles

gentilles !

Ne veux-tu pas

aux plus belles

d’entre elles

offrir ton bras ?

FAUST

Non ! Fais trêve

à ce ton moqueur !

Et laisse mon cœur

à son rêve !...

SIÉBEL

(entrant)

C’est par ici que doit passer Marguerite !

QUELQUES JEUNES FILLES

(s’approchant de Siébel)

Faut-il qu’une jeune fille à danser

vous invite ?

SIÉBEL

Non !... non !... je ne veux pas valser !

CHŒUR

Ainsi que la brise légère

soulève en épais tourbillons

la poussière

des sillons,

que la valse nous entraîne !

Faisons retentir la plaine

de l’éclat de vos chansons !

Valsons !...

(Marguerite paraît.)

FAUST

Ah !... la voici ! c’est elle !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Eh bien ! Abordez-la !

SIÉBEL

(apercevant Marguerite et faisant un pas vers elle)

Marguerite !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

(se retournant et se trouvant face à face avec Siébel)

Plaît-il !...

SIÉBEL

(à part)

Maudit homme ! encor là !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

(d'un ton mielleux)

Eh quoi ! mon ami ! vous voilà !...

(Siébel recule devant Méphistophélès, qui lui fait faire ainsi le tour du thèâtre en passant derrière le groupe des danseurs.)

FAUST

(abordant Marguerite qui traverse la scène)

Ne permettrez vous pas, ma belle demoiselle,

qu’on vous offre le bras pour faire le chemin ?

MARGUERITE

Non, monsieur ! je ne suis demoiselle, ni belle,

et je n’ai pas besoin qu’on me donne la main !

(Elle passe devant Faust et s’éloigne.)

FAUST

(le suivant des yeux)

Par le ciel ! que de grâce... et quelle modestie !...

Ô belle enfant, je t’aime !

SIÉBEL

(redescendant en scène sans avoir vu ce qui vient de passer)

Elle est partie !...

(Il va pour s'elancer sur la trace de Marguerite; mais, se trouvant de nouveau à face avec Méphistophélès, il lui tourne le dos et s’éloigne par le fond du thèâtre.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à Faust)

Eh bien ?

FAUST

On me repousse !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

(en riant)

Allons ! à tes amours,

je qu'il faut prêter secours !...

(Il s'éloigne avec Faust du même côté que Marguerite.)

QUELQUES JEUNES FILLES

(s'adressant à trois ou quatre d'entre elles qui ont observé la rencontre de Faust et de Marguerite)

Qu’est-ce donc ?...

DEUXIÈME GROUPE DE JEUNES FILLES

Marguerite,

qui de ce beau seigneur refuse la conduite !...

ÉTUDIANTS

(se rapprochant)

Valsons encor !...

JEUNES FILLES

Valsons toujours !...

(Les étudiants, qui ont reconduit Valentin et Wagner, rentrent en scène et se mèlent à la valse.)

LES VALSEURS

Ainsi que la brise légère

soulève en épais tourbillons

la poussière

des sillons,

que la valse nous entraîne !

Faisons retentir la plaine

de l’éclat de vos chansons !

Valsons !...

Jusqu’à perdre haleine !...

jusqu’à mourir !...

je respire à peine !...

Ah !... quel... plaisir !...

Mon regard se noie...

dans le... ciel bleu !...

La terre tournoie !...

je meurs... Ah !... dieu !...

Jusqu'à perdre haleine !...

jusqu’à mourir !...

je respire à peine !...

Ah ! quel plaisir !...

BOURGEOIS

Ainsi que la brise légère

soulève en épais tourbillons

la poussière

des sillons,

que la valse vous entraîne !

Faites retentir la plaine

de bruit de vos folles chansons !

Jusqu’à perdre haleine,

jusqu’à mourir,

un dieu les entraîne,

c’est le plaisir !

La terre tournoie,

et fuit loin d’eux !

Quel bruit, quelle joie

dans tous les yeux !

Jusqu’à perdre haleine

jusqu’à mourir,

un dieu les entraîne,

c’est le plaisir !...

(La toile tombe.)

Scène troisième (supplement)

Supplement par Charles Gounod.

Invocation

VALENTIN

Avant de quitter ces lieux,

sol natal de mes aïeux,

à toi, seigneur et roi des cieux,

ma sœur je confie;

daigne de tout danger

toujours la protéger,

cette sœur si chérie.

Délivré d’une triste pensée,

j’irai chercher la gloire au sein des ennemis.

Le premier, le plus brave au fort de la mêlée,

j’irai combattre pour mon pays.

Et si, vers lui, dieu me rappelle,

je veillerai sur toi fidèle,

ô Marguerite.

Avant de quitter ces lieux,

sol natal de mes aïeux,

à toi, seigneur et roi des cieux,

ma sœur je confie !

Ô roi des cieux, jette les yeux,

protège Marguerite, roi des cieux !

Acte troisième
Scène première

Le jardin de Marguerite.
Au fond, un mur percé d’une petite porte. À gauche, un bosquet. À droite, un pavillon dont la fenêtre face au public. Arbres et massifs.
Siébel seul.

[N. 10 - Entracte et Couplets]

(Il est arrêté près d’un massif de roses et de lilas.)

SIÉBEL

I

Faites-lui mes aveux,

portez mes voeux,

fleurs écloses près d’elle,

dites-lui qu’elle est belle,

que mon cœur nuit et jour

languit d’amour !

Révélez à son âme

le secret de ma flamme !

Qu’il s’exhale avec vous,

parfums plus doux !...

(Il cueille une fleur.)

Fanée !...hélas !

(Il jette la fleur avec dépit.)

Ce sorcier que dieu damne

m’a porté malheur !

(Il cueille une autre fleur qui s’effeuille encore.)

Je ne puis sans qu’elle se fane

toucher une fleur !...

Si je trempais mes doigts dans l’eau bénite !...

(Il s’approche du pavillon et trempe ses doigts dans un bénitier accroché au mur.)

C’est là que chaque soir vient prier Marguerite !

Voyons maintenant ! voyons vite !...

(Il cueille deux ou trois fleurs.)

Elles se fanent ?...Non !... Satan, je ris de toi !...

II

C’est en vous que j’ai foi;

parlez pour moi !

Qu’elle puisse connaître

l’ardeur qu’elle fait naître

et dont mon cœur troublé

n’a point parlé !

C’est en vous que j’ai foi;

parlez pour moi !

Si l’amour l’effarouche,

que la fleur sur sa bouche

sache au moins déposer

un doux baiser !...

(Il cueille des fleurs pour en former un bouquet et disparaît dans les massifs du jardin.)

