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Atys

ATYS

Tragedie en musique.

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Livret de Philippe QUINAULT.
Musique de Jean-Baptiste LULLY.

Première représentation: 10 janvier 1676, Saint-Germain-en-Laye.


Acteurs:

Prologue

LE TEMPS

baryton

La déesse FLORE

soprano

UN ZEPHIR

ténor

MELPOMENE muse tragique

soprano

La déesse IRIS

soprano

Tragedie

ATYS parent de Sangaride, et favory de Celænus, roy de Phrygie

ténor

IDAS amy d'Atys, et frere de la nymphe Doris

basse

SANGARIDE nymphe, fille du fleuve Sangar

soprano

DORIS nymphe, amie de Sangaride, et sœur d'Idas

soprano

La déesse CYBELE

soprano

MELISSE confidente et prestresse de Cybele

soprano

CELÆNUS roy de Phrygie, fils de Neptune, et amant de Sangaride

baryton

Le dieu du SOMMEIL

ténor

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR pere de Sangaride

basse

MORPHÉE

ténor

PHOBETOR

basse

PHANTASE

basse

ALECTON le fieur dauphin

autre


Prologue:
les douze heures du jour, Les douze heures de la nuit, Troupe de Nymphes chantantes de la suite de Flore, Suivans de Flore dançants, Nymphes dançantes, Heros chantants de la suite de Melpomene, Heros combatans et dançants de la suite de Melpomene.

Tragedie:
Chœur de Phrygiens et de Phrygiennes, Troupe de Phrygiens et de Phrygiennes qui dancent à la feste de Cybele, Troupe de prestresses de Cybele, Troupe de suivants de Celænus, Troupe de Zephirs chantants, dançants, et volants, Chœur et troupe de peuples differents qui viennent à la feste de Cybele, Troupe de songes agreable, Troupe de songes funestes, Troupe de dieux de fleuves, et de ruisseaux, et de nymphes de fontaines, qui chantent et qui dancent, Troupe de divinitez des bois et des eaux, Troupe de corybantes.

Prologue:
le palais du Temps.

Tragedie:
la scene est en Phrygie.


Prologue
Scene unique

Le Theatre represente le palais du Temps, où ce dieu paroist au milieu des douze Heures du jour, et des douze Heures de la nuit.

LE TEMPS

En vain j'ay respecté la celebre memoire

des heros des siecles passez;

c'est en vain que leurs noms si fameux dans l'histoire,

du sort des noms communs ont esté dispensez:

nous voyons un heros dont la brillante gloire

les a presque tous effacez.

CHŒUR DES HEURES

Ses justes loix,

ses grands exploits

rendent sa memoire éternelle:

chaque jour, chaque instant

adjouste encor à son nom esclattant

une gloire nouvelle.

La déesse Flore conduite par un des Zephirs s'avance avec une troupe de Nymphes qui portent divers ornements de fleurs.

LE TEMPS

La saison des frimas peut-elle nous offrir

les fleurs que nous voyons paraistre?

Quel dieu les fait renaistre

lorsque l'hyver les fait mourir?

Le froid cruel regne encore;

tout est glacé dans les champs,

d'où vient que Flore

devance le printemps?

FLORE

Quand j'attens les beaux jours, je viens toûjours trop tard,

plus le printemps s'avance, et plus il m'est contraire;

son retour presse le départ

du heros à qui je veux plaire.

Pour luy faire ma cour, mes soins ont entrepris

de braver desormais l'hyver le plus terrible,

dans l'ardeur de luy plaire on a bien-tost apris

a ne rien trouver d'impossible.

LE TEMPS, FLORE

Les plaisirs à ses yeux ont beau se presenter,

si-tost qu'il voit Bellone, il quitte tout pour elle;

rien ne peut l'arrester

quand la gloire l'appelle.

Le chœur des heures repete ces deux derniers vers.

La suite de Flore commence des jeux meslez de dances et de chants.

UN ZEPHIR

Le printemps quelquefois est moins doux qu'il ne semble,

il fait trop payer ses beaux jours;

il vient pour escarter les jeux et les amours,

et c'est l'hyver qui les rassemble.

Melpomene qui est la muse qui preside à la tragedie, vient accompagnée d'une Troupe de heros, elle est suivie d'Hercule, d'Antæe, de Castor, de Pollux, de Lincée, d'Idas, d'Eteocle, et de Polinice.

MELPOMENE

(parlant à Flore)

Retirez-vous, cessez de prevenir le Temps;

ne me desrobez point de precieux instants:

la puissante Cybele

pour honorer Atys qu'elle a privé du jour,

veut que je renouvelle

dans une illustre cour

le souvenir de son amour.

Que l'agrément rustique

de Flore et de ses jeux,

cede à l'appareil magnifique

de la muse tragique,

et de ses spectacles pompeux.

La Suite de Melpomene prend la place de la Suite de Flore. Les Heros recommencent leurs anciennes querelles. Hercule combat et lutte contre Antæe, Castor et Pollux combattent contre Lyncée et Idas, et Eteocle combat contre son Frere Polynice.

Iris, par l'ordre de Cybele, descend assis sur son arc, pour accorder Melpomene et Flore.

IRIS

(parlant à Melpomene)

Cybele veut que Flore aujourd'huy vous seconde.

Il faut que les plaisirs viennent de toutes parts,

dans l'empire puissant, où regne un nouveau Mars,

ils n'ont plus d'autre asile au monde.

Rendez-vous, s'il se peut, dignes de ses regards;

joignez la beauté vive et pure

dont brille la nature,

aux ornements des plus beaux arts.

Iris remonte au ciel sur son arc, et la Suite de Melpomene s'accorde avec la Suite de Flore.

MELPOMENE, FLORE

Rendons-nous, s'il se peut, dignes de ses regards;

joignons la beauté vive et pure

dont brille la nature,

aux ornements des plus beaux arts.

LE TEMPS, CHŒUR DES HEURES

Preparez de nouvelles festes,

profitez du loisir du plus grand des heros;

Ensemble

LE TEMPS

Preparez de nouvelles festes,

profitez du loisir du plus grand des heros.

MELPOMENE, FLORE

Preparons de nouvelles festes,

profitons du loisir du plus grand des heros.

LE TEMPS, MELPOMENE, FLORE

Le temps des jeux, et du repos,

luy sert à mediter de nouvelles conquestes.

Acte premier
Scene premiere

Le theatre represente une montagne consacrée à Cybele.
Atys.

Allons, allons, accourez tous,

Cybele va descendre.

Trop heureux Phrygiens, venez icy l'attendre.

Mille peuples seront jaloux

des faveurs que sur nous

sa bonté va répandre.

Scene seconde

Idas, Atys.

ATYS, IDAS

Allons, allons, accourez tous,

Cybele va descendre.

ATYS

Le soleil peint nos champs des plus vives couleurs,

il a seché les pleurs

que sur l'émail des prez a répandu l'aurore;

et ses rayons nouveaux ont déja fait éclorre

mille nouvelles fleurs.

IDAS

Vous veillez lorsque tout sommeille;

vous nous éveillez si matin

que vous ferez croire à la fin

que c'est l'amour qui vous éveille.

ATYS

Non, tu dois mieux juger du party que je prens.

Mon cœur veut fuir toûjours les soins et les misteres;

j'ayme l'heureuse paix des cœurs indifferents;

si leurs plaisirs ne sont pas grands,

au moins leurs peines sont legeres.

IDAS

Tost ou tard l'amour est vainqueur,

en vain les plus fiers s'en deffendent,

on ne peut refuser son cœur

a de beaux yeux qui le demandent.

Atys, ne feignez plus, je sçais votre secret.

Ne craignez rien, je suis discret.

Dans un bois solitaire, et sombre,

l'indifferent Atys se croyoit seul, un jour;

sous un feüillage épais où je resvois à l'ombre,

je l'entendis parler d'amour.

ATYS

Si je parle d'amour, c'est contre son empire,

j'en fais mon plus doux entretien.

IDAS

Tel se vante de n'aimer rien,

dont le cœur en secret soûpire.

J'entendis vos regrets, et je les sçais si bien

que si vous en doutez je vais vous les redire.

Amans qui vous plaignez, vous estes trop heureux:

mon cœur de tous les cœurs est le plus amoureux,

et tout prés d'expirer je suis reduit à feindre;

que c'est un tourment rigoureux

de mourir d'amour sans se plaindre !

Amans qui vous plaignez, vous estes trop heureux.

ATYS

Idas, il est trop vray, mon cœur n'est que trop tendre,

l'amour me fait sentir ses plus funestes coups.

Qu'aucun autre que toy n'en puisse rien apprendre.

