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Armide

ARMIDE

Tragedie en musique.

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Livret de Philippe QUINAULT.
Musique de Jean-Baptiste LULLY.

Première représentation : 15 fevrier 1686, Paris.


Personnages:

Du prologue

LA GLOIRE

soprano

LA SAGESSE

soprano

De la tragedie

ARMIDE magicienne, niéce d'Hidraot

soprano

PHÉNICE confidente d'Armide

soprano

SIDONIE autre confidente d'Armide

soprano

HIDRAOT magicien, roi de Damas

basse

ARONTE conducteur des chevaliers qu'Armide a fait mettre aux fers

basse

RENAUD le plus renommé des chevaliers du camp de Godefroy

ténor

ARTÉMIDORE l'un des chevaliers captifs d'Armide, et que Renaud a delivrez

ténor

LA HAINE

basse

UBALDE chevalier qui va chercher Renaud

basse

Le CHEVALIER DANOIS chevalier qui va, avec Ubalde, chercher Renaud

ténor

LUCINDE dame des pensées de le Chevalier Danois

soprano

MELISSE fille Italienne aimée d'Ubalde

soprano

UN AMANT FORTUNÉ

baryton

UNE BERGÈRE heroïques

soprano

UNE NAYADE

soprano


Du prologue: Troupe de Heros qui suivent la Gloire. Troupe de Nymphes qui suivent la Sagesse. De la tragedie: Les plaisirs, Troupe de peuples du royaume de Damas, Troupe de démons, Suite de La Haine, Les furies, La Cruauté, La Vangeance, La Rage.



Au roy

Sire,

de toutes les tragédies que j'ay mises en musique voicy celle dont le public a tesmoigné être le plus satisfait: c'est un spectacle où l'on court en foule, et jusqu'icy on n'en a point veu qui ait reçeu plus d'applaudissements; cependant, c'est de tous les ouvrages que j'ay faits celui que j'estime le moins heureux, puisqu'il n'a pas encore eû l'avantage de paroistre devant vostre majesté. Vos ordres, sire, m'ont engagé d'y travailler avec soin et avec empressement: un mal dangereux dont j'ai esté surpris n'a pas esté capable d'interrompre mon travail, et le désir ardent que j'avois de l'achever dans le temps que vostre majesté le souhaittoit, m'a fait oublier le péril où j'estois exposé, et m'a touché plus vivement que les plus violentes douleurs que j'ay souffertes. Mais que me sert-il, sire, d'avoir fait tant d'efforts pour me haster de vous offrir ces nouveaux concerts ? Vostre majesté ne s'est pas trouvée en estat de les entendre, et elle n'en a voulu prendre d'autre plaisir que celui de les faire servir au divertissement de ses peuples. J'avoüeray que les louanges de tout Paris ne me suffisent pas; ce n'est qu'à vous, sire, que je veux consacrer toutes les productions de mon génie; je ne puis aspirer à un moindre prix qu'à la gloire de vous plaire, et sans l'approbation de votre majesté, je compte pour rien celle de tout le reste du monde. Permettez, sire, que dans l'impatience où je suis de vous offrir cet opéra, je vous le présente sur le papier en attendant qu'il me soit permis de vous le faire voir sur le théatre, et souffrez que je me serve de cette occasion pour renouveler la protestation d'estre toute ma vie avec un zele très ardent et un très profond respect,

sire, de vostre majesté le très-humble, très-obeïssant et très-fidelle serviteur et sujet,

Lully

Prologue
Scène unique

Le theatre represente un palais.
La Gloire, La Sagesse et leur suite.

LA GLOIRE

Tout doit ceder dans l'univers

à l'auguste heros que j'aime.

L'effort des ennemis, les glaces des hyvers,

les rochers, les fleuves, les mers,

rien n'arrête l'ardeur de sa valeur extrême.

LA SAGESSE

Tout doit ceder dans l'univers

à l'auguste heros que j'aime.

Il sçait l'art de tenir tous les monstres aux fers,

il est maître absolu de cent peuples divers,

et plus maître encor de lui-même.

LA GLOIRE, LA SAGESSE

Tout doit ceder dans l'univers

à l'auguste heros que j'aime.

LA SAGESSE, SUITE

Chantons la douceur de ses loix.

LA GLOIRE, SUITE

Chantons ses glorieux exploits.

LA GLOIRE, LA SAGESSE

D'une égale tendresse,

nous aimons le même vainqueur.

LA SAGESSE

Fiere Gloire, c'est vous...

LA GLOIRE

C'est vous, douce Sagesse...

LA GLOIRE, LA SAGESSE

C'est vous, qui partagez avec moi son grand cœur.

LA GLOIRE

Je l'emportois sur vous tant qu'a duré la guerre,

mais dans la paix vous l'emportez sur moi,

vous reglez en secret avec ce sage roi

le destin de toute la terre.

LA SAGESSE

La victoire a suivi ce heros en tous lieux;

mais pour montrer son amour pour la gloire

il se sert encor mieux

de la paix que de la victoire.

Au milieu du repos qu'il assûre aux humains,

il fait tomber sous ses puissantes mains

un monstre qu'on a crû si longtems invincible.

On voit dans ses travaux combien il est sensible

pour vôtre immortelle beauté;

il prévient vos desirs, il passe vôtre attente,

l'ardeur dont il vous aime incessamment s'augmente,

et n'a jamais tant éclaté.

Qu'un vain desir de préference

n'altere point l'intelligence

que ce heros entre-nous veut former:

disputons seulement à qui sçait mieux l'aimer.

La Gloire repete ce dernier vers avec la Sagesse.

LA GLOIRE, LA SAGESSE

Dés qu'on le voit paroître,

de quel cœur n'est-il point le maître ?

Qu'il est doux de suivre ses pas !

Peut-t'on le connoître

et ne l'aimer pas ?

Les Chœurs repetent ces cinq vers: la Suite de la Gloire et celle de la Sagesse témoignent par des danses la joye qu'elles ont de voir ces deux divinitez dans une intelligence parfaite.

SUITE DE LA GLOIRE, SUITE DE LA SAGESSE

Dés qu'on le voit paroître,

de quel cœur n'est-il point le maître ?

Qu'il est doux de suivre ses pas !

Peut-t'on le connoître

et ne l'aimer pas ?