Scène deuxième

Faust, Méphistophélès, puis Siébel.

[N. 11 - Récitatif]

(Faust et Méphistophélès entrent doucement.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

C’est ici ! suivez-moi !

FAUST

Que regardes-tu là ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Siébel, votre rival.

FAUST

Siébel !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Chut !... le voilà !

(Ils se cache avec Faust dans un bosquet.)

SIÉBEL

(rentrant en scène, avec un bouquet à la main)

Mon bouquet n’est-il pas charmant ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à part)

Charmant !

SIÉBEL

Victoire !

Je lui raconterai demain toute l’histoire;

et, si l’on veut savoir le secret de mon cœur,

un baiser lui dira le reste !

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à part)

Séducteur !

(Siébel attache le bouquet à la porte du pavillon et sort.)

Scène troisième

Faust, Méphistophélès.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Attendez-moi là, cher docteur !

Pour tenir compagnie aux fleurs de votre élève,

je vais vous chercher un trésor

plus merveilleux, plus riche encor

que tous ceux qu’elle voit en rêve !

FAUST

Laisse-moi !

MÉPHISTOPHÉLÈS

J’obéis !... Daignez m’attendre ici !

(Il sort.)

Scène quatrième

Faust, seul.

[N. 12 - Scène et Cavatine]

Quel trouble inconnu me pénètre !

Je sens l’amour s’emparer de mon être.

Ô Marguerite ! À tes pieds me voici !

Salut ! demeure chaste et pure, où se devine

la présence d’une âme innocente et divine !...

Que de richesse en cette pauvreté !

En ce réduit, que de félicité !

Ô nature, c’est là que tu la fis si belle !

C’est là que cette enfant a grandi sous ton aile,

a dormi sous tes yeux !

Là que, de ton haleine enveloppant son âme,

tu fis avec amour épanouir la femme

en cet ange des cieux !

Salut ! demeure chaste et pure, où se devine

la présence d’une âme innocente et divine !...

Que de richesse en cette pauvreté !

En ce réduit, que de félicité !

Scène cinquième

Méphistophélès, Faust.

[N. 13 - Récitatif]

(Méphistophélès réapparaît, une cassette sous le bras.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Alerte ! la voilà !... Si le bouquet l’emporte

sur l’écrin, je consens à perdre mon pouvoir !

FAUST

Fuyons !... je veux ne jamais la revoir !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Quel scrupule vous prend !...

(plaçant l’écrin sur le seuil du pavillon)

Sur le seuil de la porte,

voici l’écrin placé !... venez !... j’ai bon espoir !...

(Il entraîne Faust et disparaît avec lui dans le jardin. Margurite entre par la porte du fond et descend en silence jusque sur le devant de la scène.)

Scène sixième

Marguerite, seul.

[N. 14 Scène et Air]

Je voudrais bien savoir quel était ce jeune homme,

si c’est un grand seigneur, et comment il se nomme ?

(Elle s’assied dans le bosquet, devant son rouet, et prend son fuseau, autour duquel elle prépaire de la laine.)

I

« Il était un roi de Thulé,

qui, jusqu’à la tombe fidèle,

eut en souvenir de sa belle,

une coupe en or ciselé !... »

(S'interrompant.)

Il avait bonne grâce, à ce qu’il m’a semblé.

(Reprenant sa chanson.)

« Nul trésor n’avait tant de charmes !

Dans les grands jours il s’en servait,

et chaque fois qu’il y buvait,

ses yeux se remplissaient de larmes !... »

II

(Elle se lève et fait quelques pas.)

« Quand il sentit venir la mort,

étendu sur sa froide couche,

pour la porter jusqu’à sa bouche

sa main fit un suprême effort !... »

(S'interrompant.)

Je ne savais que dire, et j’ai rougi d’abord.

(Reprenant sa chanson.)

« Et puis, en l’honneur de sa dame,

il but une dernière fois;

la coupe trembla dans ses doigts,

et doucement il rendit l’âme ! »

Les grands seigneurs ont seuls des airs si résolus,

avec cette douceur !

(Elle se dirige vers le pavillon.)

Allons ! n’y pensons plus !

Cher Valentin, si dieu m’écoute,

je te reverrai !... me voilà

toute seule !...

(Au moment d’entrer dans le pavillon, elle aperçoit le bouquet suspendu à la porte.)

Un bouquet !

(Elle prend le bouquet.)

C’est de Siébel, sans doute !

Pauvre garçon !

(Apercevant la cassette.)

Que vois-je là ?...

D’où ce riche coffret peut-il venir ?... Je n’ose

y toucher, et pourtant... ~ voici la clef, je crois !...

Si je l’ouvrais !... ma main tremble !... Pourquoi ?

Je ne fais, en l’ouvrant, rien de mal, je suppose !...

(Elle ouvre la cassette et laisse tomber le bouquet.)

Ô dieu ! que de bijoux !... est-ce un rêve charmant

qui m’éblouit, ou si je veille ? ~

Mes yeux n’ont jamais vu de richesse pareille !...

(Elle place la cassette tout ouverte sur une chaise et s’agenouille pour se parer.)

Si j’osais seulement

me parer un moment

de ces pendants d’oreille !...

(Elle tire des boucles d’oreille de la cassette.)

Voici tout justement,

au fond de la cassette,

un miroir !... comment

n’être pas coquette ?

(Elle se pare des boucles d’oreille, se lève et se regarde dans le miroir.)

Ah ! je ris de me voir

si belle en ce miroir !...

Est-ce toi, Marguerite ?

Réponds-moi, réponds vite ! ~

Non ! non ! ~ ce n’est plus toi !

ce n’est plus ton visage !

c’est la fille d’un roi,

qu’on salue au passage ! ~

Ah ! s’il était ici !...

s’il me voyait ainsi !...

Comme une demoiselle

il me trouverait belle !...

Ah ! s’il était ici !...

Achevons la métamorphose !

Il me tarde encor d’essayer

ce bracelet et ce collier.

(Elle se pare du collier d’abord, puis de bracelet. Se levant.)

Ah ! je ris de me voir

si belle en ce miroir !...

Est-ce toi, Marguerite ?

Réponds-moi, réponds vite ! ~

Non ! non ! ~ ce n’est plus toi !

ce n’est plus ton visage !

c’est la fille d’un roi,

qu’on salue au passage ! ~

Ah ! s’il était ici !...

s’il me voyait ainsi !...

Comme une demoiselle

il me trouverait belle !...

Ah ! s’il était ici !...

Scène septième

Marguerite, Marthe.

[N. 15 - Récitatif]

MARTHE

(entrant par le fond)

Que vois-je, seigneur dieu !... comme vous voilà belle,

mon ange !... ~ D’où vous vient ce riche écrin ?