Scene troisiesme

Sangaride, Doris, Atys, Idas.

SANGARIDE, DORIS

Allons, allons, accourez tous,

Cybele va descendre.

SANGARIDE

Que dans nos concerts les plus doux,

son nom sacré se fasse entendre.

ATYS

Sur l'univers entier son pouvoir doit s'étendre.

SANGARIDE

Les dieux suivent ses loix et craignent son couroux.

ATYS, SANGARIDE, IDAS, DORIS

Quels honneurs ! quels respects ne doit-on point luy rendre ?

ATYS, SANGARIDE, IDAS, DORIS

Allons, allons, accourez tous,

Cybele va descendre.

SANGARIDE

Escoutons les oyseaux de ces bois d'alentour,

ils remplissent leurs chants d'une douceur nouvelle.

On diroit que dans ce beau jour,

ils ne parlent que de Cybele.

ATYS

Si vous les écoutez, ils parleront d'amour.

Un roy redoutable,

amoureux, aimable,

va devenir vostre espoux;

tout parle d'amour pour vous.

SANGARIDE

Il est vray, je triomphe, et j'aime ma victoire.

Quand l'amour fait regner, est-il un plus grand bien ?

Pour vous, Atys, vous n'aimez rien,

et vous en faites gloire.

ATYS

L'Amour fait trop verser de pleurs;

souvent ses douceurs sont mortelles.

Il ne faut regarder les belles

que comme on voit d'aimables fleurs.

J'aime les roses nouvelles,

j'aime les voir s'embellir,

sans leurs épines cruelles,

j'aimerois à les cüeillir.

SANGARIDE

Quand le peril est agreable,

le moyen de s'en allarmer ?

Est-ce un grand mal de trop aimer

ce que l'on trouve aimable ?

Peut-on estre insensible aux plus charmans appas ?

ATYS

Non vous ne me connoissez pas.

Je me deffens d'aimer autant qu'il m'est possible;

si j'aimois, un jour, par malheur,

je connoy bien mon cœur

il seroit trop sensible.

Mais il faut que chacun s'assemble prés de vous,

Cybele pourroit nous surprendre.

ATYS, IDAS

Allons, allons, accourez tous,

Cybele va descendre.

Scene quatriesme

Sangaride, Doris.

SANGARIDE

Atys est trop heureux.

DORIS

L'amitié fut toûjours égale entre vous deux,

et le sang d'assez prés vous lie:

quel que soit son bon-heur, luy portez-vous envie ?

Vous, qu'aujourd'huy l'hymen avec de si beaux nœuds

doit unir au roy de Phrygie ?

SANGARIDE

Atys, est trop heureux.

Souverain de son cœur, maistre de tous ses vœux,

sans crainte, sans melancolie,

il joüit en repos des beaux jours de sa vie;

Atys ne connoît point les tourmens amoureux,

Atys est trop heureux.

DORIS

Quel mal vous fait l'amour ? vostre chagrin m'estonne.

SANGARIDE

Je te fie un secret qui n'est sceu de personne.

Je devrois aimer un amant

qui m'offre une couronne;

mais, helas ! vainement

le devoir me l'ordonne,

l'amour, pour mon tourment,

en ordonne autrement.

DORIS

Aimeriez-vous Atys, luy dont l'indifference

brave avec tant d'orgüeil l'amour et sa puissance ?

SANGARIDE

J'aime, Atys, en secret, mon crime, est sans témoins.

Pour vaincre mon amour, je mets tout en usage,

j'appelle ma raison, j'anime mon courage;

mais à quoy servent tous mes soins ?

Mon cœur en souffre davantage,

et n'en aime pas moins.

DORIS

C'est le commun deffaut des belles.

L'ardeur des conquestes nouvelles

fait negliger les cœurs qu'on a trop tost charmez,

et les indifferents sont quelquefois aimez

aux dépens des amants fidelles.

Mais vous vous esposez à des peines cruelles.

SANGARIDE

Toûjours aux yeux d'Atys je seray sans appas;

je le sçay, j'y consens, je veux, s'il est possible,

qu'il soit encor plus insensible;

s'il me pouvoit aimer, que deviendrois-je ? helas !

c'est mon plus grand bon-heur qu'Atys ne m'aime pas.

Je pretens estre heureuse, au moins, en apparence;

au destin d'un grand roy je me vais attacher.

SANGARIDE, DORIS

Un amour malheureux dont le devoir s'offence,

se doit condamner au silence;

un amour malheureux qu'on nous peut reprocher,

ne sçauroit trop bien se cacher.

Scene cinquiesme

Atys, Sangaride, Doris.

ATYS

On voit dans ces campagnes

tous nos Phrygiens s'avancer.

DORIS

Je vais prendre soin de presser

les Nymphes nos compagnes.

Scene sixiesme

Atys, Sangaride.

ATYS

Sangaride, ce jour est un grand jour pour vous.

SANGARIDE

Nous ordonnons tous deux la feste de Cybele,

l'honneur est égal entre nous.

ATYS

Ce jour mesme, un grand roy doit estre vostre espoux,

je ne vous vis jamais si contente et si belle;

que le sort du roy sera doux !

SANGARIDE

L'indifferent Atys n'en sera point jaloux.

ATYS

Vivez tous deux contens, c'est ma plus chere envie;

j'ay pressé vostre hymen, j'ay servy vos amours.

Mais enfin ce grand jour, le plus beau de vos jours,

sera le dernier de ma vie.

SANGARIDE

Ô dieux !

ATYS

O dieux ! Ce n'est qu'à vous que je veux reveler

le secret desespoir où mon malheur me livre;

je n'ay que trop sceu feindre, il est temps de parler;

qui n'a plus qu'un moment à vivre,

n'a plus rien à dissimuler.

SANGARIDE

Je fremis, ma crainte est extresme;

Atys, par quel malheur faut-il vous voir perir ?

ATYS

Vous me condamnerez vous mesme,

et vous me laisserez mourir.

SANGARIDE

J'armeray, s'il se faut, tout le pouvoir supresme...

ATYS

Non, rien ne peut me secourir,

je meurs d'amour pour vous, je n'en sçaurois guerir.

SANGARIDE

Quoy ? vous ?

ATYS

Quoy ? vous ? Il est trop vray.

SANGARIDE

Quoy ? vous ? Il est trop vray. Vous m'aimez ?

ATYS

Quoy ? vous ? Il est trop vray. Vous m'aimez ? Je vous aime.

Vous me condamnerez vous mesme,

et vous me laisserez mourir.

J'ay merité qu'on me punisse,

j'offence un rival genereux,

qui par mille bien-faits a prevenu mes vœux:

mais je l'offence en vain, vous luy rendez justice;

ah ! que c'est un cruel suplice

d'avoüer qu'un rival est digne d'estre heureux !

Prononcez mon arrest, parlez sans vous contraindre.

SANGARIDE

Helas !

ATYS

Helas ! Vous soûpirez ? je voy couler vos pleurs ?

D'un malheureux amour plaignez-vous les douleurs ?

SANGARIDE

Atys, que vous seriez à plaindre

si vous sçaviez tous vos malheurs !

ATYS

Si je vous pers, et si je meurs,

que puis-je encore avoir à craindre ?

SANGARIDE

C'est peu de perdre en moy ce qui vous a charmé,

vous me perdez, Atys, et vous estes aimé.

ATYS

Aimé ! qu'entens-je ? ô ciel ! quel aveu favorable !

SANGARIDE

Vous en serez plus miserable.

ATYS

Mon malheur en est plus affreux,

le bonheur que je pers doit redoubler ma rage;

mais n'importe, aimez-moy, s'il se peut, d'avantage,

quand j'en devrois mourir cent fois plus malheureux.

SANGARIDE

Si vous cherchez la mort, il faut que je vous suive;

vivez, c'est mon amour qui vous en fait la loy.

ATYS

Hé comment ! hé pourquoy

voulez-vous que je vive,

si vous ne vivez pas pour moy ?

ATYS, SANGARIDE

Si l'hymen unissoit mon destin et le vostre,

que ses nœuds auroient eû d'attraits !

L'amour fit nos cœurs l'un pour l'autre,

faut-il que le devoir les separe à jamais ?

ATYS

Devoir impitoyable !

Ah quelle cruauté !

SANGARIDE

On vient, feignez encor, craignez d'estre écouté.

ATYS

Aimons un bien plus durable

que l'éclat de la beauté:

rien n'est plus aimable

que la liberté.

Scene septiesme.

Atys, Sangaride, Doris, Idas.