LA SAGESSE

Aimons nôtre heros, que rien ne nous separe:

il nous invite aux jeux qu'on nous prepare;

nous y verrons Renaud, malgré la volupté

suivre un conseil fidelle et sage;

nous le verrons sortir du palais enchanté,

où par l'amour d'Armide il étoit arrêté,

et voler où la gloire appelle son courage.

Le grand roi qui partage entre nous les desirs

aime à nous voir même dans ses plaisirs.

LA GLOIRE

Que l'éclat de son nom s'étende au bout du monde.

Reünissons nos voix;

que chacun nous réponde.

LA GLOIRE, LA SAGESSE, CHŒURS

Chantons la douceur de ses loix.

Chantons ses glorieux exploits.

La Suite de la Gloire et celle de la Sagesse continuent leur réjoüissance.

CHŒURS

Que dans le temple de memoire

son nom soir pour jamais gravé,

c'est à lui qu'il est reservé

d'unir la sagesse et la gloire.

Acte premier
Scène première

Le Théatre represente une grande Place ornée d'un arc de triomphe.
Armide, Phénice, Sidonie.

PHÉNICE

Dans un jour de triomphe, au milieu des plaisirs,

qui peut vous inspirer une sombre tristesse ?

La gloire, la grandeur, la beauté la jeunesse,

tous les biens comblent vos desirs.

SIDONIE

Vous allumez une fatale flâme

que vous ne ressentez jamais;

l'amour n'ose troubler la paix

qui regne dans vôtre ame.

PHÉNICE, SIDONIE

Quel sort a plus d'appas ?

Et qui peut être heureux si vous ne l'êtes pas ?

PHÉNICE

Si la guerre aujourd'huy fait craindre ses ravages,

c'est aux bords du Jourdain qu'ils doivent s'arrêter:

nos tranquilles rivages,

n'ont rien à redouter.

SIDONIE

Les enfers, s'il le faut, prendront pour nous les armes,

et vous sçavez leur imposer la loi.

PHÉNICE

Vos yeux n'ont eû besoin que de leurs propres charmes

pour affoiblir le camp de Godrefroi.

SIDONIE

Ses plus vaillans guerriers contre vous sans deffense

sont tombez en vôtre puissance.

ARMIDE

Je ne triomphe pas du plus vaillant de tous.

Renaud, pour qui ma haine a tant de violence,

l'indomptable Renaud échappe à mon courroux.

Tout le camp ennemi pour moi devint sensible,

et lui seul, toûjours invincible,

fit gloire de me voir d'un œil indifférent.

Il est dans l'âge aimable oû sans efforts on aime...

non, je ne puis manquer, sans un dépit extrême,

la conquête d'un cœur si superbe et si grand.

SIDONIE

Qu'importe qu'un captif manque à vôtre victoire,

on en voit dans vos fers assez d'autres témoins;

et pour un esclave de moins

un triomphe si beau perdra peu de sa gloire.

PHÉNICE

Pourquoi voulez-vous songer

à ce qui peut vous déplaire ?

Il est plus sûr de se venger

par l'oubli que par la colere.

ARMIDE

Les enfers ont prédit cent fois

que contre ce guerrier nos armes seront vaines.

Et qu'il vaincra nos plus grands rois:

ah ! qu'il me seroit doux de l'accabler de chaines,

et d'arrêter le cours de ses exploits !

Que je le hais ! que son mépris m'outrage !

qu'il sera fier d'éviter l'esclavage

où je tiens tant d'autres heros !

Incessamment son importune image

malgré moi trouble mon repos.

Un songe affreux m'inspire une fureur nouvelle

contre ce funeste ennemi;

j'ai crû le voir, j'en ai fremi,

j'ai crû qu'il me frapoit d'une atteinte mortelle.

Je suis tombée aux pieds de ce cruel vainqueur

rien ne fléchissoit sa rigueur;

et par un charme inconcevable,

je me sentois contrainte à le trouver aimable,

dans le fatal moment qu'il me perçoit le cœur.

SIDONIE

Vous troublez-vous d'une image legere

que le sommeil produit ?

Le beau jour qui vous luit

doit dissiper cette vaine chimere,

ainsi qu'il a détruit

les ombres de la nuit.

Scène seconde

Hidraot et sa Suite, Armide, Phénice, Sidonie.

HIDRAOT

Armide, que le sang qui m'unit avec vous

me rend sensible aux soins que l'on prend pour vous plaire !

Que vôtre triomphe m'est doux !

Que j'aime à voir briller le beau jour qui l'éclaire !

Je n'aurois plus de vœux à faire

si vous choisissiez un époux.

Je vois de prés la mort qui me menace,

et bientôt l'âge qui me glace

va m'accabler sous son pesant fardeau:

c'est le dernier bien où j'aspire

que de voir vôtre himen promettre à cet empire

des rois formez d'un sang si beau;

sans me plaindre du sort je cesserai de vivre,

si ce doux espoir peut me suivre

dans l'affreuse nuit du tombeau.

ARMIDE

La chaine de l'himen m'étonne,

je crains ses plus aimables nœuds.

Ah ! qu'un cœur devient malheureux

quand la liberté l'abandonne !

HIDRAOT

Pour vous, quand il vous plaît, tout l'enfer est armé:

vous êtes plus sçavante en mon art que moi-même:

de grands rois à vos pieds mettent leur diadême,

qui vous voit un moment, est pour jamais charmé.

Pouvez-vous mieux goûter vôtre bonheur extrême

qu'avec un époux qui vous aime,

et qui soit digne d'être aimé ?

ARMIDE

Contre mes ennemis à mon gré je déchaîne

le noir empire des enfers,

l'amour met des rois dans mes fers,

je suis de mille amans maîtresse souveraine;

mais je fais mon plus grand bonheur

d'être maîtresse de mon cœur.

HIDRAOT

Bornez-vous vos desirs à la gloire cruelle

des maux que fait vôtre beauté ?

Ne ferez-vous jamais vôtre felicité

du bonheur d'un amant fidelle ?

ARMIDE

Si je dois m'engager un jour,

au moins vous devez croire

qu'il faudra que ce soit la gloire

qui livre mon cœur à l'amour.

Pour devenir mon maître

ce n'est point assez d'être roi.

Ce sera la valeur qui me fera connoître

celui qui merite ma foi.