MARGUERITE

(avec confusion)

Hélas !

on l’aura par mégarde apporté !

MARTHE

Que non pas !

ces bijoux sont à vous, ma chère demoiselle !

oui ! c’est là le cadeau d’un seigneur amoureux !

(Soupirant.)

Mon cher époux jadis était moins généreux !

(Méphistophélès et Faust entrent en scène.)

Scène huitième

Les mêmes, Méphistophélès, Faust.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Dame Marthe Schwerdtlein, s’il vous plaît ?

MARTHE

Qui m’appelle ?

(Marguerite se hâte d’ôter le collier, le pendant et les pendants d’oreille, et de les remettre dans la cassette.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Pardon d’oser ainsi nous présenter chez vous !

(bas à Faust)

Vous voyez qu’elle a fait bon accueil aux bijoux !

(haut)

Dame Marthe Schwerdtlein ?

MARTHE

Me voici !

MÉPHISTOPHÉLÈS

La nouvelle

que j’apporte n’est pas pour vous mettre en gaîté. ~

Votre mari, madame, est mort et vous salue !

MARTHE

Ah !... grand dieu !...

MARGUERITE

Qu’est-ce donc ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Rien !...

(Marguerite baisse les yeux sous le regard de Méphistophélès, referme la cassette, la reporte sur l’appui de la fenêtre et pousse les volets.)

MARTHE

Ô calamité !

ô nouvelle imprévue !...

Ensemble

MARGUERITE, FAUST

Marguerite

(à part)

Malgré moi mon cœur tremble et tressaille à sa vue !

Faust

(à part)

La fièvre de mes sens se dissipe à sa vue !

(à Marguerite)

Pourquoi donc quitter ces bijoux ?

Marguerite

Ces bijoux ne sont pas à moi ! ~ Laissez, de grâce !...

MÉPHISTOPHÉLÈS, MARTHE

Méphistophélès

(à Marthe)

Votre mari, madame, est mort et vous salue !

Marthe

Ne m’apportez-vous rien de lui ?

Méphistophélès

Rien !... et pour le punir, il faut dès aujourd’hui

chercher quelqu’un qui le remplace !

(à Marthe)

Qui ne serait heureux d’échanger avec vous

la bague d’hyménée ?

Marthe

(à part)

Ah bah !

(haut)

Plaît-il ?

Méphistophélès

(soupirant)

Hélas ! cruelle destinée !...

[N. 16 Quatuor]

FAUST

(à Marguerite)

Prenez mon bras un moment !

MARGUERITE

Laissez !... je vous en conjure !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

(de l'autre côté du thèâtre, à Marthe)

Votre bras !...

MARTHE

(à part)

Il est charmant !

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à part)

La voisine est un peu mûre !

(Marguerite abandonne son bras à Faust et s’éloigne avec lui. Méphistophélès et Marthe restent seuls.)

MARTHE

Ainsi vous voyagez toujours ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Dure nécessité, madame !

Sans amis, sans parents !... sans femme.

MARTHE

Cela sied encor aux beaux jours !

Mais plus tard, combien il est triste

de vieillir seul, en égoïste !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

J’ai frémi souvent, j’en conviens,

devant cette horrible pensée !...

MARTHE

Avant que l’heure en soit passée,

digne seigneur, songez-y bien !

(Ils s'éloignent. Marguerite et Faust rentrent en scène.)

FAUST

Eh quoi ! toujours seule ?...

MARGUERITE

Mon frère

est soldat; j’ai perdu ma mère;

puis ce fut un autre malheur,

je perdis ma petite sœur !

Pauvre ange !... Elle m’était bien chère !...

C’était mon unique souci;

que de soins, hélas !... que de peines !...

C’est quand nos âmes en sont pleines,

que la mort nous les prend ainsi !...

Sitôt qu’elle s’éveillait, vite

il fallait que je fusse là !...

Elle n’aimait que Marguerite !...

Pour la voir, la pauvre petite,

je reprendrais bien tout cela !...

FAUST

Si le ciel, avec un sourire,

l’avait faite semblable à toi,

c’était un ange !... oui, je le crois !...

MARGUERITE

Vous moquez-vous ?...

FAUST

Non, je t’admire !

MARGUERITE

Je ne vous crois pas,

et de moi tout bas

vous riez sans doute !...

J’ai tort de rester

pour vous écouter !...

Et pourtant j’écoute !...

FAUST

Laisse-moi ton bras !...

Dieu ne m’a-t-il pas

conduit sur ta route ?...

Pourquoi redouter,

hélas ! d’écouter ?...

mon cœur parle; écoute !...

(Méphistophélès et Marthe reparaissent.)

MARTHE

Vous n’entendez pas,

ou de moi tout bas

vous riez sans doute !

Avant d’écouter,

pourquoi vous hâter

de vous mettre en route ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Ne m’accusez pas,

si je dois, hélas !

me remettre en route.

Faut-il attester

qu’on voudrait rester

quand on vous écoute ?

(La nuit commence à tomber.)

MARGUERITE

(à Faust)

Retirez-vous !... voici la nuit.

FAUST

(passant son bras autour de la taille de Marguerite)

Chère âme !

MARGUERITE

Laissez-moi !...

(Elle se dégage et s’enfuit.)

FAUST

(la poursuivant)

Quoi ! méchante !... on me fuit !

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à part, tandis que Marthe, dépitée, lui tourne le dos)

L’entretien devient trop tendre !

esquivons-nous !

(Il se cache derrière un arbre.)

MARTHE

(à part)

Comment m’y prendre ?

(se retournant)

Eh bien ! il est parti !... seigneur !...

(Elle s'éloigne.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Cours après moi !...

Ouf ! cette vieille impitoyable,

de force ou de gré, je crois,

allait épouser le diable !

FAUST

(dans la coulisse)

Marguerite !

MARTHE

(dans la coulisse)

Cher seigneur !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Serviteur !

Scène neuvième

Méphistophélès, seul.

[N. 17 - Récitatif]

Il était temps ! sous le feuillage sombre

voici nos amoureux qui reviennent !... c’est bien !

Gardons-nous de troubler un si doux entretien !

Ô nuit, étends sur eux ton ombre !

amour, ferme leur âme aux remords importuns !

et vous, fleurs aux subtils parfums,

épanouissez-vous sous cette main maudite !

Achevez de troubler le cœur de Marguerite !...

(Il s’éloigne et disparaît dans l’ombre. Faust et Marguerite rentrent en scène.)

[N. 18 - Duo]

MARGUERITE

Il se fait tard !... adieu !...