Chœur de Phrygiens chantans. Chœur de Phrygiennes chantantes. Troupe de Phrygiens dançans. Troupe de Phrygiennes dançantes. Dix hommes Phrygiens chantans conduits par Atys. Dix femmes Phrygiennes chantantes conduites par Sangaride. Six Phrygiens dançans. Six nimphes Phrygiennes dançantes.

ATYS

Mais déja de ce mont sacré

le sommet paroist éclairé

d'une splendeur nouvelle.

Sangaride s'avançant vers la montagne. Le déesse descend, allons au devant d'elle.

ATYS, SANGARIDE

Commençons, commençons

de celebrer icy sa feste solemnelle,

commençons, commençons

nos jeux et nos chansons.

Les chœurs repetent ces derniers vers.

Il est temps que chacun fasse éclater son zele.

Venez, reine des dieux, venez,

venez, favorable Cybele.

Les chœurs repetent ces deux derniers vers.

ATYS

Quittez vostre cour immortelle,

choisissez ces lieux fortunez

pour vostre demeure éternelle.

LES CHŒURS

Venez, reine des dieux, venez.

SANGARIDE

La terre sous vos pas va devenir plus belle

que le sejour des dieux que vous abandonnez.

LES CHŒURS

Venez, favorable Cybele.

ATYS ET SANGARIDE

Venez voir les autels qui vous sont destinez.

ATYS, SANGARIDE, IDAS, DORIS, CHŒURS

Ecoutez un peuple fidelle

qui vous appelle,

venez reine des dieux, venez,

venez favorable Cybele.

Scene huitiesme

La déesse Cybele paroist sur son char, et les Phrygiens et les Phrygiennes luy témoignent leur joye et leur respect.

CYBELE

(sur son char)

Venez tous dans mon temple, et que chacun revere

le sacrificateur dont je vais faire choix:

je m'expliqueray par sa voix,

les vœux qu'il m'offrira seront seurs de me plaire.

Je reçoy vos respects; j'aime à voir les honneurs

dont vous me presentez un éclatant hommage,

mais l'hommage des cœurs

est ce que j'aime davantage.

CYBELE

Vous devez vous animer

d'une ardeur nouvelle,

s'il faut honorer Cybele,

il faut encor plus l'aimer.

Cybele portée par son char volant, se va rendre dans son temple. Tous les Phrygiens s'empressent d'y aller, et repetent les quatres derniers vers que la déesse a prononcez.

LES CHŒURS

Nous devons nous animer

d'une ardeur nouvelle,

s'il faut honorer Cybele,

il faut encor plus l'aimer.

Acte second
Scene premiere

Le Theatre change et represente le temple de Cybele.
Celænus roy de Phrygie, Atys, Suivans de Celænus.

CELÆNUS

N'avancez pas plus loin, ne suivez point mes pas;

sortez. Toy ne me quitte pas.

Atys, il faut attendre icy que la déesse

nomme un grand sacrificateur.

ATYS

Son choix sera pour vous, seigneur; quelle tristesse

semble avoir surpris vostre cœur ?

CELÆNUS

Les roys les plus puissants connoissent l'importance

d'un si glorieux choix:

qui pourra l'obtenir estendra sa puissance

par tout où de Cybele on revere les loix.

ATYS

Elle honore aujourd'huy ces lieux de sa presence,

c'est pour vous preferer aux plus puissans des roys.

CELÆNUS

Mais quand j'ay veu tantost la beauté qui m'enchante,

n'as-tu point remarqué comme elle estoit tremblante ?

ATYS

A nos jeux, à nos chants, j'estois trop appliqué,

hors la feste, seigneur, je n'ay rien remarqué.

CELÆNUS

Son trouble m'a surpris. Elle t'ouvre son ame;

n'y découvres-tu point quelque secrette flâme ?

Quelque rival caché ?

ATYS

Quelque Rival caché ? Seigneur, que dites-vous ?

CELÆNUS

Le seul nom de rival allume mon couroux.

J'ay bien peur que le ciel n'ait pû voir sans envie

le bonheur de ma vie,

et si j'estois aimé mon sort seroit trop doux.

Ne t'estonnes point tant de voir la jalousie

dont mon ame est saisie

on ne peut bien aimer sans estre un peu jaloux.

ATYS

Seigneur, soyez content, que rien ne vous allarme;

l'hymen va vous donner la beauté qui nous charme,

vous serez son heureux espoux.

CELÆNUS

Tu peux me rassurer, Atys, je te veux croire,

c'est son cœur que je veux avoir,

dy-moy s'il est en mon pouvoir ?

ATYS

Son cœur suit avec soin le devoir et la gloire,

et vous avez pour vous le gloire et le devoir.

CELÆNUS

Ne me déguise point ce que tu peux connaistre.

Si j'ay ce que j'aime en ce jour

l'hymen seul m'en rend-t'il le maistre ?

La gloire et le devoir auront tout fait, peut-estre,

et ne laissent pour moy rien à faire à l'amour.

ATYS

Vous aimez d'un amour trop delicat, trop tendre.

CELÆNUS

L'indifferent Atys ne le sçauroit comprendre.

ATYS

Qu'un indifferent est heureux !

Il joüit d'un destin paisible.

Le ciel fait un present bien cher, bien dangeureux,

lorsqu'il donne un cœur trop sensible.

CELÆNUS

Quand on aime bien tendrement

on ne cesse jamais de souffrir, et de craindre;

dans le bonheur le plus charmant,

on est ingénieux à se faire un tourment,

et l'on prend plaisir à se plaindre.

Va songe à mon hymen, et voy si tout est prest,

laisse-moy seul icy, la déesse paraist.

Scene seconde

Cybele, Celænus, Melisse, Troupe de Prestresses de Cybele.

CYBELE

Je veux joindre en ces lieux la gloire et l'abondance,

d'un sacrificateur je veux faire le choix,

et le roy de Phrygie auroit la preference

si je voulois choisir entre les plus grands roys.

Le puissant dieux des flots vous donna la naissance,

un peuple renommé s'est mis sous vostre loy;

vous avez sans mon choix, d'ailleurs, trop de puissance,

je veux faire un bonheur qui ne soit dû qu'à moy.

Vous estimez Atys, et c'est avec justice,

je pretens que mon choix à vos vœux soit propice,

c'est Atys que je veux choisir.

CELÆNUS

J'aime Atys, et je voy sa gloire avec plaisir.

Je suis roy, Neptune est mon pere,

j'espouse une beauté qui va combler mes vœux:

le souhait qui me reste à faire,

c'est de voir mon amy parfaitement heureux.

CYBELE

Il m'est doux que mon choix à vos désirs réponde;

une grande divinité

doit faire sa felicité

du bien de tout le monde,

mais sur tout le bonheur d'un roy chery des cieux

fait le plus doux plaisir des dieux.

CELÆNUS

Le sang aproche Atys de la nymphe que j'aime,

son merite l'égale aux roys:

il soûtiendra mieux que moy-mesme

la majesté supresme

de vos divines loix.

Rien ne pourra troubler son zele,

son cœur s'est conservé libre jusqu'à ce jour;

il faut tout un cœur pour Cybele,

a peine tout le mien peut suffire à l'amour.

CYBELE

Portez à votre amy la premiere nouvelle

de l'honneur éclatant où ma faveur l'appelle.

Scene troisiesme

Cybele, Melisse.

CYBELE

Tu t'estonnes, Melisse, et mon choix te surprend ?

MELISSE

Atys vous doit beaucoup, et son bonheur est grand.

CYBELE

J'ay fait encor pour luy plus que tu ne peux croire.

MELISSE

Est-il pour un mortel un rang plus glorieux ?

CYBELE

Tu ne vois que sa moindre gloire;

ce mortel dans mon cœur est au dessus des dieux.

Ce fut au jour fatal de ma derniere feste

que de l'aimable Atys je devins la conqueste:

je partis à regret pour retourner aux cieux,

tout m'y parut changé, rien n'y pleût à mes yeux.

Je sens un plaisir extrème

a revenir dans ces lieux;

où peut-on jamais estre mieux,

qu'aux lieux où l'on voit ce qu'on aime.

MELISSE

Tous les dieux ont aimé, Cybele aime à son tour.

Vous méprisiez trop l'amour,

son nom vous sembloit étrange,

a la fin il vient un jour

où l'amour se vange.

CYBELE

J'ay crû me faire un cœur maistre de tout son sort,

un cœur toûjours exempt de trouble et de tendresse.

MELISSE

Vous braviez à tort

l'amour qui vous blesse;

le cœur le plus fort

a des momens de foiblesse.

Mais vous pouviez aimer, et descendre moins bas.

CYBELE

Non, trop d'égalité rend l'amour sans appas.

Quel plus haut rang ay-je à pretendre ?