Le vainqueur de Renaud, si quelqu'un le peut être,

sera digne de moi.

Scène troisième

Hidraot, Armide, Phénice, Sidonie, Troupe de peuples du royaume de Damas.

Les peuples du royaume de Damas témoignent par des danses et par des chants la joïe qu'ils ont de l'avantage remporté par la beauté de cette princesse sur les chevaliers du camp de Godefroi.

HIDRAOT

Armide est encor plus aimable

qu'elle n'est redoutable.

Que son triomphe est glorieux !

Ses charmes les plus forts sont ceux de ses beaux yeux.

Elle n'a pas besoin d'emprunter l'art terrible

qui sçait quand il lui plaît faire armer les enfers,

sa beauté trouve tout possible,

nos plus fiers ennemis gemissent dans ses fers.

HIDRAOT, CHŒUR

Armide est encor plus aimable

qu'elle n'est redoutable.

Que son triomphe est glorieux !

Ses charmes les plus forts sont ceux de ses beaux yeux.

PHÉNICE, CHŒUR

Suivons Armide, et chantons sa victoire,

tout l'univers retentit de sa gloire.

PHÉNICE

Nos ennemis affoiblis et troublez

n'étendront plus le progrés de leurs armes;

ah ! quel bonheur ! nos desirs sont combléz

sans nous coûter ni de sang ni de larmes.

CHŒUR

Suivons Armide, et chantons sa victoire,

tout l'univers retentit de sa gloire.

PHÉNICE

L'ardent amour qui la suit en tous lieux

s'attache aux cœurs qu'elle veut qu'il enflâme;

il est content de régner dans ses yeux,

et n'ose encor passer jusqu'à son ame.

CHŒUR

Suivons Armide, et chantons sa victoire,

tout l'univers retentit de sa gloire.

SIDONIE, CHŒUR

Que la douceur d'un triomphe est extrême,

quand on n'en doit tout l'honneur qu'à soi-même !

SIDONIE

Nous n'avons point fait armer nos soldats,

sans leurs secours Armide est triomphante;

tout son pouvoir est dans ses doux appas,

rien n'est si fort que sa beauté charmante.

CHŒUR

Que la douceur d'un triomphe est extrême,

quand on n'en doit tout l'honneur qu'à soi-même.

PHÉNICE

La belle Armide a sçû vaincre aisément

des fiers guerriers plus craints que le tonnerre;

et ses regards ont en moins d'un moment

donné des loix aux vainqueurs de la terre.

CHŒUR

Que la douceur d'un triomphe est extrême,

quand on n'en doit tout l'honneur qu'à soi-même.

Le triomphe d'Armide est interrompu par l'arrivée d'Aronte, qui avoit été chargé de la conduite des chevaliers captifs, et qui revient blessé, et tenant à la main un tronçon d'epée.

Scène quatrième

Aronte, Hidraot, Armide, Phénice, Sidonie, Troupes de peuples de Damas.

ARONTE

Ô ciel ! ô disgrace cruelle !

Je conduisois vos captifs avec soin.

J'ai tout tenté pour vous marquer mon zele;

mon sang qui coule en est témoin.

ARMIDE

Mais où sont mes captifs ?

ARONTE

Un guerrier indomptable

les a délivrez tous.

ARMIDE ET HIDRAOT

Un seul guerrier ! que dites-vous ?

Ciel !

ARONTE

De nos ennemis, c'est le plus redoutable.

Nos plus vaillants soldats sont tombez sous ses coups:

rien ne peut résister à sa valeur extrême.

ARMIDE

O Ciel ! c'est Renaud.

ARONTE

C'est lui-même.

ARMIDE, HIDRAOT

Poursuivons jusqu'au trépas

l'ennemi qui nous offense.

Qu'il n'échape pas

à notre vengeance.

CHŒUR

Poursuivons jusqu'au trépas

l'ennemi qui nous offense.

Qu'il n'échape pas

à notre vengeance.

Acte deuxième
Scène première

Le Théatre change, et represente une campagne, où une riviere forme une isle agreable.
Artémidore, Renaud.

ARTÉMIDORE

Invincible heros, c'est par vôtre courage

que j'échappe aux rigueurs d'un funeste esclavage:

aprés ce genereux secours,

puis-je me dispenser de vous suivre toûjours ?

RENAUD

Allez, allez, remplir ma place

aux lieux d'où mon malheur me chasse,

le fier Gernand m'a contraint à punir

sa téméraire audace:

d'une indigne prison Godefroy me menace,

et de son camp m'oblige à me bannir;

je m'en éloigne avec contrainte,

heureux ! si j'avois pû consacrer mes exploits

à délivrer la cité sainte

qui gemit sous de dures loix.

Suivez les guerriers qu'un beau zèle

presse de signaler leur valeur et leur foi:

cherchez une gloire immortelle,

je veux dans mon exil n'envelopper que moi.

ARTÉMIDORE

Sans vous, que peut-on entreprendre ?

Celui qui vous bannit ne pourra se défendre

de souhaiter votre retour.

S'il faut que je vous quitte, au moins ne puis-je apprendre

en quels lieux vous allez choisir vôtre sejour ?

RENAUD

Le repos me fait violence,

la seule gloire a pour moi des appas:

je prétends adresser mes pas

où la justice et l'innocence

auront besoin du secours de mon bras.

ARTÉMIDORE

Fuyez les lieux où règne Armide,

si vous cherchez à vivre heureux;

pour le cœur le plus intrepide

elle a des charmes dangereux.

C'est une ennemie implacable,

evitez ses ressemtimens:

puisse le ciel à mes vœux favorable

vous garantir de ses enchantemens !

RENAUD

Par une heureuse indifference

mon cœur s'est dérobé sans peine à sa puissance,

je la vis seulement d'un regard curieux.

Est-il plus mal-aisé d'éviter sa vengeance

que d'échaper au pouvoir de ses yeux ?

J'aime la liberté, rien ne m'a pû contraindre

à m'engager jusqu'à ce jour,

quand on peut mépriser les charmes de l'amour

quels enchantemens peut-on craindre ?

Scène seconde

Hidraot, Armide.

HIDRAOT

Arrêtons-nous icy, c'est dans ce lieu fatal

que la fureur qui nous anime

ordonne à l'empire infernal

de conduire nôtre victime.