Scène dixième

Faust, Marguerite.

FAUST

(la retenant)

Quoi ! je t’implore en vain !

attends ! laisse ma main s’oublier dans ta main !

(S’agenouillant devant Marguerite.)

Laisse-moi, laisse-moi contempler ton visage

sous la pâle clarté

dont l’astre de la nuit, comme dans un nuage,

caresse ta beauté !...

MARGUERITE

Ô silence ! ô bonheur ! ineffable mystère !

enivrante langueur !

J’écoute !... et je comprends cette voix solitaire

qui chante dans mon cœur !

(Dégageant sa main de celle de Faust.)

Laissez un peu, de grâce !..

(Elle se penche et cueille une Marguerite.)

FAUST

Qu’est-ce donc ?

MARGUERITE

Un simple jeu !

laissez un peu !

(Elle effeuille la Marguerite.)

FAUST

Que dit ta bouche à voix basse ?...

MARGUERITE

Il m’aime ! ~ Il ne m’aime pas ! ~

Il m’aime ! ~ pas ! ~ Il m’aime ! ~ pas ! ~ Il m’aime !...

FAUST

Oui !... crois en cette fleur éclose sous tes pas !...

Qu’elle soit pour ton cœur l’oracle du ciel même !...

Il t’aime !... comprends-tu ce mot sublime et doux ?...

MARGUERITE

Je me sens tressaillir !

FAUST

(prenant Marguerite dans ses bras)

Aimer ! porter en nous

une ardeur toujours nouvelle !...

Nous enivrer sans fin d’une joie éternelle !...

FAUST, MARGUERITE

Éternelle !...

FAUST

Ô nuit d’amour !... ciel radieux !...

ô douces flammes !...

Le bonheur silencieux

verse les cieux

dans nos deux âmes !...

MARGUERITE

Je veux t’aimer et te chérir !...

Parle encore !...

je t’appartiens !... je t’adore !...

pour toi je veux mourir !...

FAUST

Marguerite !...

MARGUERITE

(se dégageant des bras de Faust)

Ah !... partez !...

FAUST

Cruelle !...

me séparer de toi !...

MARGUERITE

Je chancelle !...

FAUST

Ah ! cruelle !...

MARGUERITE

(suppliante)

Laissez-moi !...

FAUST

Tu veux que je te quitte !

hélas !... vois ma douleur !

tu me brises le cœur,

ô Marguerite !...

MARGUERITE

Partez ! oui, partez vite !

je tremble !... hélas !... j’ai peur !

Ne brisez pas le cœur

de Marguerite !

FAUST

Par pitié !...

MARGUERITE

Si je vous suis chère...

par votre amour, par ces aveux

que je devais taire,

cédez à ma prière !...

cédez à mes voeux !...

(Elle tombe aux pieds de Faust.)

FAUST

(après un silence, la relevant doucement)

Divine pureté !...

chaste innocence,

dont la puissance

triomphe de ma volonté !...

J’obéis !... mais demain !...

MARGUERITE

Oui, demain !... dès l’aurore !...

demain !... toujours !...

FAUST

Un mot encore !...

Répète-moi ce doux aveu !...

tu m’aimes !...

MARGUERITE

(s’échappe, court au pavillon, s’arrête sur le seuil et envoie un baiser à Faust)

Adieu !...

(Elle entre dans le pavillon.)

FAUST

Félicité du ciel !... ~ Ah ! fuyons !...

(Il s’élance vers la porte du jardin. Méphistophélès lui barre le passage.)

Scène onzième

Faust, Méphistophélès.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Tête folle !...

FAUST

Laisse-moi !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Daignez seulement

écouter un moment

ce qu’elle va conter aux étoiles, cher maître !...

tenez !... elle ouvre sa fenêtre !...

(Marguerite ouvre la fenêtre du pavillon et s’y appuie un moment en silence, la tête entre les mains.)

Scène douzième

Les mêmes, Marguerite.

MARGUERITE

Il m’aime !... quel trouble en mon cœur !...

L’oiseau chante... le vent murmure !...

toutes les voix de la nature

me redisent en chœur:

Il t’aime !... ~ Ah ! qu’il est doux de vivre !...

Le ciel me sourit... l’air m’enivre !...

Est-ce de plaisir et d’amour

que la feuille tremble et palpite ?...

Demain ?... ~ Ah ! presse ton retour,

cher bien-aimé !... viens !...

FAUST

(s’élançant vers la fenêtre et saisissant la main de Marguerite)

Marguerite !...

MARGUERITE

Ah !...

(Elle reste un moment interdite et laisse tomber sa tête sur l’épaule de Faust; Méphistophélè souvre la porte du jardin et sort en ricanant. La toile tombe.)

Acte quatrième
I - Scène première

La chambre de Marguerite.
Marguerite, seul.

[N. 19 - Marguerite au rouet]

(Elle s'approche de la enêtre et écoute)

Elles ne sont plus là ! ~ Je riais avec elles

autrefois !... maintenant...

VOIX DE JEUNES FILLES

(dans la rue)

Les amours ont des ailes !...

Le galant étranger s’enfuit...et court encor !

Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !

(Les jeunes filles s’éloignent en riant.)

MARGUERITE

Elles se cachaient ! ah ! cruelles !

Je ne trouvais pas d’outrage assez fort

jadis pour les péchés des autres !...

Un jour vient où l’on est sans pitié pour les nôtres !

Je ne suis que honte à mon tour !

et pourtant, dieu le sait, je n’étais pas infâme;

tout ce que t’y porta, mon âme,

n’était que tendresse et qu’amour !

(Elle s’assied devant son rouet et file.)

Il ne revient pas !...

j’ai peur, je frissonne,

je languis !... ~ hélas !

en vain l’heure sonne,

il ne revient pas !...

Où donc peut-il être ?...

Seule à ma fenêtre,

je plonge là-bas

mon regard !... ~ hélas !

Où donc peut-il être ?

il ne revient pas !...

Je n’ose me plaindre;

il faut me contraindre !

je pleure tout bas !...

S’il pouvait connaître

ma douleur !... hélas !

Où donc peut-il être ?

il ne revient pas !...

Oh ! le voir !... entendre

le bruit de ses pas !

Mon cœur est si las,

si las de l’attendre !...

Il ne revient pas !...

Mon seigneur ! mon maître !...

s’il allait paraître,

quelle joie !... ~ hélas !

Où donc peut-il être ?

il ne revient pas !...

(Elle laisse tomber sa tête sur sa poitrine et fond en larmes. Le fuseau s’échappe de ses mains.)

I - Scène deuxième

Marguerite, Siébel.