Et dequoy mon pouvoir ne vient-il point à bout ?

Lors qu'on est au dessus de tout,

on se fait pour aimer un plaisir de descendre.

Je laisse aux dieux les biens dans le ciel preparez,

pour Atys, pour son cœur, je quitte tout sans peine,

s'il m'oblige à descendre, un doux penchant m'entraîne;

les cœurs que le destin à le plus separez,

sont ceux qu'amour unit d'une plus forte chaîne.

Fay venir le Sommeil; que luy-mesme en ce jour,

prenne soin icy de conduire

les Songes qui luy font la cour;

Atys ne sçait point mon amour,

par un moyen nouveau je pretens l'en instruire.

(Melisse se retire)

CYBELE

Que les plus doux Zephirs, que les peuples divers,

qui des deux bouts de l'univers

sont venus me montrer leur zele.

Celebrent la gloire immortelle

du sacrificateur dont Cybele a fait choix,

Atys doit dispenser mes loix,

honorez le choix de Cybele.

Scene quatriesme

Les Zephirs paroissent dans une gloire élevée et brillante. Les Peuples differens qui sont venus à la feste de Cybele entrent dans le temple, et tous ensemble s'efforcent d'honorer Atys, qui vient revestu des habits de grand sacrificateur. Cinq Zephirs dançans dans la Gloire. Huit Zephirs joüants du haut-bois et des cromornes, dans la Gloire. Troupe de Peuples differens chantans qui accompagnent Atys. Six Indiens et six Egiptiens dançans.

CHŒURS DES PEUPLES ET DES ZEPHIRS

Celebrons la gloire immortelle

du sacrificateur dont Cybele a fait choix:

Atys doit dispenser ses loix,

honorons le choix de Cybele.

Que devant vous tout s'abaisse, et tout tremble;

vivez heureux, vos jours sont nostre espoir:

rien n'est si beau que de voir ensemble

un grand merite avec un grand pouvoir.

Que l'on benisse

le ciel propice,

qui dans vos mains

met le sort des humains.

ATYS

Indigne que je suis des honneurs qu'on m'adresse,

je dois les recevoir au nom de la déesse;

j'ose, puis qu'il luy plaist, luy presenter vos vœux:

pour le prix de vostre zele.

Que la puissante Cybele

vous rende à jamais heureux.

CHŒURS DES PEUPLES ET DES ZEPHIRS

Que la puissante Cybele

nous rende à jamais heureux.

Acte troisiesme
Scene premiere

Le theatre change et represente le palais du sacrificateur de Cybele.
Atys seul.

Que servent les faveurs que nous fait la fortune

quand l'amour nous rend malheureux ?

Je pers l'unique bien qui peut combler mes vœux,

et tout autre bien m'importune.

Que servent les faveurs que nous fait la fortune

quand l'amour nous rend malheureux ?

Scene seconde

Idas, Doris, Atys.

IDAS

Peut-on icy parler sans feindre ?

ATYS

Je commande en ces lieux, vous n'y devez rien craindre.

DORIS

Mon frere est votre amy.

IDAS

Mon frere est votre amy. Fiez-vous à ma soeur.

ATYS

Vous devez avec moy partager mon bon-heur.

IDAS, DORIS

Nous venons partager vos mortelles allarmes;

Sangaride les yeux en larmes

nous vient d'ouvrir son cœur.

ATYS

L'heure aproche où l'hymen voudra qu'elle se livre

au pouvoir d'un heureux espoux.

IDAS, DORIS

Elle ne peut vivre

pour un autre que pour vous.

ATYS

Qui peut la dégager du devoir qui la presse ?

IDAS, DORIS

Elle veut elle mesme aux pieds de la déesse

declarer hautement vos secretes amours.

ATYS

Cybele pour moy s'interesse,

j'ose tout esperer de son divin secours...

Mais quoy, trahir le roy ! tromper son esperance !

De tant de biens receus est-ce la recompense ?

IDAS, DORIS

Dans l'empire amoureux

le devoir n'a point de puissance;

l'amour dispence

les rivaux d'estre genereux;

il faut souvent pour devenir heureux

qu'il en couste un peu d'innocence.

ATYS

Je souhaite, je crains, je veux, je me repens.

IDAS, DORIS

Verrez-vous un rival heureux à vos dépens ?

ATYS

Je ne puis me resoudre à cette violence.

ATYS, IDAS, DORIS

En vain, un cœur, incertain de son choix,

met en balance mille fois

l'amour et la reconnoissance,

l'amour toûjours emporte la balance.

ATYS

Le plus juste party cede enfin au plus fort.

Allez, prenez soin de mon sort,

que Sangaride icy se rende en diligence.

Scene troisiesme

Atys seul.

Nous pouvons nous flater de l'espoir le plus doux

Cybele et l'amour sont pour nous.

Mais du devoir trahi j'entends la voix pressante

qui m'accuse et qui m'épouvante.

Laisse mon cœur en paix, impuissante vertu,

n'ay-je point assez combatu ?

Quand l'amour malgré toy me contraint à me rendre,

que me demandes-tu ?

Puisque tu ne peux me deffendre,

que me sert-il d'entendre

les vains reproches que tu fais ?

Impuissante vertu laisse mon cœur en paix.

Mais le Sommeil vient me surprendre,

je combats vainement sa charmante douceur.

Il faut laisser suspendre

les troubles de mon cœur.

Atys descend.

Scene quatriesme

Le theatre change et represente un antre entouré de pavots et de ruisseaux, où le dieux du Sommeil se vient rendre accompagné des Songes agreables et funestes.
Atys dormant. Le Sommeil, Morphée, Phobetor, Phantase, Les Songes heureux. Les Songes funestes. Deux Songes joüants de la violle. Deux Songes joüants du theorbe. Six Songes joüants de la flutte. Douze Songes funestes chantants. Huit Songes agreables dançans. Huit Songes funestes dançants

SOMMEIL

Dormons, dormons tous;

ah que le repos est doux !

MORPHÉE

Regnez, divin Sommeil, regnez sur tout le monde,

répandez vos pavots les plus assoupissans;

calmez les soins, charmez les sens,

retenez tous les cœurs dans une paix profonde.

PHOBETOR

Ne vous faites point violence,

coulez, murmurez, clairs ruisseaux,

il n'est permis qu'au bruit des eaux

de troubler la douceur d'un si charmant silence.

SOMMEIL, MORPHÉE, PHOBETOR, PHANTASE

Dormons, dormons tous,

ah que le repos est doux !

Les Songes agreables aprochent d'Atys, et par leurs chants, et par leurs dances, luy font connoistre l'amour de Cybele, et le bonheur qu'il en doit esperer.

MORPHÉE

Escoute, escoute Atys la gloire qui t'appelle,

sois sensible à l'hõneur d'estre aymé de Cybele,

joüis heureux Atys de ta felicité.

MORPHÉE, PHOBETOR, PHANTASE

Mais souvien-toy que la beauté

quand elle est immortelle,

demande la fidelité

d'une amour éternelle.

PHANTASE

Que l'amour a d'attraits

lors qu'il commence

a faire sentir sa puissance,

que l'amour a d'attraits

lors qu'il commence

pour ne finir jamais.

Trop heureux un amant

qu'amour exemte

des peines d'une longue attente !

Trop heureux un amant

qu'amour exemte

de crainte, et de tourment !

MORPHÉE

Gouste en paix chaque jour une douceur nouvelle,

partage l'heureux sort d'une divinité,

ne vante plus la liberté,

il n'est point du prix d'une chaîne si belle.

MORPHÉE, PHOBETOR, PHANTASE

Mais souvien-toy que la beauté

quand elle est immortelle,

demande la fidelité

d'une amour éternelle.

PHANTASE

Que l'amour a d'attraits

lors qu'il commence

a faire sentir sa puissance,

que l'amour a d'attraits

lors qu'il commence

pour ne finir jamais.

Les Songes funestes approchent d'Atys, et le menacent de la vengeance de Cybele s'il mesprise son amour, et s'il ne l'ayme pas avec fidelité.

UN SONGE FUNESTE

Garde-toy d'offencer un amour glorieux,

c'est pour toy que Cybele abandonne les cieux

ne trahis point son esperance.

Il n'est point pour les dieux de mespris innocent,

ils sont jaloux des cœurs, ils ayment la vengeance,

il est dangereux qu'on offence

un amour tout-puissant.

CHŒUR DE SONGES FUNESTES

L'amour qu'on outrage

se transforme en rage,

et ne pardonne pas

aux plus charmants appas.

Si tu n'aymes point Cybele

d'une amour fidelle,

malheureux, que tu souffriras !