ARMIDE

Que l'enfer aujourd'huy tarde à suivre nos loix !

HIDRAOT

Pour achever le charme il faut unir nos voix.

HIDRAOT, ARMIDE

Esprits de haine et de rage,

démons, obeïssez-nous.

Livrez à notre courroux

l'ennemi qui nous outrage.

Esprits de haine et de rage,

démons, obeïssez-nous.

ARMIDE

Démons affreux, cachez-vous

sous une agreable image.

Enchantez ce fier courage

par les charmes les plus doux.

HIDRAOT, ARMIDE

Esprits de haine et de rage,

démons, obeïssez-nous.

(Armide aperçoit Renaud qui s'approche des bords de la riviere.)

ARMIDE

Dans le piége fatal notre ennemi s'engage.

HIDRAOT

Nos soldats sont cachéz dans le prochain boccage,

il faut que sur Renaud ils viennent fondre tous.

ARMIDE

Cette victime est mon partage:

laissez-moi l'immoler, laissez-moi l'avantage

de voir ce cœur superbe expirer sous mes coups.

(Hidraot et Armide se retirent. Renaud s'arrête pour considérer les bords du fleuve, et quitte une partie de ses armes pour prendre le frais.)

Scène troisième

Renaud seul.

Plus j'observe ces lieux et plus je les admire,

ce fleuve coule lentement

et s'éloigne à regret d'un sejour si charmant.

Les plus aimables fleurs, et le plus doux zephire

parfument l'air qu'on y respire.

Non, je ne puis quitter des rivages si beaux.

Un son harmonieux se mêle aux buit des eaux;

les oiseaux enchantez se taisent pour l'entendre.

Des charmes du sommeil j'ai peine à me défendre;

ce gazon, cet ombrage frais,

tout m'invite au repos sous ce feüillage épais.

(Renaud s'endort sur un gazon, au bord de la riviere.)

Scène quatrième

Renaud endormy, Une nayade qui sort du fleuve, Troupe de Nymphes, de Bergers et de Bergères.

UNE NAYADE

Au tems heureux où l'on sçait plaire

qu'il est doux d'aimer tendrement !

Pourquoi dans les périls, avec empressement

chercher d'un vain honneur l'éclat imaginaire ?

Pour une trompeuse chimere

faut-il quitter un bien charmant ?

Au tems heureux où l'on sçait plaire

qu'il est doux d'aimer tendrement !

CHŒUR

Ah ! quelle erreur ! quelle folie !

de ne pas joüir de la vie !

C'est aux jeux, c'est aux amours,

qu'il faut donner les beaux jours.

Les démons sous la figure des Nimphes, des Bergers et des Bergères, enchantent Renaud, et l'enchaînent durant son sommeil, avec des guirlandes de fleurs.

UNE BERGÈRE

On s'étonneroit moins que la saison nouvelle

revînt sans amener les fleurs et les zephirs,

que de voir de nos ans la saison la plus belle

sans l'amour et sans les plaisirs.

Laissons au tendre amour la jeunesse en partage;

la sagesse a son tems, il ne vient que trop tôt:

ce n'est pas être sage,

d'être plus sage qu'il ne faut.

CHŒUR

Ah ! quelle erreur ! quelle folie !

De ne pas joüir de la vie !

C'est aux jeux, c'est aux amours,

qu'il faut donner les beaux jours.

Scène cinquième

Renaud endormy, Armide.

ARMIDE

(tenant un dard à la main)

Enfin, il est en ma puissance,

ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur.

Le charme du sommeil le livre à ma vengeance;

je vais percer son invincible cœur.

Par lui, tous mes captifs sont sortis d'esclavage;

qu'il éprouve toute ma rage...

(Armide va pour frapper Renaud, et ne peut executer le dessein qu'elle a de lui ôter la vie.)

Quel trouble me saisit ! qui me fait hésiter !

Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié veut me dire ?

Frappons... Ciel ! qui peut m'arrêter !

Achevons... je fremis ! Vengeons-nous !... je soûpire !

Est-ce ainsi que je dois me venger ajourd'huy !

Ma colere s'éteint quand j'approche de lui.

Plus je le vois, plus ma fureur est vaine,

mon bras tremblant se refuse à ma haine.

Ah ! quelle cruauté de lui ravir le jour !

A ce jeune heros tout cede sur la terre.

Qui croiroit qu'il fût né seulement pour la guerre ?

Il semble être fait pour l'amour.

Ne puis-je me venger à moins qu'il ne perisse ?

Hé ! ne suffit-il pas que l'amour le punisse ?

Puisqu'il n'a pû trouver mes yeux assez charmans,

qu'il m'aime au moins par mes enchantemens,

que, s'il se peut, je le haisse.

Venez, secondez mes desirs,

démons, transformez-vous en d'aimables zephirs.

Je cede à ce vainqueur, la pitié me surmonte;

cachez ma foiblesse et ma honte

dans les plus reculez deserts.

Volez, conduisez-nous au bout de l'univers.

Les démons transformez en zephirs, enlevent Renaud et Armide.

Acte troisième
Scène première

Le théatre change, et represente un desert.
Armide seule.

Ah ! si la liberté me doit être ravie,

est-ce à toi d'être mon vainqueur ?

Trop funeste ennemi du bonheur de ma vie,

faut-il que malgré moi tu regnes dans mon cœur ?

Le desir de ta mort fût ma plus chère envie,

comment as-tu changé ma colere en langueur ?

En vain de mille amans je me voyois suivie,

aucun n'a fléchi ma rigueur.

Se peut-il que Renaud tienne Armide asservie !

Ah ! si la liberté me doit être ravie,

est-ce à toi d'être mon vainqueur ?

Trop funeste ennemi du bonheur de ma vie,

faut-il que malgré moi tu regnes dans mon cœur ?

Scène seconde

Armide, Phénice, Sidonie.

PHÉNICE

Que ne peut point vôtre art ? la force en est extrême;

quel prodige ! quel changement !

Renaud qui fût si fier, vous aime,

on a jamais aimé si tendrement.

SIDONIE

Montrez-vous à ses yeux, soyez témoin vous-même,

du merveilleux effet de vôtre enchantement.

ARMIDE

L'enfer n'a pas encor rempli mon esperance,

il faut qu'un nouveau charme assûre ma vengeance.