[N. 20 - Scène et Récitatif]

SIÉBEL

(s'approchant doucement de Marguerite)

Marguerite !

MARGUERITE

Siébel !...

SIÉBEL

Encor des pleurs !

MARGUERITE

(se levant)

Hélas

vous seul ne me maudissez pas !

SIÉBEL

Je ne suis qu’un enfant, mais j’ai le cœur d’un homme

et je vous vengerai de son lâche abandon !

Je le tuerai !

MARGUERITE

Qui donc ?

SIÉBEL

Faut-il que je le nomme ?

L’ingrat qui vous trahit !...

MARGUERITE

Non !... taisez-vous !...

SIÉBEL

Pardon !

Vous l’aimez encore ?...

MARGUERITE

Oui !... je l'attends !... et je pleure !...

Je vei le nuit et jour; j'écoute passer l'heure !...

mais ce n’est pas à vous de plaindre mon ennui.

J’ai tort, Siébel, de vous parler de lui !...

SIÉBEL

I

Versez vos chagrins dans mon âme !

Mon fol amour s'est endormi !

Il ne m'est resté de sa flamme

que la tendresse d'un ami !

II

Hélas ! ne mettez pas en doute

ce dévoûment silencieux !...

Mon cœur a reçu goutte à goutte

les pleurs qui tombent de vos yeux !...

MARGUERITE

Soyez béni, Siébel ! votre amitié m’est douce !

Ceux dont la main cruelle me repousse,

n’ont pas fermé pour moi la porte du saint lieu;

j’y vais pour mon enfant.. et pour lui prier dieu !

(Elle sort; Siébel la suit à pas lents.)

II - Scène première

L’église.
Marguerite, puis Méphistophélès

[N. 21 - Scene de l’église]

(Quelques femmes traversent la scène et entrent dans l'église. Marguerite entre après d'elles et s’agenouille.)

MARGUERITE

Seigneur, daignez permettre à votre humble servante

de s’agenouiller devant vous !

UNE VOIX

Non !... tu ne priras pas !... frappez-la d'épouvante !

Esprits du mal, accourrez tous !

VOIX DE DÉMONS INVSIBLES

Marguerite !...

MARGUERITE

Qui m'appelle ?

LES VOIX

Marguerite !...

MARGUERITE

Je chancelle !...

Je meurs ! ~ dieu bon ! dieu clément !

est-ce déjà l'heure du châtiment ?

(Méphistophélès parait derrière un pilir et se penche à l'oreille de Marguerite.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Souviens-toi du passé quand, sous l’aile des anges

abritant ton bonheur,

tu venais dans son temple, en chantant des louanges,

adorer le seigneur !

Lorsque tu bégayais une chaste prière

d’une timide voix,

et portais dans ton cœur les baisers de la mère,

et dieu tout à la fois !...

C'en est fait !... les élus ont détourné leur face

de ton sombre chemin,

le ciel t'a condamnée, et le juste qui passe

ne te tend plus la main ! ~

Écoute ces clameurs ! c’est l’enfer qui t’appelle !...

c’est l’enfer qui te suit !

c’est l’éternel remords, c’est l’angoisse éternelle

dans l’éternelle nuit !

MARGUERITE

Dieu ! quelle est cette voix qui me parle dans l’ombre ?

Dieu tout-puissant !

quel voile sombre

sur moi descend !

Chant religieux (accompagné par l'orgues).

CHŒUR

Quand du seigneur le jour luira,

sa croix au ciel resplendira,

et l’univers s’écroulera...

MARGUERITE

Hélas ! ce chant pieux est plus terrible encore !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Non !

Dieu pour toi n’a plus de pardon !

pour toi, le ciel n’a plus d’aurore !

CHŒUR

Que dirais-je alors au seigneur ?

où trouverai-je un protecteur,

quand l’innocent n’est pas sans peur ?

MARGUERITE

Ah ! ce chant m’étouffe et m’oppresse !

je suis dans un cercle de fer !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Adieu les nuits d’amour et les jours pleins d’ivresse !

À toi l’enfer !...

(Il disparaît.)

MARGUERITE, CHŒUR

Seigneur, accueillez la prière

des cœurs malheureux !

Qu’on rayon de votre lumière

descende sur eux !

VOIX DES DÉMONS

Marguerite !

Sois maudite !

MARGUERITE

Quel sinistre éclair

traverse la nuit ! la voûte s'embrase !...

elle s'abaisse.. et m'écrase !...

De l'air !... de l'air !...

VOIX DES DÉMONS

À toi l’enfer !...

(Marguerite pousse un cri et tombe évanouie sur les dalles. Le rideau tombe et laisse voir en se relevant une rue; à gauche, la maison de Marguerite.)

III - Scène première

La rue.
Valentin, Soldats, puis Siébel.

[N. 22 - Chœur des soldats]

CHŒUR

Déposons les armes;

dans nos foyers enfin nous voici revenus !

Nos mères en larmes,

nos mères et nos sœurs ne nous attendront plus.

VALENTIN

(apercevant Siébel)

Eh ! parbleu ! c’est Siébel !...

SIÉBEL

Cher Valentin !...

VALENTIN

Viens vite !

Viens dans mes bras !

(Il l’embrasse.)

Et Marguerite ?

SIÉBEL

Elle est à l’église, je crois.

VALENTIN

Oui, priant dieu pour moi !

Chère sœur, tremblante et craintive,

comme elle va prêter une oreille attentive

au récit de nos combats !

CHŒUR

Oui, c’est plaisir dans les familles,

de conter aux enfants qui frémissent tout bas,

aux vieillards, aux jeunes filles,

la guerre et ses combats !...

Gloire immortelle

de nos aïeux,

sois-nous fidèle !

mourons comme eux !

Et sous ton aile,

soldats vainqueurs,

dirige nos pas, enflamme nos cœurs !

Pour toi, mère patrie,

affrontant le sort,

tes fils, l’âme aguerrie,

ont bravé la mort !

Ta voix sainte nous crie:

en avant, soldats !

le fer à la main, courez aux combats !

Gloire immortelle

de nos aïeux,

sois-nous fidèle !

mourons comme eux !

Et sous ton aile,

soldats vainqueurs,

dirige nos pas, enflamme nos cœurs !

Vers nos foyers hâtons le pas !

on nous attend: la paix est faite !

Plus de soupirs ! ne tardons pas !

notre pays nous tend les bras !

l’amour nous rit ! l’amour nous fête !

Et plus d’un cœur frémit tout bas

au souvenir de nos combats !

Gloire immortelle

de nos aïeux,

sois-nous fidèle !

mourons comme eux !

Et sous ton aile,

soldats vainqueurs,

dirige nos pas, enflamme nos cœurs !