Tu periras:

crains une vengeance cruelle,

tremble, crains un affreux trépas.

Atys espouvanté par les Songes funestes, se resveille en sursaut, le Sommeil et les Songes disparoissent avec l'antre où ils estoient, et Atys se retrouve dans le mesme palais où il s'estoit endormy.

Scene cinquiesme

Atys, Cybele, et Melisse

ATYS

Venez à mon secours ô dieux ! ô justes dieux !

CYBELE

Atys, ne craignez rien, Cybele, est en ces lieux.

ATYS

Pardonnez au desordre où mon cœur s'abandonne;

c'est un songe...

CYBELE

C'est un songe... Parlez, quel songe vous estonne ?

Expliquez moy vostre embaras.

ATYS

Les songes sont trompeurs, et je ne les croy pas.

Les plaisirs et les peines

dont en dormant on est séduit,

sont des chimeres vaines

que le resveil détruit.

CYBELE

Ne mesprisez pas tant les songes

l'amour peut emprunter leur voix,

s'ils font souvent des mensonges

ils disent vray quelquefois.

Ils parloient par mon ordre, et vous les devez croire.

ATYS

Ô ciel !

CYBELE

O Ciel ? N'en doutez point, connoissez vostre gloire.

Respondez avec liberté,

je vous demande un cœur qui despend de luy-mesme.

ATYS

Une grande divinité

doit s'assûrer toûjours de mon respect extresme.

CYBELE

Les dieux dans leur grandeur supresme

reçoivent tant d'honneurs qu'ils en sont rebutez,

ils se lassent souvent d'estre trop respectez,

ils sont plus contents qu'on les aymes.

ATYS

Je sçay trop ce que je vous doy

pour manquer de reconnoissance...

Scene sixiesme

Sangaride, Cybele, Atys, Melisse.

SANGARIDE

(se jettant aux pieds de Cybele)

J'ay recours à vostre puissance,

reyne des dieux, protegez-moy.

L'interest d'Atys vous en presse...

ATYS

(interrompant Sangaride)

Je parleray pour vous, que vostre crainte cesse.

SANGARIDE

Tous deux unis des plus beaux nœuds...

ATYS

(interrompant Sangaride)

Le sang et l'amitié nous unissent tous deux.

Que vostre secours la délivre

des loix d'un hymen rigoureux,

ce sont les plus doux de ses vœux

de pouvoir à jamais vous servir et vous suivre.

CYBELE

Les dieux sont les protecteurs

de la liberté des cœurs.

Allez, ne craignez point le roy ny sa colere,

j'auray soin d'appaiser

le fleuve Sangar vostre pere;

Atys veut vous favoriser,

Cybele en sa faveur ne peut rien refuser.

ATYS

Ah ! c'en est trop...

CYBELE

Ah ! c'en est trop... Non, non, il n'est pas necessaire

que vous cachiez vostre bonheur,

je ne prétens point faire

un vain mystere

d'un amour qui vous fait honneur.

Ce n'est point à Cybele à craindre d'en trop dire.

Il est vray, j'ayme Atys, pour luy j'ay tout quitté,

sans luy je ne veux plus de grandeur ny d'empire,

pour ma felicité

son cœur seul peut suffire.

Allez, Atys luy-mesme ira vous garentir

de la fatale violence

où vous ne pouvez consentir.

(Sangaride se retire)

CYBELE

(parle à Atys)

Laissez-nous, attendez mes ordres pour partir,

je prétens vous armer de ma toute-puissance.

Scene septiesme

Cybele, Melisse.

CYBELE

Qu'Atys dans ses respects mesle d'indifference !

L'ingrat Atys ne m'ayme pas;

l'amour veut de l'amour, tout autre prix l'offence,

et souvent le respect et la reconnoissance

sont l'excuse des cœurs ingrats.

MELISSE

Ce n'est pas un si grand crime

de ne s'exprimer pas bien,

un cœur qui n'ayma jamais rien

sçait peu comment l'amour s'exprime.

CYBELE

Sangaride est aymable, Atys peut tout charmer,

ils tesmoignent trop s'estimer,

et de simples parents sont moins d'intelligence:

ils se sont aymez dès l'enfance,

ils pourroient enfin trop s'aymer.

Je crains une amitié que tant d'ardeur anime.

Rien n'est si trompeur que l'estime:

c'est un nom supposé

qu'on donne quelquefois à l'amour desguisé.

Je prétens m'esclaircir leur feinte sera vaine.

MELISSE

Quels secrets par les dieux ne sont point penetrez ?

Deux cœurs à feindre preparez

ont beau cacher leur chaîne,

on abuse avec peine

les dieux par l'amour esclairez.

CYBELE

Va, Melisse, donne ordre à l'aymable Zephire

d'accomplir promptement tout ce qu'Atys desire.

Scene huitiesme

Cybele seule.

Espoir si cher, et si doux,

ah ! pourquoy me trompez-vous ?

Des suprêmes grandeurs vous m'avez fait descendre,

mille cœurs m'adoroient, je les neglige tous,

je n'en demande qu'un, il a peine à se rendre;

je ne sens que chagrins, et que soupçons jaloux;

est-ce le sort charmant que je devois attendre ?

Espoir si cher, et si doux,

ah ! pourquoy me trompez-vous ?

Helas ! par tant d'attraits falloit-il me surprendre ?

Heureuse, si toûjours j'avois pû m'en deffendre !

L'amour qui me flattoit me cachoit son couroux:

c'est donc pour me fraper des plus funestes coups,

que le cruel amour m'a fait un cœur si tendre ?

Espoir si cher, et si doux,

ah ! pourquoy me trompez-vous ?

Acte quatriesme
Scene premiere

Le theatre change et represente le palais du fleuve Sangar.
Sangaride, Doris, Idas.

DORIS

Quoy, vous pleurez ?

IDAS

Quoy, vous pleurez ? D'où vient vostre peine nouvelle ?

DORIS

N'osez-vous découvrir vostre amour à Cybele ?

SANGARIDE

Helas !

DORIS, IDAS

Helas ! Qui peut encor redoubler vos ennuis ?

SANGARIDE

Helas ! j'aime... helas ! j'aime...

DORIS, IDAS

Helas ! j'aime... helas ! j'aime... Achevez.

SANGARIDE

Helas ! j'aime... helas ! j'aime... Achevez. Je ne puis.

DORIS, IDAS

L'Amour n'est guere heureux lorsqu'il est trop timide.

SANGARIDE

Helas ! j'aime un perfide

qui trahit mon amour;

le déesse aime Atys, il change en moins d'un jour,

Atys comblé d'honneurs n'aime plus Sangaride.

Helas ! j'aime un perfide

qui trahit mon amour.

DORIS, IDAS

Il nous montroit tantost un peu d'incertitude;

mais qui l'eust soupçonné de tant d'ingratitude ?

SANGARIDE

J'embarassois Atys, je l'ay veu se troubler:

je croyois devoir reveler

nostre amour à Cybele;

mais l'ingrat, l'infidelle,

m'empéchoit toûjours de parler.

DORIS, IDAS

Peut-on changer si-tost quand l'amour est extrême ?

Gardez-vous, gardez-vous

de trop croire un transport jaloux.

SANGARIDE

Cybele hautement declare qu'elle l'aime,

et l'ingrat n'a trouvé cét honneur que trop doux;

il change en un moment, je veux changer de mesme,

j'accepteray sans peine un glorieux espoux,

je ne veux plus aimer que la grandeur supresme.

DORIS, IDAS

Peut-on changer si-tost quand l'amour est extrême ?

Gardez-vous, gardez-vous

de trop croire un transport jaloux.

SANGARIDE

Trop heureux un cœur qui peut croire

un dépit qui sert à sa gloire.

Revenez, ma raison, revenez pour jamais,

joignez-vous au dépit pour estouffer ma flâme,

reparez, s'il se peut, les maux qu'amour m'a faits,

venez restablir dans mon ame

les douceurs d'une heureuse paix;

revenez, ma raison, revenez pour jamais.

IDAS, DORIS

Une infidelité cruelle

n'efface point tous les appas

d'un infidelle,

et la raison ne revient pas

si-tost qu'on l'a rappelle.

SANGARIDE

Après une trahison

si la raison ne m'éclaire,

le dépit et la colere

me tiendront lieu de raison.

SANGARIDE, DORIS, IDAS

Qu'une premiere amour est belle !

Qu'on a peine à s'en dégager !

Que l'on doit plaindre un cœur fidelle

lorsqu'il est forcé de changer.

Scene seconde

Celænus, Suivans de Celænus, Sangaride, Idas, et Doris.