SIDONIE

Sur des bords séparéz du sejour des humains,

qui peut arracher de vos mains

un ennemi qui vous adore ?

Vous enchantez Renaud, que craingez-vous encore ?

ARMIDE

Helas ! c'est mon cœur que je crains !

Vôtre amitié dans mon sort s'interesse,

je vous ai fait conduire avec moi dans ces lieux,

au reste des mortels je cache ma foiblesse,

je n'en veux rougir qu'à vos yeux.

De mes plus doux regards Renaud sçût se défendre,

je ne pûs engager ce cœurs fier à se rendre,

il m'échapa malgré mes soins.

Sous le nom du dépit l'amour vint me surprendre

lors que je m'en gardois le moins.

Plus Renaud m'aimera, moins je serai tranquille;

j'ai résolu de le hair:

je n'ai tenté jamais rien de si difficile:

je crains que pour forcer mon cœur à m'obeïr,

tout mon art ne soit inutile.

PHÉNICE

Que vôtre art seroit beau ! qu'il seroit admiré !

S'il sçavoit garantir des troubles de la vie !

Heureux qui peut être assûré

de disposer de son cœur à son gré !

C'est un secret digne d'envie,

mais de tous les secrets c'est le plus ignoré.

SIDONIE

La haine est affreuse et barbare;

l'amour contraint les cœurs dont il s'empare

à souffrir des maux rigoureux:

si vôtre sort est en vôtre puissance,

faites choix de l'indifference

elle assûre un repos plus heureux.

ARMIDE

Non, non, il ne m'est plus possible

de passer de mon trouble en un état paisible,

mon cœur ne se peut plus calmer.

Renaud m'offense trop, il n'est que trop aimable,

c'est pour moi desormais un choix indispensable

de le hair, ou de l'aimer.

PHÉNICE

Vous n'avez pû hair ce heros invincible,

lors qu'il étoit le plus terrible

de tous vos ennemis.

Il vous aime, l'amour l'enchaîne;

garderiez-vous mieux vôtre haine

contre un amant si tendre et si soûmis ?

ARMIDE

Il m'aime ? quel amour ! ma honte s'en augmente.

Dois-je être aimée ainsi ? puis-je en être contente ?

C'est un vain triomphe, un faux bien.

Helas ! que son amour est different du mien !

J'ai recours aux enfers pour allumer sa flâme,

c'est l'effort de mon art qui peut tout sur son ame,

ma foible beauté n'y peut rien.

Par son propre merite il suspend ma vengeance;

sans secours, sans effort, même sans qu'il y pense

il enchaîne mon cœur d'un trop charmant lien.

Helas ! que mon amour est different du sien !

Quelle vengeance ai-je à prétendre

si je le veux aimer toûjours ?

Quoi ceder sans rien entreprendre ?

Non, il faut appeller la Haine à mon secours.

L'horreur de ces lieux solitaires

par mon art va se redoubler.

Détournez vos regards de mes affreux misteres,

et sur tout, empêchez Renaud de me troubler.

Scène troisième

Armide seule.

Venez, venez, Haine implacable,

sortez du gouffre épouvantable

où vous faites régner une éternelle horreur.

Suavez-moi de l'amour, rien n'est si redoutable.

Contre un ennemi trop aimable

rendez-moi mon courroux, rallumez ma fureur.

Venez, venez, Haine implacable,

sortez du gouffre épouvantable

où vous faites régner une éternelle horreur.

La Haine sort des enfers accompagnée des Furies, de la Cruauté, de la Vengeance, de la Rage et des Passions qui dependent de la Haine.

Scène quatrième

Armide, la Haine, Suite.

LA HAINE

Je réponds à tes vœux, ta vois s'est fait entendre

jusques dans le fond des enfers.

Pour toi, contre l'amour, je vais tout entreprendre,

et quand on veut bien s'en défendre,

on peut se garantir de ses indignes fers.

LA HAINE, CHŒUR

Plus on connoît l'amour, et plus on le deteste,

détruisons son pouvoir funeste,

rompons ses nœuds, déchirons son bandeau,

brûlons ses traits, éteignons son flambeau.

CHŒUR

Plus on connoît l'amour, et plus on se deteste,

détruisons son pouvoir funeste,

rompons ses nœuds, déchirons son bandeau,

brûlons ses traits, éteignons son flambeau.

La Suite de la Haine s'empresse à briser et à brûler les armes dont l'amour se sert.

LA HAINE, CHŒUR

Amour, sors pour jamais, sors d'un cœur qui te chasse,

que la Haine regne en ta place;

tu fais trop souffrir sous ta loi,

non, tout l'enfer n'a rien de si cruel que toi.

La Suite de la Haine témoigne qu'elle se prépare avec paisir à triompher de l'Amour.

LA HAINE

(s'approchant d'Armide)

Sors, sors, du sein d'Armide, amour brise ta chaine.

ARMIDE

Arrête, arrête, affreuse Haine,

laisse-moi sous les loix d'un si charmant vainqueur,

laisse-moi, je renonce à ton secours horrible,

non, non, n'achève pas, non, il n'est pas possible

de m'ôter mon amour sans m'arracher le cœur.

LA HAINE

N'implores-tu mon assistance

que pour mépriser ma puissance ?

Suis l'amour, puisque tu le veux,

infortunée Armide,

suis l'amour qui te guide

dans un abîme affreux.

Sur ces bords écartez, c'est en vain que tu cache

le heros dont ton cœur s'est trop laissé toucher:

la gloire à qui tu l'arrache,

doit bien-tôt te l'arracher,

malgré tes soins, au mépris de tes larmes,

tu le verras échaper à tes charmes.

Tu me rappelleras, peut-être, dés ce jour,

et ton attente sera vaine;

je vais te quitter sans retour,

je ne te puis punir d'une plus rude peine

que de t'abandonner pour jamais à l'amour.

La Haine et sa Suite s'abîment.

Acte quatrième
Scène première

Ubalde porte un bouclier de diamant, et tient un sceptre d'or qui lui ont été donnez par un magicien, pour dissiper les enchantemens d'Armide, et pour délivrer Renaud.
Le Chevaler Danois porte une épée qu'il doit presenter à Renaud.
Une vapeur s'élève et se répand dans le desert qui a paru au troisième acte. Des antres et des abîmes s'ouvrent, et il en sort des bêtes farouches et des monstres épouvantables.
Ubalde, Chevalier Danois.