(Les soldats se séparent et se dispersent de différents côtés. femmes et enfants accourent à leur rencontre et s'éloignent avec eux. Valentin et Siébel restent seuls en scène.)

III - Scène deuxième

Valentin, Siébel.

[N. 23 - Récitatif]

VALENTIN

Allons, Siébel ! entrons dans la maison !

le verre en main, tu me feras raison !

SIÉBEL

(vivement)

Non ! n’entre pas !...

VALENTIN

Pourquoi ?... ~ tu détournes la tête ?

Ton regard fuit le mien !... ~ Siébel, explique-toi !

SIÉBEL

Eh bien !... ~ non, je ne puis !

VALENTIN

Que veux-tu dire ?

(Il se dirige vers la maison.)

SIÉBEL

(l’arrêtant)

Arrête !

Sois clément,Valentin !

VALENTIN

(furieux)

Laisse-moi ! laisse-moi !

(Il entre dans la maison.)

SIÉBEL

Pardonne-lui !...

(Seul.)

Mon dieu ! je vous implore !

Mon dieu, protégez-la !...

(Il s’éloigne. Méphistophélès et Faust entrent en scène, Méphistophélè tient une guitare à la main.)

III - Scène troisième

Faust, Méphistophélès.

(Faust se dirige vers la maison de Marguerite et s’arrête.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Qu’attendez-vous encore ?

Entrons dans la maison.

FAUST

Tais-toi, maudit !... j’ai peur

de rapporter ici la honte et le malheur !

MÉPHISTOPHÉLÈS

À quoi bon la revoir, après l’avoir quittée ?

Notre présence ailleurs serait bien mieux fêtée !

Le sabbat nous attend !

FAUST

Marguerite !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Je vois

que mes avis sont vains et que l’amour l’emporte !

Mais, pour vous faire ouvrir la porte,

vous avez grand besoin du secours de ma voix !

(Faust, pensif, se tient à l'écart. Méphistophélè s'accocmpagne sur sa guitare.)

[N. 24 - Sérénade]

I

« Vous qui faites l’endormie,

n’entendez-vous pas,

ô Catherine, ma mie,

ma voix et mes pas ?... »

Ainsi ton galant t’appelle,

en ton cœur l’en croit !...

N’ouvre ta porte, ma belle,

que la bague au doigt !

FAUST

Par l'enfer, tais-toi !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Bon !

Ce n'est qu'une plaisanterie !

Laissez-moi, je vous prie,

achever ma chanson !

II

« Catherine que j’adore,

pourquoi refuser

à l’amant qui vous implore,

un si doux baiser ?... »

Ainsi ton galant supplie,

et ton cœur l’en croit !

Ne donne un baiser, ma mie,

que la bague au doigt !

(Valentin sort de la maison.)

III - Scène quatrième

Les mêmes, Valentin.

[N. 25 - Scène et Trio du duel]

VALENTIN

Que voulez-vous, messieurs !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Pardon ! mon camarade,

mais ce n’est pas pour vous qu’était la sérénade !

VALENTIN

Ma sœur l’écouterait mieux que moi, je le sais !

(Il dégaîne et brise la guitare de Méphistophélès d’un coup d’épée.)

FAUST

Sa sœur !

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à Valentin)

Quelle mouche vous pique ?

Vous n’aimez donc pas la musique ?

VALENTIN

Assez d’outrage !... assez !...

À qui de vous dois-je demander compte

de mon malheur et de ma honte ?...

Qui de vous deux doit tomber sous mes coups ?

(Faust tire son épée.)

C'est lui !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Vous le voulez ?... ~ Allons, docteur, à vous !...

VALENTIN

Redouble, ô dieu puissant,

ma force et mon courage !

Permets que dans son sang

je lave mon outrage !

FAUST

(à part)

Terrible et frémissant,

il glace mon courage !

Dois-je verser le sang

du frère que j’outrage ?...

MÉPHISTOPHÉLÈS

De son air menaçant,

de son aveugle rage,

je ris !... mon bras pouissant

va détourner l'orage !...

VALENTIN

(tirant de son sein la médaille que lui a donné Marguerite)

Et toi qui préservas mes jours,

toi qui me viens de Marguerite,

je ne veux plus de ton secours,

médaille maudite !...

(Il jette la médaille loin de lui.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à part)

Tu t’en repentiras !

VALENTIN

En garde !... et défends-toi !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

(à Faust)

Serrez-vous contre moi !...

et poussez seulement, cher docteur !... moi, je pare...

VALENTIN

Pare donc celle-ci !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Très-bien ! et l'autre aussi !...

VALENTIN

Vive dieu !...

FAUST

Laisse-nous !... de toi je me sépare !...

Va-t'en ! va-t'en !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Non pas !

si vous rompez d'un pas,

vous ête mort !

VALENTIN

À toi !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Pousse donc !...

VALENTIN

C'est le diable !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Oui !...

VALENTIN

Ma main s'engourdit !...

(Il s'enferre.)

Ah !

FAUST

Qu'as-tu fait, maudit ?...

(Valentin tombe.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Voici notre héros étendu sur le sable !...

Au large maintenant ! au large !...

(Il entraîne Faust. Arrivent Marthe et des bourgeois portant des torches.)

III - Scène cinquième

Marthe, Bourgeois, Valentin, puis Marguerite et Siébel.

[N. 26 - Mort de Valentin]

MARTHE, BOURGEOIS

Par ici !...

par ici, mes amis ! on se bat dans la rue !... ~

L’un d’eux est tombé là ! ~ Regardez... le voici !...

Il n’est pas encor mort !... ~ on dirait qu’il remue !... ~

Vite, approchez !... il faut le secourir !

VALENTIN

(se soulevant avec effort)

Merci !

Des vos plaintes faites-moi grâce !...

J’ai vu, morbleu ! la mort en face

trop souvent pour en avoir peur !...

(Marguerite paraît soutenue par Siébel.)

MARGUERITE

Valentin !... Valentin !...

(Elle écarte la foule et tombe à genoux près de Valentin.)

VALENTIN

Marguerite ! ma sœur !

(Il la repousse.)

Que me veux-tu ?... va-t’en !

MARGUERITE

Ô dieu !

VALENTIN

Je meurs par elle !...

J’ai sottement

cherché querelle

à son amant !

LA FOULE

(à demi-voix, montrant Marguerite)

Il meurt frappé par son amant !

MARGUERITE

Douleur nouvelle !

Ô châtiment !...

SIÉBEL

(à Valentin)

Grâce pour elle !...

Soyez clément !

VALENTIN

(soutenu par ceux que l'entouret)

Écoute-moi bien, Marguerite !...