CELÆNUS

Belle nymphe, l'hymen va suivre mon envie,

l'amour avec moy vous convie

a venir vous placer sur un thrône éclatant,

j'aproche avec transport du favorable instant

d'où despend la douceur du reste de ma vie:

mais malgré les appas du bonheure qui m'attent,

malgré tous les transports de mon ame amoureuse,

si je ne puis vous rendre heureuse,

je ne seray jamais content.

Je fais mon bonheur de vous plaire,

j'attache à vostre cœur mes desirs les plus doux.

SANGARIDE

Seigneur, j'obeïray, je despens de mon pere,

et mon pere aujourd'huy veut que je sois à vous.

CELÆNUS

Regardez mon amour, plustost que ma couronne.

SANGARIDE

Ce n'est point la grandeur qui me peut esbloüir.

CELÆNUS

Ne sçauriez-vous m'aimer sans que l'on vous l'ordonne.

SANGARIDE

Seigneur, contentez-vous que je sçache obeïr,

en l'estat où je suis c'est ce que je puis dire...

Scene troisiesme

Atys, Celænus, Sangaride, Doris, Idas, Suivans de Celænus.

CELÆNUS

Vostre cœur se trouble, il soûpire.

SANGARIDE

Expliquez en vostre faveur

tout ce que vous voyez de trouble dans mon cœur.

CELÆNUS

Rien ne m'allarme plus, Atys, ma crainte est vaine,

mon amour touche enfin le cœur de la beauté

dont je suis enchanté:

toy qui fus le tesmoin de ma peine,

cher Atys, sois tesmoin de ma felicité.

Peux-tu la concevoir ? non, il faut que l'on aime,

pour juger des douceurs de mon bonheur extresme.

Mais, prés de voir combler mes vœux,

que les moments sont longs pour mon cœur amoureux !

Vos parents tardent trop, je veux aller moy-mesme

les presser de me rendre heureux.

Scene quatriesme

Atys, Sangaride.

ATYS

Qu'il sçait peu son malheur ! et qu'il est déplorable !

Son amour meritoit un sort plus favorable:

j'ay pitié de l'erreur dont son cœur s'est flatté.

SANGARIDE

Espargnez-vous le soin d'estre si pitoyable,

son amour obtiendra ce qu'il a merité.

ATYS

Dieux ! qu'est-ce que j'entends !

SANGARIDE

Dieux ! qu'est-ce que j'entends ! Qu'il faut que je me vange,

que j'aime enfin le roy, qu'il sera mon espoux.

ATYS

Sangaride, eh d'où vient ce changement estrange ?

SANGARIDE

N'est-ce pas vous, ingrat, qui voulez que je change ?

ATYS

Moy !

SANGARIDE

Moy ! Quelle trahison !

ATYS

Moy ! Quelle trahison ! Quel funeste couroux !

ATYS, SANGARIDE

Pourquoy m'abandonner pour une amour nouvelle ?

Ce n'est pas moy qui rompt une chaisne si belle.

ATYS

Beauté trop cruelle, c'est vous,

SANGARIDE

Amant infidelle, c'est vous,

ATYS

Ah ! c'est vous, beauté trop cruelle,

SANGARIDE

Ah ! c'est vous amant infidelle.

ATYS, SANGARIDE

Beauté trop cruelle, c'est vous,

amant infidelle, c'est vous,

qui rompez des liens si doux.

SANGARIDE

Vous m'avez immolée à l'amour de Cybele.

ATYS

Il est vray qu'à ses yeux, par un secret effroy,

j'ay voulu de nos cœurs cacher l'intelligence:

mais ce n'est que pour vous que j'ay crain sa vengeance,

et je ne la crains pas pour moy.

Cybele m'ayme en vain, et c'est vous que j'adore.

SANGARIDE

Aprés vostre infidelité,

auriez-vous bien la cruauté

de vouloir me tromper encore ?

ATYS

Moy ! vous trahir ? vous le pensez ?

ingrate, que vous m'offencez !

Hé bien, il ne faut plus rien taire,

je vais de la déesse attirer la colere,

m'offrir à sa fureur, puisque vous m'y forcez...

SANGARIDE

Ah ! demeurez, Atys, mes soupçons sont passez;

vous m'aimez, je le croy, j'en veux estre certaine.

Je le souhaite assez,

pour le croire sans peine.

ATYS

Je jure,

SANGARIDE

je jure, je promets,

ATYS ET SANGARIDE

de ne changer jamais.

SANGARIDE

Quel tourment de cacher une si belle flame.

ATYS

Redoublons-en l'ardeur dans le fonds de nostre ame.

ATYS ET SANGARIDE

Aimons en secret, aimons-nous:

aimons plusque jamais, en dépit des jaloux.

SANGARIDE

Mon père vient icy,

ATYS

Mon père vient icy, que rien ne vous estonne;

servons-nous du pouvoir que Cybele me donne,

je vais preparer les Zephirs

a suivre nos desirs.

Scene cinquiesme

Sangaride, Celænus, le dieux du fleuve Sangar, Troupe de dieux de fleuves, de ruisseaux, et de divinitez de fontaines. Suite du fleuve Sangar. Douze grands dieux de fleuves chantants. Cinq dieux de fleuves joüans de la flutte. Quatre divinitez de fontaines, et quatre dieux de fleuves chantants et dançants. Deux petits dieux de ruisseaux chantants et dançants. Quatre petits dieux de ruisseaux dançants. Six grands dieux de fleuves dançants. Deux vieux dieux de fleuves et deux vieilles nymphes de fontaines dançantes.

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR

Ô vous, qui prenez part au bien de ma famille,

vous, venerables dieux des fleuves les plus grands,

mes fidelles amis, et mes plus chers parents,

voyez quel est l'espoux que je donne à ma fille:

j'ay pris soin de choisir entre les plus grands roys.

CHŒUR DE DIEUX DE FLEUVES

Nous aprouvons vostre choix.

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR

Il a Neptune pour son pere,

les Phrygiens suivent ses loix;

j'ay crû ne pouvoir faire

un choix plus digne de vous plaire.

CHŒUR DE DIEUX DE FLEUVES

Tous, d'une commune voix,

nous aprouvons vostre choix.

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR

Que l'on chante, que l'on dance,

rions tous lors qu'il le faut;

ce n'est jamais trop tost

que le plaisir commence.

On trouve bien-tost la fin

des jours de réjoüissance,

on a beau chasser le chagrin,

il revient plustost qu'on ne pense.

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR, CHŒUR

Que l'on chante, que l'on dance,

rions tous lors qu'il le faut;

ce n'est jamais trop tost

que le plaisir commence.

Que l'on chante, que l'on dance,

rions tous lors qu'il le faut.

DIEUX DE FLEUVES, DIVINITEZ DE FONTAINES, DIVINITEZ DE RUISSEAUX

(chantants et dançants ensemble)

La beauté la plus severe

prend pitié d'un long tourment,

et l'amant qui persevere

devient un heureux amant.

Tout est doux, et rien ne coûte

pour un cœur qu'on veut toucher,

l'onde se fait une route

en s'efforçant d'en chercher,

l'eau qui tombe goute à goute

perce le plus dur rocher.

L'hymen seul ne sçauroit plaire,

il a beau flatter nos vœux;

l'amour seul a droit de faire

les plus doux de tous les nœuds.

Il est fier, il est rebelle,

mais il charme tel qu'il est;

l'hymen vient quand on l'appelle,

l'amour vient quand il luy plaist.

Il n'est point de resistance

dont le temps ne vienne à bout,

et l'effort de la constance

a la fin doit vaincre tout.

Tout est doux, et rien ne coûte

pour un cœur qu'on veut toucher,

l'onde se fait une route

en s'efforçant d'en chercher,

l'eau qui tombe goute à goute

perce le plus dur rocher.

L'Amour trouble tout le monde,

c'est la source de nos pleurs;

c'est un feu brûlant dans l'onde,

c'est l'écüeil des plus grands cœurs:

il est fier, il est rebelle,

mais il charme tel qu'il est;

l'hymen vient quand on l'appelle,

l'amour vient quand il luy plaist.

UN DIEU DE FLEUVE, UNE DIVINITÉ DE FONTAINE

(dançent et chantent ensemble)

D'une constance extresme,

un ruisseau suit son cours;

il en sera de mesme

du choix de mes amours,

et du moment que j'aime

c'est pour aimer toûjours.

Jamais un cœur volage

ne trouve un heureux sort,

il n'a point l'avantage

d'estre long-temps au port,

il cherche encor l'orage

au moment qu'il en sort.

CHŒUR DE DIEUX DE FLEUVES ET DE FONTAINES

Un grand calme est trop fascheux,

nous aimons mieux la tourmente.