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Nous ne trouvons par tout que des gouffres ouverts.

Armide a dans ces lieux transporté les enfers.

Ah ! que d'objets horribles !

Que des monstres terribles !

Le Chevalier Danois attaque les monstres, Ubalde le retient, et lui montre le sceptre d'or qu'il porte et qui leur a été donné pour dissiper les enchantemens.

UBALDE

Celui qui nous envoie a prévû ce danger,

et nous a montré l'art de nous en dégager.

Ne craignons point Armide ni ses charmes;

par ce secours plus puissant que nos armes,

nous en seront aisément garantis.

Laissés-nous un libre passage,

monstres, allez cacher votre inutile rage

dans l'abîme profond d'où vous êtes sortis.

Les monstres s'abîment, la vapeur se dissipe, le desert disparoît, et se change en une campagne agréable, bordée d'arbres chargez de fruits, et arrosée de ruisseaux.

CHEVALIER DANOIS

Allons chercher Renaud, le ciel nous favorise

dans notre penible entreprise.

Ce qui peut flatter nos desirs,

doit à son tour tenter de nous surprendre;

c'est desormais du charme des plaisirs

que nous aurons à nous défendre.

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Redoublons nos soins, gardons-nous

des périls agreables,

les enchantemens les plus doux

sont les plus redoutables.

UBALDE

On voit d'ici le sejour enchanté

d'Armide et du heros qu'elle aime !

Dans ce palais Renaud est arrêté

par un charme fatal dont la force est extrême.

C'est là que ce vainqueur si fier, si redouté,

oubliant tout jusqu'à lui-même,

est reduit à languir avec indignité

dans une molle oisiveté.

CHEVALIER DANOIS

En vain tout l'enfer s'interesse

dans l'amour qui séduit un cœur si glorieux;

si sur ce bouclier Renaud tourne les yeux,

il rougira de sa foiblesse,

et nous l'engagerons à partir de ces lieux.

Scène seconde

Ubalde, le Chevalier Danois, un Démon sous la figure de Lucinde, fille Danoise, aimée du Chevalier Danois, Troupe de démons transformez en habitans champêtres de l'Isle qu'Armide a choisie pour y retenir Renaud enchanté.

LUCINDE

Voici la charmante retraite

de la felicité parfaite;

voici l'heureux sejour

des jeux et de l'amour.

CHŒUR

Voici la charmante retraite

de la felicité parfaite;

voici l'heureux sejour

des jeux et de l'amour.

Les Habitans champêtres dansent.

UBALDE

(parlant au Chevalier Danois)

Allons, qui vous retient encore ?

Allons, c'est trop nous arrêter.

CHEVALIER DANOIS

Je vois la beauté que j'adore,

c'est elle, je n'en puis douter.

LUCINDE, CHŒUR

Jamais dans ces beaux lieux notre attente n'est vaine,

le bien que nous cherchons se vient offrir à nous,

et pour l'avoir trouvé sans peine,

nous ne l'en trouvons pas moins doux.

CHŒUR

Voici la charmante retraite

de la felicité parfaite;

voici l'heureux sejour

des jeux et de l'amour.

LUCINDE

(parlant au Chevalier Danois)

Enfin je vois l'amant pour qui mon cœur soupire,

je retrouve le bien que j'ai tant souhaité !

CHEVALIER DANOIS

Puis-je voir ici le beauté

qui m'a soumis à son empire ?

UBALDE

Non, ce n'est qu'un charme trompeur

dont il faut garder vostre cœur.

CHEVALIER DANOIS

Si-loin des bords glacez où vous prîtes naissance,

qui peut vous offrir à mes yeux ?

LUCINDE

Par une magique puissance

Armide m'a conduite en ces aimables lieux !

Et je vivois dans la douce esperance

d'y voir bien-tôt ce que j'aime le mieux.

Goûtons les doux plaisirs que pour nos cœurs fidelles

dans cet heureux sejour l'amour a préparez.

Le devoir par des loix cruelles

ne nous a que trop separez.

UBALDE

Fuyez, faites vous violence.

CHEVALIER DANOIS

L'amour ne me le permet pas,

contre de si charmans appas

mon cœur est sans défense.

UBALDE

Est-ce là cette fermeté

dont vous vous êtes tant vanté ?

CHEVALIER DANOIS, LUCINDE

Jouissons d'un bonheur extrème.

Hé ! quel autre bien peut valoir

le plaisir de voir ce qu'on aime ?

Hé ! quel autre bien peut valoir

le plaisir de vous voir ?

UBALDE

Malgré la puissance infernale,

malgré vous même, il faut vous détromper,

ce sceptre d'or peut dissiper

une erreur si fatale.

Ubalde touche Lucinde avec le sceptre d'or qu'il tient et Lucinde disparoît aussi-tôt.

Scène troisième

Ubalde, le Chevalier Danois.

CHEVALIER DANOIS

Je tourne en vain mes yeux de toutes parts,

je ne vois plus cette beauté si chère.

Elle échape à mes regards

comme une vapeur legere.

UBALDE

Ce que l'amour a de charmant

n'est qu'une illusion qui ne laisse aprés elle

qu'une honte éternelle.

Ce que l'amour a de charmant

n'est qu'un funeste enchantement.

CHEVALIER DANOIS

Je vois le danger où s'expose

un cœur qui ne fuit pas un charme si puissant.

Que vous êtes heureux si vous êtes exempt

des foiblesses que l'amour cause.

UBALDE

Non, je n'ai point gardé mon cœur jusqu'à ce jour,

prés de l'objet que j'aime il m'étoit doux de vivre;

mais quand la gloire ordonne de la suivre,

il faut laisser gemir l'amour.

Des charmes les plus forts la raison me dégage.

Rien ne nous doit ici retenir davantage;

profitons des conseils que l'on nous a donnez.

Scène quatrième

Ubalde, Chevalier Danois, un Démon sous la figure de Melisse, fille Italienne aimée d'Ubalde.

MELISSE

D'où vient que vous vous détournez

de ces eaux et de cet ombrage ?

Goûtez un doux repos, etrangers fortunez;

délassez-vous ici d'un pénible voiage.

Un favorable sort vous appelle à partager

des biens qui nous sont destinez.

UBALDE

Est-ce vous charmante Melisse ?