Ce qui doit arriver arrive à l’heure dite !

La mort nous frappe quand il faut,

et chacun obéit aux volonté d’en haut !...

~ Toi !... te voilà dans la mauvaise voie !...

Tes blanches mains ne travailleront plus !

Te renîras, pour vivre dans la joie,

tous les devoirs et toutes les vertus !...

Poursuis ta route !... allons ! courage !...

je vois déjà le temps

où les honnêtes gens

reculent devant toi pour te livrer passage !...

et le mépris public te soufflète au visage !...

Oses-tu bien encor,

oses-tu, misérable,

garder ta chaîne d’or !...

(Marguerite arrache la chaîne qu’elle porte au cou et la jette loin d’elle.)

Va ! la honte t’accable !

le remords suit tes pas !...

Meurs enfin !... l’heure sonne !

et si dieu te pardonne

sois maudite ici-bas !

MARGUERITE

Mon frère !... mon frère !... hélas !...

LA FOULE

Ô blasphème !

à ton heure suprême,

infortuné !

Songe, hélas ! à toi-même...

pardonne, si tu veux être un jour pardonné !...

VALENTIN

Marguerite ! Marguerite !

MARGUERITE

Mon frère !...

VALENTIN

Sois maudite !...

La mort t’attend sur ton grabat !...

moi je meurs de ta main !... et je tombe en soldat !

(Il meurt. Siébel entraîne Marguerite éperdue. La toile tombe)

I - Scène deuxième (supplement)

Supplement par Charles Gounod.

Romance

SIÉBEL

Si le bonheur à sourire t'invite,

joyeux alors, je sens un doux émoi,

si la douleur t'accable, Marguerite,

ô Marguerite ! ô Marguerite !

je pleure alors, je pleure comme toi.

Comme deux fleurs sur une même tige

notre destin suivait le même cours

de tes chagrins en frère je m'afflige,

ô Marguerite ! ô Marguerite !

comme une sœur je t'aimerai toujours !

Acte cinquième
I - Scène première

Les montagnes du Harz.
Follets, puis Faust, Méphistophélès.

[N. 27 - La nuit de Walpurgis]

CHŒUR DES FEUX FOLLETS

Dans les bruyères,

dans les roseaux,

parmi les pierres,

et sur les eaux,

de place en place,

perçant la nuit,

s’allume et passe

un feu qui luit !

Alerte ! alerte !

De loin, de près,

dans l’herbe verte,

sous les cyprès,

mouvantes flammes,

rayons glacés,

ce sont les âmes

des trépassés !

(Méphistophélès et Faust paraissent sur une cime élevée.)

FAUST

Arrête !

MÉPHISTOPHÉLÈS

N’as-tu pas promis

de m’accompagner sans rien dire ?

FAUST

Où sommes-nous ?

MÉPHISTOPHÉLÈS

Dans mon empire !

Ici, docteur, tout m’est soumis.

Écoute: rien qu'à mon approche

là-bas tout s'agite à al fois !

Debout sur cette antique roche

je parle, et tout tremble à ma voix !

Les hiboux se heurtent dans l'ombre,

le vent tourbillonne en sifflant;

la nuit de son long voile sombre

couvre des monts la large flanc !

Quel vacarme ! quelle tempête !

Mammon est maître du logis !

Mammon est le roi de la fête !

Voici la nuit de Walpurgis !

VOIX LONTAINES

Voici la nuit de Walpurgis !

FAUST

Mon sang se glace !...

(Il veut fuir.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

(le retenant)

Attends ! je n’ai qu’un signe à faire

pour qu’ici tout change et s’éclaire !...

II - Scène première

La montagne s’entr'ouvre, et laisse voir un vaste palais resplendissant d’or, au milieu duquel se dresse une table richement servie et entourée des reines et des courtisanes de l’antiquité.
Méphistophélès, Chœur, Faust

[N. 28 - Scène et Chœur]

MÉPHISTOPHÉLÈS

Jusqu’aux premiers feux du matin,

à l’abri des regards profanes,

je t’offre une place au festin

des reines et des courtisanes !...

CHŒUR

Au nom des anciens dieux

que les coupes s’emplissent !...

Que les airs retentissent

de nos accords joyeux !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Hétaïres de Grèce ou filles de l'Asie,

Phryné, Laïs, Aspasie,

Cléopâtre aux doux yeux, Hélène au front charmant,

laissez-nous au banquet prendre place au moment...

CHŒUR

Que les coupes s’emplissent

au nom des anciens dieux !

Que les airs retentissent

de nos accords joyeux !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Pour guérir la fièvre

de ton cœur blessé,

prends cette coupe et que ta lèvre

y puise l'obli du passé !...

FAUST

Vains remords, ~ risible folie !

Il est temps que mon cœur oublie !

Donne et buvons jusqu’à la lie !

(Il saisit une coupe et la porte à ses lèvres.)

[N. 29 - Chant bachique]

FAUST

I

Doux nectar, en ton ivresse

tiens mon cœur enseveli !

Qu’un baiser de feu caresse

jusqu’au jour mon front pâli !

Dans la coupe enchanteresse

pour jamais je bois l’oubli !

II

Volupté, devant tes charmes

se réveille le désir !

Laisse-nous loin des alarmes

au passage te saisir,

et noyons l’amour en larmes

dans l’ivresse et le plaisir !

Ballet.

(Aspasie, Laïs et Phryné avec la courtisanes, Cléopâtre avec les esclaves nubiennes, Hélène avec les filles de Troie, viennent tour à tour enivrer Faust de leurs séductions. Faust subjugué leur tend sa coupe. Une teinte livide se répand sur le thèâtre. Tout à coup le fantôme de Marguerite apparaît dans un rayon lumineux.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

(sans voir Marguerite)

Que ton ivresse, ô volupté

étouffe le remords en son cœur enchanté !

(Faust aperçoit Marguerite et jette sa coupe loin de lui; aussitôt, palais et courtisanes disparaissent.)

III - Scène première

La vallée du Brocken.
Faust, Méphistophélès.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Qu’as-tu donc ?

FAUST

Regarde !... ne la vois-tu pas

là, devant nous, muette et blême ?

Sa bouche tout bas

murmure: je t'aime !

Elle pleure !... elle tend les bras !...

MÉPHISTOPHÉLÈS

Magie et sortilège !

Ne va pas, maître fou,

te laisseer prendre au piége !

FAUST

Quel étrange ornement autour de ce beau cou !

Un ruban rouge qu’elle cache !

Un ruban rouge étroit comme un tranchant de hache !

(L’image de Marguerite disparaît.)