Que sert un cœur qui s'exempte

de tous les soins amoureux ?

A quoy sert une eau dormante ?

Un grand calme est trop fascheux,

nous aimons mieux la tourmente.

Scene sixiesme

Atys, Troupe de Zephirs volants, Sangaride, Celænus, Le dieu du fleuve Sangar, Troupe de dieux de fleuves, de ruisseaux, et de divinitez de fontaines.

CHŒUR DE DIEUX DE FLEUVES ET DE FONTAINES

Venez former des nœuds charmants,

Atys, venez unir ces bien-heureux amants.

ATYS

Cét hymen desplaist à Cybele,

elle deffend de l'achever:

Sangaride est un bien qu'il faut luy reserver,

et que je demande pour elle.

CHŒUR

Ah quelle loy cruelle !

CELÆNUS

Atys peut s'engager luy-mesme à me trahir ?

Atys contre moy s'interesse ?

ATYS

Seigneur, je suis à la déesse,

dés qu'elle a commandé, je ne puis qu'obeïr.

LE DIEU DU FLEUVE SANGAR

Pourquoy faut-il qu'elle separe

deux illustres amants pour qui l'hymen prepare

ses liens les plus doux ?

CHŒUR

Opposons-nous

à ce dessein barbare.

ATYS

(élevé sur un nuage)

Aprenez, audacieux,

qu'il n'est rien qui n'obeïsse

aux souveraines loix de la reyne des dieux.

Qu'on nous enleve de ces lieux;

Zephirs, que sans tarder mon ordre s'accomplisse.

Les Zephirs volent, et enlevent Atys et Sangaride.

CHŒUR

Quelle injustice !

Acte cinquiesme
Scene premiere

Le theatre change et represente des jardins agreables.
Celænus, Cybele, Melisse

CELÆNUS

Vous m'ostez Sangaride ? inhumaine Cybele;

est-ce le prix du zele

que j'ay fait avec soin éclater à vos yeux ?

Preparez-vous ainsi la douceur eternelle

dont vous devez combler ces lieux ?

Est-ce ainsi que les roys sont protegez des dieux ?

Divinité cruelle,

descendez-vous exprés des cieux

pour troubler un amour fidelle ?

Et pour venir m'oster ce que j'aime le mieux ?

CYBELE

J'aimois Atys, l'amour a fait mon injustice;

il a pris soin de mon suplice;

et si vous estes outragé,

bien-tost vous serez trop vangé.

Atys adore Sangaride.

CELÆNUS

Atys l'adore ? ah le perfide !

CYBELE

L'ingrat vous trahissoit, et vouloit me trahir:

il s'est trompé luy mesme en croyant m'ébloüir.

Les Zephirs l'ont laissé, seul, avec ce qu'il aime,

dans ces aimables lieux;

je m'y suis cachée à leurs yeux;

j'y viens d'estre témoin de leur amour extresme.

CELÆNUS

Ô Ciel ! Atys plairoit aux yeux qui m'ont charmé ?

CYBELE

Eh pouvez-vous douter qu'Atys ne soit aimé ?

Non, non, jamais amour n'eût tant de violence,

ils ont juré cent fois de s'aimer malgré nous,

et de braver nostre vengeance;

ils nous ont appelez cruels, tyrans, jaloux;

enfin leurs cœurs d'intelligence,

tous deux... ah je frémis au moment que j'y pense !

Tous deux s'abandõnoient à des transports si doux,

que je n'ay pû garder plus long-temps le silence,

ny retenir l'éclat de mon juste couroux.

CELÆNUS

La mort est pour leur crime une peine legere.

CYBELE

Mon cœur à les punir est assez engagé;

je vous l'ay déja dit, croyez-en ma colere,

bient-tost vous serez trop vangé.

Scene seconde

Atys, Sangaride, Cybele, Celænus, Melisse, Troupe de prestresses de Cybele.

CYBELE, CELÆNUS

Venez vous livrer au suplice.

ATYS, SANGARIDE

Quoy la terre et le ciel contre nous sont armez ?

Souffrirez-vous qu'on nous punisse ?

CYBELE, CELÆNUS

Oubliez-vous vostre injustice ?

ATYS, SANGARIDE

Ne vous souvient-il plus de nous avoir aimez ?

CYBELE, CELÆNUS

Vous changez mon amour en haine legitime.

ATYS, SANGARIDE

Pouvez-vous condamner

l'amour qui nous anime ?

Si c'est un crime,

quel crime est plus à pardonner ?

CYBELE, CELÆNUS

Perfide, deviez-vous me taire

que c'estoit vainement que je voulois vous plaire ?

ATYS, SANGARIDE

Ne pouvant suivre vos desirs,

nous croyons ne pouvoir mieux faire

que de vous épargner de mortels déplaisirs.

CYBELE

D'un suplice cruel craignez l'horreur extresme.

CYBELE, CELÆNUS

Craignez un funeste trépas.

ATYS, SANGARIDE

Vangez-vous, s'il le faut, ne me pardonnez pas,

mais pardonnez à ce que j'aime.

CYBELE, CELÆNUS

C'est peu de nous trahir, vous nous bravez, ingrats ?

ATYS, SANGARIDE

Serez-vous sans pitié ?

CYBELE, CELÆNUS

Serez-vous sans pitié ? Perdez toute esperance.

ATYS, SANGARIDE

L'Amour nous a forcez à vous faire une offence,

il demande grace pour nous.

CYBELE, CELÆNUS

L'Amour en couroux

demande vengeance.

CYBELE

Toy, qui portes par tout et la rage et l'horreur,

cesse de tourmenter les criminelles ombres,

vien, cruelle Alecton, sors des royaumes sombres,

inspire au cœur d'Atys ta barbare fureur.

Scene troisieme

Alecton, Atys, Sangaride, Cybele, Celænus, Melisse, Idas, Doris, Troupe de prestresses de Cybele, Chœur de Phrygiens.

Alecton sort des enfers, tenant à la main un flambeau qu'elle secouë en volant et en passant au dessus d'Atys.

ATYS

Ciel ! quelle vapeur m'environne !

Tous mes sens sont troublez, je fremis, je frissonne,

je tremble, et tout à coup, une infernale ardeur

vient enflammer mon sang, et devorer mon cœur.

Dieux ! que vois-je ? le ciel s'arme contre la terre ?

Que desordre ! quel bruit ! quel éclat de tonnerre !

Quels abysmes profonds sous mes pas sont ouverts !

Que de fantosmes vains sont sortis des enfers !

(il parle à Cybele, qu'il prend pour Sangaride)

Sangaride, ah fuyez la mort que vous prepare

une divinité barbare:

c'est vostre seul peril qui cause ma terreur.

SANGARIDE

Atys reconnoissez vostre funeste erreur.

ATYS

(prenant Sangaride pour un monstre)

Quel monstre vient à nous ! quelle fureur le guide !

Ah respecte, cruel, l'aimable Sangaride.

SANGARIDE

Atys, mon cher Atys.

ATYS

Atys, mon cher Atys. Quels hurlements affreux !

CELÆNUS

(à Sangaride)

Fuyez, sauvez-vous de sa rage.

ATYS

(tenant à la main le cousteau sacré qui sert aux sacrifices)

Il faut combatre; amour, seconde mon courage.

Atys court aprés Sangaride qui fuït dans un des coste du theatre.

CELÆNUS, CHŒUR

Arreste, arreste malheureux.

Celænus court aprés Atys.

SANGARIDE

(dans un des costez du theatre)

Atys !

CHŒUR

Atys ! Ô Ciel !

SANGARIDE

Atys ! O Ciel Je meurs.

CHŒUR

Atys ! O Ciel Je meurs. Atys, Atys luy-mesme,

fait perir ce qu'il aime !

CELÆNUS

(revenant sur le theatre)

Je n'ay pû retenir ses efforts furieux,

Sangaride expire à vos yeux.

CYBELE

Atys me sacrifie une indigne rivale.

Partagez avec moy la douceur sans esgale,

que l'on gouste en vengeant un amour outragé.

Je vous l'avois promis.

CELÆNUS

Ô promesse fatale !

Sangaride n'est plus, et je suis trop vangé.

Celænus se retire au costez du theatre, où est Sangaride morte.

Scene quatriesme

Atys, Cybele, Melisse, Idas, Chœur de Phrygiens

ATYS

Que je viens d'immoler une grande victime !

Sangaride est sauvée, et c'est par ma valeur.

CYBELE

(touchant Atys)

Acheve ma vengeance, Atys, connoy ton crime,

et reprends ta raison pour sentir ton malheur.