MELISSE

Est-ce vous cher amant ? est-ce vous que je voi ?

UBALDE, MELISSE

Au raport de mes sens je n'ose ajoûter foi.

Se peut-il qu'en ces lieux l'amour nous réunisse.

MELISSE

Est-ce vous cher amant ? est-ce vous que je voi ?

UBALDE

Est-ce vous charmante Melisse ?

CHEVALIER DANOIS

Non, ce n'est qu'un charme trompeur

dont il faut garder votre cœur.

Fuyez, faites-vous violence.

MELISSE

Pourquoi faut-il encor m'arracher mon amant ?

Faut-il ne nous voir qu'un moment

aprés une si longue absence ?

Je ne puis consentir à votre éloignement;

je n'ai que trop souffert un si cruel tourment,

et je mourrai s'il recommence.

UBALDE, MELISSE

Faut-il ne nous voir qu'un moment

aprés une si longue absence ?

CHEVALIER DANOIS

Est-ce là cette fermeté

dont vous vous êtes tant vanté !

Sortez de votre erreur, la raison vous appelle.

UBALDE

Ah ! que la raison est cruelle !

Si je suis abusé, pourquoi m'en avertir ?

Que mon erreur me paroît belle !

Que je serois heureux de n'en jamais sortir !

CHEVALIER DANOIS

J'aurai soin, malgré vous, de vous en garentir.

Le Chevalier Danois ôte le sceptre d'or des mains d'Ubalde, il en touche Melisse, et la fait disparoître.

UBALDE

Que deviens l'objet qui m'enflâme ?

Melisse disparoît soudain ?

Ciel ! faut-il qu'un fantôme vain,

cause tant de trouble à mon ame ?

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Ce que l'amour a de charmant

n'est qu'une illusion qui ne laisse aprés elle

qu'une honte éternelle.

Ce que l'amour a de charmant

n'est qu'un funeste enchantement.

UBALDE

D'une nouvelle erreur songeons à nous défendre,

evitons de trompeurs attraits.

Ne nous détournons plus du chemain qu'il faut prendre

pour arriver à ce palais.

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Fuions les douceurs dangereuses

des illusions amoureuses:

on s'égare quand on les suit;

heureux qui n'en est pas séduit !

Acte cinquième
Scène première

Le theatre change, et represente le Palais enchanté d'Armide.
Renaud, Armide.

RENAUD

(sans armes, et paré de guirlandes de fleurs)

Armide, vous m'allez quiter !

ARMIDE

J'ai besoin des enfers, je vai les consulter;

mon art veut de la solitude.

L'amour que j'ai pour vous cause l'inquiétude,

dont mon cœur se sent agiter.

RENAUD

Armide vous m'allez quitter !

ARMIDE

Voiez en quels lieux que je vous laisse.

RENAUD

Puis-je rien voir que vos appas ?

ARMIDE

Les plaisirs vous suivront sans cesse.

RENAUD

En et-til, où vous n'êtes pas ?

ARMIDE

Un noir pressentiment me trouble et me tourmente,

il m'annonce un malheur que je veux prévenir;

et plus notre bonheur m'enchante,

plus je crains de la voir finir.

RENAUD

D'une vaine terreur pouvez-vous être atteinte,

vous qui faites trembler le ténébreux sejour ?

ARMIDE

Vous m'aprenez à connoître l'amour,

l'amour m'aprend à connoître la crainte.

Vous brûliez pour la gloire avant de m'aimer,

vous la cherchiez par tout d'une ardeur sans égale;

la gloire est une rivale

qui doit toûjours m'allarmer.

RENAUD

Que j'étois insensé de croire

qu'un vain laurier, donné par la victoire,

de tous les biens fut le plus precieux !

Tout l'éclat dont brille la gloire

vaut-il un regard de vos yeux ?

Est-il un bien si charmant et si rare

que celui dont l'amour veut combler mon espoir ?

ARMIDE

La sévère raison et le devoir barbare

sur les heros n'ont que trop de pouvoir.

RENAUD

J'en suis plus amoureux plus la raison m'éclaire:

vous aimer, belle Armide, est mon premier devoir.

Je fais ma gloire de vous plaire,

et tout mon bonheur de vous voir.

ARMIDE

Que sous d'aimables loix mon ame est asservie !

RENAUD

Qu'il m'est doux de vous voir partager ma langueur !

ARMIDE

Qu'il m'est doux d'enchaîner un si fameux vainqueur !

RENAUD

Que mes fers sont dignes d'envie !

RENAUD, ARMIDE

Aimons-nous, tout nous y convie.

Ah ! si vous aviez la rigueur

de m'ôter votre cœur,

vous m'ôteriez la vie.

RENAUD

Non, je perdrai plûtôt le jour

que d'éteindre ma flâme.

ARMIDE

Non, rien ne peut changer mon ame.

RENAUD

Non, je perdrai plûtôu le jour,

que de ma dégager d'un si charmant amour.

RENAUD, ARMIDE

(chantent ensemble les derniers vers qu'il ont chantez séparément)

Non, je perdrai plûtôt le jour

que d'éteindre ma flâme;

non, rien ne peut changer mon ame.

Non, je perdrai plûtôu le jour,

que de ma dégager d'un si charmant amour.

ARMIDE

Témoins de notre amour extrême,

vous, qui suivez mes loix dans ce sejour heureux,

jusques à mon retour par d'agreables jeux,

occupez le heros que j'aime.

Les Plaisirs, et une Troupe d'amans fortunez, et d'amantes heureuses, viennent divertir Renaud par des chants et par des danses.

Scène seconde

Renaud, les Plaisirs, Troupe d'amans fortunez et d'amantes heureuses.

UN AMANT FORTUNÉ, CHŒURS

Les plaisirs ont choisi pour azile

ce sejour agreable et tranquile.

Que ces lieux sont charmans,

pour les heurex amans !

C'est l'amour qui retient dans ses chaines

mille oiseaux qu'en nos bois nuit et jour on entend.

Si l'amour ne causoit que des peines,

les oiseaux amoureux ne chanteroient pas tant.

Jeunes cœurs, tout vous est favorable,

profitez d'un bonheur peu durable.

Dans l'hiver de nos ans, l'amour ne règne plus.

Les beaux jours que l'on perd sont pour jamais perdus !