Marguerite !... je sens se dresser mes cheveux !

Mon cœur frémit ! ~ Je veux la voir ! ~ Viens, je le veux !

(Il entraîne Méphistophélès et s’ouvre, l’épée à la main, un passage à travers la foule des démons et des monstres infernaux qui cherchent à le retenir. Les sorcières envahissent la scène de toutes parta. Elles apportent une chaudière pleine d'un liquide flamboyant. Les unes agitent le breuvage magique avec de longues cuillers de fer, les autres dansent autour de la chauidière.)

IV - Scène première

La prison.
Marguerite endormie, Faust et Méphistophélès.

[N. 30 - Scène de la prison]

MÉPHISTOPHÉLÈS

Le jour va luire. ~ On dresse l’échafaud !

Décide sans retard Marguerite à te suivre.

Le geôlier dort. ~ Voici les clefs. ~ Il faut

que ta main d’homme la délivre.

FAUST

Laisse-moi !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Hâtez-vous. ~ Moi, je veille au-dehors.

(Il sort.)

IV - Scène deuxième

Faust, Marguerite.

FAUST

Mon cœur est pénétré d’épouvante ! ~ Ô torture !

Ô source de regrets et d’éternels remords !

C’est elle ! ~ La voici, la douce créature,

jetée au fond d’une prison

comme une vile criminelle !

Le désespoir égara sa raison !...

Son pauvre enfant, ô dieu !... tué par elle !...

Marguerite !

MARGUERITE

(s’éveillant)

Ah ! c’est lui ! ~ c'est lui ! le bien-aimé !

À son appel mon cœur s’est ranimé !

FAUST

Marguerite !

MARGUERITE

Au milieu de vos éclats de rire,

démons qui m’entourez, j’ai reconnu sa voix !

FAUST

Marguerite !

MARGUERITE

Sa main, sa douce main m’attire !

Je suis libre ! il est là ! je l’entends ! je le vois !

FAUST

Oui, c’est moi, je t’aime !

Malgré l’effort même

du démon moqueur,

je t’ai retrouvée !

Te voilà sauvée ! C’est moi,

viens, viens sur mon cœur !

MARGUERITE

Oui, c’est toi, je t’aime !

Les fers, la mort même

ne me font plus peur !

Tu m’as retrouvée !

Me voilà sauvée !

je suis sur ton cœur !

FAUST

Viens, suis-moi ! ~ hâtons-nous.

(Il veut l’entraîner.)

MARGUERITE

(se déageant doucement de ses bras)

Attends !... voici la rue

où tu m’as vue

pour la première fois !...

Où votre main osa presque effleurer mes doigts !

« Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle,

qu’on vous offre le bras pour faire le chemin ? »

~ « Non, monsieur, je ne suis demoiselle ni belle,

et je n’ai besoin qu’on me donne la main ! »

FAUST

Oui, mon cœur se souvient ! ~ Mais suis-moi ! l’heure passe !

MARGUERITE

(s'appuyant amouresement sur son bras)

Ah ! reste encore ! et que ton bras

comme autrefois au mien s’enlace !...

FAUST

Ô ciel ! elle ne m’entend pas !

(Méphistophélès reparaît.)

IV - Scène troisième

Les mêmes, Méphistophélès.

[N. 31 - Trio Finale]

MÉPHISTOPHÉLÈS

Alerte ! alerte !

Ou vous êtes perdus !

Si vous tardez encor, je ne m’en mêle plus !

MARGUERITE

Le démon ! le démon ! ~ Le vois-tu ?... là... dans l’ombre

fixant sur nous son oeil de feu !

Que nous veut-il ? ~ Chasse-le du saint lieu !

MÉPHISTOPHÉLÈS

L'aube depuis longtemps a percé la nuit sombre,

le jour est levé;

de leur pied sonore

j’entends nos chevaux frapper le pavé.

(Cherchant à entraîner Faust.)

Viens ! sauvons-la. Peut-être il en est temps encore !

MARGUERITE

Mon dieu, protégez-moi ! ~ Mon Dieu, je vous implore !

(Tombant à genoux.)

Anges purs ! anges radieux !

Portez mon âme au sein des cieux !

Dieu juste, à toi je m’abandonne !

Dieu bon, je suis à toi ! ~ pardonne !

FAUST

Viens, suis-moi ! je le veux !...

MARGUERITE

Anges purs, anges radieux !

Portez mon âme au sein des cieux !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Hât-toi ! l'heure sonne !

FAUST

Viens, Marguerite, je le veux !

Viens !... le jour evahit les cieux.

MÉPHISTOPHÉLÈS

Hât-toi de quitter ces lieux !

Fuis !... le jour evahite les cieux !

MARGUERITE

Anges purs, anges radieux !

Portez mon âme au sein des cieux !

(Bruit au dehors.)

MÉPHISTOPHÉLÈS

Écoute !

FAUST

Dieu !

MARGUERITE

Par vous que je sois préservée !

FAUST

Marguerite !

MARGUERITE

Pourquoi ce regard menaçant ?

FAUST

Marguerite ?

MARGUERITE

Pourquoi ! ces mains rouges de sang ?

(le repoussant)

Va !... tu me fais horreur !

(Elle tombe sans mouvement.)

FAUST

Ah !

MÉPHISTOPHÉLÈS

Maudite !

[N. 32 - Apothéose]

VOIX D'EN HAUT

Sauvée !

(Son de cloches et chants de pâques.)

CHŒUR DES ANGES

Christ est ressuscité !

Christ vient de renaître !

Paix et félicité

aux disciples du maître !

Christ vient de renaître !

Christ est ressuscité !

CHŒUR DES SAINTES FEMMES

L'univers racheté

a tressailli de joie !

CHŒUR DE DISCIPLES

Il écrase, il foudroie

l'hydre d'iniquité !

Les murs de la prison se sont ouverts.

L’âme de Marguerite s’élève dans les cieux.

Faust la suit des yeux avec désespoir; il tombe à genoux et prie.

Méphistophélès est à demi renversé sous l’épée lumineuse de l’archange.

Fin du livret.

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Locandina Acte premier Scène première Scène deuxième Acte deuxième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène troisième (supplement) Acte troisième Scène première Scène deuxième Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Scène sixième Scène septième Scène huitième Scène neuvième Scène dixième Scène onzième Scène douzième Acte quatrième I - Scène première I - Scène deuxième II - Scène première III - Scène première III - Scène deuxième III - Scène troisième III - Scène quatrième III - Scène cinquième I - Scène deuxième (supplement) Acte cinquième I - Scène première II - Scène première III - Scène première IV - Scène première IV - Scène deuxième IV - Scène troisième