ATYS

Un calme heureux succede aux troubles de mon cœur.

Sangaride, nymphe charmante,

qu'estes-vous devenuë ? où puis-je avoir recours ?

Divinité toute puissante,

Cybele, ayez pitié de nos tendres amours,

rendez-moy, Sangaride, espargnez ses beaux jours.

CYBELE

(montrant à Atys Sangaride morte)

Tu la peux voir, regarde.

ATYS

Tu la peux voir, regarde. Ah quelle barbarie !

Sangaride a perdu la vie !

Ah quelle main cruelle ! ah quel cœur inhumain !...

CYBELE

Les coups dont elle meurt sont de ta propre main.

ATYS

Moy, j'aurois immolé la beauté qui m'enchante ?

Ô ciel ! ma main sanglante

est de ce crime horrible un tesmoin trop certain !

CHŒUR

Atys, Atys luy-mesme,

fait perir ce qu'il aime.

ATYS

Quoy, Sangaride est morte ? Atys est son boureau !

Quelle vengeance ô dieux ! quel supplice nouveau !

Quelles horreurs sont comparables

aux horreurs que je sens ?

Dieux cruels, dieux impitoyables,

n'estes-vous tout-puissants

que pour faire des miserables ?

CYBELE

Atys, je vous ay trop aimé:

cét amour par vous-mesme en couroux transformé

fait voir encor sa violence:

jugez, ingrat, jugez en ce funeste jour,

de la grandeur de mon amour

par la grandeur de ma vengeance.

ATYS

Barbare ! quel amour qui prend soin d'inventer

les plus horribles maux que la rage peut faire !

Bien-heureux qui peut éviter

le malheur de vous plaire.

Ô dieux ! injustes dieux ! que n'estes-vous mortels ?

Faut-il que pour vous seuls vous gardiez la vengeance ?

C'est trop, c'est trop souffrir leur cruelle puissance,

chassons les d'icy bas, renversons leurs autels.

Quoy, Sangaride est morte ? Atys, Atys luy-mesme

fait perir ce qu'il aime ?

CHŒUR

Atys, Atys luy-mesme

fait perir ce qu'il aime.

CYBELE

(ordonnant d'emporter le corps de Sangaride morte)

Ostez ce triste objet.

ATYS

Ostez ce triste objet. Ah ne m'arrachez pas

ce qui reste de tant d'appas !

En fussiez-vous jalouse encore,

il faut que je l'adore

jusques dans l'horreur du trépas.

Scene cinquiesme

Cybele, Melisse.

CYBELE

Je commence à trouver sa peine trop cruelle,

une tendre pitié rapelle

l'amour que mon couroux croyoit avoir banny,

ma rivale n'est plus, Atys n'est plus coupable,

qu'il est aisé d'aimer un criminel aimable

aprés l'avoir puny.

Que son desespoir m'espouvante !

Ses jours sont en peril, et j'en fremis d'effroy:

je veux d'un soin si cher ne me fier qu'à moy,

allons... mais quel spectable à mes yeux se presente ?

C'est Atys mourant que je voy !

Scene sixiesme

Atys, Idas, Cybele, Melisse, Prestresses de Cybele.

IDAS

(soûtenant Atys)

Il s'est percé le sein, et mes soins pour sa vie

n'ont pû prevenir sa fureur.

CYBELE

Ah c'est ma barbarie,

c'est moy, qui luy perce le cœur.

ATYS

Je meurs, l'amour me guide

dans la nuit du trépas;

je vais où sera Sangaride,

inhumaine, je vais, où vous ne serez pas.

CYBELE

Atys, il est trop vray, ma rigueur est extresme,

plaignez-vous, je veux tout souffrir.

Pourquoy suis-je immortelle en vous voyant perir ?

ATYS, CYBELE

Il est doux de mourir

avec ce que l'on aime.

CYBELE

Que mon amour funeste armé contre moy-mesme,

ne peut-il vous venger de toutes mes rigueurs.

ATYS

Je suis assez vengé, vous m'aimez, et je meurs.

CYBELE

Malgré le destin implacable

qui rend de ton trépas l'arrest irrevocable,

Atys, sois à jamais l'objet de mes amours:

reprens un sort nouveau, deviens un arbre aimable

que Cybele aimera toûjours.

Atys prend la forme de l'arbre aimé de la déesse Cybele, que l'on appelle pin.

CYBELE

Venez furieux corybantes,

venez joindre à mes cris vos clameurs esclatantes;

venez nymphes des eaux, venez dieux des forests,

par vos plaintes les plus touchantes

secondez mes tristes regrets.

Scene septiesme, et derniere

Cybele, Troupe de nymphes des eaux, Troupe de divinitez des bois, Troupe de corybantes. Quatre nymphes chantantes. Huit dieux des bois chantants. Quatorze corybantes chantantes. Huit corybantes dançantes. Trois dieux des bois, dançants. Trois nymphes dançantes.

CYBELE

Atys, l'aimable Atys, malgré tous ses attraits,

descend dans la nuit éternelle;

mais malgré la mort cruelle,

l'amour de Cybele

ne mourra jamais.

Sous une nouvelle figure,

Atys est ranimé par mon pouvoir divin...

Celebrez son nouveau destin,

pleurez sa funeste aventure.

CHŒUR DES NYMPHES, DES EAUX ET DES DIVINITEZ DES BOIS

Celebrons son nouveau destin,

pleurons sa funeste aventure.

CYBELE

Que cét arbre sacré

soit reveré

de toute la nature.

Qu'il s'esleve au dessus des arbres les plus beaux:

qu'il soit voisin des cieux, qu'il regne sur les eaux;

qu'il ne puisse brûler que d'une flame pure.

Que cét arbre sacré

soit reveré

de toute la nature.

Le Chœur repete ces trois derniers vers.

Que ses rameaux soient toûjours verds:

que les plus rigoureux hyvers

ne leur fassent jamais d'injure.

Que cét arbre sacré

soit reveré

de toute la nature.

Le Chœur repete ces trois derniers vers.

CYBELE, CHŒUR DES DIVINITEZ DES BOIS ET DES EAUX

Quelle douleur !

CYBELE, CHŒUR DES CORYBANTES

Ah ! quelle rage !

CYBELE, CHŒURS

Ah ! quel malheur !

CYBELE

Atys au primtemps de son âge,

perit comme une fleur

qu'un soudain orage

renverse et ravage.

CYBELE, CHŒUR DES DIVINITEZ DES BOIS ET DES EAUX

Quelle douleur !

CYBELE, CHŒUR DES CORYBANTES

Ah ! quelle rage !

CYBELE, CHŒURS

Ah ! quel malheur !

Les divinitez des bois et des eaux, avec les corybantes, honorent le nouvel arbre, et le consacrent à Cybele. Les regrets des divinitez des bois et des eaux, et les cris des corybantes, sont secondez et terminez par des tremblemens de terre, par des esclairs, et par des esclats de tonnerre.

CYBELE, CHŒUR DES DIVINITEZ DES BOIS ET DES EAUX

Que le malheur d'Atys afflige tout le monde.

CYBELE, CHŒUR DES CORYBANTES

Que tout sente, icy bas,

l'horreur d'un si cruel trépas.

CYBELE, CHŒUR DES DIVINITEZ DES BOIS ET DES EAUX

Penetrons tous les cœurs d'une douleur profonde:

que les bois, que les eaux, perdent tous leurs appas.

CYBELE, CHŒUR DES CORYBANTES

Que le tonnerre nous responde:

que la terre fremisse, et tremble sous nos pas.

CYBELE, CHŒUR DES DIVINITEZ DES BOIS ET DES EAUX

Que le malheur d'Atys afflige tout le monde.

TOUS ENSEMBLE

Que tout sente, icy bas,

l'horreur d'un si cruel trépas.

Fin du livret.

Generazione pagina: 17/12/2017
Pagina: ridotto, rid
Versione H: 3.00.40 (D)

Locandina Prologue Scene unique Acte premier Scene premiere Scene seconde Scene troisiesme Scene quatriesme Scene cinquiesme Scene sixiesme Scene septiesme. Scene huitiesme Acte second Scene premiere Scene seconde Scene troisiesme Scene quatriesme Acte troisiesme Scene premiere Scene seconde Scene troisiesme Scene quatriesme Scene cinquiesme Scene sixiesme Scene septiesme Scene huitiesme Acte quatriesme Scene premiere Scene seconde Scene troisiesme Scene quatriesme Scene cinquiesme Scene sixiesme Acte cinquiesme Scene premiere Scene seconde Scene troisieme Scene quatriesme Scene cinquiesme Scene sixiesme Scene septiesme, et derniere