Les plaisirs ont choisi pour azile

ce sejour agreable et tranquile.

Que ces lieux sont charmans,

pour les heurex amans !

RENAUD

Allez, éloignez-vous de moi,

doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.

Sans la beauté qui me retient sous sa loi,

rien ne me plaît, tout augmente ma peine.

Allez, éloignez-vous de moi,

doux plaisirs, attendez qu'Armide vous rameine.

Les Plaisirs, les armans fortunez et les amantes heureuses se retirent.

Scène troisième

Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois.

UBALDE

Il est seul; profitons d'un tems si precieux.

(Ubalde presente le bouclier de diamant aux yeux de Renaud.)

RENAUD

Que vois-je! quel éclat me vient fraper les yeux ?

UBALDE

Le ciel veut vous faire connoître

l'erreur dont vos sens sont séduits.

RENAUD

Ciel! quelle honte de paroître

dans l'indigne état où je suis!

UBALDE

Notre general vous rappelle;

la victoire vous garde une palme immortelle.

Tout doit presser votre retour.

De cent divers climats chacun court à la guerre;

Renaud seul, au bout de la terre,

caché dans un charmant sejour,

veut-il suivre un honteux amour ?

RENAUD

Vains ornemens d'une indigne mollesse,

ne m'offrez plus vos frivoles attraits:

restes honteux de ma foiblesse,

allez, quittez-moi pour jamais.

Renaud arrache les guirlandes de fleurs et les autres ornemens inutiles dont il est paré. Il reçoit le bouclier de diamans que lui donne Ubalde, et une épée que lui presente le Chevalier Danois.

CHEVALIER DANOIS

Dérobez-vous aux pleurs d'Armide,

c'est l'unique danger dont votre ame intrepide

a besoin de se garentir

dans ces lieux enchantez la volupté preside,

vous n'en sçauriez trop tôt sortir.

RENAUD

Allons, hâtons-nous de partir.

Scène quatrième

Armide, Renaud, Ubalde, le Chevalier Danois.

ARMIDE

(suivant Renaud)

Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !

Vous partez ! Renaud ! vous partez !

Démons, suivez ses pas, volez, et l'arrêtez.

Helas ! tout me trahit, et ma puissance est vaine !

Renaud ! ciel ! ô mortelle peine !

Vous partez ! Renaud ! vous partez !

(Renaud s'arrête pour écouter Armide qui continuë à lui parler.)

RENAUD

Si je ne vous voi plus, croiez-vous que je vive ?

Ai-je pû mériter un si cruel tourment ?

Au moins, comme ennemi, si ce n'est comme amante,

emmenez Armide captive.

J'irai dans mes combats, j'irai m'offrir aux coups

qui seront destinez pour vous:

Renaud, pourvû que je vous suive,

le sort le plus affreux me paroîtra trop doux.

Armide, il est tems que j'évite

le péril trop charmant que je trouve à vous voir.

La gloire veut que je vous quitte,

elle ordonne à l'amour de ceder au devoir.

Si vous souffrez, vous pouvez croire

que je m'éloigne à regret de vos yeux,

vous regnerez toujours dans ma memoire;

vous serez aprés la gloire

ce que j'aimerai le mieux.

ARMIDE

Non, jamais de l'amour tu n'as senti le charme.

Tu te plais à causer de funestes malheurs.

Tu m'entends soûpirer, tu vois couler mes pleurs,

sans me rendre un soûpir, sans verser une larme.

Par les nœuds les plus doux je te conjure en vain;

tu suis un fier devoir, tu veux qu'il nous sépare.

Non, non, ton cœur n'a rien d'humain,

le cœur d'un tigre est moins barbabre.

Je mourrai si tu pars, et tu n'en peux douter:

ingrat, sans toi je ne puis vivre,

mais aprés mon trépas, ne croi pas éviter

mon ombre obstinée à te suivre.

Tu la verras s'armer contre ton cœur sans foi,

tu la trouveras inflexible !

Comme tu l'as été pour moi;

et sa fureur, s'il est possible,

egalera l'amour dont j'ai brûlé pour toi...

Ah ! la lumiere m'est ravie !

Barbare, es-tu content ?

Tu jouïs, en partant,

du plaisirs de m'ôter la vie.

Armide tombe et s'évanoüit.

RENAUD

Trop malheureuse Armide, helas !

Que ton destin est déplorable !

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Il faut partir, hâtez vos pas,

la gloire attend de vous un cœur inébranlable.

RENAUD

Non, la gloire n'ordonne pas

qu'un grand cœur soit impitoiable.

UBALDE, CHEVALIER DANOIS

Il faut vous arracher aux dangereux appas

d'un objet trop aimable.

RENAUD

Trop malheureuse Armide, helas !

Que ton destin est déplorable !

Scène cinquième et dernière

Armide seule.

Le perfide Renaud me fuit;

tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.

Il me laisse mourante, il veut que je périsse,

à regret je revoi la clarté qui me luit;

l'horreur de l'éternelle nuit

cede à l'horreur de mon supplice.

Le perfide Renaud me fuit:

tout perfide qu'il est, mon lâche cœur le suit.

Quand le barbare étoit en ma puissance,

que n'ai-je cru la haine et la vangeance !

Que n'ai-je suivi leurs transports !

Il m'échape, il s'éloigne, il va quiter ces bords;

il brave l'enfer et ma rage;

il est déja prés du rivage,

je fais pour m'y traîner d'inutiles efforts.

Traître, attend ~ je le tiens, je tiens son cœur perfide.

Ah ! je l'immole à ma fureur ! ~

Que dis-je ! où suis-je ! helas ! infortunée Armide !

Où t'emporte une aveugle erreur ?

L'espoir de la vangeance est le seul qui me reste.

Fuyez, plaisirs, fuyez, perdez tous vos attraits.

Démons, détruisez ce palais.

Partons, et s'il se peut, que mon amour funeste

demeure enseveli dans ces lieux pour jamais.

Les démons détruisent le palais enchanté, et Armide part sur un char volant.

Fin du livret.

Generazione pagina: 13/02/2016
Pagina: ridotto, rid
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Locandina Prologue Scène unique Acte premier Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Acte deuxième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième Acte troisième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Acte quatrième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Acte cinquième Scène première Scène seconde Scène troisième Scène quatrième Scène cinquième et dernière